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     Date : 19981109

     Dossier : T-649-98

ENTRE :

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     demandeur,

     - et -

     KHALIL HASAN,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire fondée sur le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-1] [modifiée] est présentée par le procureur général du Canada et vise à obtenir une ordonnance annulant le rapport en date du 4 mars 1998 par lequel l'enquêteuse Cynthia Sams a conclu que la mutation en date du 27 août 1997 de Mme Tanse Leung au poste de gestionnaire AU-05, Vérification des grandes entreprises, Division de la validation et de l'exécution de Revenu Canada, au Centre de Toronto, contrevenait au paragraphe 34.2(2) de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique [L.R.C. (1985), ch. P-33] [modifiée] (la Loi) et constituait un abus de pouvoir. Le défendeur, M. Hasan, avait déposé une plainte au sujet de la mutation de Mme Leung, qui a fait l'objet de l'enquête et du rapport de Mme Sams.

B.      LES FAITS

[2]      La présente demande de contrôle judiciaire se rapporte à un différend de longue date au sujet de la procédure de sélection par laquelle six fonctionnaires de Revenu Canada occupant des postes de AU-04 ont été promus à des postes de AU-05 en avril 1995 au sein du Ministère dans le cadre d'un concours interne. Conformément au paragraphe 21(1) de la Loi, l'un des candidats non reçus a interjeté appel de ces promotions devant un comité d'appel constitué par la Commission de la fonction publique.

[3]      Le comité d'appel, qui était présidé par M. A. H. Rosenbaum, a accueilli l'appel en décembre 1995 parce qu'il a relevé des irrégularités dans la procédure de sélection. Le comité a notamment déclaré que l'évaluation des " aptitudes " des candidats par des jurys de sélection composés de trois personnes risquait vraisemblablement de manquer d'uniformité étant donné que pas une de ces personnes n'avait fait partie de tous les jurys et que les critères d'évaluation n'avaient pas été clairement définis. Une demande de contrôle de la décision du comité d'appel a été déposée devant la Cour et est encore en instance.

[4]      Entre-temps, l'administrateur général a muté Mme Tanse Leung, qui était l'un des candidats promus au poste de AU-05 Vérification/Vérification spéciale, à un autre poste de AU-05 (gestionnaire, Vérification des grandes entreprises), également situé au Centre de Toronto de Revenu Canada. L'entente de mutation a été signée le 27 août 1997.

[5]      Conformément au paragraphe 34.3(1) de la Loi, M. Hasan, qui est le défendeur en l'espèce, s'est plaint de la mutation de Mme Leung auprès de l'administrateur général. En effet, puisque la promotion de Mme Leung à un poste de AU-05 en avril 1995 avait fait l'objet d'un appel que le comité d'appel présidé par M. Rosenbaum avait accueilli, Mme Leung n'occupait pas un poste " d'attache " de AU-05 parce que la Commission aurait dû annuler sa nomination dès que le comité d'appel a rendu sa décision. Par conséquent, sa mutation subséquente à un autre poste de AU-05 était fondamentalement une promotion, et le paragraphe 34.2(2) de la Loi dispose qu'" [a]ucune mutation ne peut avoir pour résultat la promotion du fonctionnaire [...] ".

[6]      Mécontent du rejet de sa plainte par l'administrateur général, M. Hasan a renvoyé sa plainte à la Commission de la fonction publique conformément au paragraphe 34.4(1) de la Loi et, ainsi que le prévoit le paragraphe 34.4(2), la Commission a renvoyé la mutation de Mme Leung à une enquêteuse, Mme Sams.

[7]      Mme Sams a conclu que la Commission avait promu Mme Leung en la mutant à un autre poste de AU-05 parce que, faute d'avoir présenté une demande de sursis d'exécution de l'ordonnance du comité d'appel à la Cour fédérale, la Commission aurait dû donner suite à la décision du comité d'appel et annuler la promotion de Mme Leung et des cinq autres candidats. Mme Sams a en outre déclaré que la mutation de Mme Leung dans les circonstances constituait un exercice abusif du pouvoir discrétionnaire accordé à l'administrateur général en matière de mutation au sein du Ministère. Dans son rapport en date du 4 mars 1998, Mme Sams a recommandé l'annulation de la mutation de Mme Leung.

[8]      Sur réception du rapport de l'enquêteuse, le procureur général, avec le consentement de la Commission de la fonction publique, a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Le demandeur soutient que, comme enquêteuse, Mme Sams n'avait pas compétence pour se pencher sur la nomination de Mme Leung à un poste de AU-05 par la Commission. De plus, Mme Sams aurait commis une erreur de droit en concluant que le paragraphe 21(3) de la Loi n'autorisait pas la Commission à différer l'exécution de la décision par laquelle le comité d'appel avait accueilli l'appel interjeté contre la promotion de Mme Leung à un poste de AU-05 jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire dont la Cour avait été saisie à cet égard.

C.      LE CADRE LÉGISLATIF

[9]      Les dispositions relatives aux mutations sont entrées en vigueur en 1993 après l'adoption des modifications législatives contenues dans le projet de loi C-26, communément appelé " Fonction publique 2000 ". Ces modifications soustrayaient les mutations à l'application stricte du principe du mérite et accordaient de ce fait un plus grand pouvoir discrétionnaire de gestion à l'administrateur général en matière de dotation.

[10]      Pour protéger les fonctionnaires contre le favoritisme ou l'animosité bureaucratique, le projet de loi C-26 imposait trois restrictions à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'administrateur général : premièrement, le fonctionnaire muté devait consentir à la mutation; deuxièmement, d'autres fonctionnaires avaient le droit de se plaindre que la mutation n'était pas autorisée, contrevenait à la Loi ou constituait un abus de pouvoir, et d'exiger de la Commission qu'elle nomme une personne indépendante chargée d'enquêter sur la mutation et de faire des recommandations; et troisièmement, l'administrateur général ne devait pas promouvoir un fonctionnaire en lui accordant une mutation.

[11]      Les dispositions suivantes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique s'appliquent à la présente demande.

21.(1) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act and the selection of the person for appointment was made from closed competition, every unsuccessful candidate may, within the period provided for by the regulations of the Commission, appeal against the appointment to a board established by the Commission to conduct an inquiry at which the person appealing and the deputy head concerned, or their representatives, shall be given an opportunity to be heard.

(2) Subject to subsection (3), the Commission, on being notified of the decision of a board established under subsection (1) or (1.1), shall, in accordance with the decision,

(a) if the appointment has been made, confirm or revoke the appointment; or

(b) if the appointment has not been made, make or not make the appointment.

(3) Where a board established under subsection (1) or (1.1) determines that there was a defect in the process for the selection of a person for appointment under this Act, the Commission may take such measures as it considers necessary to remedy the defect.

(4) Where a person is appointed or is about to be appointed under this Act as a result of measures taken under subsection (3), an appeal may be taken under subsection (1) or (1.1) against that appointment only on the ground that the measures so taken did not result in a selection for appointment according to merit.

34.(1) Except as provided in this Act or any other Act, a deputy head has the exclusive right and authority to make deployments to or within that part of the Public Service over which the deputy head has jurisdiction.

34.2(2) No employee shall be deployed in a manner that results in a promotion or a change in the tenure of office of that employee.

34.3(1) An employee who is deployed and any other employee in the work unit to which the deployment is made may, within such period and in such manner as the Treasury Board may provide for, complain to the deputy head concerned that the deployment was not authorized by, or made in accordance with, this Act or constituted an abuse of authority.

(3) On receiving a complaint under subsection (1), the deputy head shall review the deployment in such manner as the Treasury Board may direct and, after considering the results of the review, shall take such corrective action, including revocation of the deployment, as the deputy head considers appropriate.

34.4(1) An employee who lodged a complaint under subsection 34.3(1), or whose deployment is the subject of such a complaint, and who is not satisfied with the disposition of the complaint or any corrective action taken in respect thereof, may, within the period provided for by the regulations of the Commission, refer the complaint to the Commission.

(2) On the referral of a complaint under subsection (1), the Commission shall designate a person to investigate the deployment.

(3) An investigator designated under subsection (2) shall conduct the investigation in such manner as the Commission may prescribe and give the employee who referred the complaint to the Commission, the employee who was deployed and the deputy head an opportunity to be heard.

(4) On completion of the investigation, the investigator shall prepare and send to the employee who referred the complaint to the Commission, the employee who was deployed and the deputy head a report in writing setting out such findings and recommendations with respect to the deployment as the investigator sees fit.

1992, c. 54, s. 22.

34.5(1) If the investigator is not satisfied with the response of the deputy head to a report prepared under subsection 34.4(4), the investigator shall report the matter to the Commission.

(2) On receiving a report under subsection (1), the Commission may order the deputy head to take such corrective action, including revocation of the deployment, as the Commission considers appropriate.

(3) The Commission may not, pursuant to subsection (2), direct a deputy head to deploy any employee.

1992, c. 54, s. 22.

21.(1) Dans le cas d'une nomination, effective ou imminente, consécutive à un concours interne, tout candidat non reçu peut, dans le délai fixé par règlement de la Commission, en appeler de la nomination devant un comité chargé par elle de faire une enquête, au cours de laquelle l'appelant et l'administrateur général en cause, ou leurs représentants, ont l'occasion de se faire entendre.

(2) Sous réserve du paragraphe (3), la Commission, après avoir reçu avis de la décision du comité visé aux paragraphes (1) ou (1.1), doit en fonction de celle-ci :

a) si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer;

b) si la nomination n'a pas eu lieu, y procéder ou non.

(3) La Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection.

(4) Une nomination, effective ou imminente, consécutive à une mesure visée au paragraphe (3) ne peut faire l'objet d'un appel conformément aux paragraphes (1) ou (1.1) qu'au motif que la mesure prise est contraire au principe de la sélection au mérite.

34.1(1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi, l'administrateur général a le droit exclusif de muter au secteur relevant de sa compétence des fonctionnaires en provenance de l'extérieur ou de procéder à des mutations au sein de ce secteur.

34.2(2) Aucune mutation ne peut avoir pour résultat la promotion du fonctionnaire ou la modification de la durée de ses fonctions.

34.3(1) Le fonctionnaire qui est muté, ainsi que tout autre fonctionnaire du service où il l'a été peut, dans le délai et selon les modalités fixés par le Conseil du Trésor, déposer une plainte auprès de l'administrateur général compétent au motif que la mutation n'est pas autorisée par la présente loi ou n'a pas été effectuée conformément à celle-ci, ou qu'elle constitue un abus de pouvoir.

(3) Sur réception de la plainte, l'administrateur général révise la mutation selon les modalités fixées par le Conseil du Trésor et, selon les résultats, prend les mesures de redressement qu'il juge indiquées, y compris l'annulation de la mutation.

34.4(1) Le fonctionnaire qui n'est pas satisfait des résultats obtenus à la suite d'une plainte déposée en application du paragraphe 34.3(1) peut, dans le délai prévu par règlement de la Commission, renvoyer la plainte à la Commission.

(2) Dès le renvoi de la plainte, celle-ci désigne un enquêteur.

(3) L'enquêteur procède de la manière déterminée par la Commission et donne à l'auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l'administrateur général l'occasion d'être entendus.

(4) Au terme de l'enquête, l'enquêteur établit un rapport assorti de ses conclusions et recommandations touchant la mutation et le fait parvenir à l'auteur du renvoi, au fonctionnaire muté et à l'administrateur général.

1992, ch. 54, art. 22.

34.5(1) L'enquêteur qui n'est pas satisfait des mesures prises par l'administrateur général à la suite du rapport en rend compte à la Commission.

(2) Sur réception du compte rendu la Commission peut ordonner à l'administrateur général de prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées, y compris l'annulation de la mutation.

(3) La Commission ne peut s'autoriser du paragraphe (2) pour imposer une mutation à l'administrateur général.

1992, ch. 54, art. 22.

D.      LES QUESTIONS EN LITIGE

[12]      1.      L'enquêteuse a-t-elle outrepassé sa compétence en examinant la question de savoir si Mme Leung détenait un poste " d'attache " de AU-05 lorsqu'elle a été mutée au poste de AU-05 qu'elle occupe maintenant?
     2.      L'enquêteuse a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que le paragraphe 21(3) de la Loi n'autorisait pas la Commission à refuser de donner suite à la décision du comité d'appel jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire de cette décision?
     3.      L'enquêteuse a-t-elle commis une erreur en concluant, à partir des faits qui lui ont été soumis, que la mutation de Mme Leung n'avait pas été effectuée conformément à la Loi et constituait un abus de pouvoir?
     4.      La Cour devrait-elle, dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser d'accorder un redressement au motif que la demande de contrôle judiciaire est prématurée puisque le rapport et les recommandations de l'enquêteuse n'ont pas encore été soumis à la Commission de la fonction publique pour examen conformément à l'article 34.5 de la Loi?

E.      ANALYSE

Question 1

[13]      Il sera utile de résumer les dispositions législatives précitées qui s'appliquent à l'espèce avant d'examiner l'argument invoqué par Me Hucal au nom du procureur général, soit que Mme Sams n'était pas habilitée à se prononcer sur l'effet juridique de la décision du comité d'appel d'accueillir l'appel interjeté contre la promotion de Mme Leung à un poste de AU-05 avant sa mutation.

[14]      Premièrement, le paragraphe 34.3(1) de la Loi précise qu'un autre fonctionnaire du service où le fonctionnaire a été muté peut se plaindre auprès de l'administrateur général que la mutation n'était " pas autorisée par la présente loi ou n'a pas été effectuée conformément à celle-ci, ou qu'elle constitue un abus de pouvoir ". M. Hasan s'est plaint en vertu de cette disposition que la mutation de Mme Leung contrevenait à la Loi et constituait un abus de pouvoir parce que le comité d'appel avait annulé la promotion de cette dernière à un poste de AU-05, de sorte que, comme elle occupait un poste " d'attache " de AU-04, sa mutation était une promotion et, partant, était interdite par le paragraphe 34.2(2).

[15]      Deuxièmement, si le fonctionnaire s'estimant lésé n'est pas satisfait de la décision de l'administrateur général relativement à la plainte, il peut renvoyer " la plainte " à la Commission en vertu du paragraphe 34.4(1) de la Loi. Le paragraphe 34.4(2) dispose que " dès le renvoi de la plainte , [la Commission] désigne un enquêteur ".

[16]      Troisièmement, l'enquêteur ainsi désigné mène une enquête et donne aux intéressés l'occasion d'être entendus (paragraphe 34.4(3)), et établit " un rapport assorti de ses conclusions et recommandations touchant la mutation et le fait parvenir à [ces personnes] ". En outre, si l'enquêteur n'est pas satisfait des mesures prises par l'administrateur général à la suite du rapport, il en rend compte à la Commission, qui peut ordonner à l'administrateur de prendre les mesures de redressement qu'elle juge indiquées, y compris l'annulation de la mutation. Cependant, la Commission ne peut pas lui imposer une mutation (paragraphe 34.4(4) et article 34.5).

[17]      Me Hucal a prétendu qu'autoriser l'enquêteuse à examiner la question de savoir si Mme Leung était titulaire d'un poste de AU-04 ou de AU-05 reviendrait à examiner l'effet juridique de la décision du comité d'appel d'accueillir l'appel interjeté contre les promotions; or c'est une question qui fait l'objet d'une autre demande de contrôle judiciaire devant la Cour. En d'autres termes, en déposant une plainte contre la mutation de Mme Leung, M. Hasan cherchait une autre façon d'attaquer la décision du comité d'appel. La Loi ne devrait pas être interprétée de manière à permettre l'introduction de plusieurs instances portant sur la même question.

[18]      Je suis incapable d'accepter cet argument. Permettre à l'enquêteuse d'examiner l'effet juridique de la décision du comité d'appel sur le poste occupé par Mme Leung en attentant l'issue de la demande de contrôle judiciaire ne revient pas à lui permettre de se prononcer sur des questions que tranchera la Cour dans le cadre de la demande en instance. Pour moi, il n'est pas clair que le statut de Mme Leung après que le comité d'appel a rendu sa décision et une fois que la Cour fédérale aura statué sur la demande de contrôle judiciaire sera pertinent dans le cadre de cette instance.

[19]      À mon avis, il est plus utile d'examiner le libellé des dispositions législatives dans lesquelles les fonctions de l'enquêteur sont définies, et de voir comment il convient de l'interpréter dans le contexte général de cette partie de la Loi. Si la Loi avait prévu que, sur renvoi d'une plainte concernant une mutation, la Commission était tenue de renvoyer la plainte à l'enquêteur, et que l'enquêteur était tenu d'établir un rapport concernant la plainte, Mme Sams aurait manifestement eu le pouvoir de prendre en considération la prétention du fonctionnaire s'estimant lésé que, par suite de la décision du comité d'appel et du défaut de la Commission d'y donner suite, la mutation de Mme Leung contrevenait à la Loi et constituait un abus de pouvoir.

[20]      Toutefois, ainsi que je viens de le faire remarquer, le législateur a fait une distinction entre la plainte, que le fonctionnaire s'estimant lésé peut renvoyer à la Commission, et la mutation, que l'enquêteur nommé par la Commission doit examiner et au sujet de laquelle il doit établir un rapport et faire des recommandations. Le choix de ces termes indique-t-il que le législateur avait l'intention d'empêcher l'enquêteur d'examiner la plainte, du moins quand elle soulève des questions juridiques non résolues qui font l'objet d'une autre demande de contrôle judiciaire?

[21]      Réglons tout de suite un point. Il est clair que Mme Sams n'était pas dans l'impossibilité d'examiner la question de savoir si la mutation de Mme Leung constituait une promotion parce qu'une " mutation " se limite à une affectation à un poste au même niveau que celui occupé auparavant par la personne mutée. Le paragraphe 2(1) définit la mutation d'une façon plus générale comme " l'affectation d'un fonctionnaire à un autre poste ". En outre, le paragraphe 34.2(2) dispose qu'aucune mutation ne peut avoir pour résultat la promotion du fonctionnaire. En d'autres termes, on ne saurait déduire du fait que l'objet de l'enquête est " la mutation " que l'enquêteur n'est pas autorisé à décider si le fonctionnaire muté n'a pas aussi, de ce fait, obtenu une promotion.

[22]      En l'espèce, on pourrait peut-être dire que l'enquêteuse n'a pas simplement enquêté sur la " mutation " puisqu'elle a examiné l'effet juridique de la décision que le comité d'appel avait rendue environ dix-huit mois avant la mutation , et a donc outrepassé la compétence que lui conférait la Loi. Toutefois, comme le pouvoir d'enquêter sur une mutation comprend manifestement celui d'enquêter sur le bien-fondé de cette mutation, l'enquêteur doit être en mesure d'examiner toutes les questions qui se rapportent à cette enquête, notamment les événements qui ont eu lieu avant la mutation.

[23]      Une interprétation plus vraisemblable des dispositions législatives pertinentes est que, en exigeant de la Commission qu'elle renvoie " la mutation " à un enquêteur, le législateur voulait de ce fait que l'enquêteur examine chaque aspect de la mutation, pas seulement les aspects qui étaient visés par la plainte. À titre d'exemple, un enquêteur pourrait conclure que la plainte était justifiée et quand même recommander de ne pas annuler la mutation, compte tenu de toutes les circonstances. Inversement, l'enquêteur pourrait recommander l'annulation de la mutation pour des motifs tout à fait différents de ceux qui étaient mentionnés dans la plainte. Une interprétation large de l'étendue de la compétence de l'enquêteur est compatible avec l'économie générale des modifications de 1993 évoquées aux paragraphes [7] et [8].

[24]      Par conséquent, je conclus que l'enquêteuse n'a pas outrepassé sa compétence en examinant la question de savoir si la décision du comité d'appel d'accueillir l'appel d'un candidat non reçu avait effectivement annulé la première promotion de Mme Leung à un poste de AU-05.

Questions 2 et 3

[25]      Si, comme je l'ai conclu, Mme Sams était autorisée à examiner la question de savoir si la promotion de Mme Leung demeurait en vigueur après que le comité d'appel eut rendu sa décision, la question suivante consiste à savoir si Mme Sams a eu raison de déclarer que le paragraphe 21(3) de la Loi n'autorise pas la Commission à différer l'exécution de la décision du comité d'appel sauf annulation de cette décision dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire.

[26]      Une fois de plus, il sera utile de résumer les dispositions législatives qui se rapportent à la décision du comité d'appel en l'espèce. Premièrement, les candidats non reçus dans le cas d'une nomination au sein de la fonction publique consécutive à un concours interne, comme c'était le cas de la promotion de Mme Leung à un poste de AU-05, peuvent en appeler de la nomination devant un comité d'appel constitué par la Commission, et les personnes intéressées auront l'occasion d'être entendues (paragraphe 21(1)).

[27]      Deuxièmement, " sous réserve du paragraphe (3) ", après avoir reçu avis de la décision du comité, la Commission doit, " en fonction de celle-ci, si la nomination a eu lieu, la confirmer ou la révoquer " (paragraphe 21(2)). Troisièmement, le paragraphe 21(3) dispose que " la Commission peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité relativement à la procédure de sélection ".

[28]      Le comité d'appel en l'espèce a accueilli l'appel au motif que la procédure de sélection avait été effectuée d'une manière qui n'était pas propice à produire des évaluations uniformes des candidats aux postes de AU-05. On peut donc considérer que, par sa décision, le comité d'appel a conclu à l'existence d'une " irrégularité [...] relativement à la procédure de sélection " au sens du paragraphe 21(3).

[29]      Mme Hucal a soutenu que le pouvoir discrétionnaire accordé à la Commission par le paragraphe 21(3) était suffisamment vaste pour lui permettre de différer l'exécution de l'obligation que lui impose le paragraphe 21(2) d'annuler la mutation de Mme Leung " en fonction [de la décision du comité] " jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire soumise à la Cour relativement à la décision du comité d'appel.

[30]      Mme Hucal a soutenu que, sans un tel pouvoir discrétionnaire, la capacité de la haute direction d'un ministère de voir à ce qu'il y ait suffisamment d'effectifs pour lui permettre de s'acquitter de ses fonctions serait sérieusement compromise. Au soutien de cette prétention, elle a fait remarquer que près de trois années se sont écoulées depuis que le comité d'appel a rendu sa décision, et la demande de contrôle judiciaire n'a pas encore été entendue. Limiter la capacité de l'administrateur général de muter des fonctionnaires de la manière la plus efficace qui soit pendant une période aussi longue pourrait bien être très préjudiciable à l'intérêt qu'a le public dans une saine gestion.

[31]      Mme Hucal a pris soin de ne pas proposer une définition exhaustive de l'étendue du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 21(3) de la Loi. Elle a seulement voulu affirmer que ce pouvoir discrétionnaire était assez étendu pour permettre à la Commission de différer l'accomplissement du devoir que lui impose le paragraphe 21(2) jusqu'à l'issue de l'instance en contrôle judiciaire. En d'autres termes, elle soutient que le paragraphe 21(3) permet à la Commission de suspendre l'exécution de la décision du comité d'appel si elle le juge opportun.

[32]      Je suis incapable d'accepter cet argument. Premièrement, le libellé du paragraphe 21(3) de la Loi ne se prête pas aisément à l'interprétation préconisée par Me Hucal. Le paragraphe 21(3) dispose que la Commission " peut prendre toute mesure qu'elle juge indiquée pour remédier à toute irrégularité signalée par le comité d'appel relativement à la procédure de sélection ". En supposant que l'irrégularité signalée par le comité d'appel en l'espèce soit effectivement une " irrégularité [...] relativement à la procédure de sélection ", alors les mesures prises par la Commission en application du paragraphe 21(3) doivent être celles qu'elle juge indiquées pour remédier à l'irrégularité.

[33]      Je saisis mal comment le fait de suspendre l'exécution de la décision du comité d'appel jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire se rapporte logiquement à la correction de l'irrégularité signalée par le comité d'appel relativement à la procédure de sélection. Dans son rapport, Mme Sams l'a bien fait ressortir en écrivant :

     [traduction] Le maintien des nominations n'avait pas grand-chose à voir avec la correction de l'irrégularité. En fait, dans ce cas-ci, le problème s'est perpétué à cause de la mutation subséquente.         

[34]      Selon Me Hucal, il était nécessaire de suspendre l'exécution de la décision pour permettre à la Commission de prendre les mesures de mutation qu'elle jugeait nécessaires dans l'intervalle. Elle n'a pas prétendu que cette suspension visait à remédier à l'irrégularité signalée relativement à la procédure de sélection pour la promotion de candidats aux postes de AU-05, qui, ainsi que l'a conclu le comité, n'était pas faite pour garantir l'application uniforme des critères de sélection à tous les candidats. Malgré le libellé subjectif du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 21(3) accorde à la Commission, son exercice est toujours révisable de manière à garantir l'existence d'un lien logique entre le mandat de la Commission et les objectifs législatifs.

[35]      Évidemment, comme la Loi accorde un pouvoir discrétionnaire à la Commission, celle-ci peut à bon droit décider de ne prendre aucune mesure en vertu du paragraphe 21(3) de la Loi. Dans un tel cas, elle doit simplement donner effet à la décision du comité d'appel ainsi que le prévoit le paragraphe 21(3). Comme Mme Sams l'a fait remarquer dans son rapport :

     [traduction] L'annulation d'une nomination après qu'un appel a été accueilli vise à garantir que le principe du mérite est protégé en penchant pour les conclusions du comité d'appel. Le maintien des nominations a des conséquences désastreuses pour ce principe et pour la crédibilité de la procédure d'appel.         

[36]      Deuxièmement, il est mentionné dans un document rendu public par le Service des appels et des recours en matière de mutation de la Commission de la fonction publique du Canada qui s'intitule Guide des pratiques et procédures des comités d'appel que la Commission n'a pas jusque-là envisagé le pouvoir que lui accorde le paragraphe 21(3) de la manière proposée en l'espèce. Au chapitre 9.2 du Guide, on mentionne plutôt:

     La décision du comité d'appel est finale et lie immédiatement les parties et les candidats reçus et, à moins qu'un sursis d'exécution n'ait été accordé par un tribunal, elle demeure exécutoire tant qu'elle n'est pas annulée par la Cour fédérale.         

[37]      Bien que ce document ne donne pas une interprétation faisant autorité des dispositions législatives pertinentes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, et ne prétende pas le faire, on y reconnaît que la Commission a un moyen efficace à sa disposition pour éviter les effets d'une décision du comité d'appel qui pourraient être perturbateurs avant que la Cour ne statue sur une demande de contrôle judiciaire s'y rapportant : elle peut demander un sursis d'exécution à la Cour. De plus, le fait que le document indique que l'interprétation du paragraphe 21(3) retenue par la Commission en l'espèce n'a pas été adoptée et appliquée uniformément par la Commission supprime un obstacle potentiel à une intervention judiciaire.

[38]      Me Hucal a prétendu que la Commission ne pouvait pas demander un sursis d'exécution de la décision du comité d'appel parce que celui-ci n'avait rendu aucune ordonnance pouvant être suspendue. Ce point de vue me paraît très formaliste, et je ne l'accepte pas. Je ne vois pas pourquoi la Commission n'aurait pas pu demande un sursis d'exécution, ainsi que le chapitre 9.2 du Guide le prévoit, ce qui aurait eu pour résultat, en pratique, de libérer la Commission de son obligation d'origine législative de donner effet à la décision jusqu'à l'issue de la demande de contrôle judiciaire.

[39]      De fait, je constate que, dans la demande de contrôle judiciaire dont j'ai été saisi, la réparation demandée comprend une ordonnance provisoire (" au besoin ") portant sursis d'exécution de la " décision " de Mme Sams, même si Mme Sams n'a pas rendu d'ordonnance, mais a simplement fait une recommandation, à laquelle la Commission peut donner suite en donnant une directive à l'administrateur général.

[40]      À mon avis, donc, la Commission a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 21(3) dans un but irrégulier ou en tenant compte d'un facteur dénué de pertinence, de sorte que la mutation de Mme Leung constituait un abus de pouvoir.

D.      CONCLUSION

[41]      Je conclus donc que l'enquêteuse n'a pas commis d'erreur de droit en concluant que Mme Leung n'aurait pas dû être considérée comme la titulaire d'un poste de AU-05 immédiatement avant d'être mutée à son poste actuel et que, en refusant de donner effet à la décision du comité d'appel, la Commission a mal exercé son pouvoir discrétionnaire de sorte que la mutation constituait un abus de pouvoir.

[42]      Le fait que seule la Commission, et non le comité d'appel, puisse annuler officiellement la promotion de Mme Leung ne justifie pas la conduite de la Commission en l'espèce. Pour emprunter un principe fondé sur l'equity, Mme Sams a eu raison de considérer que la Commission a fait ce qu'elle était légalement tenue de faire, de sorte qu'au moment de sa mutation, Mme Leung occupait un poste " d'attache " de AU-04.

[43]      Étant donné cette conclusion, il n'est pas nécessaire que j'examine l'argument invoqué par M. Hasan, soit que la Cour devrait refuser le redressement demandé dans le cadre de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire parce que la demande de contrôle judiciaire est prématurée.

[44]      Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 John M. Evans

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 novembre 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-649-98

INTITULÉ :                          Procureur général du Canada

                             c.

                             Khalil Hasan

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE EVANS

en date du 9 novembre 1998

COMPARUTIONS :

     Kathryn Hucal                  pour le demandeur

     Ministère de la Justice

     Toronto (Ontario)

     Khalil Hasan                  en son nom personnel

     Don Mills (Ontario)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     Morris A. Rosenberg              pour le demandeur

     Sous-procureur général

     du Canada

     Khalil Hasan                  en son nom personnel

     30, Thernhill Crescent

     Don Mills (Ontario)

     M3C 2E5

    

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