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Date: 20000510


Dossier: IMM-6818-98


ENTRE :



SRIRANJAN RASA


demandeur

et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

     défendeur

    


     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE O"KEEFE :

[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle le fondé de pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration, W.A. Sheppit, a conclu, le 25 août 1998, qu"il constituait un danger pour le public au Canada, conformément au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, dans sa forme modifiée.


LES FAITS

[2]      Le demandeur est arrivé au Canada au mois de décembre 1989. Le 8 juillet 1991, la section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié a reconnu son statut de réfugié au sens de la Convention. Le demandeur est devenu résident permanent du Canada au mois de décembre 1992.

[3]      Le 25 mars 1998, le demandeur a plaidé coupable à trois infractions au Code criminel, L.R.C. (1985), ch. C-46, à savoir :

     (1) un complot en vue de se livrer à des voies de faits causant des lésions corporelles, en violation de l"alinéa 465((1)c );
     (2) un complot en vue d"utiliser des cartes de crédit falsifiées, en violation de l"alinéa 465(1)c );
     (3) la possession d"une arme à autorisation restreinte (une arme de poing non enregistrée), en violation du paragraphe 91(1).

[4]      Le 25 mars 1998, le demandeur s"est vu infliger les peines suivantes pour les infractions commises :

     (1) complot en vue de se livrer à des voies de fait causant des lésions corporelles " la peine de onze (11) mois déjà purgée plus une peine d"emprisonnement de sept (7) mois;
     (2) complot en vue d"utiliser des cartes de crédit falsifiées " une peine d"emprisonnement de trois (3) mois consécutive à la peine susmentionnée;
     (3) possession d"une arme à autorisation restreinte " une peine d"emprisonnement de deux (2) mois consécutive aux peines susmentionnées.

[5]      Selon le dossier, le demandeur a été arrêté au printemps 1997 par la Police de la communauté urbaine de Toronto à la suite d"une opération d"écoute électronique.

[6]      Le juge qui a prononcé la peine a dit que la preuve d"écoute électronique révélait qu"il y avait deux groupes criminels organisés au sein de la collectivité tamoule dans la Région du Grand Toronto. Le juge a dit que le demandeur était membre d"un des groupes criminels et que, selon la preuve, il occupait un poste assez important au sein de ce groupe.

[7]      Le groupe criminel dont le demandeur faisait partie était connu sous le nom de V.V.T. et l"autre groupe s"appelait l"A.K. Kannan.

[8]      Dans ses remarques, le juge qui a prononcé la peine a dit que, sans minimiser la gravité des activités criminelles en cause et le rôle que l"accusé avait eu, il concluait que l"aspect le plus alarmant de l"organisation du groupe était le fait qu"il était prêt à recourir à la violence afin de préserver son entreprise criminelle. Le juge a également dit que le rôle du demandeur, en ce qui concerne cet aspect de l"activité de la bande, était important.

[9]      La Police de la communauté urbaine de Toronto a constitué un groupe de travail pilote appelé le Metropolitan Toronto Police Tamil Task Force, qui a soumis en février 1998 un rapport intitulé : " Pilot Project Report Tamil Organized Crime ". Le rapport disait en gros que la police avait décelé une augmentation des activités criminelles violentes dans la collectivité tamoule. La nature des activités et les moyens employés pour s"y livrer montraient que l"on était en train de constituer un groupe criminel organisé.

[10]      Après qu"il eut été déclaré coupable des infractions susmentionnées, on a signifié au demandeur un avis d"intention de demander au ministre, conformément au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration, de délivrer un avis selon lequel il constituait un danger pour le public au Canada. On a informé le demandeur de la preuve dont il serait tenu compte et on lui a donné la possibilité de présenter des observations au sujet de la raison pour laquelle le ministre ne devrait pas délivrer pareil avis. Par l"entremise de son avocat, le demandeur a présenté des observations.

[11]      Le 25 août 1998, il a été jugé que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada au sens de l"alinéa 53(1)d ) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration.

LES POINTS LITIGIEUX

[12]      Le demandeur a soulevé les questions ci-après énoncées :

     (1) Le demandeur a-t-il droit, en vertu de la Charte, à une réparation efficace par suite de la violation des droits qui lui sont garantis?
     (2) Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision que le fondé de pouvoir du ministre a prise en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration?
     (3) Le fondé de pouvoir du ministre a-t-il contrevenu aux principes de justice fondamentale reconnus à l"article 7 de la Charte des droits et libertés en arrivant à sa décision en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration :
         a) en décidant que le demandeur devait être renvoyé directement à Sri Lanka, un pays où sa vie et sa liberté seraient menacées puisque, selon la preuve, le demandeur risquait fortement de subir des traitements ou peines cruels et inusités entre les mains des autorités sri-lankaises à Sri Lanka, soit officiellement soit extrajudiciairement, en violation de l"article 12 de la Charte des droits et libertés ;
         b) en appliquant le paragraphe 53(1) de la Loi alors qu"il est inopérant en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 ;
         c) en prenant une décision subjective, fondée sur sa propre opinion, à savoir que le demandeur peut être renvoyé de force à Sri Lanka, alors que les principes de justice fondamentale exigent une détermination objective de la question du risque;
         d) en prenant une décision sur la question du renvoi alors que, de toute évidence, il n"était pas et ne peut pas être un décideur indépendant impartial;
         e) en décidant que le demandeur constitue un " danger pour le public au Canada " alors que ces mots, au paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration, sont imprécis et trop généraux, de sorte que cela ne constitue pas et ne peut pas constituer, pour le demandeur et pour la collectivité en général, un avis juridique suffisant des paramètres à prendre en considération dans la décision visant à refouler un réfugié au sens de la Convention dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées;
         f) en suivant aux fins de la décision, une procédure qui n"est pas conforme aux principes de justice fondamentale, en ce sens que le demandeur n"a pas été avisé d"une façon adéquate de la preuve présentée contre lui et qu"il n"a pas eu une possibilité pleine et équitable d"y répondre.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[13]      Le ministre a agi en vertu de l"alinéa 53(1)d ) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, qui sont ainsi libellés :

Prohibited removal


53. (1) Notwithstanding subsections 52(2) and (3), no person who is determined under this Act or the regulations to be a Convention refugee, nor any person who has been determined to be not eligible to have a claim to be a Convention refugee determined by the Refugee Division on the basis that the person is a person described in paragraph 46.01(1)(a), shall be removed from Canada to a country where the person's life or freedom would be threatened for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion unless

Renvoi de réfugiés au sens de la Convention

53. (1) Par dérogation aux paragraphes 52(2) et (3), la personne à qui le statut de réfugié au sens de la Convention a été reconnu aux termes de la présente loi ou des règlements, ou dont la revendication a été jugée irrecevable en application de l'alinéa 46.01(1)a), ne peut être renvoyée dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient menacées du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques, sauf si, selon le cas_:

(a) the person is a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c) or subparagraph 19(1)(c.1)(i) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada;

(b) the person is a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(e), (f), (g), (j), (k) or (l) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the security of Canada; or


a) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées à l'alinéa 19(1)c) ou au sous-alinéa 19(1)c.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;


b) elle appartient à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)e), f), g), j), k) ou l) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour la sécurité du Canada;

(c) the person is a person described in subparagraph 27(1)(a.1)(i) and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada; or

(d) the person is a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed and the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada.

c) elle relève du cas visé au sous-alinéa 27(1)a.1)(i) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;


d) elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada.

Where limited right of appeal

70 (5) No appeal may be made to the Appeal Division by a person described in subsection (1) or paragraph (2)(a) or (b) against whom a deportation order or conditional deportation order is made where the Minister is of the opinion that the person constitutes a danger to the public in Canada and the person has been determined by an adjudicator to be

(a) a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(c), (c.1), (c.2) or (d);

Restriction

70 (5) Ne peuvent faire appel devant la section d'appel les personnes, visées au paragraphe (1) ou aux alinéas (2)a) ou b), qui, selon la décision d'un arbitre_:



a) appartiennent à l'une des catégories non admissibles visées aux alinéas 19(1)c), c.1), c.2) ou d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

(b) a person described in paragraph 27(1)(a.1); or


(c) a person described in paragraph 27(1)(d) who has been convicted of an offence under any Act of Parliament for which a term of imprisonment of ten years or more may be imposed.

b) relèvent du cas visé à l'alinéa 27(1)a.1) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada;

c) relèvent, pour toute infraction punissable aux termes d'une loi fédérale d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans, du cas visé à l'alinéa 27(1)d) et, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada.


27. (1) An immigration officer or a peace officer shall forward a written report to the Deputy Minister setting out the details of any information in the possession of the immigration officer or peace officer indicating that a permanent resident is a person who

. . .

27. (1) L'agent d'immigration ou l'agent de la paix doit faire part au sous-ministre, dans un rapport écrit et circonstancié, de renseignements concernant un résident permanent et indiquant que celui-ci, selon le cas_:



[. . .]

(d) has been convicted of an offence under any Act of Parliament, other than an offence designated as a contravention under the Contraventions Act, for which a term of imprisonment of more than six months has been, or five years or more may be, imposed; . . .

d) a été déclaré coupable d'une infraction prévue par une loi fédérale, autre qu'une infraction qualifiée de contravention en vertu de la Loi sur les contraventions: [. . .]

[14]      Le demandeur a également soulevé des arguments dans lesquels il invoquait l"article premier ainsi que les articles 7 et 12 et le paragraphe 52(1) de la Charte canadienne des droits et libertés :

Whereas Canada is founded upon principles that recognize the supremacy of God and the rule of law:

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit :

Guarantee of Rights and Freedoms

Rights and freedoms in Canada

1. The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

Garantie des droits et libertés

Droits et libertés au Canada

1. La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d'une société libre et démocratique.

Life, liberty and security of person

7. Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

Vie, liberté et sécurité

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Treatment or punishment

12. Everyone has the right not to be subjected to any cruel and unusual treatment or punishment.

Cruauté

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Primacy of Constitution of Canada

52. (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect.

Primauté de la Constitution du Canada

52. (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

[15]      Première question :

     Le demandeur a-t-il droit, en vertu de la Charte, à une réparation efficace par suite de la violation des droits qui lui sont garantis?

[16]      Il est certain qu"en vertu de la Charte, une personne a droit à une réparation s"il a été porté atteinte aux droits qui lui sont reconnus par la Charte sous réserve, bien sûr, des dispositions de l"article premier de la Charte.



[17]      Deuxième question :

     Quelle est la norme de contrôle à appliquer à la décision que le fondé de pouvoir du ministre a prise en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration?

[18]      En ce qui concerne cette question, il est présumé que le paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration est constitutionnellement valide et que le demandeur a un recours, en cas de violation d"un des droits qui lui sont reconnus par la Charte. Il faut maintenant déterminer quelle norme de contrôle devrait s"appliquer à la décision du ministre. Est-ce la norme de la décision correcte, de la décision raisonnable simpliciter ou de la décision manifestement déraisonnable?

[19]      Dans l"arrêt Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a statué que l"exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre en vertu du paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, supra, pouvait être examiné selon la norme de la décision raisonnable simpliciter. Étant donné que la décision prise par le ministre dans ce cas-ci est également une décision discrétionnaire, j"appliquerais la même norme de contrôle à la décision qui a été prise en l"espèce. Je dois souligner que le pouvoir discrétionnaire conféré au ministre (" selon le ministre ") est fort étendu et qu"il peut bien être assujetti à une norme de contrôle moins stricte que celle de la " décision raisonnable simpliciter ". Toutefois, j"estime être lié par la décision qui a été rendue dans l"affaire Baker , supra.

[20]      Le demandeur a soutenu que la norme à appliquer devrait être celle de la décision correcte; il cite la décision rendue par la Cour suprême du Canada dans l"affaire Pushpanathan c. Canada , [1998] 1 R.C.S. 982. Toutefois, cette affaire portait sur l"examen d"une décision rendue par la Commission de l"immigration et du statut de réfugié. En l"espèce, la Cour examine les décisions discrétionnaires prises par un fondé de pouvoir du ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration (le ministre). Par conséquent, le jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l"affaire Baker c. Canada, supra, s"applique d"une façon plus appropriée en ce qui concerne la norme de contrôle des décisions administratives discrétionnaires que le ministre prend conformément au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration.

[21]      Troisième question :

     Quant à la troisième question, le demandeur soulève un certain nombre de questions accessoires, qui se rapportent toutes censément à la violation de l"article 7 de la Charte. Je me propose d"examiner ces questions dans l"ordre suivant :

     (1)      Le ministre a-t-elle manqué à l"obligation qui lui incombe en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques , de la Convention contre la torture ou de la Convention relative au statut des réfugiés, de sorte qu"il y a eu violation de l"article 7 de la Charte des droits et libertés?



     (2)      Les mots " danger pour le public au Canada " figurant au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) sont-ils nuls pour le motif qu"ils sont imprécis, de sorte qu"ils violent les principes de justice fondamentale reconnus à l"article 7 de la Charte?
     (1)      Le refoulement du demandeur vers un endroit où il risque d"être traité d"une façon dure ou inhumaine par les autorités gouvernementales constitue-t-il une violation de l"article 12 de la Charte des droits et libertés ?
     (1)      Le demandeur a-t-il bénéficié de l"application régulière du droit procédural en vertu de l"article 7 de la Charte en ce sens :
         a)      que le processus décisionnel suivi par le ministre en vertu de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration était un processus subjectif;
         b)      que le demandeur n"a pas eu droit à une audience devant le ministre;
         c)      que le demandeur n"a pas reçu de motifs écrits du ministre;
         d)      que le ministre n"aurait censément pas agi d"une façon équitable en prenant sa décision en vertu de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration?

[22]      Le ministre a-t-elle manqué à l"obligation qui lui incombe en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, de la Convention contre la torture ou de la Convention relative au statut des réfugiés, de sorte qu"il y a eu violation de l"article 7 de la Charte des droits et libertés?

[23]      Le demandeur soutient que la décision que le ministre a prise de le refouler vers un pays où il risque d"être traité d"une façon dure ou inhumaine viole les dispositions de l"accord international auquel le Canada est partie. Si je comprends bien l"argument du demandeur, cela entraîne une violation de l"article 7 ou de l"article 12 de la Charte des droits et libertés. J"ai lu les longs motifs que le juge Robertson a prononcés au nom de la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Manickavasagam Suresh c. Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration et procureur général du Canada, décision non publiée en date du 18 janvier 2000 (dossier A-415-99), et j"adopte ses conclusions. Voici un sommaire d"une partie desdites conclusions :

     Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques ne vise pas à régir la question du refoulement et encore moins celle de savoir si l"interdiction de refouler les réfugiés au sens de la Convention constitue un droit absolu. Le demandeur s"est fondé sur les articles 4 et 7 de cette convention pour soutenir que la mesure prise par le ministre en vertu de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration équivalait à le soumettre à la torture ou à un traitement cruel, inhumain ou dégradant, ce que l"article 7 de la Convention interdit formellement.

[24]      Je conclus que la torture dont il est fait mention est un acte de torture ou un autre acte inacceptable qui est commis dans une région géographique sur laquelle la partie en cause exerce un contrôle. Ce n"est pas ici le cas puisque le Canada n"a pas compétence à Sri Lanka. Il n"y a donc pas eu manquement au Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

[25]      La Convention contre la torture traite uniquement des actes de torture qui peuvent être commis sur un territoire relevant de la compétence de l"État. Le paragraphe 16(2) prévoit que les dispositions de la Convention contre la torture sont " sans préjudice des dispositions de tout autre instrument international [...] qui [a] trait à l"extradition ou à l"expulsion ". Cette condition est très importante parce que le Canada a signé la Convention relative au statut des réfugiés , dont les articles 32 et 33 se lisent comme suit :


Article 32


1. The Contracting States shall not expel a refugee lawfully in their territory save on grounds of national security or public order.



2. The expulsion of such a refugee shall be only in pursuance of a decision reached in accordance with due process of law. Except where compelling reasons of national security otherwise require, the refugee shall be allowed to submit evidence to clear himself, and to appeal to and be represented for the purpose before competent authority or a person or persons specially designated by the competent authority.


3. The Contracting States shall allow such a refugee a reasonable period within which to seek legal admission into another country. The Contracting States reserve the right to apply during that period such internal measures as they may deem necessary.

1. Les États Contractants n"expulseront un réfugié se trouvant régulièrement sur leur territoire que pour des raisons de sécurité nationale ou d"ordre public.

2. L"expulsion de ce réfugié n"aura lieu qu"en exécution d"une décision rendue conformément à la procédure prévue par la loi. Le réfugié devra, sauf si des raisons impérieuses de sécurité nationale s"v opposent, être admis à fournir des preuves tendant à le disculper, à présenter un recours et à se faire représenter à cet effet devant une autorité compétente ou devant une ou plusieurs personnes spécialement désignées par l"autorité compétente.


3. Les États Contractants accorderont à un tel réfugié un délai raisonnable pour lui permettre de chercher à se faire admettre régulièrement dans un autre pays. Les États Contractants peuvent appliquer, pendant ce délai, telle mesure d"ordre interne qu"ils jugeront opportune.

Article 33



1. No Contracting State shall expel or return ("refouler") a refugee in any manner whatsoever to the frontiers of territories where his life or freedom would be threatened on account of his race, religion, nationality, membership of a particular social group or political opinion.


2. The benefit of the present provision may not, however, be claimed by a refugee whom there are reasonable grounds for regarding as a danger to the security of the country in which he is, or who, having been convicted by a final judgment of a particularly serious crime, constitutes a danger to the community of that country.

1. Aucun des États Contractants n"expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires ou sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques.

2. Le bénéfice de la présente disposition ne pourra toutefois être invoqué par un réfugié qu"il y aura des raisons sérieuses de considérer comme un danger pour la sécurité du pays où il se trouve ou qui, ayant été l"objet d"une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour la communauté dudit pays.

[26]      De toute évidence, le paragraphe 33(2) permettrait au ministre, dans les cas appropriés, d"ordonner le refoulement d"un réfugié même si la vie ou la liberté de celui-ci sont menacées. En exerçant son pouvoir discrétionnaire en l"espèce, le ministre n"a violé aucune des trois conventions susmentionnées. En prenant une mesure conformément à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration, le ministre agissait dans un cas prévu au paragraphe 33(2) de la Convention relative au statut des réfugiés. J"adopterais le raisonnement que le juge Robertson a fait dans l"affaire Suresh , supra, en ce qui concerne la décision Chahal c. The United Kingdom et la partie de la décision (paragraphes 30, 31, 32 et 33) dans laquelle il est dit que les principes du droit international coutumier ne peuvent être reconnus et appliqués au Canada que dans la mesure où ils n"entrent pas en conflit avec le droit national du Canada. Or, le droit international coutumier invoqué devant la Cour dans ce cas-ci irait à l"encontre du paragraphe 53(1) de la Loi sur l"immigration.

[27]      Les mots " danger pour le public au Canada " figurant au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration sont-ils nuls pour le motif qu"ils sont imprécis, de sorte qu"ils violent les principes de justice fondamentale reconnus à l"article 7 de la Charte?

[28]      Le demandeur a soutenu que les mots " danger pour le public " qui figurent au paragraphe 70(5) et à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration sont nuls parce qu"ils sont imprécis. Il soutient que cela porte atteinte aux droits reconnus à l"article 7 de la Charte en ce sens qu"il s"agit d"une violation des principes de justice fondamentale.

[29]      Il faut en premier lieu déterminer si les mots " danger pour le public " sont nuls parce qu"ils sont imprécis; en effet, s"ils ne sont pas imprécis, l"article 7 de la Charte n"a pas été violé. Selon les décisions qui ont été publiées, la théorie de l"imprécision a souvent été invoquée, mais dans bien des cas sans porter fruit. Bien sûr, cela ne veut pas pour autant dire qu"elle ne pourrait pas être invoquée avec succès dans ce cas-ci. Toutefois, à mon avis, je ne crois pas que les mots " danger pour le public " soient nuls parce qu"ils sont imprécis.

[30]      Dans le Renvoi relatif au Code criminel (Manitoba), [1990] 1 R.C.S. 1123, le juge Lamer (tel était alors son titre) a dit ce qui suit, à la page 1152 :

     Il est essentiel dans une société libre et démocratique que les citoyens soient le mieux possible en mesure de prévoir les conséquences de leur conduite afin d"être raisonnablement prévenus des conduites à éviter et pour que le pouvoir discrétionnaire des responsables de l"application de la loi soit limité par des normes législatives claires et explicites.

[31]      Cette remarque a été faite dans le contexte d"une disposition du Code criminel , mais il est certain que les mêmes principes s"appliquent au civil : voir R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society , [1992] 2 R.C.S. 606. À la page 643 de ce dernier arrêt, le juge Gonthier a dit ce qui suit :

     [...] une loi sera jugée d"une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire.

[32]      Et dans l"arrêt Suresh, supra , le juge Robertson a dit ce qui suit, à la page 54 :

     À l"appui de son argument fondé sur l"imprécision, l"appelant cite l"arrêt R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society , [1992] 2 R.C.S. 606, de la Cour suprême. Dans cette affaire, la Cour a reconnu qu"une disposition législative imprécise pouvait contrevenir aux principes de justice fondamentale au sens de l"article 7 de la Charte pour deux raisons : (1) la loi ne prévient pas raisonnablement les citoyens des conséquences de leurs actes, les privant ainsi de la possibilité d"agir de manière à ne pas être tenus responsables et de bénéficier d"une défense pleine et entière s"ils sont poursuivis et (2) la loi ne limite pas convenablement le pouvoir discrétionnaire en matière d"application de la loi. Le juge Gonthier a déclaré à la page 643 : " une loi sera jugée d'une imprécision inconstitutionnelle si elle manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat judiciaire. " Il a décrit l"expression " débat judiciaire " comme s"entendant du processus qui mène à une conclusion sur la signification d"un terme ou d"une expression à la suite d"une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques.

[33]      Au départ, un texte législatif ne viole pas la théorie de l"imprécision simplement parce qu"il est peut-être nécessaire de l"interpréter. Il incombe toujours aux tribunaux d"attribuer un sens aux mots d"un texte législatif.

[34]      Dans l"affaire Suresh, supra , les mots en cause étaient " danger pour la sécurité du Canada ". La Cour d"appel fédérale a conclu que ces mots ne sont pas nuls pour le motif qu"ils seraient imprécis, de sorte que l"article 7 de la Charte des droits et libertés n"avait pas été violé. Ces mots figurent à l"alinéa 53(1)b ) de la Loi sur l"immigration et les mots en cause dans ce cas-ci figurent à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration.

[35]      Un examen du paragraphe 70(5) et de l"alinéa 53(1)b ) révèle que la législation n"énonce pas de critère permettant de déterminer le sens des mots " danger pour le public du Canada ".Toutefois, cela ne veut pas dire que les mots sont nuls parce qu"ils sont imprécis. Il incombe à la Cour d"essayer d"interpréter ces mots et de leur attribuer un sens. La Cour peut le faire dans la mesure où les mots établissent d"une façon suffisante le débat judiciaire : juge Gonthier, dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society , supra. Les mots " débat judiciaire " ont été décrits comme s"entendant du " processus qui mène à une conclusion sur la signification d"un terme ou d"une expression à la suite d"une analyse raisonnée appliquant des critères juridiques ". Pour déterminer le sens de ces mots, la Cour peut utiliser les méthodes qu"elle utilise normalement afin d"attribuer un sens aux mots, à savoir les moyens acceptés d"interprétation tels que l"analyse contextuelle de la loi. Si l"emploi de ces méthodes permet à la Cour d"attribuer un sens aux mots en question, la théorie de l"imprécision ne s"applique pas.

[36]      La Loi sur l"immigration énonce la politique canadienne d"immigration à l"article 3 et en particulier, au sous-alinéa 3i), qui est ainsi libellé :

3.(i) to maintain and protect the health, safety and good order of Canadian society; and

3.i) de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l'ordre public au Canada;

[37]      De toute évidence, l"un des objectifs de la politique canadienne d"immigration est de garantir " [...] la sécurité et l"ordre public " au Canada. Ceci dit, il ne serait pas déraisonnable de dire que l"un des objectifs de la législation est d"exclure du Canada les personnes qui se livrent à des activités criminelles graves pendant qu"elles résident en permanence au Canada.

[38]      Afin de déterminer si une personne constitue un danger pour le public au Canada, il faut d"abord déterminer si la personne en question appartient à l"une des catégories de personnes qui peuvent être renvoyées après avoir été admises au Canada. En l"espèce, les autorités ont conclu que le demandeur était visé par l"alinéa 27(1)d ) de la Loi sur l"immigration. Ce n"est là que la première étape du processus visant à permettre de déterminer si le demandeur constitue un " danger pour le public au Canada ". Il a été conclu que le demandeur avait commis une infraction tel qu"il est prévu à l"alinéa 27(1)d ). Le demandeur a plaidé coupable aux infractions suivantes :

     (1)      Alinéa 465(1) c) du Code criminel " complot en vue de se livrer à des voies de fait causant des lésions corporelles;
     (2)      Alinéa 465(1) c) du Code criminel " complot en vue d"utiliser des cartes de crédit falsifiées;
     (3)      Paragraphe 91(1) du Code criminel " possession d"une arme à poing non enregistrée.

[39]      Le demandeur a été arrêté au printemps 1997 par la Police de la communauté urbaine de Toronto à la suite d"une opération d"écoute électronique. Le juge qui a prononcé la peine a dit que la preuve d"écoute électronique révélait qu"il y avait deux groupes criminels organisés au sein de la collectivité tamoule dans la Région du Grand Toronto. Le juge a dit que le demandeur était membre de la bande V.V.T. et qu"il occupait un poste assez important au sein de ce groupe criminel comme il en a déjà été fait mention. Dans ses remarques, le juge qui a prononcé la peine a notamment dit ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     Sans minimiser la gravité des activités criminelles dont je viens de faire mention et le rôle que l"accusé a eu à cet égard, ce qui constitue selon moi l"aspect le plus alarmant de l"organisation du groupe est le fait qu"il était prêt à recourir à la violence et à utiliser des armes prohibées afin de protéger son entreprise criminelle contre tout empiétement, ce qui, selon moi, est une inférence que je puis clairement faire à partir de la preuve dont je dispose. Le rôle de l"accusé en ce qui concerne cet aspect des activités de la bande est important.

[40]      La Police de la communauté urbaine a constitué un groupe de travail pilote appelé le " Metropolitan Toronto Police Tamil Task Force " qui, au mois de février 1999, a soumis un rapport intitulé : " Pilot Project Report Tamil Organization Crime ", comme il en a déjà été fait mention. Le sommaire du rapport disait notamment ce qui suit :

     [TRADUCTION]
     À la fin des années 1990, les organismes policiers de la Région du Grand Toronto ont décelé un nombre croissant d"activités criminelles violentes dont le dénominateur commun était que les suspects et les victimes étaient tamouls. La nature des infractions et les méthodes qui étaient employées dans le cadre de ces activités ont toutes les caractéristiques traditionnelles d"un groupe criminel organisé naissant. Les organismes d"enquête ont été gênés dans les efforts qu"ils ont faits pour trouver des solutions à ces crimes violents principalement par suite du manque de motivation ainsi que de l"absence de témoins et de suspects. Des facteurs d"isolement social comme la langue et la culture entravaient les efforts de maintien de l"ordre public à l"échelle locale. Compte tenu de ces soupçons, un groupe de travail pilote a été mis sur pied. Ce rapport résume les conclusions et les accomplissements de ce groupe de travail.

[41]      Le rapport disait également qu"il y avait plusieurs bandes tamoules qui existaient dans la Région du Grand Toronto et que les deux principaux groupes étaient l"A.K. Kannan et le V.V.T.

[42]      En l"espèce, le demandeur est visé par l"une des catégories de personnes qui peuvent être renvoyées après avoir été admises au Canada conformément à l"alinéa 27(1)d ) de la Loi sur l"immigration. Cependant, cela ne suffit pas pour dire que le demandeur est un " danger pour le public au Canada ". Le ministre doit effectuer son appréciation et décider si elle doit délivrer, conformément à l"alinéa 53(1)d ) et au paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, un avis selon lequel le demandeur constitue un " danger pour le public au Canada ".

[43]      Je crois qu"il faut examiner les activités du demandeur en vue de déterminer s"il constitue un danger pour le public au Canada. Ainsi, si le demandeur avait uniquement été un membre inactif du groupe criminel et s"il avait ensuite cessé d"en être membre, le ministre n"aurait pas raison de délivrer pareil avis.

[44]      Le simple fait que le sens des mots " danger pour le public au Canada " n"est pas défini avec précision ne veut pas nécessairement dire qu"il est impossible ou même difficile de les appliquer à un ensemble particulier de faits puisque la détermination du sens des mots d"une loi est l"une des tâches qui incombent à la Cour. Le ministre ne peut pas décider au hasard si elle doit délivrer un avis. Elle doit tenir compte des faits de l"affaire.

[45]      Dans l"arrêt Suresh, supra , le juge Robertson a dit ce qui suit, à la page 49 :

     [68]      Par ailleurs, la Cour suprême affirme que l"un des objectifs de la doctrine de l"imprécision consiste à garantir que les personnes soient suffisamment averties ou informées que certains actes sont assujettis à des limites légales.

[46]      À mon avis, le demandeur devrait clairement savoir que ses actes sont assujettis à des limites légales. La Loi sur l"immigration, qui fait partie du droit du Canada, prévoit que le demandeur peut être renvoyé du Canada s"il est visé par les paramètres de l"alinéa 27(1)d ) de la Loi sur l"immigration. Toute personne devrait savoir que le fait d"avoir un rôle important dans un groupe criminel organisé ferait d"elle une personne qui serait considérée comme constituant un danger pour le public. Bref, le demandeur ne faisait pas partie d"un groupe de bienveillance.

[47]      En résumé, je retiens l"argument selon lequel les mots " danger pour le public au Canada " sont nuls parce qu"ils sont imprécis. Il est très facile d"attribuer un sens à ces mots. Les personnes qui se livrent à des activités telles que celles auxquelles le demandeur se livrait constituent un danger pour le public au Canada.

[48]      Le refoulement du demandeur vers un endroit où il risque d"être traité d"une façon dure ou inhumaine par autorités gouvernementales constitue-t-il une violation de l"article 12 de la Charte des droits et libertés?

[49]      Article 12

     Le demandeur a soutenu que son renvoi dans un pays où il risque d"être traité d"une façon dure ou inhumaine par les autorités gouvernementales porte atteinte aux droits qui lui sont garantis à l"article 12 de la Charte. L"article 12 de la Charte interdit les " traitements ou peines cruels et inusités ". L"application de la Charte est limitée aux mesures législatives et exécutives prises par le gouvernement canadien. En l"espèce, la torture ou la peine ne serait pas imposée par le Canada, mais par un autre pays. Par conséquent, l"article 12 de la Charte n"est pas violé.

[50]      Article 7

     En vertu de l"article 7 de la Charte, chacun a droit à la sécurité de sa personne et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu"" en conformité avec les principes de justice fondamentale ", à défaut de quoi, l"article 7 de la Charte est violé. Qu"entend-on par " justice fondamentale "? Dans le Renvoi relatif au par. 94(2) de la Motor Vehicule Act (C.-B.) , [1985] 2 R.C.S. 486, la Cour suprême du Canada a dit ce qui suit, à la page 503, en définissant ce qu"est la justice fondamentale :

     [...] les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique.

[51]      J"ai conclu qu"il n"est pas nécessaire de définir d"une façon précise ce que l"on entend par " justice fondamentale " puisque, à mon avis, soumettre une personne à un " traitement dur ou inhumain " ne serait pas conforme aux principes de justice fondamentale.

[52]      La Cour suprême du Canada a utilisé deux approches différentes en décidant si une disposition législative doit être invalidée par suite de la violation de l"article 7 de la Charte. Certains juges disent qu"il faut établir l"équilibre entre les intérêts de l"État et les droits de la personne en cause et soupeser ces intérêts dans le cadre de l"analyse fondée sur l"article 7. En d"autres termes, la Cour apprécierait les intérêts de l"État et ceux de la personne en cause pour déterminer si l"alinéa 53(1)d ) est constitutionnellement valide en vertu de l"article 7 de la Charte. En pareil cas, le demandeur devrait démontrer que l"alinéa 53(1)d ) viole l"article 7 de la Charte. Selon l"autre approche, les droits de l"État seraient examinés par rapport au droit à la sécurité de la personne reconnus à l"individu en cause compte tenu de l"article premier de la Charte. Par conséquent, la Cour déterminerait si la conduite viole l"article 7 de la Charte, et elle examinerait ensuite les droits de l"État par rapport aux droits individuels en statuant sur la question de savoir si la violation de l"article 7 de la Charte était justifiée au regard de l"article premier de la Charte.

[53]      Dans l"arrêt Suresh, supra , le juge Robertson a statué que la seconde approche était celle qu"il convenait d"employer dans des circonstances analogues à celles de la présente espèce, c"est-à-dire lorsqu"il s"agit d"établir l"équilibre entre les différents intérêts dans le cadre de l"analyse fondée sur l"article premier. Au paragraphe 105 de la décision, le juge a fait les remarques suivantes :

     À mon humble avis, il est préférable de suivre la démarche retenue par le juge en chef Lamer et de procéder à la pondération des intérêts en cause dans le cadre de l"analyse prévue par l"article premier plutôt que l"article 7 de la Charte . Une loi qui expose une personne au risque d"être soumise à la torture doit être reconnue contraire aux préceptes fondamentaux qui régissent notre système juridique et, partant, dérogatoire aux principes de justice fondamentale. La véritable question qui se pose est alors celle de savoir si cette loi peut être validée par application de l"article premier. C"est cette question que j"étudierai maintenant.

Telle est l"approche que j"adopte en l"espèce.

[54]      Comme il a été dit dans l"arrêt Suresh, supra , au paragraphe 106, le cadre d"analyse de la validité d"une loi en regard de l"article premier est le suivant :

     4) L"article premier de la Charte
     [106]      Le cadre analytique classique utilisé pour évaluer la validité constitutionnelle d"une loi en regard de l"article 1 de la Charte a été établi dans l"arrêt R. c. Oakes, [1986] 1 R.C.S. 103. Appliqué strictement, il impose un lourd fardeau au procureur général qui doit établir que : a) la loi vise un objectif urgent et réel; b) il existe un lien rationnel entre la mesure législative et l"objectif visé; c ) la loi porte le moins possible atteinte aux droits et libertés; enfin, d) il y a proportionnalité entre les effets bénéfiques et les effets préjudiciables de la loi. Le plus souvent, c"est le troisième élément qui est le plus difficile à établir pour le gouvernement. Il l"oblige à démontrer que le Parlement a choisi la mesure législative la moins préjudiciable pour atteindre son but.

Objectif urgent et réel

[55]      Sous cette rubrique, la Cour doit déterminer si les objectifs visés par les dispositions de la Loi sur l"immigration sont suffisamment importants pour l"emporter sur les droits reconnus au demandeur par l"article 7 compte tenu de l"article premier de la Charte. Deux des objectifs de la Loi sur l"immigration sont énoncés aux alinéas 3g) et i), qui sont ainsi libellés :

3.(g) to fulfil Canada"s international legal obligations with respect to refugees and to uphold its humanitarian tradition with respect to the displaced and the persecuted;

. . .

(i) to maintain and protect the health, safety and good order of Canadian society; and

3.g) de remplir, envers les réfugiés, les obligations imposées au Canada par le droit international et de continuer à faire honneur à la tradition humanitaire du pays à l"endroit des personnes déplacées ou persécutées;

[. . .]

i) de maintenir et de garantir la santé, la sécurité et l"ordre public au Canada;

[56]      Ces dispositions législatives se passent de commentaires. Il est clair que l"objectif de la Loi sur l"immigration est d"assurer que le Canada remplisse, envers les réfugiés, les obligations qui lui sont imposées par le droit international tout en maintenant la sécurité et l"ordre public au Canada. Les paragraphes 32(1) et 33(2) de la Convention relative aux statuts des réfugiés visent au même objectif. En vertu du paragraphe 32(1), un État contractant peut expulser un réfugié se trouvant régulièrement sur son territoire pour des raisons d"ordre public. En vertu du paragraphe 33(1), l"État contractant ne peut pas expulser un réfugié dans un lieu où " sa vie ou sa liberté seraient menacées [...] ", mais conformément au paragraphe 33(2), cette protection ne s"applique pas à un réfugié qui " ayant été l"objet d"une condamnation définitive pour un crime ou délit particulièrement grave, constitue une menace pour [le]dit pays ".

[57]      Je conclus que les objectifs sous-tendant l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration sont de protéger le public au Canada contre les réfugiés qui constituent un danger pour le public. La conduite du demandeur est certes le genre de conduite que la législation tente d"interdire. Le public au Canada a le droit d"être libre de toute préoccupation concernant les groupes criminels dirigés par des réfugiés qui commettent eux-mêmes des infractions criminelles graves.

Lien rationnel

[58]      Il est établi que l"alinéa 53(1)d ) est lié aux objectifs de la législation étant donné qu"il s"agit de la première partie du critère de proportionnalité. Le paragraphe 6(1) de la Charte des droits et libertés fait une distinction entre les droits des citoyens canadiens et les droits de ceux qui n"ont pas ce statut de citoyen. Le paragraphe 6(1) prévoit que seul un citoyen canadien a le droit d"entrer au Canada et d"y demeurer. L"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration prévoit un moyen permettant de renvoyer du Canada les personnes qui constituent un danger pour le public au Canada. Il s"agit d"un lien rationnel entre l"objectif visé à l"alinéa 53(1)d ) et la procédure employée pour déterminer si une personne constitue un " danger pour le public au Canada ".

Atteinte minimale

[59]      Selon la seconde partie du critère de proportionnalité, il devrait être porté le moins atteinte possible au droit reconnu au demandeur par l"article 7 de la Charte. Il incombe au procureur général de démontrer que la législation ne s"applique pas d"une façon plus étendue que nécessaire pour atteindre le but qu"elle vise. L"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration satisfait à cette exigence, et ce, pour les motifs suivants :

     (1)      selon l"alinéa 53(1)d ), le ministre peut uniquement renvoyer une personne si elle relève, pour toute infraction punissable aux termes d"une loi fédérale d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix (10) ans, du cas visé à l"alinéa 27(1)d ) et que, selon le ministre, elle constitue un danger pour le public au Canada;
     (2)      la décision du ministre peut être examinée au moyen d"un contrôle judiciaire si l"autorisation est accordée;
     (3)      l"exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre est toujours assujetti à un examen au moment où un juge de cette cour étudie le dossier afin de déterminer si l"autorisation doit être accordée.

Effets bénéfiques et effets préjudiciables

[60]      Selon le dernier volet du critère énoncé dans l"arrêt Oakes , il doit exister une proportionnalité entre l"objectif visé par la législation et ses effets préjudiciables. La Cour suprême du Canada a ajouté une exigence additionnelle dans l"arrêt Dagenais c. SRC, [1994] 3 R.C.S. 835, à la page 889, en disant qu"il doit y avoir " proportionnalité entre les effets préjudiciables des mesures et leurs effets bénéfiques ". Toutefois, dans l"arrêt Thomson Newspapers c. Canada , [1998] 1 R.C.S. 877, le juge Bastarache, au nom de la majorité, a statué que l"appréciation des objectifs législatifs par rapport aux effets préjudiciables de la législation est accomplie d"une façon efficace aux stades de l"analyse se rapportant à l"existence d"un lien rationnel et à l"atteinte minimale.

[61]      Je dois maintenant me demander si les effets bénéfiques de la législation l"emportent sur ses effets préjudiciables. L"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration confère sans aucun doute des avantages évidents. Cette disposition permet au ministre d"expulser ou de renvoyer du Canada les personnes qui ont été déclarées coupables d"une infraction prévue par une loi fédérale punissable d"un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix (10) ans et qui, selon le ministre, constituent un danger pour le public au Canada. La loi permet au ministre de renvoyer du Canada les indésirables, c"est-à-dire les personnes qui constituent un danger pour le public au Canada. L"alinéa 53(1)d ) est conforme au paragraphe 6(1) de la Charte en ce sens qu"il montre que les non-citoyens n"ont pas le droit absolu de demeurer au Canada. Il est certain qu"en cas de refoulement, il est [TRADUCTION] " probable qu"à son retour à Sri Lanka, M. Rasa soit traité d"une façon dure ou inhumaine par les autorités gouvernementales, comme il en est fait état dans le Dossier d"information sur le pays susmentionné " (dossier du Tribunal, page 4). Comme le ministre, je conclus que le demandeur constitue un danger pour le public au Canada. Comme l"ont dit les agents de réexamen, à la page 4 du dossier du Tribunal :

     [TRADUCTION]
     J"ai tenu compte des obligations qui incombent au Canada en vertu de la Convention contre la torture et je crois que, malgré tout, le risque que M. Rasa présente pour le public canadien par suite de la nature et de la gravité de ses activités criminelles au Canada l"emporte de beaucoup sur le risque qu"il courra à son retour à Sri Lanka.

[62]      À mon avis, dans ce cas-ci les effets bénéfiques de la législation l"emportent sur les effets préjudiciables qu"elle a pour le demandeur, qui fait face au refoulement et qui risque d"être traité d"une façon dure et inhumaine à son retour à Sri Lanka. Je suis également d"avis que le droit du public au Canada d"être à l"abri des activités du demandeur l"emporte sur le droit du demandeur d"être protégé contre tout préjudice possible. Je conclus que l"alinéa 53(1)d ) contrevient à l"article 7 de la Charte, mais qu"il est sauvegardé par l"article premier de la Charte.

L"alinéa 53(1)b ) choque-t-il la conscience?

[63]      Le soi-disant critère énoncé dans l"arrêt Oakes n"a rien à voir avec le critère que la Cour suprême du Canada a établi aux fins de l"appréciation de la validité constitutionnelle des dispositions législatives qui font entrer en ligne de compte l"article 7 de la Charte, c"est-à-dire le critère connu sous le nom de " critère consistant à se demander si une mesure choque la conscience ". Comme le juge Robertson dans l"arrêt Suresh, supra , je ne puis apprécier objectivement la façon dont les Canadiens considéreraient une disposition législative qui permet à une personne comme le demandeur d"être renvoyée dans un pays où elle peut être assujettie à un traitement dur ou inhumain.

[64]      Le droit exige que j"exprime un avis sur ce point. J"estime que le renvoi du demandeur dans un pays où il peut être assujetti à un traitement dur ou inhumain ne choquerait pas la conscience du peuple canadien. Il importe de noter qu"à Sri Lanka, le demandeur s"était livré à des activités qui étaient susceptibles de lui poser des problèmes auprès du gouvernement. Le demandeur s"est également livré à des activités criminelles au Canada, alors qu"il n"était pas encore citoyen canadien. C"est un choix qu"il a fait et il doit subir les conséquences. Les lois canadiennes en matière d"immigration sont conformes à la Charte des droits et libertés ainsi qu"à toutes les obligations internationales du Canada concernant le renvoi du Canada de personnes comme le demandeur.

[65]      De fait, je suis d"avis que les Canadiens auraient une piètre opinion d"un système qui ne permettrait pas au Canada de renvoyer des personnes comme le demandeur.

La décision du ministre

[66]      J"ai déjà statué que la norme de contrôle à appliquer à la décision du ministre conformément à l"alinéa 53(1)d ) est celle de la décision raisonnable simpliciter. La décision du ministre doit maintenant être examinée au point de vue du droit administratif en vue de déterminer si elle est raisonnable. Il est reconnu que lorsqu"un fondé de pouvoir comme le ministre s"est vu conférer un vaste pouvoir discrétionnaire (au moyen d"un libellé tel que " selon le ministre, elle constitue un danger au Canada "), il faut faire preuve d"une retenue considérable à l"égard de la décision du ministre. Cela ne veut pas dire que la décision du ministre n"a pas à être raisonnable. Les tribunaux ont toujours infirmé la décision du ministre uniquement si certaines limitations implicites n"étaient pas respectées ou s"il y avait des irrégularités procédurales équivalant à une violation de la règle de l"équité. Le pouvoir discrétionnaire doit être exercé d"une façon judicieuse. Un pouvoir discrétionnaire ne serait pas exercé d"une façon judicieuse s"il y avait mauvaise foi, c"est-à-dire si ce pouvoir était exercé à des fins ou pour un motif illégitime ou d"une façon discriminatoire ou si le tribunal ne tenait pas compte d"un fait pertinent ou s"il tenait compte d"un fait non pertinent. L"exercice d"un pouvoir discrétionnaire fondé sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise compréhension des faits permettrait également de conclure que le pouvoir discrétionnaire n"a pas été exercé d"une façon judicieuse.

[67]      La Cour suprême du Canada a rendu d"autres décisions au sujet de l"exercice d"un pouvoir discrétionnaire conféré à un tribunal (voir Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent of Brokers), [1994] 2 R.C.S. 577, à la page 607). Puis, en 1999, la Cour suprême du Canada a examiné la norme de contrôle à appliquer à une décision discrétionnaire prise par le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration conformément au paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration. Dans l"arrêt Baker c. Canada, supra , la Cour a statué que la norme de contrôle à appliquer à une décision discrétionnaire du ministre était celle de la décision raisonnable simpliciter. Je ne considère pas cette analyse comme voulant dire que, lorsqu"il prend une décision se rapportant à une question de droit, le ministre n"aurait pas à prendre une décision correcte. Dans l"affaire Baker, supra , et dans la présente espèce, le ministre exerçait un pouvoir discrétionnaire.

[68]      Je conclus que la décision que le ministre a prise d"exprimer, conformément à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration, l"avis selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public au Canada est une décision raisonnable. Le demandeur a été autorisé à présenter des observations écrites avant que l"avis soit délivré. Le ministre avait à sa disposition les notes écrites de l"agent de réexamen et du directeur adjoint, Examen des cas, Direction du règlement des cas. Le ministre a évalué le risque de torture si le demandeur était refoulé à Sri Lanka, et elle a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada; le ministre a soupesé le risque de danger pour le public par rapport au risque de torture pour le demandeur. C"est ce qui ressort clairement de la page 4 du dossier :

     [TRADUCTION]
     Les renseignements figurant dans le rapport du projet pilote fournissent un sommaire en ce qui concerne la bande VVT, le rôle et les antécédents de M. Rasa, tels qu"ils se rapportent à ses affiliations terroristes, ainsi que le lien établi entre les trois entités, la bande VVT, les LTTE et le WTM (nota : les pages 8 et 9 du rapport n"ont pas été communiquées parce qu"elles renfermaient des renseignements confidentiels). Par suite de ses affiliations avec ces groupes et des activités criminelles auxquelles il s"est livré pendant qu"il était au Canada, M. Rasa fera vraisemblablement face à un traitement dur ou inhumain entre les mains des autorités gouvernementales à son retour à Sri Lanka, comme en fait foi le Dossier d"information sur le pays susmentionné. J"ai tenu compte des obligations qui incombent au Canada en vertu de la Convention contre la torture et je crois que, malgré tout, le risque que M. Rasa présente pour le public canadien par suite de la nature et de la gravité de ses activités criminelles au Canada l"emporte de beaucoup sur le risque qu"il courra à son retour à Sri Lanka.
     Source (jointe et mise à la disposition du public au Centre de documentation de la CISR);
     - U.S. Country Reports of Human Rights Practice for 1997 " sous la rubrique " Sri Lanka "
     - Rapport de 1997 d"Amnistie internationale " sous la rubrique " Sri Lanka ".

[69]      Je suis donc d"avis que la décision que le ministre a prise de délivrer un avis selon lequel le demandeur constitue un danger pour le public est une décision raisonnable.

[70]      Subsidiairement, si je me trompe et si la norme de contrôle à appliquer à la décision du ministre est celle de la décision correcte, je suis d"avis que la décision était correcte.

[71]      Il faut se poser une question additionnelle : La décision du ministre porte-t-elle atteinte au droit à la sécurité de la personne reconnu au demandeur à l"article 7 de la Charte? Dans l"arrêt Suresh, supra , le juge Robertson a de nouveau énoncé le critère établi par la Cour suprême comme suit :

     [...] L"expulsion de l"appelant au Sri Lanka dans les circonstances de l"espèce violerait-elle les principes de justice fondamentale à tel point qu"il serait possible d"affirmer que la mesure gouvernementale proposée choquerait la conscience de la population canadienne?

[72]      Comme le juge Robertson dans l"arrêt Suresh, supra , je note que si la norme de contrôle est celle de la décision correcte, il importe de remarquer que Sri Lanka est encore membre du Commonwealth et que cet État possède un appareil judiciaire indépendant. Comme je l"ai déjà dit, il m"est difficile de déterminer l"état d"esprit du peuple canadien, mais je ne crois pas que le renvoi du demandeur dans un pays où il risque de faire face à un traitement dur ou inhumain choquerait la conscience du peuple canadien. La procédure suivie par le ministre tient compte de toutes les obligations internationales du Canada à l"égard des réfugiés. En vertu de ses obligations internationales, le Canada est autorisé à renvoyer des personnes comme le demandeur dans un endroit où pareille personne pourrait être assujettie à des actes de torture. Comme la Cour d"appel fédérale dans l"arrêt Suresh, supra , je crois que le peuple canadien ne ferait plus confiance au système applicable aux réfugiés si le demandeur était autorisé à demeurer au Canada. C"est le demandeur qui a décidé de participer aux activités criminelles, et notamment à des infractions criminelles graves, et d"avoir un rôle important dans la bande V.V.T.

[73]      Le demandeur a également soutenu que l"omission, à l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration, d"énoncer l"exigence selon laquelle le ministre doit se demander si le refoulement exposera une personne à la torture et, dans l"affirmative, qu"il détermine si l"intérêt de l"État l"emporte sur le droit de l"individu de ne pas être exposé à la torture est contraire aux principes de justice fondamentale. L"alinéa 53(1)b ) ne prévoit pas pareille appréciation. Dans l"arrêt Suresh, supra , la Cour d"appel fédérale a statué que les principes de justice fondamentale n"exigent pas qu"il y ait une source d"origine législative pour qu"il existe une obligation ministérielle d"évaluer le risque et de soupeser les différents intérêts, telle que cette obligation est garantie à l"article 7 de la Charte.

[74]      Le demandeur a-t-il bénéficié de l"application régulière du droit procédural en vertu de l"article 7 de la Charte en ce sens :

     1)      que le processus décisionnel suivi par le ministre en vertu de l"alinéa 53(1)d ) de la Loi sur l"immigration était un processus subjectif;
     2)      que le demandeur n"a pas eu droit à une audience devant le ministre;
     3)      que le demandeur n"a pas reçu de motifs écrits du ministre;
     4)      que le ministre n"aurait censément pas agi d"une façon équitable en prenant sa décision en vertu de l"alinéa 53(1)d ) et du paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration?
         a)      Le processus décisionnel suivi par le ministre en vertu de l"alinéa 53(1)d ) est sans aucun doute un processus subjectif. La loi confère au ministre le pouvoir discrétionnaire d"exprimer un avis au sujet de la question de savoir si une personne " constitue un danger pour le public au Canada ". Le demandeur soutient que l"article 7 exige que cette décision repose sur un fondement objectif. Dans l"arrêt Suresh, supra , la Cour d"appel fédérale a statué que tel n"était pas le cas. Si le demandeur a raison, le législateur ne pouvait pas validement légiférer en conférant au ministre un pouvoir décisionnel discrétionnaire. Tel n"est pas le droit;
         b)      Le demandeur a soutenu qu"afin de satisfaire aux exigences relatives à la justice fondamentale prévues à l"article 7 de la Charte, le ministre était obligé de tenir une audience avant de prendre sa décision. Dans l"arrêt Suresh, supra , la Cour d"appel fédérale a statué qu"il n"était pas nécessaire de tenir une audience. Étant donné que le demandeur avait eu la possibilité de présenter des observations écrites au ministre avant que la décision soit prise et qu"il a de fait présenté des observations, je statuerais qu"en l"espèce, il n"est pas nécessaire de tenir une audience afin d"observer l"article 7 de la Charte;
         c)      Le demandeur a soutenu qu"il n"avait pas reçu les motifs de la décision du ministre et que l"obligation d"équité et les principes de justice fondamentale exigent que pareils motifs soient donnés. Je conclus que les motifs écrits de la décision du ministre figurent dans la demande par laquelle on a demandé au ministre, le 30 novembre 1998, de délivrer un avis, laquelle était signée par Denise Bernard et par Linda Hill. Cela est conforme à la décision rendue par la Cour d"appel fédérale dans l"affaire Suresh, supra , et par la Cour suprême du Canada, dans l"arrêt Baker, supra ;
         d)      Le demandeur a déclaré ce qui suit devant moi :
             (i)      le fondé de pouvoir du ministre a conclu que le demandeur constituait un danger pour le public au Canada, conformément au paragraphe 70(5) de la Loi sur l"immigration, déniant ainsi au demandeur le droit d"en appeler à la Section d"appel de l"immigration;
             (ii)      le fondé de pouvoir du ministre a également conclu, conformément à l"alinéa 53(1)d ), que le demandeur appartenait à une catégorie non admissible et constituait un danger pour le public au Canada.

[75]      Le demandeur a également soutenu que les fondés de pouvoir du ministre qui sont les porte-parole du ministre et qui agissent pour son compte en ce qui concerne les mesures de renvoi et les procédures concernant les réfugiés étaient les fonctionnaires qui ont demandé au ministre d"approuver son renvoi. Le demandeur a en outre soutenu qu"en vertu de la Loi, le ministre agit tant comme poursuivant que comme juge dans l"affaire et, qui pis est, qu"elle avait déjà pris sa décision avant que l"affaire lui soit soumise de nouveau pour qu"une décision soit prise en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi. Le demandeur déclare que cela ne constitue pas un [TRADUCTION] " processus décisionnel impartial ou indépendant ". Il soutient fondamentalement qu"un décideur différent devrait agir à chaque stade de la procédure. Cela obligerait le gouvernement à établir un tribunal indépendant distinct pour chaque processus décisionnel. Tel n"est pas le droit. La Cour suprême du Canada a statué que le chevauchement des fonctions qui est autorisé par la loi n"entraîne pas une crainte de partialité dans la mesure où les dispositions législatives sont suivies. (Voir Brosseau c. Alberta Securities Commission [1989] 1 R.C.S. 301, aux pages 309 et 310).

[76]      La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

[77]      À la suite de l"ordonnance que j"ai antérieurement rendue, l"un ou l"autre avocat ou les deux avocats pourront soumettre une ébauche de toute question à certifier, dans les 15 jours de la délivrance des présents motifs. La Cour réservera donc son droit d"approuver pareille question et de l"incorporer dans une ordonnance officielle.


                             " John A. O"Keefe "

                                     J.C.F.C.

Halifax (Nouvelle-Écosse)

le 10 mai 2000

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NoDU DOSSIER :      IMM-6818-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      SRIRANJAN RASA

             c.

             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE LUNDI 20 SEPTEMBRE 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge O"Keefe en date du 11 mai 2000


ONT COMPARU :

         Ron Poulton     

             POUR LE DEMANDEUR

         Cheryl Mitchell

             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


         Ron Poulton

         Jackman, Waldman et associés

         281, avenue Eglinton est

         Toronto (Ontario)

         M4P 1L3

                 POUR LE DEMANDEUR

         Cheryl Mitchell

         Ministère de la Justice

         Bureau régional de l"Ontario

         Bureau 3400, boîte 36

         130, rue King ouest

         Toronto (Ontario)

         M5X 1K6

                 POUR LE DÉFENDEUR


     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

    



Date: 20000511


Dossier: IMM-6818-98



ENTRE :


SRIRANJAN RASA


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION


défendeur








    



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


    


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