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Date : 20040126

Dossier : T-285-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 114

ENTRE :

                              EUROPEAN MARINE CONTRACTORS LIMITED

                                                                                                                           demanderesse

et

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                            défenderesse

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'une demande d'examen de la mise en demeure de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC) faite à la société European Marine Contractors Limited concernant la communication de renseignements et de documents étrangers. L'avis, daté du 6 décembre 2001, exigeait que la demanderesse produise, en conformité avec le paragraphe 231.6(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), tel que modifié (la Loi ), ce qui suit :


[traduction] [...] des renseignements, et l'ensemble des factures, correspondance, ententes, contrats avec modifications, états financiers, livres comptables, rapports, notes de service, échéanciers, documents de travail, procès verbaux, télex, télécopies ou autres documents concernant l'exercice prenant fin le 31 décembre 1999 de la société Europena Marine Contractors Limited.

[2]                La demanderesse allègue que la mise en demeure est très large et qu'elle vise des renseignements et des documents qui n'ont peut-être aucune pertinence en ce qui concerne la détermination de la responsabilité fiscale de la demanderesse à l'égard du Canada et que, dans les circonstances en cause, on pourrait dire qu'à tout le moins, la mise en demeure a une portée trop large et qu'elle est déraisonnable.

[3]                La demanderesse a été constituée en personne morale au Royaume-Uni en 1988. Elle exploite une société de construction de pipelines sous-marins. À des fins fiscales, la demanderesse est une résidente du Royaume-Uni dont le siège social est situé à Londres Sud.


[4]                À la fin de 1998, la société Sable Offshore Energy Inc. (la SOEI ) a contacté la demanderesse. Elle a informé la demanderesse qu'une des principales composantes du pipeline sous-marin était compromise à cause de l'incapacité d'un entrepreneur sans lien avec la demanderesse de garantir qu'il serait en mesure de fournir le navire très spécialisé nécessaire pour l'exécution des travaux visés par le contrat, et elle a demandé à la demanderesse si elle était disposée à effectuer le travail si l'entrepreneur qui avait d'abord été choisi n'était pas en mesure de fournir le navire dans les délais requis.

[5]                Le Projet énergétique extracôtier de l'île de Sable est situé en Nouvelle-Écosse, au Canada, et dans la zone extracôtière de la province, et il comprend les installations terrestres et extracôtières.

[6]                Par la suite, la demanderesse a effectué, à son siège social de Londres, un examen des obligations de travail et elle a décidé quelle équipe de projet et quel navire pouvaient être mobilisés pour l'exécution du travail.

[7]                Entre janvier et avril 1999, l'équipe de projet de la demanderesse a effectué les travaux préliminaires visés par le contrat. Elle a effectué la majeure partie des travaux au Royaume-Uni. Elle a également effectué une partie de ces travaux au Canada. Ces activités ont toujours été convenues au préalable avec SOEI et consistaient principalement à trouver des logements, à examiner des documents, à obtenir les permis nécessaires, à s'occuper de l'approvisionnement, de même qu'à s'occuper de certains aspects techniques et logistiques du contrat.


[8]                La demanderesse n'a pas loué de bureaux au Canada, mais elle a conclu des ententes de location temporaire de logements à l'intention des employés qui participaient au projet. Il s'agissait principalement de baux de location d'appartements d'une durée de six mois.

[9]                Le 15 avril 1999, la demanderesse a conclu un contrat avec effet rétroactif au 15 décembre 1998 avec SOEI.

[10]            En septembre 2000, la demanderesse a appris que l'ADRC voulait effectuer une vérification de l'exercice de la demanderesse prenant fin le 31 décembre 1999.

[11]            Dans une lettre datée du 24 juillet 2001, la demanderesse a été avisée des étapes initiales de la vérification et des questions qui semblaient alors soulever certaines préoccupations. Il s'agissait notamment :

A) des revenus provenant de contrats

B) des remboursements

C) du calcul des frais

D) d'exploitation d'une entreprise au Canada

E) d'établissement stable

[12]            Par lettre datée du 16 octobre 2001, la demanderesse a refusé de permettre à la défenderesse d'effectuer la vérification.


[13]            Le 6 décembre 2001, la défenderesse a envoyé un avis de mise en demeure pour la communication de renseignements ou de documents étrangers (la demande).

[14]            La demanderesse prétend que la mise en demeure est très vaste et qu'elle vise des renseignements et des documents qui n'ont aucun lien avec la détermination de la responsabilité fiscale de la demanderesse à l'égard du Canada, si responsabilité il y a.

[15]            La demanderesse souligne qu'en tant que résidente du R.-U., elle a des activités très limitées au Canada, que l'article XXIV de la Convention Canada-Royaume-Uni en matière d'impôt sur le revenu permet aux autorités compétentes de chacun des États contractants d'échanger des renseignements nécessaires à l'application de la Convention; en outre, elle soutient que les fonctionnaires de l'ADRC n'ont jamais communiqué avec les autorités fiscales du R.-U. relativement à quelque question que ce soit concernant les activités de la demanderesse.

[16]            La demanderesse conclut que l'ADRC peut déterminer précisément son revenu brut sans avoir à effectuer une vérification.


[17]            En réponse, la défenderesse prétend qu'il n'est pas possible d'effectuer une vérification de la demanderesse sans avoir accès à tous les livres comptables se rapportant à la période visée par la vérification; qu'il est impossible de déterminer l'étendue des activités de la demanderesse au Canada.

[18]            De plus, la défenderesse fait valoir que le fait qu'elle n'a pas communiqué avec les autorités fiscales du R.-U. n'est pas pertinent puisqu'elle n'est pas tenue d'avoir recours à d'autres techniques de collecte de renseignements avant d'envoyer la mise en demeure en cause.

[19]            La défenderesse, par l'entremise d'un de ses fonctionnaires, un certain David Hunter, responsable de la vérification externe, a expliqué clairement à la demanderesse le dilemme que posait à l'agence la déclaration de revenus déposée par la demanderesse qu'elle avait reçue. Pendant le contre-interrogatoire, il est apparu clairement qu'il manquait beaucoup de renseignements et qu'il fallait clarifier certaines questions. Quant aux diverses factures qui ont pu être mentionnées dans la déclaration de revenus, les questions et réponses données pendant la divulgation sont instructives :

[traduction]

Q. [371] Alors, nous sommes d'accord que cela comprend des factures, par exemple, qui n'ont aucun rapport avec les activités canadiennes dont nous venons de discuter?

R. Cela pourrait comprendre toutes ces factures, oui.


Q. [372] Cela comprendrait, par exemple, les rapports sur les activités effectuées par la demanderesse dans le cadre de l'exécution d'un contrat au Japon par exemple?

R. C'est possible, oui.

Q. [373] Et cela pourrait viser des notes concernant les situations entre la demanderesse et les activités autres que canadiennes?

R. C'est exact.

[20]            La défenderesse prétend que, en sus des questions soulevées pendant le contre-interrogatoire de M. Hunter, l'établissement stable de la demanderesse est une question complexe qui exige une vérification de toutes les activités de cette dernière afin de déterminer si elles ont eu lieu au Canada ou ailleurs.

[21]            L'article 231.6 de la Loi a été ajouté en 1988 dans le but d'établir des règles permettant au ministre d'obtenir les documents ou renseignements étrangers nécessaires pour permettre une évaluation régulière à des fins fiscales canadiennes.

[22]            Dans la décision Merko c. Canada (Ministre du Revenu national-M.R.N.), [1991] 1 C.F. 239, le juge Cullen de la Cour a dit :

Il ressort clairement de l'énoncé de la disposition législative (précitée) que le législateur a eu l'intention de donner à Revenu Canada des pouvoirs importants, étendus et d'une grande portée pour obtenir _ des renseignements ou des documents étrangers _. Dans la définition qu'il donne d'un _ renseignement ou document étranger _, l'article 231.6 prévoit qu'il s'agit _ d'un renseignement accessible, ou d'un document situé, en dehors du Canada _. Afin d'obtenir ces renseignements ou ces documents, Revenu Canada n'a qu'à démontrer qu'ils peuvent _ être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la présente loi _.


[23]            Ainsi, le critère applicable n'est pas de savoir si les renseignements demandés seront pertinents dans la détermination de la responsabilité fiscale de la demanderesse à l'égard du Canada, mais plutôt de savoir si les renseignements sont pertinents relativement à l'application de la Loi.

[24]            En l'espèce, la défenderesse tente d'obtenir des renseignements qui lui permettront d'effectuer une vérification générale des activités de la demanderesse pendant l'exercice 1999 dans le but de déterminer sa responsabilité fiscale à l'égard du Canada. C'est un principe élémentaire du droit qu'une vérification a pour objet notamment de vérifier des renseignements. Peu importe si le contribuable a déjà fourni certains renseignements ou que ces renseignements sont disponibles ailleurs.

[25]            L'ADRC a le devoir de vérifier la responsabilité fiscale de la demanderesse et cela exige nécessairement que cette dernière produise ses livres comptables. S'il s'avère, après leur examen, que ces livres n'ont aucune répercussion sur la responsabilité fiscale à l'égard du Canada et si certains renseignements obtenus à la suite de la vérification s'avèrent non pertinents soit, mais avant qu'une telle décision ne puisse être prise, les livres comptables doivent être rendus disponibles.


[26]            En fin de compte, il n'y a qu'à consulter le résumé de la décision Merko c. Canada (Ministre du Revenu national-M.R.N.), précitée :

[traduction] Le législateur, à l'article 231.6, a eu l'intention de donner au ministre des pouvoirs d'une grande portée pour obtenir des renseignements étrangers. [...] Le ministre n'a qu'à démontrer que ces renseignements peuvent être pris en compte pour l'application ou l'exécution de la Loi. Le contribuable est protégé du recours abusif à cette disposition législative par la possibilité de contester la mise en demeure par requête à un juge. La mise en demeure n'était pas déraisonnable et elle ne constituait pas un abus de procédure. [...]

[27]            Comme l'a dit la Cour suprême du Canada dans l'arrêt McKinlay Transport Ltd. c. Canada, [1990] 2 C.T.C. 103, la demande de communication de renseignements, même si elle est large, ne constitue pas un abus de procédure.

[28]            La demande est rejetée.

                                                                                                                       « Paul Rouleau »              

                                                                                                                                         Juge                        

OTTAWA (Ontario)

le 26 janvier 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                  T-285-02

INTITULÉ :                                                 EUROPEAN MARINE CONTRACTORS LIMITED

c.

L'AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                           MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 6 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :           LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                                LE 26 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Wilfrid Lefebvre                                             POUR LA DEMANDERESSE

Peter J. Leslie                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ogilvy Renault                          POUR LA DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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