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Date : 20021105

Dossier : T-2096-00

Référence neutre : 2002 CFPI 1138

Ottawa (Ontario), le mardi 5 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE : MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                       PFIZER CANADA INC. et PFIZER INC.

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                          - et -

                                 APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                           défendeurs

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON


[1]                 Les demanderesses sollicitent une ordonnance en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) (DORS/93-133) (le Règlement), interdisant au ministre de la Santé défendeur de délivrer un avis de conformité à Apotex Inc. (Apotex) au sujet de sa version de la sertraline tant que ne sera pas expiré le brevet canadien no 2 029 065 (le brevet 065).

1.          LE CONTEXTE

[2]                 Pfizer Inc. est propriétaire du brevet 065 et est constituée partie à la présente instance conformément au paragraphe 6(4) du Règlement. Pfizer Canada Inc. commercialise et vend la sertraline au Canada sous la marque Zoloft. Pfizer Inc. et Pfizer Canada Inc. sont conjointement désignées sous le nom de Pfizer dans les présents motifs.

[3]                 Apotex est un fabricant canadien de produits génériques.

[4]                 Le ministre de la Santé n'a versé aucune pièce au dossier de la demande et il n'a pas comparu à l'audience.

[5]                 La sertraline n'est pas un nouveau médicament. Les lettres patentes canadiennes no 1 130 815 (le brevet 815) ont été délivrées à Pfizer, le 31 août 1982, à l'égard de l'utilisation de la sertraline pour le traitement de la dépression. Le brevet 065 divulgue et revendique de nouvelles utilisations pour la sertraline dans le traitement de troubles autres que la dépression. Le brevet mentionne ce qui suit :


La sertraline peut être utilisée pour prévenir ou atténuer l'anxiété et les symptômes associés aux troubles anxieux chez les patients recevant ce médicament. Elle est donc utile pour le traitement et la prise en charge des troubles anxieux, notamment le trouble panique, l'anxiété généralisée, l'agoraphobie, les phobies simples, la phobie sociale, le trouble de stress post-traumatique, le trouble obsessionnel-compulsif et la personnalité évitante.

[6]                 Le brevet 815 est expiré. Apotex a reçu, au moment de l'expiration, un avis de conformité pour Apo-Sertraline uniquement pour le traitement de la dépression.

(i) Brevet 065

[7]                 Le brevet 065 englobe 13 revendications qui peuvent se répartir en trois séries.

[8]                 Les revendications 1 et 2 forment la première série de revendications. La revendication 1 est une revendication générique qui porte sur l'utilisation de la sertraline dans la préparation d'un médicament destiné à traiter ou à prévenir les troubles anxieux. La revendication 2 énonce expressément ces troubles.

[9]                 Les revendications 3 à 10 forment la deuxième série de revendications, et elles portent sur l'utilisation de la sertraline pour le traitement ou la prévention des troubles anxieux. Par exemple, la revendication 3 traite de l'utilisation de la sertraline lorsque le trouble anxieux est le trouble panique, la revendication 4 porte sur l'anxiété généralisée et la revendication 10 porte sur le trouble obsessionnel-compulsif (TOC).


[10]            Les revendications 11, 12 et 13 forment la troisième série de revendications. Les revendications 11 et 12 portent sur des formulations de sertraline dans des concentrations permettant de traiter efficacement les troubles anxieux. La revendication 13 porte sur un emballage commercial de sertraline vendu avec des recommandations sur l'utilisation du médicament pour le traitement des troubles anxieux.

[11]            La sertraline est commercialisée, prescrite et vendue au Canada pour trois indications : la dépression, le trouble panique et le TOC. Son utilisation pour le traitement de la dépression a été approuvée pour la première fois au moyen du premier avis de conformité, délivré le 30 janvier 1992. Sa vente a été approuvée pour le trouble panique en 1996 et pour le TOC en 1998.

(ii) Avis d'allégation

[12]            Apotex a signifié un avis d'allégation en vue d'obtenir un avis de conformité l'autorisant à vendre Apo-Sertraline pour d'autres usages liés au TOC et au trouble panique. Apotex allègue que le brevet 065 n'est pas valide parce qu'il n'a pas de contenu inventif et qu'il ne respecte pas la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. Le fondement juridique et factuel de la revendication d'invalidité est décrit précisément dans les termes suivants dans l'avis d'allégation :

a) Évidence


1a)        Selon le brevet 065, il existait une date de dépôt prioritaire, soit le 2 novembre 1989, à l'égard de la demande du brevet américain no 431 000. Il est allégué que toutes les revendications du brevet 065 ne sont pas valides car, à cette date de dépôt prioritaire, il était connu que :

a)          la sertraline :

(i)          était un antidépresseur utile;

(ii)         était un inhibiteur du recaptage de la sérotonine;

(iii)        inhibait sélectivement la sérotonine par rapport à la noradrénaline;

b)          la sérotonine jouait un rôle clé dans les troubles anxieux;

c)          les troubles anxieux :

(i)          étaient traités au moyen d'antidépresseurs;

(ii)         étaient traités au moyen d'inhibiteurs du recaptage de la sérotonine, en particulier ceux qui inhibaient sélectivement la sérotonine par rapport à la noradrénaline.

Il aurait donc été évident, pour une personne versée dans l'art, que la sertraline pouvant être utilisée pour le traitement des troubles anxieux.

1b)        Il est allégué, pour soutenir davantage l'allégation de l'évidence, que l'état antérieur de la technique, c'est-à-dire un article intitulé « The Clinical Utility of Pharmacological Agents that Act at Serotonin Receptors » , Journal of Neuropsychiatry (été 1989), vol. 1, no 3, 253-262 (article Peroutka), avait révélé que des essais cliniques de phase II avaient été menés au sujet de l'utilisation de la sertraline pour le traitement du TOC.


1c)        Il est également allégué, en ce qui concerne l'évidence liée au traitement du TOC, que l'utilisation de la sertraline aurait été évidente pour une personne versée dans l'art compte tenu de l'état de la technique énoncé dans l'avis d'allégation et des divulgations de l'article Peroutka.

Apotex a cité 96 articles à l'appui de l'état de la technique et de son affirmation au sujet de l'évidence.

b) Antériorité

2.          Il est allégué que les revendications 1, 4, 10, 11, 12 et 13 du brevet 065 ne sont pas valides en raison de l'antériorité. Ces revendications englobent celles qui portent sur l'utilisation de la sertraline pour la préparation d'un médicament visant à traiter ou à prévenir le TOC. Il est allégué que l'article Peroutka a fait état de l'utilisation de la sertraline pour la préparation d'un médicament visant à traiter ou à prévenir le TOC avant la date de dépôt prioritaire du brevet 065 et que la divulgation du brevet 815 était antérieure aux revendications 11, 12 et 13 du brevet 065.

c) Spécification insuffisante et double brevet


3.          Il est allégué que les revendications 1 à 13 du brevet 065 ne sont pas valides parce que le mémoire descriptif du brevet n'est pas conforme aux exigences de l'article 34 de la Loi sur les brevets et en raison du principe du double brevet. Il est allégué en particulier que le mémoire descriptif du brevet 065 :

(i)          ne décrit pas d'une façon exacte et complète l'invention et son application ou exploitation;

(ii)         n'expose pas le mode d'utilisation de la sertraline pour traiter les troubles anxieux dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l'art d'effectuer un tel traitement;

(iii)        ne définit pas distinctement et en des termes explicites les aspects que le breveté considère comme nouveaux et dont il revendique la propriété ou le privilège exclusif.

d) Spécification insuffisante et ambiguïté

4.          Il est allégué que les revendications 11 à 13 du brevet 065 ne sont pas valides parce qu'elles sont ambiguës et qu'elles contreviennent au paragraphe 34(2) de la Loi sur les brevets.

2.          LES QUESTIONS EN LITIGE

[13]            Il s'agit de déterminer en l'espèce si l'allégation d'Apotex à l'égard de la validité du brevet 065 est justifiée. Il appartient à Pfizer de réfuter les allégations inscrites dans l'avis d'allégation. Pour ce faire, il faut examiner les points suivants :

i)           Est-il vrai que le brevet 065 n'est pas valide parce qu'il est évident?

ii)          Est-il vrai que le brevet 065 n'est pas valide en raison de l'antériorité?

iii)          Est-il vrai que le brevet 065 ne fournit pas une spécification suffisante ou constitue un double brevet?

iv)         Est-il vrai que le brevet 065 n'est pas valide en raison de l'ambiguïté?


3.          LES TÉMOIGNAGES

[14]            Pfizer s'est fondée sur le témoignage de son vice-président, affaires gouvernementales et publiques, au sujet des approbations qui lui avaient été accordées à l'égard de la vente de sertraline et de la signification de deux avis d'allégation connexes ainsi que sur le témoignage de trois témoins experts, soit les Drs Lapierre, Greist et Rasmussen. Apotex s'est fondée sur le témoignage de trois témoins experts, soit les Drs Deakin, Peroutka et Richter. Apotex s'est également fondée sur l'affidavit d'une secrétaire principale qui travaille pour un de ses co-procureurs et qui a joint des exemplaires des 96 références à des antériorités spécifiées dans l'avis d'allégation.

[15]            Chaque déposant a été contre-interrogé au sujet de son affidavit.

[16]            Le témoignage de chacun des témoins experts est résumé ci-dessous.

(i) Experts de Pfizer

a) Dr Yvon Lapierre

[17]         Le Dr Lapierre est psychiatre et professeur de psychiatrie. Il a indiqué que ses domaines de spécialité sont la psychiatrie, la psychopharmacologie, la consultation, surtout en matière de diagnostic, et le traitement psychopharmacologique des troubles psychiatriques. Il a livré le témoignage suivant sous serment (les commentaires inscrits entre parenthèses tout au long du témoignage sont de moi).


[18]         Chaque trouble anxieux est distinct et ne peut être traité adéquatement que par un traitement qui lui est propre. Les troubles anxieux sont distincts de la dépression. Certains patients souffrent de plus d'un de ces troubles en même temps. Comme les troubles se chevauchent, le praticien qui prescrivait des antidépresseurs à une personne ayant fait l'objet d'un diagnostic de dépression et de TOC ou encore de dépression et de trouble panique a pu observer une amélioration des symptômes du TOC ou du trouble panique. Ces observations ont mené à la conclusion que les antidépresseurs pourraient constituer un traitement efficace pour le TOC.

Traitement du TOC

[19]         À la fin des années 1980, on a tenté d'utiliser différentes catégories d'antidépresseurs, soit les tricycliques, les inhibiteurs de la monoamine oxydase et les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS), pour traiter le TOC, sans grand succès, en général.


[20]            Le meilleur médicament pour le traitement de première intention du TOC était la clomipramine, qui est un tricyclique. C'est un inhibiteur puissant du recaptage de la sérotonine, mais son métabolite essentiel est un inhibiteur puissant du recaptage de la noradrénaline. On a découvert que la clomipramine est plus efficace pour le traitement du TOC que des inhibiteurs plus puissants du recaptage de la sérotonine, ce qui indique que son action double ou son rôle dans l'inhibition du recaptage de la noradrénaline contribue à son efficacité.

Traitement du trouble panique

[21]         Au cours des années 1980, on a eu recours à des benzodiazépines, à des tricycliques et à des inhibiteurs de la monoamine oxydase pour le traitement du trouble panique. Les deux dernières catégories de médicaments ont été associées avec ou sans benzodiazépines.

Inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine dans le traitement du TOC et du trouble panique

[22]        En 1989, la recherche a établi que certains ISRS (la fluoxétine et la fluvoxamine) permettaient de traiter le TOC, mais elle a également établi qu'un autre ISRS (la zimélidine) était inefficace. Il n'a pas été fait mention de l'utilisation de la sertraline dans le cas de ces deux affections. Les chercheurs estimaient à l'époque que des troubles complexes comme le TOC et le trouble panique n'étaient probablement pas causés par le dysfonctionnement d'un seul neurotransmetteur. Attribuer le TOC ou le trouble panique au dysfonctionnement d'un seul neurotransmetteur était considéré comme simpliste en 1989, et ce l'est toujours aujourd'hui.


[23]        Ce n'est qu'entre le milieu et la fin des années 1990 que les ISRS ont été plus généralement reconnus dans le traitement du TOC et du trouble panique.

[24]            Les causes du TOC ne sont toujours pas pleinement comprises et la connaissance de son traitement, notamment par des antiépileptiques, évolue toujours. On pourrait difficilement dire qu'une hypothèse, par exemple le rôle de la sérotonine, est évidente car de nouvelles explications du TOC font des adeptes.

[25]        On ne savait pas que la sertraline pouvait être efficace dans le traitement du TOC et du trouble panique tant que l'on n'avait pas fait d'expériences en ce sens. Tout ce que l'on pouvait dire, c'est qu'il valait la peine de soumettre ce médicament à un essai.

[26]        L'article Peroutka ne présente pas un caractère d'antériorité par rapport au brevet 065 parce qu'il ne traite pas de l'efficacité de la sertraline dans le traitement du TOC.

b) Dr John Greist

[27]        Le Dr Greist est psychiatre et professeur de psychiatrie. Il a livré le témoignage qui suit.

[28]            En 1989, le seul usage de la sertraline qui avait fait l'objet de publications touchait le traitement de la dépression.


Traitement du trouble obsessionnel-compulsif et du trouble panique

[29]        Dans les années 1980, la clomipramine, qui est un ISRS et un inhibiteur du recaptage de la noradrénaline, était au nombre des médicaments efficaces dans le cas du TOC. Au milieu des années 1980, certains estimaient que la neurotransmission noradrénergique jouait plus souvent un rôle dans les troubles anxieux et que la neurotranmission sérotoninergique jouait plus souvent un rôle dans la dépression.

[30]        Le principal texte qui a été écrit sur le sujet est celui de Jenike et collaborateurs, publié en 1986, et il ne soulignait pas que les ISRS pouvaient jouer un rôle dans le traitement du TOC. Le traitement de ce trouble était plutôt axé sur les interventions behavioristes, la clomipramine ou le lithium. On a fait remarquer que les antidépresseurs avaient été largement utilisés dans le traitement du TOC, mais qu'ils n'avaient pas tous donné de bons résultats.

[31]            En 1990, la deuxième édition du texte de Jenike sur le TOC a mentionné que, selon certains essais soigneusement contrôlés, certains antidépresseurs étaient, contrairement à d'autres, efficaces dans le traitement du TOC. Les auteurs ont indiqué que, selon des données préliminaires, la sertraline ne permettait pas de traiter efficacement le TOC. Ils ont ajouté que les agents sérotoninergiques purs risquaient d'être moins efficaces que les médicaments ayant des effets concomitants sur d'autres systèmes.


[32]        Selon le Dr Greist, on peut s'attendre à ce que la sertraline, reconnue comme un des ISRS les plus sélectifs, donne de moins bons résultats dans le traitement du TOC que des médicaments moins sélectifs.

Trouble obsessionnel-compulsif

[33]        Insel a conclu, dans un article de 1985, que le premier essai à double insu portant sur la zimélidine (un ISRS) par rapport à la clomipramine (un tricyclique) et à un placebo avait montré que la zimélidine ne donnait pas de meilleurs résultats que le placebo dans le traitement du TOC. Les auteurs ont indiqué qu'ils n'avaient pas trouvé de données probantes établissant qu'un inhibiteur sélectif du recaptage de la sérotonine arrivait plus à diminuer les symptômes obsessionnels qu'un inhibiteur sélectif du recaptage noradrénergique. Certains chercheurs en sont donc venus à postuler que les ISRS étaient inefficaces dans le traitement du TOC parce qu'ils n'avaient pas d'effet sur d'autres systèmes de neurotransmetteurs comme la noradrénaline.

[34]        En 1989, la recherche sur les ISRS était un domaine d'étude actif. On se demandait toutefois si le TOC était plus étroitement lié à un trouble anxieux, à un trouble de l'humeur ou s'il n'était lié à aucun de ces troubles.


[35]        La clomipramine, un tricyclique qui a des effets sur le recaptage sérotoninergique et le recaptage noradrénergique, était le seul médicament dont l'efficacité pour le traitement du TOC avait été démontrée dans des essais comparatifs randomisés à double insu contre placebo.

[36]        À la fin des années 1980, des études ont montré que la fluoxétine (Prozac) et la fluvoxamine, deux ISRS, avaient une certaine efficacité à l'égard du TOC. Mais comme il a été établi qu'un autre ISRS, la zimélidine, n'était pas efficace, on ne pouvait pas prétendre que tous les ISRS pourraient être utilisés pour le traitement du TOC.

[37]            Le Dr Greist et d'autres collaborateurs ont donc été chargés de mener des études de phase II de la sertraline visant à déterminer s'il y avait lieu de mener des études de phase III sur l'efficacité de la sertraline dans le traitement du TOC. En 1990, la publication initiale des données d'un centre a indiqué que la sertraline n'améliorait pas l'état des personnes souffrant du TOC. (Une correction publiée en octobre 1990 a cependant révélé des erreurs dans l'entrée informatique du code de randomisation. La correction a révélé une plus grande utilité de la sertraline.)

[38]        En 1995, le Dr Greist a publié un article montrant que les ISRS étaient beaucoup moins efficaces que laclomipramine pour le traitement du TOC. (Il a cependant reconnu, dans son article, que la sertraline avait joué un rôle important dans le traitement du TOC.)


Trouble panique

[39]            En 1989, les benzodiazépines étaient toujours le groupe de médicaments par excellence pour les troubles anxieux. Plusieurs théories s'affrontaient pour expliquer le trouble panique, à l'instar du TOC.

Antériorité

[40]            Pour ce qui est de l'article Peroutka, il ne fait pas mention de la sertraline sous les rubriques TOC ou trouble panique. Il mentionne effectivement l'existence d'essais cliniques de phase II de la sertraline, mais ce ne sont pas des études qui visent à déterminer l'efficacité du produit pour un traitement particulier, mais plutôt des guides préliminaires et un prélude aux essais de phase III, qui portent sur l'innocuité et l'efficacité du produit. L'article ne fait pas allusion non plus aux résultats de cet essai clinique de phase II, mais il se borne à mentionner que des tests sont en cours.

Évidence


[41]         À l'époque pertinente, il n'a pas été établi que les ISRS donneraient de bons résultats dans le traitement du TOC étant donné que c'était le cas des antidépresseurs. On menait des recherches sur des théories contradictoires portant sur différents neurotransmetteurs. On estimait en général, en novembre 1989, qu'on ne pouvait pas raisonnablement supposer que l'examen d'un seul neurotransmetteur permettrait d'expliquer un trouble complexe comme le TOC et que l'explication tiendrait plus probablement à l'interaction complexe des neurotransmetteurs.

c) Dr Steven Rasmussen

[42]            Le Dr Rasmussen est psychiatre et professeur associé de psychiatrie spécialisé dans le traitement des troubles anxieux, notamment le TOC. Son témoignage est résumé ci-après.

[43]            Il a mené une étude de la littérature portant sur la sertraline. Le premier document traitant de l'efficacité de la sertraline dans le traitement du TOC remonte à 1990, et le premier document traitant de l'efficacité de la sertraline dans le traitement du trouble panique remonte à 1998.

[44]        Les résultats des essais cliniques de phase II dont il est question dans l'article Peroutka n'avaient pas été rendus publics à la date pertinente. Le Dr Rasmussen a pris part à ces essais. L'article Peroutka ne donne aucun renseignement sur l'efficacité de la sertraline à l'égard du TOC si ce n'est pour mentionner qu'elle est en cours d'analyse. Il n'est pas question de la sertraline dans les sections de l'article intitulées « Trouble obsessionnel-compulsif » et « Trouble panique » .

Essais cliniques de phase II


[45]        L'expression « essais cliniques de phase II » désignait en 1989, et désigne toujours, des études cliniques précoces et contrôlées portant sur un petit nombre d'humains (de 50 à 300). Les essais visent à déterminer à titre préliminaire l'efficacité d'un médicament, et ils constituent généralement les premières études sur les humains atteints de la maladie ou de l'affection que le médicament vise à traiter. Il est généralement reconnu, dans la communauté des soins médicaux et de la réglementation, que l'on ne peut pas se prononcer sur l'efficacité d'un médicament avant la fin des tests de phase II. On ne possède pas assez d'information, avant la fin des essais cliniques de phase II, pour pouvoir soutenir la décision d'une entreprise pharmaceutique de mener des essais cliniques de phase III.

[46]        Les essais cliniques de phase Iportent sur un nombre égal ou inférieur de patients qui ne souffrent pas de l'affection, et ils visent à établir le profil métabolique et pharmacocinétique du médicament chez les humains.

[47]        Les essais cliniques de phase III visent à mesurer l'innocuité et l'efficacité du médicament auprès de quelques centaines à un millier de patients. Si ces deux caractéristiques sont confirmées, elles peuvent être extrapolées à l'ensemble de la population.


Évidence

[48]        La théorie selon laquelle les ISRS jouaient un rôle dans le TOC et le trouble panique n'était ni certaine ni prouvée et elle suscitait de vifs débats en 1989. Sans l'expérimentation, on ne pouvait pas savoir si la sertraline était vraiment efficace.

TOC

[49]        En 1985, la clomipramine, un antidépresseur tricyclique, était le seul médicament dont l'efficacité à l'égard du TOC avait été démontrée dans des essais comparatifs randomisés à double insu contre placebo. On a donc posé comme hypothèse qu'une altération de la neurotranmission sérotoninergique intervenait dans le TOC. En 1985, on a publié le premier essai à double insu portant sur l'efficacité d'un ISRS à l'égard du TOC. L'essai a montré que la zimélidine, un ISRS, n'était pas supérieure à un placebo et que la clomipramine avait un meilleur effet dans le traitement du TOC.

[50]        En 1988, les auteurs d'un article ont noté qu'il fallait effectuer d'autres tests pour déterminer si un médicament devait être en mesure de stimuler l'activité sérotoninergique pour avoir une activité antiobsessionnelle. L'hypothèse selon laquelle la sérotonine influait sur les symptômes du TOC n'était donc qu'une des nombreuses théories contradictoires qui avaient cours. L'ouvrage de recherche le plus respecté en 1987 ne faisait pas état de l'utilisation des ISRS ou de la sertraline dans le traitement des états anxieux.


[51]            Une étude menée en 1988 par Zak et ses collaborateurs a conclu que l'association entre le TOC et la sérotonine était faible et peu étoffée en dépit des nombreuses hypothèses qui entouraient la sérotonine. L'article indiquait cependant en conclusion :

[Traduction]

[...] de nombreuses études émanant de centres d'envergure ont montré que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine étaient plus efficaces que d'autres psychotropes dans le traitement du TOC, même si des agents adaptés à la maladie dépressive majeure et au trouble panique semblent engendrer un taux de réponse plus marqué chez les patients souffrant de ces affections. Mais comme il n'y a pas d'autres traitements et que cette maladie est chroniquement invalidante, il est à peu près certain que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine, qui semblent plus sélectifs pour le TOC, représentent l'avenue de recherche la plus prometteuse.) [Non souligné dans le texte original.] Voir « Potential role of Serotonin Reuptake Inhibitors in the Treatment of Obsessive Compulsive Disorders » J. Clin. Psychiatry 1988: 495: 23-30.

[52]            Une étude de 1989 est venue appuyer l'hypothèse selon laquelle le TOC ne pouvait pas être entièrement expliqué par une association avec la sérotonine. Un exposé de synthèse de 1989 mentionne que le TOC a un fondement complexe, que la sérotonine y joue un rôle mais que divers facteurs viennent compliquer cette hypothèse.

[53]            Certains consultants réunis pour la conception des essais de phase III entretenaient énormément de doutes au sujet de l'efficacité de la sertraline en raison de sa sélectivité.

[54]        Un article publié en 1995 a montré que les ISRS étaient beaucoup moins efficaces que la clomipramine dans le traitement du TOC (l'article a toutefois souligné que la sertraline présentait des avantages importants dans le traitement du TOC).


Trouble panique

[55]        À l'époque, trois théories s'affrontaient en ce qui concerne le dysfonctionnement de la neurotransmission chez les personnes souffrant de trouble panique. La première invoquait des déficits de la neurotransmission sérotoninergique, la deuxième traitait des déficits de la transmission noradrénergique et la troisième portait sur l'acide gamma-aminobutyrique.

[56]        La théorie noradrénergique a été appuyée par deux études de Charney et collaborateurs. Une étude menée par Sheehan et collaborateurs en 1988 a conclu que l'hypothèse voulant que les ISRS exercent un effet anti-panique par le biais du système sérotoninergique n'était pas suffisamment prouvée. Une étude menée en 1988 par den Boer et Westenberg a indiquéque les systèmes noradrénergique et sérotoninergique exerçaient leur influence par une voie commune et qu'il y avait déséquilibre entre les deux systèmes chez certains patients.

Évidence

[57]        Comme le montrent les rapports, il n'était pas reconnu dans la communauté médicale, en 1989, que tous les ISRS étaient utiles pour le traitement du TOC et du trouble panique.


(ii) Experts d'Apotex

a) Dr William Deakin

[58]        Le Dr Deakin est psychiatre et professeur de psychiatrie. Il a rendu le témoignage qui suit.

Évidence

[59]            Il était bien connu, avant la date de dépôt prioritaire (2 novembre 1989), que la dépression et l'anxiété coexistaient, que des essais comparatifs à double insu avaient démontré l'efficacité de nombreux antidépresseurs dans des troubles mixtes de ce genre et que les antidépresseurs étaient supérieurs aux benzodiazépines.

[60]            Au moins six études avaient démontré, avant 1989, que les antidépresseurs tricycliques étaient efficaces dans les états mixtes d'anxiété et de dépression et qu'ils étaient plus efficaces que les benzodiazépines dans les cas d'anxiété. Il était connu qu'il valait mieux recourir aux antidépresseurs pour le traitement des patients présentant des symptômes d'anxiété importants.


[61]         Il avait été bien établi, avant la date de dépôt prioritaire, que des médicaments ayant une action importante sur le recaptage de la sérotonine étaient efficaces dans le traitement du trouble panique. Un médecin versé dans l'art aurait très bien pu traiter un patient souffrant de crises de panique à l'aide de la sertraline puisque l'utilité de deux autres ISRS, soit la fluoxétine et la fluvoxamine, considérés comme des inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine, avait été reconnue dans deux autres études publiées en 1987 et 1987-1988 respectivement.

[62]        C'est le TOC qui est associé depuis le plus longtemps au dysfonctionnement de la sérotonine, et un chercheur a conclu, dans un exposé de synthèse de 1984, que le TOC était sensible aux antidépresseurs ayant une action sur le système sérotoninergique. Une étude a conclu, en 1988, qu'il serait logique de traiter le TOC au moyen de la clomipramine ou de la fluvoxamine (considérées toutes deux comme des inhibiteurs puissants du recaptage de la sérotonine). Le métabolite du premier était cependant un inhibiteur du recaptage de la noradrénaline. L'un des articles auxquels le témoin a fait allusion a indiqué que « [Traduction] les médicaments qui inhibent sélectivement le recaptage de la sérotonine sont [...] logiquement indiqués pour les patients souffrant de TOC » . [Non souligné dans le texte original.]).

[63]        Deux essais ont montré, avant 1989, que la fluoxétine et la fluvoxamine, deux ISRS, étaient efficaces dans le cas du TOC et, le 2 novembre 1989, il était tout à fait reconnu à l'étranger que les antidépresseurs ayant un effet sur la sérotonine (5HT) seraient efficaces pour le traitement du TOC. La sertraline aurait raisonnablement pu être utilisée dans le traitement du TOC chez les personnes qui ne toléraient pas d'autres médicaments agissant sur la 5HT.


[64]            L'idée d'utiliser la sertraline pour traiter un trouble anxieux comme le TOC ou le trouble panique ne présentait donc aucun caractère inventif.

Antériorité

[65]            La démonstration de l'efficacité de la fluoxétine et de la fluvoxamine dans le traitement du TOC aurait permis à elle seule de conclure au bien-fondé de l'utilisation de la sertraline dans le traitement du TOC. L'article Peroutka a montré encore davantage que la sertraline, utilisée dans des essais cliniques de phase II pour le TOC, permettrait probablement de contrer le TOC.

Réponse aux experts de Pfizer

[66]        Les experts de Pfizer affirment que l'inefficacité de la zimélidine, un ISRS, dans le traitement de l'anxiété avait été démontrée, mais seulement une étude (Insel) a établi que la zimélidine était moins efficace que l'imipramine dans le TOC. L'étude comparative de la zimélidine et de la clomipramine menée par Insel n'était pas contrôlée contre placebo, et cinq sujets seulement ont complété le volet zimélidine de l'étude. L'expérience entourant la zimélidine avait beaucoup moins d'importance que les nombreuses expériences menées au sujet de la fluoxétine et de la fluvoxamine liées au TOC. Une autre étude a démontré la supériorité de la zimélidine par rapport à un inhibiteur du recaptage de la noradrénaline.


[67]        Aucun des experts de Pfizer n'a établi de distinction entre les données qui montraient que la sérotonine jouait un rôle causal dans le TOC et celles qui montraient que les médicaments influant sur la sérotonine étaient utiles dans le traitement du trouble.

[68]        Il était clair, avant 1989, que les médicaments ayant un mode d'action unique sur le recaptage de la sérotonine étaient efficaces dans le traitement du trouble panique et que d'autres membres de la catégorie le seraient fort probablement aussi. Il était reconnu, en 1989, que les médicaments pouvant améliorer les concentrations synaptiques de sérotonine (5HT) et deux des ISRS seraient probablement efficaces dans le traitement duTOC.

[69]            Pour ce qui est de la clomipramine, la majorité des essais indiquaient, avant 1989, que les agents noradrénergiques n'avaient pas d'effet sur le TOC. Personne ne soutenait que l'action sur la noradrénaline était une voie thérapeutique importante.

b) Dr Stephen J. Peroutka

[70]            Le Dr Peroutka est neuropharmacologue et médecin chef chez Collabra Pharma. Il est l'auteur de l'article Peroutka et il a livré le témoignage sous serment qui suit.

Antériorité


[71]         La référence, dans l'article Peroutka de 1989, au fait que la sertraline faisait l'objet d'essais cliniques de phase II signifiait que l'on administrait de la sertraline à certains patients en vue de déterminer si ce produit permettrait de traiter le TOC. L'article révèle donc que l'on administrait de la sertraline à des patients en vue de traiter le TOC. (Le Dr Peroutka a cependant admis, en contre-interrogatoire, qu'un essai clinique de phase II est une étude exigée par règlement et visant à déceler les premiers signes d'efficacité et d'innocuité. Il a précisé que de nombreux médicaments en cours de développement ne vont jamais au-delà des essais de phase II.)

[72]        L'article Peroutka donne une description antérieure exacte des révélations et des revendications du brevet 065 au sujet du TOC. Il maintient sa conclusion dans ce domaine même si l'on estime que le brevet 065 révèle l'efficacité de la sertraline à l'égard du TOC. (En contre-interrogatoire, il a admis avoir estimé, en 1989, que la possibilité que les agents bloquants sélectifs du recaptage de la sérotonine soient plus efficaces dans le traitement du TOC constituait un domaine de recherche et d'intérêt actif. Il y avait des progrès à faire. Le Dr Peroutka a également admis que même s'il avait mentionné dans son article que la sertraline faisait l'objet d'essais cliniques de phase III pour le traitement de la dépression et de l'obésité, il ne savait pas si elle s'était avérée efficace pour cette dernière.)

Évidence


[73]        Étant donné qu'il avait été établi, au milieu de 1989, que les ISRS étaient efficaces cliniquement dans le traitement du TOC et du trouble panique et que la sertraline est un ISRS, une personne versée dans l'art se serait attendue à ce que la sertraline soit efficace cliniquement dans le traitement du TOC et du trouble panique ou aurait prévu ce résultat. Il faut mener des essais cliniques pour démontrer l'efficacité de la sertraline à l'égard de ces affections, et la personne compétente et versée dans son art les aurait menés. Le brevet est donc évident.

[74]        Cinq éléments portant sur l'état antérieur de la technique viennent soutenir son opinion voulant qu'une personne compétente et versée dans son art aurait su qu'il fallait mener des essais cliniques ou aurait demandé à une telle personne de les mener.

c) Dre Peggy Richter

[75]            La Dre Richter est psychiatre et professeure adjointe de psychiatrie. Elle a livré le témoignage qui suit.

Antériorité


[76]        Tout clinicien versé dans l'art aurait su, à la lecture de l'article Peroutka, que la sertraline était efficace dans le cas du TOC. L'article Peroutka révèle que la sertraline est administrée à des patients pour le traitement du TOC. L'article Peroutka donne une description antérieure exacte du brevet 065, à l'exception de la posologie. La posologie indiquée pour le TOC dans le brevet 065 chevauche toutefois la posologie recommandée pour la sertraline dans le traitement de la dépression. Tout clinicien compétent aurait donc tentéautomatiquement d'utiliser la sertraline pour le TOC selon la posologie recommandée pour la dépression, et il aurait probablement observéson efficacité.

[77]            Les collègues de la Dre Richter et elle estimaient, à l'époque pertinente, que les ISRS étaient des médicaments de choix pour le traitement du TOC. Ces produits sont entrés dans l'usage courant dès leur entrée sur le marché.

Évidence

[78]            La sertraline avait déjà été décrite comme un ISRS antidépresseur dans le brevet 815 délivré le 31 août 1982. Il était également connu que la dépression et les troubles anxieux étaient des états comorbides et que le traitement au moyen d'antidépresseurs convenait aux deux types de maladie.

[79]            La plupart des antidépresseurs utilisés à l'époque étaient des tricycliques et des inhibiteurs de la monoamine-oxydase, et il était connu que ces deux types de médicaments avaient un effet sur la neurotransmission noradrénergique et sérotoninergique. Des recherches ont été menées, du milieu à la fin des années 1980, sur le rôle des ISRS dans les troubles anxieux. Comme la sertraline était un ISRS, des personnes versées dans l'art l'auraient considérée comme susceptible d'être utile au traitement du TOC. L'état antérieur de la technique indiquait également que la sertraline pouvait être utile au traitement du trouble panique.


[80]        Le 2 novembre 1989, il aurait été évident pour n'importe quel psychiatre clinicien compétent que la sertraline pouvait servir au traitement du TOC ou du trouble panique. (La Dre Richter a reconnu, en contre-interrogatoire, que les antidépresseurs n'étaient pas tous efficaces pour le traitement du TOC et du trouble panique.)

4.     ANALYSE

(i) Questions préliminaires

a) Nature de la procédure en vertu du Règlement et fardeau de présentation de la preuve

[81]            Selon le Règlement, les fabricants de médicaments génériques qui demandent un avis de conformité pour leur version d'un médicament breveté ne peuvent l'obtenir avant l'expiration du brevet pertinent ou avant que le tribunal ait pris en considération leur allégation portant que le brevet est expiré, n'est pas valide ou ne serait pas contrefait.

[82]            Dans la décision SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001), 14 C.P.R. (4th) 76 (C.F. 1re inst.), le juge Gibson a examiné le fardeau de présentation de la preuve dans une procédure où une allégation d'invalidité aux termes du Règlement est présentée. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 14 et 15 :

[14] Dans cette perspective, je conclus ceci : le « fardeau de présentation de la preuve » qui incombe à Apotex étant d'établir que chacune des questions que soulève son avis d'allégation est mise en jeu, si elle s'acquitte de cette charge, le « fardeau de persuasion » repose ensuite sur SmithKline. Dans l'hypothèse oùApotex parvient à établir que la validité du brevet 637 est mise en jeu, SmithKline a droit de s'appuyer sur la présomption de validité du brevet prévue au paragraphe 43(2) de la Loi.


[15] Toutefois, le caractère de la procédure intentée devant la Cour a des répercussions sur le « fardeau de persuasion » incombant à SmithKline dans les circonstances évoquées au paragraphe précédent. Dans l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santénationale et du Bien-être social) [(1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.).], le juge Hugessen, s'exprimant au nom de la Cour, a écrit aux pages 319 et 320 :

Si je saisis bien l'économie du règlement, c'est la partie qui se pourvoit en justice en application de l'article 6, en l'espèce Merck, qui doit poursuivre la procédure et assumer la charge de la preuve initiale. Cette charge me paraît difficile, puisqu'il s'agit de réfuter certaines ou l'ensemble des allégations de l'avis d'allégation, allégations qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité.

...

À ce sujet, il y a lieu de noter que si l'alinéa 7(2)b) [du Règlement] semble prévoir que la Cour rend un jugement déclarant que le brevet n'est pas valide ou qu'il n'est pas contrefait, il ne fait aucun doute que ce jugement déclaratoire ne peut être rendu dans le cadre de la procédure fondée sur l'article 6 elle-même. Cette procédure est après tout engagée par le breveté pour demander une interdiction contre le ministre; puisqu'elle revêt la forme d'un recours sommaire en contrôle judiciaire, il est impossible de concevoir qu'elle puisse donner lieu à une demande reconventionnelle de la part de l'intimé en vue de pareil jugement déclaratoire. L'invalidité de brevet, tout comme la contrefaçon de brevet, n'est pas une question relevant d'une procédure de ce genre.

Par conséquent, la charge qui incombe à SmithKline consiste seulement à réfuter les allégations contenues dans l'avis d'allégation, et non pas à justifier des déclarations de validité et de contrefaçon, ou réciproquement à réfuter les prétentions formulées à l'égard des allégations d'invalidité et d'absence de contrefaçon.

[83]            La décision du juge Gibson a été confirmée en appel, 2002 CAF 216; j'estime donc que les déclarations susmentionnées énoncent avec exactitude les obligations des parties à l'égard de la preuve.


b) Apotex doit-elle alléguer que chacune des revendications du brevet 065 n'est pas valide et fournir des preuves à cet égard?

[84]            Selon Pfizer, la procédure d'Apotex ne peut être couronnée de succès que si le tribunal est convaincu que l'allégation d'invalidité du brevet présentée par Apotex est justifiée par rapport à chacune des 13 revendications du brevet 065. Pfizer affirme qu'Apotex n'a présenté aucune preuve, par exemple, établissant que la revendication 8 du brevet, portant sur l'utilisation de la sertraline dans le traitement du trouble de stress post-traumatique, n'est pas valide en raison de son caractère évident. Pfizer ajoute qu'Apotex ne tente même pas de démontrer, dans son avis d'allégation, que l'ensemble des revendications du brevet 065 ne sont pas valides. Pfizer soutient, en conséquence, qu'elle peut se fonder sur la présomption de validité du brevet créée par le paragraphe 43(2) de la Loi étant donné qu'Apotex n'a pas mis « en jeu » la question de la validité des revendications non liées au trouble panique et au TOC. Pfizer affirme donc qu'elle a réfuté l'allégation selon laquelle le brevet n'est pas valide et que la demande d'interdiction doit être accueillie pour ce seul motif.

[85]            Pfizer s'appuie sur les éléments suivants pour soutenir son argumentation :

i)           le libellé de l'avis d'allégation selon lequel le brevet entier n'est pas valide et chacune de ses revendications n'est pas valide en raison de leur caractère évident;


ii)          la jurisprudence, notamment l'arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (2000), 7 C.P.R. (4th) 272 (C.A.F.), portant que l'énoncé détaillé fourni par le fabricant de médicaments génériques en vertu de l'alinéa 5(3)a) du Règlement doit être exhaustif et que les carences ne peuvent être corrigées;

iii)          le paragraphe 6(2) du Règlement, selon lequel le tribunal doit rendre une ordonnance d'interdiction s'il conclut qu'aucune des allégations n'est fondée.

[86]            Apotex répond que cette interprétation détourne le sens du Règlement. L'entreprise souligne que, selon cette argumentation, Pfizer l'écarterait du marché pour ce qui est des utilisations autorisées de la sertraline pour le traitement du trouble panique et du TOC parce qu'elle n'aurait pas présenté de preuves mettant en cause la validité du brevet à l'égard des utilisations non autorisées de la sertraline.

[87]            Les avocats des parties n'ont pas pu citer de jurisprudence relative à cette question.

[88]            J'ai conclu, pour les raisons énoncées ci-après, qu'Apotex n'est pas tenue de mettre en cause la validité des revendications énoncées dans le brevet 065 qui ne sont pas pertinentes par rapport aux utilisations autorisées de la sertraline dans le traitement du trouble panique et du TOC.

[89]            L'obligation du fabricant de médicaments génériques qui demande un avis de conformité et qui compare son médicament à un autre pour en établir la bioéquivalence est énoncée au paragraphe 5(1) du Règlement, qui prévoit ce qui suit :



5. (1) Lorsqu'une personne dépose ou a déposé une demande d'avis de conformité pour une drogue et la compare, ou fait référence, à une autre drogue pour en démontrer la bioéquivalence d'après les caractéristiques pharmaceutiques et, le cas échéant, les caractéristiques en matière de biodisponibilité, cette autre drogue ayant été commercialisée au Canada aux termes d'un avis de conformité délivré à la première personne et à l'égard de laquelle une liste de brevets a été soumise, elle doit inclure dans la demande, à l'égard de chaque brevet inscrit au registre qui se rapporte à cette autre drogue :

a) soit une déclaration portant qu'elle accepte que l'avis de conformité ne sera pas délivré avant l'expiration du brevet;

b) soit une allégation portant que, selon le cas :

(i) la déclaration faite par la première personne aux termes de l'alinéa 4(2)c) est fausse,

(ii) le brevet est expiré,

(iii) le brevet n'est pas valide,

(iv) aucune revendication pour le médicament en soi ni aucune revendication pour l'utilisation du médicament ne seraient contrefaites advenant l'utilisation, la fabrication, la construction ou la vente par elle de la drogue faisant l'objet de la demande d'avis de conformité. [Non souligné dans le texte original.]

5. (1) Where a person files or has filed a submission for a notice of compliance in respect of a drug and compares that drug with, or makes reference to, another drug for the purpose of demonstrating bioequivalence on the basis of pharmaceutical and, where applicable, bioavailability characteristics and that other drug has been marketed in Canada pursuant to a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the person shall, in the submission, with respect to each patent on the register in respect of the other drug,

(a) state that the person accepts that the notice of compliance will not issue until the patent expires; or

(b) allege that

(i) the statement made by the first person pursuant to paragraph 4(2)(c) is false,

(ii) the patent has expired,

(iii) the patent is not valid, or

(iv) no claim for the medicine itself and no claim for the use of the medicine would be infringed by the making, constructing, using or selling by that person of the drug for which the submission for the notice of compliance is filed. [underlining added]


[90]            L'obligation du fabricant de médicaments génériques en vertu du Règlement découle donc du dépôt d'une demande d'avis de conformité dans des cas où l'on établit une comparaison entre le médicament de ce fabricant et un autre médicament commercialisé au Canada conformément à un avis de conformité.


[91]            Le témoignage du vice-président de Pfizer, affaires gouvernementales et publiques, établit que des avis de conformité ont été délivrés à Pfizer à l'égard de la sertraline pour le traitement de la dépression, du trouble panique et du TOC. Apotex a déjà reçu un avis de conformité pour la vente de sa version de la sertraline pour le traitement de la dépression. L'utilisation de la sertraline pour le traitement de troubles autres que le trouble panique et le TOC mentionnés dans le brevet 065 n'a pas été approuvée au Canada.

[92]            Si l'on ne tient pas compte de la dépression, la seule comparaison qu'Apotex peut faire aux termes du paragraphe 5(1) du Règlement porte donc sur la sertraline de Pfizer commercialisée au Canada pour le traitement du trouble panique et du TOC.

[93]            L'utilisation de la version de la sertraline d'Apotex par rapport au trouble panique ou au TOC n'entraînera pas une contrefaçon des autres revendications liées à l'utilisation mentionnées dans le brevet 065, par exemple celles qui ont trait à l'utilisation de la sertraline pour le traitement de l'agoraphobie. Ces deux revendications et les revendications plus larges inscrites dans le brevet sont les seules revendications du brevet 065 qui ont trait à l'utilisation de la sertraline pour le traitement du trouble panique et du TOC.

[94]            Si l'on pose comme prémisse qu'il faut interpréter la loi selon son objet et selon l'intention du Parlement (voir, par exemple, l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27), on conclut que l'objet du Règlement est de prévenir la contrefaçon. Compte tenu de cette intention, j'estime qu'il serait vain, dans le cadre d'une procédure intentée aux termes du Règlement, d'exiger qu'un fabricant de médicaments génériques invalide des revendications de brevet qui n'ont aucun rapport avec l'utilisation proposée de son médicament ni avec la comparaison qui entraîne l'application de l'article 5 du Règlement.


[95]            Si l'on interprète inversement le Règlement selon son objet, on conclut que si l'innovateur est incapable de réfuter une allégation portant qu'une revendication liée à l'utilisation n'est pas valide, la délivrance d'un avis de conformité portant sur cette utilisation est conforme à l'objet du Règlement. L'allégation pertinente en l'espèce et les autres revendications plus larges ont trait à l'utilisation de la sertraline pour le traitement du trouble panique et du TOC et non à des utilisations de la sertraline non autorisées au Canada.

[96]            À mon avis, exiger que soient présentées des allégations visant à établir l'invalidité de revendications liées à des utilisations non pertinentes n'est pas conforme à l'objet du Règlement, du moins lorsque ces revendications portent uniquement sur des utilisations non approuvées d'un médicament.

[97]            En conséquence, si la sertraline était approuvée ultérieurement pour d'autres utilisations revendiquées dans le brevet 065 et si Apotex voulait demander un avis de conformité lié à ces utilisations, elle serait tenue de présenter un nouvel avis d'allégation portant sur ces nouvelles utilisations approuvées, conformément à l'alinéa 5(1)b) du Règlement.

[98]            Cette interprétation est conforme à la jurisprudence sur la signification d'avis d'allégation successifs, par exemple l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 76 C.P.R. (3d) 1 (C.A.F.).


[99]            Le dernier argument à examiner par rapport à cette question est celui du libellé de l'avis d'allégation d'Apotex portant sur l'invalidité de l'ensemble du brevet. Pfizer se fonde sur ce libellé et soutient qu'Apotex n'a pas présenté de preuves à l'appui de la totalité de son allégation. J'accepte l'argument de l'avocat d'Apotex portant que l'allégation a été faite selon la forme exigée par le Règlement. Il ressort toutefois clairement des témoignages des experts de Pfizer, qui ont maintes fois insisté sur le trouble panique et le TOC, que Pfizer connaissait à tout moment les motifs et le fondement de l'allégation d'Apotex portant que le brevet ne serait pas contrefait.

c) Interprétation du brevet 065

[100]        J'accepte l'argument de l'avocat de Pfizer portant que la reconnaissance du fait que divers troubles anxieux peuvent être traités au moyen de la sertraline constitue l'essentiel de l'invention revendiquée par le brevet 065. L'activité inventive revendiquée est la découverte que l'utilisation de la sertraline contribuera au traitement des troubles anxieux.

d) Est-il vrai que le brevet 065 n'est pas valide parce qu'il est évident?

[101]        J'aborderai d'abord l'allégation d'invalidité fondée sur l'évidence à la lumière du commentaire de la Cour d'appel dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet OY (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F.) selon lequel il est préférable d'examiner cette question en premier.

[102]        La formulation du critère de l'évidence la plus souvent citée est celle du juge Hugessen dans l'arrêt Beloit, qui s'exprime ainsi :

[Traduction]

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.


[103]        En d'autres termes, il s'agit de déterminer en général si l'invention alléguée exigeait une activité inventive : arrêt Windsurfing International Inc. et al. c. Trilantic (1985), 8 C.P.R. (3d) 241 (C.A.F.), à la page 256.

[104]        Comme l'indique l'arrêt Beloit, le critère de l'évidence est difficile à satisfaire étant donné qu'une « étincelle d'esprit inventif » suffit : arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 125 N.R. 218 (C.A.F.), page 368. Toute invention est évidente une fois qu'elle a été faite, c'est pourquoi il faut accueillir avec une extrême prudence le témoignage des experts pouvant tirer profit du recul : voir l'arrêt Beloit, précité, à la page 289.

[105]        Le juge Wetston a néanmoins fait remarquer, dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998) 79 C.P.R. (3d) 193; confirmée (2000) 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), au paragraphe 243 : « il n'y [a] pas d'activité inventive à suivre un cheminement évident et bien défini, en utilisant des techniques et des procédés connus sur des compositions connues, à moins que l'inventeur ne rencontre des difficultés qui n'auraient pas pu raisonnablement être prévues par une personne versée dans l'art ou être surmontées par l'application d'une compétence ordinaire » .

[106]        Le juge Wetston s'est dit convaincu, dans l'affaire qui lui avait été soumise, que les réalisations antérieures « n'auraient pas amené un technicien compétent mais dépourvu d'imagination à cette invention sans expérimentations excessives » (au paragraphe 264). La Cour d'appel a conclu que cette formulation du critère n'était pas erronée (au paragraphe 63).


[107]        Quelle est alors la portée de l'expérimentation ou de la manipulation que le technicien compétent et dénué d'imagination, le parangon de déduction, a le droit de mener?

[108]        Pfizer se fonde sur la jurisprudence, notamment l'arrêt Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Cour de l'Ontario (Division générale)) appel rejeté, appel incident accueilli sur une question différente (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A. de l'Ontario)), autorisation d'en appeler devant la Cour suprême du Canada rejetée [1998] S.C.C.A. no 563, pour soutenir que l'exécution de recherches ou d'expérimentations semble être hors du champ d'activité du technicien compétent et qu'elle ne suffit pas pour prétendre que des indices suffisants faisaient en sorte que l'invention « valait la peine d'être tentée » .

[109]        Dans l'arrêt Bayer, le juge Lederman a écrit ce qui suit aux pages 80 et 81 :

[Traduction]

Il semble y avoir une différence importante entre les capacités du technicien fictif anglais versé dans l'art et celui du Canada. En effet, l'exécution de recherches ou d'expérimentations semble être hors du champ d'activité du technicien fictif compétent canadien. Dans la décision Cabot Corp. c. 318602 Ontario Ltd. (1988), 20 C.P.R. (3d) 132 à la p. 146 (C.F. 1re inst.), le juge Rouleau a cité un extrait de H.G. Fox dans Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions :

[Traduction] Pour qu'une invention soit considérée comme « évidente » , il faut qu'elle ait été directement découverte par la personne qui recherchait quelque chose de neuf, un nouveau procédé de fabrication ou autre, sans avoir besoin d'expérimentation, de réflexion profonde, de recherche que ce soit en laboratoire ou dans les textes.


[Non souligné dans le texte original.] Aussi, même si on s'imaginerait normalement que le laboratoire de cette personne mythique est plein d'éprouvettes et de boîtes de Pétri mythiques et qu'elle passe sa vie en expérimentations, aucune recherche de cette nature n'est prise en compte aux fins de l'application du critère juridique. Toute logique qu'ait pu paraître à une personne effectivement versée dans l'art à cette époque, en fonction de l'état des connaissances, de mener certaines expérimentations, cela n'est pas permis au technicien mythique versé dans l'art. Ce chercheur mythique ne peut posséder un esprit de recherche ou de réflexion qui le conduirait ultimement à la solution, mais on attend plutôt de lui qu'il s'exclame instantanément et spontanément, sans plus, « Je connais déjà la réponse et elle est évidente » . Pas plus qu'il ne convient de dire qu'il y avait des indications importantes qui guidaient l'expert mythique vers la solution ou des indices suffisants pour que l'invention « vaille la peine d'être tentée » . Dans la décision Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c. Halocarbon (Ontario) Ltd. (1974), 15 C.P.R. (2d) 105, à la p. 114, le juge Collier en rejetant le critère de l'expérience qui « vaut d'être tentée » a déclaré :

Il est facile de dire a posteriori, avec l'avantage du recul, qu'une expérience dans des circonstances telles qu'on les suppose ici, lorsque le temps et les dépenses sont illimités, vaut ou valait la peine d'être tentée.

[110]            Il n'en demeure pas moins que même si le technicien versé dans son art ne doit pas faire de recherche, il est, comme l'a noté le juge Hugessen dans l'arrêt Beloit, un parangon de déduction et de dextérité. Il est aussi raisonnablement en mesure de se tenir au courant des progrès accomplis dans son domaine : Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, au paragraphe 74.

[111]        Si j'essaie d'appliquer ces principes aux faits qui m'ont été présentés, je pose d'abord comme prémisse que le brevet s'adresse au psychiatre versé dans son art ou à une personne qui connaît bien le traitement des troubles anxieux. Les parties conviennent que comme le brevet 065 porte une date de dépôt prioritaire du 2 novembre 1989, c'est à partir de cette date qu'il faut évaluer l'évidence. Un psychiatre versé dans son art devait-il faire preuve d'esprit inventif à cette date pour traiter le trouble panique ou le TOC au moyen de la sertraline? Ou arrivait-il directement et sans difficulté à cette solution?

[112]        Lorsque le tribunal évalue les opinions contradictoires des experts sur la question de l'évidence, il fait souvent des commentaires sur la difficulté de peser les preuves en l'absence de témoignages de vive voix.


[113]            J'ai cependant examiné la totalité de la preuve présentée par affidavit et les transcriptions des contre-interrogatoires et, en gardant à l'esprit que le critère de l'évidence est difficile à satisfaire et que la solution au problème doit être simple comme bonjour et claire comme de l'eau de roche et ne pas exiger d'expérimentation ou de réflexion sérieuse, je suis convaincue que Pfizer ne s'est pas acquitté du fardeau d'établir, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation d'évidence n'est pas justifiée.

[114]        Je conclus, d'après les preuves, qu'un psychiatre versé dans son art et suivant l'évolution de son domaine aurait appris par ses lectures que les ISRS, et notamment la sertraline, allaient, en toute logique, faire l'objet de recherches plus poussées à la fois pour le TOC et le trouble panique, que la sertraline était visée par des essais liés au TOC, que la sertraline était probablement l'un des ISRS qui joueraient un rôle capital dans le traitement du TOC et que, selon les résultats préliminaires, certains médicaments, dont la sertraline, permettraient de lutter contre la panique. Je ne crois pas que le psychiatre compétent et versé dans son art aurait dû faire preuve d'esprit inventif ou mener des expérimentations excessives pour prescrire de la sertraline pour le TOC ou le trouble panique.

[115]        L'activité inventive, soit la découverte que l'utilisation de la sertraline allait contribuer au traitement du trouble panique et du TOC, était clairement reconnue et recommandée le 2 novembre 1989. Je tire cette conclusion pour les raisons énoncées ci-après.


[116]        Premièrement, j'ai gardé à l'esprit l'idée qu'il fallait être extrêmement prudent face aux opinions d'experts exprimées après coup. J'ai donc examiné avec soin la littérature datant d'avant le 2 novembre 1989. Les quatre articles qui suivent m'apparaissent particulièrement importants. Les trois premiers traitent du TOC et le quatrième, du trouble panique.

a) Preuve relative au TOC

1.          Le Dr T. Perse a écrit ce qui suit, dans un article publié en février 1988 :

[Traduction]

Les seuls antidépresseurs qui se sont avérés efficaces dans des essais à double insu ayant une méthodologie solide sont la clomipramine et la fluvoxamine. Mais comme ils ne sont pas disponibles pour usage général dans ce pays, le choix d'autres médicaments s'impose. Les recherches actuelles montrent que le succès de la clomipramine dans le traitement du TOC pourrait être lié à son effet sur le système de neurotransmission de la sérotonine. Les médicaments qui inhibent sélectivement le recaptage de la sérotonine sont donc logiquement indiqués pour les patients souffrant de TOC.                                                  [Non souligné dans le texte original.]

2.          Les auteurs d'un article intitulé « Pharmacology of Sertraline: A Review » , publié dans le numéro d'août 1988 du Journal of Clinical Psychiatry, ont conclu ce qui suit :

[Traduction]

La sertraline représente une nouvelle classe d'agents psychothérapeutiques qui permet d'augmenter spécifiquement le tonus sérotoninergique dans le système nerveux central. Des études en biochimie, en électrophysiologie et en behaviorisme ont montré que la sertraline entraînait une inhibition marquée et sélective du recaptage de la sérotonine, ce qui améliorait la neurotransmission sérotoninergique.

[...]

L'amélioration de la fonction sérotoninergique semble un trait commun de divers traitements antidépresseurs, notamment les inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO) et les électrochocs. Cette observation mécaniste est conforme aux hypothèses reliant l'hypofonction sérotoninergique à la dépression et au comportement suicidaire. Il n'est donc pas étonnant de constater que la sertraline produit, dans les analyses précliniques, des résultats prédictifs d'une activité antidépressive. En fait, l'efficacité antidépressive prévue de la sertraline a maintenant été établie dans des essais cliniques préliminaires.


On considère que la sérotonine n'affecte pas seulement l'humeur, mais qu'elle joue aussi un rôle majeur dans la régulation de diverses pulsions biologiques et de leurs comportements associés. On en conclut que la sertraline et d'autres inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine pourraient avoir une application plus large en psychiatrie parce que leur efficacité ne se limiterait pas aux maladies affectives. Les troubles de l'appétit et le comportement obsessionnel-compulsif, par exemple, pourraient répondre à la manipulation sérotoninergique. Bien que le développement d'inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine représente un repère pharmacologique, il faudra attendre d'autres tests cliniques plus complets pour bien comprendre toutes les possibilités de ces nouveaux médicaments comme agents psychothérapeutiques. [Renvoi omis, non souligné dans le texte original.]

3.          Le Dr Rasmussen, l'un des experts de Pfizer, a écrit en 1989, avec des collaborateurs, un article intitulé « Serotonergic Agents in Obsessive-Compulsive Disorder: Fluvoxamine as an Antiobsessional Agent » qu'Apotex a cité au titre de l'état antérieur de la technique dans son avis d'allégation :

[Traduction]

Un certain nombre d'études à double insu établissent maintenant que la clomipramine, un inhibiteur puissant du recaptage de la sérotonine, est supérieur au placebo dans le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) (Insel et Zohar, 1987). D'autres études, moins nombreuses, ont comparé directement la clomipramine à d'autres antidépresseurs; mais la plupart de ces études révèlent que des inhibiteurs de la sérotonine moins puissants ne sont pas efficaces dans le traitement des symptômes obsessionnels-compulsifs.

[...]

Deux petites études de la fluoxétine dans le traitement du TOC sont prometteuses (Fontaine et Chouinard, 1985; Turner et coll., 1985), mais aucun essai à double insu n'a été publié jusqu'ici. Le citalopram s'est avéré bénéfique dans un seul cas de TOC (White et coll., 1986). Des études comparatives contre placebo sont en cours, mais aucun résultat n'est disponible actuellement. Parmi les inhibiteurs sélectifs et puissants du recaptage de la sérotonine, c'est la fluvoxamine (objet de recherche aux États-Unis) qui a été étudiée le plus en profondeur en vue du traitement du TOC.

[...]


Les études examinées ici montrent que la fluvoxamine, un inhibiteur puissant et sélectif du recaptage de la sérotonine, permet de traiter efficacement le TOC. [Non souligné dans le texte original.]

b) Preuve relative au trouble panique

1.          Le Dr Sheehan et ses collaborateurs ont écrit ce qui suit dans un article publié en août 1988 dans le Journal of Clinical Psychiatry :

[Traduction]

Plus récemment, trois nouveaux inhibiteurs du recaptage de la sérotonine - la fluvoxamine, la sertraline et la fluoxétine (Prozac) - ont été étudiés en détail dans le traitement de la dépression. Ces médicaments n'ont pas encore été étudiés systématiquement dans le traitement du trouble panique, mais les résultats préliminaires justifient de telles recherches, car les données disponibles indiquent que tout médicament qui inhibe grandement le recaptage de la sérotonine ou qui augmente grandement la sérotonine dans la fente synaptique devrait avoir une activité antipanique.

Même si les données en sont au stade préliminaire, la prépondérance de la preuve indique que les inhibiteurs du recaptage de la sérotonine sont efficaces dans le trouble panique. Il n'y a cependant pas assez de preuves pour soutenir ou réfuter l'hypothèse selon laquelle ces médicaments exercent leur effet antipanique via le système sérotoninergique. [Non souligné dans le texte original.]


[117]        Ces articles révèlent, avant la date d'entrée en vigueur du brevet, que, selon la recherche en cours, les ISRS étaient logiquement envisageables pour les patients souffrant du TOC, que la sertraline faisait l'objet d'essais cliniques en vue du traitement du TOC, que, selon la prépondérance de la preuve, les ISRS permettaient de traiter le trouble panique et que les résultats préliminaires justifiaient d'autres recherches sur l'effet de la sertraline sur le trouble panique. D'après cette littérature, il n'était pas nécessaire de faire preuve d'esprit inventif ni de mener des expérimentations excessives pour prescrire de la sertraline pour le traitement du trouble panique ou du TOC. Je dirais, pour paraphraser le juge Wetston dans l'arrêt Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd, précité, qu'il n'y a pas d'activité inventive à suivre un cheminement évident et bien défini, en utilisant des techniques et des compositions connues, à moins que l'inventeur ne rencontre des difficultés imprévues.

[118]        Deuxièmement, ma conclusion au sujet de l'évidence est soutenue par les opinions des Drs Deakin, Peroutka et Richter. J'estime que ces opinions n'ont pas été grandement contestées en contre-interrogatoire et qu'elles sont, en conséquence, sûres et fiables.

[119]        Le Dr Deakin estimait qu'un praticien versé dans son art aurait très bien pu faire appel à la sertraline pour traiter un patient souffrant de crises de panique et que ce médicament aurait raisonnablement pu être utilisé pour le traitement du TOC chez les patients qui ne toléraient pas d'autres médicaments liés à la 5HT.

[120]        Le Dr Peroutka s'est dit d'avis qu'au milieu de 1989 une personne versée dans l'art aurait pu s'attendre à ce que la sertraline soit cliniquement efficace dans le traitement du TOC et du trouble panique ou prévoir ce résultat.

[121]        La Dre Richter estimait que tout psychiatre clinicien compétent aurait considéré comme évidente l'utilisation de la sertraline dans le traitement du TOC ou du trouble panique.

[122]        Troisièmement, je conclus que les opinions livrées en contre-interrogatoire par les experts de Pfizer, soit les Drs Greist et Lapierre, étaient très limitées dans les domaines énoncés ci-après.


[123]        En contre-interrogatoire, le Dr Greist a reconnu avoir estimé ce qui suit, en octobre 1989 : [Traduction] « les pierres angulaires du traitement du TOC sont les médicaments qui inhibent le recaptage de la sérotonine (prouvé dans le cas de la clomipramine et de la fluvoxamine; probable dans le cas de la fluoxétine et de la sertraline) et le traitement behavioriste (exposition in vivo et imagination plus prévention de la réponse) » . [Non souligné dans le texte original.]

[124]        Le Dr Greist a exprimé cette opinion dans un résumé publié dans Psychiatry Today. La protonotaire Aronovitch a déterminé, dans une ordonnance interlocutoire, que l'on ne pouvait pas se fonder sur cette opinion au titre de l'état de la technique, compte tenu de l'arrêt de la Cour fédérale AB Hassle, précité. La protonotaire a cependant confirmé, dans son ordonnance, que les droits des parties étaient maintenus en contre-interrogatoire. L'ordonnance de la protonotaire Aronovitch a été confirmée en appel par le juge Blanchard, 2002 A.C.F. 152.

[125]            D'après la jurisprudence, notamment l'arrêt Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), à la page 320, n'importe quel document peut être présenté à un témoin pour contredire une affirmation ou miner sa crédibilité. L'opinion exprimée par le Dr Greist en octobre 1989 au sujet de l'efficacité de la sertraline dans le traitement du TOC pouvait légitimement être l'objet d'un contre-interrogatoire. Comme le Dr Greist a confirmé l'exactitude du contenu de son résumé en contre-interrogatoire, j'estime qu'il est bon et convaincant de tenir compte de cette affirmation confirmée en contre-interrogatoire.


[126]        Le Dr Lapierre a confirmé en contre-interrogatoire qu'il avait assisté au VIIIe Congrès mondial de psychiatrie en Grèce en octobre 1989, qu'il y avait présenté une communication et qu'un recueil de résumés avait été remis aux participants. Le résumé no 565 était intitulé « Sertraline is Effective in Obsessive Compulsive Disorder » . Le résumé portait sur les résultats de la première utilisation de la sertraline dans le traitement du TOC, et les scientifiques de Pfizer annonçaient que le médicament s'y avérait efficace.

[127]        Comme ce résumé n'a pas été divulgué par Apotex au titre de l'état antérieur de la technique, il a été impossible de l'utiliser à cette fin et pour soutenir qu'il y avait invalidité. Mais comme le Dr Lapierre a témoigné que la littérature ne faisait pas mention, en 1989, de l'utilisation de la sertraline pour le TOC ou le trouble panique, je suis convaincue que le Dr Lapierre a été prié à juste titre d'indiquer que le document avait été distribué au Congrès auquel il avait assisté.

[128]        Même si je ne tenais pas compte du résumé no 565 du Congrès mondial tenu en Grèce, je conclurais que le brevet n'est pas valide en raison de son caractère évident.

[129]        Quatrièmement, lorsque j'ai décidé de privilégier le témoignage des experts d'Apotex par rapport aux opinions des Drs Lapierre, Griest et Rasmussen, j'ai également pris en considération le fait que les opinions des experts de Pfizer étaient, en bonne partie, axées sur l'étiologie ou la pathogenèse incertaine du TOC et du trouble panique (en d'autres termes, sur la cause incertaine du TOC et du trouble panique).


[130]        Le résumé des témoignages des experts de Pfizer illustre mon propos. En effet, le Dr Lapierre a mentionné que les causes du TOC n'étaient pas encore pleinement comprises même aujourd'hui, de sorte qu'il serait difficile de dire qu'une hypothèse quelconque sur le rôle de la sérotonine est évidente. Le Dr Greist a souligné qu'on ne pouvait pas raisonnablement penser, en novembre 1989, qu'un trouble complexe comme le TOC pouvait trouver une explication par l'examen d'un seul neurotransmetteur. Le Dr Rasmussen a mentionné que la théorie selon laquelle les ISRS jouaient un rôle dans le TOC et le trouble panique soulevait des doutes.

[131]        L'examen de bon nombre des articles scientifiques déposés en preuve m'a convaincue qu'ils établissent une distinction, en général, entre pathogenèse et traitement. Quels que soient les doutes qui entourent la pathogenèse, les articles auxquels je me suis reportée indiquaient que la sertraline constituait un traitement efficace.

[132]        En contre-interrogatoire, le Dr Deakin a exprimé cette distinction dans les termes suivants :

[Traduction]

Il est essentiel de distinguer les deux genres de théories, soit celles qui portent sur le mécanisme d'action des médicaments et celles qui portent sur les causes des maladies. Ce sont deux réalités complètement distinctes. Il est heureux qu'un médicament fasse disparaître une anomalie manifestement présente dans le trouble en agissant sur un mécanisme primaire, mais cela ne se produit pas toujours ainsi. Ce sont donc deux exercices distincts, établir le mode d'action des médicaments et déceler ce qui ne va pas sur le plan de la santé.

[133]        Pour tirer ma conclusion au sujet de l'évidence j'ai également tenu compte de l'existence de réalisations antérieures contredisant l'efficacité des ISRS et de la sertraline, car ces enseignements rendraient moins évidente l'utilisation de la sertraline dans le traitement du trouble panique ou du TOC.


[134]        Les experts de Pfizer ont particulièrement mis l'accent sur le fait que la zimélidine, un ISRS, s'était avérée inefficace dans le traitement de l'anxiété et que la publication initiale d'un centre d'essai de la sertraline avait mentionné que la substance n'entraînait pas d'amélioration au niveau du TOC. Cette affirmation visait à montrer que l'efficacité de la sertraline était incertaine.

[135]        Le témoignage suivant du Dr Deakin, expert d'Apotex, n'a toutefois pas été contredit :

[Traduction]

Chacun des médecins affirme que la zimélidine, un ISRS, s'est avérée inefficace dans le traitement de l'anxiété. Le Dr Greist, au paragraphe 28, et le Dr Rasmussen, au paragraphe 52 de son affidavit, parlent d'une étude d'Insel prouvant que la zimélidine ne permet pas de traiter le TOC. Cependant, une seule étude a conclu que la zimélidine était moins efficace que l'imipramine dans le traitement du TOC. Une autre étude a conclu qu'elle était supérieure à un inhibiteur du recaptage de la noradrénaline. De plus, l'étude de la zimélidine par rapport à la clomipramine et au DMI, menée par Insel en 1985, n'était pas une étude comparative contre placebo, et cinq sujets seulement ont complété le volet zimélidine. L'étude d'Insel ne démontre pas que la zimélidine n'était pas supérieure au DMI et qu'aucune des deux substances n'était efficace. Il faut également garder à l'esprit que la zimélidine n'a pas été assez longtemps sur le marché pour avoir un impact sur la perception des ISRS et de leur spectre d'action. L'expérience entourant la zimélidine avait beaucoup moins d'importance que les nombreuses expériences menées au sujet de la fluoxétine et de la fluvoxamine liées au TOC.

[136]        Le résultat négatif initial lié à la sertraline, communiqué par Jenike et invoqué par les experts de Pfizer, a été corrigé par la suite. La correction a révélé que des erreurs étaient survenues dans l'entrée informatique du code de randomisation. La correction a révélé une plus grande utilité de la sertraline.

[137]        Le témoignage du Dr Deakin cité plus haut et la correction du résultat initial de l'essai sur la sertraline minent grandement les arguments de Pfizer au sujet des révélations contraires des réalisations antérieures.


[138]        Enfin, j'ai étudié l'affirmation des experts de Pfizer portant qu'Apotex a choisi ses données sur l'état antérieur de la technique avec l'avantage du recul et que ces données ne sont pas représentatives de la situation actuelle. Pfizer se reporte au témoignage de ses experts et se fonde sur des décisions comme Xerox of Canada Ltd. c. IBM Canada Ltd. (1977), 33 C.P.R. (2d) 24 (C.F 1re inst.), aux pages 60 à 62, pour soutenir qu'Apotex aurait dû déposer des preuves établissant la façon dont elle avait trouvé les éléments censément liés à l'état antérieur de la technique et montrant que ces éléments n'avaient pas été choisis avec le recul. Comme ces preuves n'ont pas été fournies, Pfizer soutient que le tribunal devrait accorder moins d'importance aux opinions des experts d'Apotex, qui reposent sur des données d'origine inconnue en ce qui concerne l'état antérieur de la technique.

[139]        Cet argument pourrait avoir de l'importance étant donné qu'Apotex n'a pas fourni de preuves sur la façon dont elle a choisi les données sur l'état antérieur de la technique servant de fondement à son argumentation. Ces données ont été simplement jointes à l'affidavit d'une secrétaire qui n'avait pas d'antécédents scientifiques, qui n'avait pas fait l'examen de la littérature et qui ignorait comment cet examen avait été fait.

[140]        J'estime important de noter, dans l'évaluation de cet argument, que les experts de Pfizer ont fourni un témoignage général, et non spécifique, pour établir que les données sur l'état antérieur de la technique avaient été choisies avec le recul. Ce témoignage est donc difficile à évaluer. Comme on n'y fait pas spécifiquement référence à des omissions importantes dans la littérature choisie, je crois devoir me reporter essentiellement au fait que l'avocat de Pfizer a mentionné, dans son argumentation orale, que les données sur l'état antérieur de la technique figuraient dans cinq documents clés, soit les pièces H, L, M, N et O de l'affidavit du Dr Rasmussen.


[141]        Tous ces documents, sauf un, figuraient dans la liste des données sur l'état antérieur de la technique d'Apotex. Le seul qui n'y apparaissait pas était la pièce H, qui est un article d'Insel et ses collaborateurs, paru en 1983 et intitulé « Obsessive-Compulsive Disorder - A Double-Blind Trial of Clomipramine and Clorgyline » . Mais la donnée no 66 d'Apotex était un article ultérieur de Zohar et Insel intitulé « Obsessive-Compulsive Disorder: Psychobiological Approaches to Diagnosis, Treatment and Pathophysiology » qui, à la page 671, renvoyait à l'article de 1983.

[142]        Comme les experts de Pfizer n'ont pas signalé d'omissions importantes spécifiques dans les données d'Apotex sur l'état antérieur de la technique et que l'avocat de Pfizer s'est fondé sur les cinq articles mentionnés plus haut, je ne suis pas convaincue que les données d'Apotex sur l'état antérieur de la technique sont lacunaires. Ce critère ne m'a donc pas amenée à mettre de côté les opinions des experts d'Apotex.

[143]        En conséquence, j'ai conclu que Pfizer n'avait pas établi que les allégations d'Apotex à l'égard des revendications 3 et 10 étaient injustifiées.

[144]        Les revendications 1 et 2 du brevet 065 font allusion à l'ensemble des troubles anxieux, notamment le trouble panique et le TOC. Selon mes conclusions, les revendications 1 et 2 portaient donc sur des aspects qui n'étaient pas dûment brevetables. Pfizer n'a donc pas établi que l'allégation d'Apotex au sujet du caractère évident des revendications 1 et 2 n'était pas justifiée.


[145]        De même, la nouvelle invention revendiquée portait sur l'utilisation de la sertraline pour le traitement d'affections autres que la dépression. La création de la formulation du médicament, de la posologie ou de l'emballage commercial ne présentait aucun caractère inventif. J'accepte l'argument de l'avocat d'Apotex portant que ce sont là des aspects évidents qui dépendent de l'invention revendiquée. Pfizer n'a donc pas réussi à établir que les allégations d'invalidité portant sur les aspects des revendications 11, 12 et 13 liés au TOC et au trouble panique ne sont pas justifiées. Voir l'arrêt Merck & Co. c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 356, à compter de la page 376.

e) Est-il vrai que le brevet 065 n'est pas valide en raison de l'antériorité?

[146]        Au cas où ma conclusion sur la question de l'évidence serait erronée, je vais maintenant étudier la question de l'antériorité.

[147]        Dans l'arrêt Beloit, précité, le juge Hugessen a donné la description suivante du critère de l'antériorité :

[Traduction]

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente. L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, ainsi qu'il ressort du passage précité de la Loi, l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.


[148]        Ce critère a été confirmé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1025, au paragraphe 26. Le juge Binnie, qui parlait au nom de la Cour, a noté dans le même paragraphe que le critère juridique de l'antériorité consistait à déterminer si un élément particulier portant sur l'état antérieur de la technique contenait assez d'information pour permettre à une personne possédant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre, sans consulter le brevet, « la nature de l'invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre technique » . Il a ajouté que le critère était difficile à satisfaire.

[149]        Pour ce qui est de l'application de ces principes en l'espèce, disons qu'Apotex cite deux références à l'appui de son allégation d'antériorité. L'entreprise affirme d'abord que le brevet 815 présente un caractère d'antériorité par rapport aux revendications 11, 12 et 13 du brevet 065. Elle affirme ensuite que l'article Peroutka présente un caractère d'antériorité par rapport aux revendications 1, 4, 10, 11, 12 et 13 du brevet 065, même si l'avis d'allégation mentionne que le caractère d'antériorité ne vaut que pour les revendications liées à l'utilisation de la sertraline pour le TOC.

i) Le brevet 815

[150]        Apotex soutient que le brevet 815 a divulgué la sertraline et des formulations qui contenaient de la sertraline.

[151]        Le témoignage du Dr Lapierre, expert de Pfizer, portant que les troubles anxieux diffèrent de la dépression n'a cependant pas été contesté. Le brevet 815 a divulgué l'administration de la sertraline pour le traitement de la dépression. Les revendications 11, 12 et 13 du brevet 615 portent toutes sur l'utilisation de la sertraline dans le traitement des troubles anxieux ou de leurs symptômes.


[152]        Je ne suis pas convaincue qu'un psychiatre versé dans son art qui examinerait le brevet 815 sans faire preuve d'esprit inventif arriverait sans risque d'erreur aux révélations des revendications 11, 12 et 13 portant sur l'utilisation de la substance pour le traitement de l'anxiété. Je ne suis donc pas convaincue que l'allégation d'antériorité par le brevet 815 est justifiée.

ii) L'article Peroutka

[153]        L'article Peroutka mentionnait, à l'été 1989, que la sertraline faisait l'objet d'essais cliniques de phase II portant sur son utilisation dans le traitement du TOC.

[154]        Apotex se fonde sur les témoignages suivants pour soutenir que l'article Peroutka présentait un caractère d'antériorité par rapport aux revendications 1, 10, 11, 12 et 13 du brevet :

1.          Le témoignage de la Dre Richter :

[Traduction]

L'article Peroutka révèle que la sertraline est administrée à des patients pour le traitement du TOC. L'article Peroutka donne une description antérieure exacte, exception faite de la posologie, qui est indiquée à la page 3 du brevet 065. La posologie indiquée pour le TOC dans le brevet 065 est toutefois extrêmement large, et elle chevauche la posologie recommandée pour la sertraline dans le traitement de la dépression, soit 50-200 mg. Tout clinicien compétent aurait donc tenté automatiquement d'utiliser la sertraline pour le TOC selon la posologie recommandée pour la dépression, et il aurait probablement observé son efficacité.

2.          Le témoignage du Dr Peroutka :

[Traduction]


L'expression « ESSAIS CLINIQUES DE PHASE II » a un sens généralement accepté. Ces essais permettent de déterminer si un médicament a une efficacité clinique. On aurait compris, dans ce contexte, que l'on administrait de la sertraline à certains patients en vue de déterminer si la substance était efficace dans le traitement du TOC. Cet article révèle donc que l'on administrait de la sertraline à des patients en vue de traiter le TOC.

3.          Le témoignage du Dr Lapierre, expert d'Apotex, qui a affirmé en contre-interrogatoire qu'une personne qui lirait que l'on menait un essai clinique de phase II pour le traitement du TOC comprendrait que l'on administre de la sertraline à des personnes souffrant du TOC pour déterminer si la substance permettait de traiter le trouble.

4.          Le témoignage du Dr Rasmussen, expert d'Apotex, qui a affirmé en contre-interrogatoire que l'on menait un essai clinique de phase II sur des personnes souffrant de l'affection qu'on tentait de traiter et que tous les participants à l'essai clinique étaient traités, dont certains au moyen du placebo et d'autres, au moyen du médicament.

[155]        Pfizer affirme que l'article Peroutka vient tout près de présenter un caractère d'antériorité par rapport au brevet, mais qu'il ne le fait pas, car la mention de l'existence d'un essai de phase II ne suffit pas à établir pas que la sertraline permet de traiter le TOC. Il n'y a pas de divulgation d'efficacité tant que les résultats de l'essai ne sont pas publiés. Pfizer note que les résultats des essais de phase II sont souvent négatifs. Pfizer ajoute que la partie de l'article Peroutka qui porte sur le TOC fait état de l'efficacité de certains médicaments, mais ne dit rien de la sertraline.


[156]        J'estime cependant que l'article Peroutka n'a pas à mentionner que la sertraline est efficace dans le traitement du TOC pour présenter un caractère d'antériorité par rapport au brevet 065. Exiger ce niveau d'information équivaut à faire fi des exigences de la loi portant que la publication antérieure doit simplement renfermer assez d'information pour permettre à une personne possédant des compétences et des connaissances moyennes dans le domaine de comprendre la nature de l'invention et de la mettre en pratique, sans l'aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d'ordre mécanique.

[157]        Ainsi, dans le jugement SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2001) 14 C.P.R. (4th) 76 (C.F. 1re inst.), confirmé par 2002 CAF 216, le juge Gibson a examiné si un brevet antérieur lié à un médicament présentait un caractère d'antériorité par rapport à une formulation nouvelle d'un médicament visant à éviter une coloration rose. Le juge Gibson a conclu que c'était le cas et il a écrit ce qui suit, au paragraphe 40 :

Ayant conclu que la formulation par voie humide des comprimés de paroxétine suscite un [Traduction] « problème de coloration rose » , dont l'importance est telle qu'elle pousse une personne au fait de l'art à chercher à le résoudre, à tout le moins en partie, je suis persuadé que logiquement, la première étape de toute personne au fait de l'art serait de se tourner vers les autres procédés de formulation divulgués dans le brevet 060 pour voir si l'un ou l'autre ne résoudrait pas, en totalité ou en partie, le problème. Je suis également persuadé que cette recherche n'impliquerait aucune étape inventive ni aucun génie inventif. Elle mettrait seulement en jeu l'application de l'enseignement du brevet 060.

[158]        Je conclus également en l'espèce que le clinicien au fait de son art qui aurait lu l'article Peroutka aurait appris que l'on administrait de la sertraline aux personnes souffrant du TOC pour déterminer si la substance permettrait de traiter cette affection. Le clinicien ne devrait déployer aucune activité inventive pour administrer de la sertraline à un patient souffrant du TOC.


[159]        S'il est vrai que l'article Peroutka ne divulgue pas la posologie indiquée dans le brevet, la logique du témoignage de la Dre Richter me convainc que comme la posologie recommandée pour le TOC chevauche celle qui est recommandée pour le traitement de la dépression, un clinicien au fait de son art aurait essayé de prescrire la sertraline aux patients souffrant du TOC selon cette posologie et aurait probablement observé l'efficacité de ce traitement. Il ne lui aurait fallu ni activité ni génie inventif pour ce faire.

[160]        Je conclus donc que Pfizer n'a pas réussi à s'acquitter du fardeau d'établir que l'allégation portant que les revendications 1, 10, 11, 12 et 13 n'étaient pas valides en raison du caractère d'antériorité de l'article Peroutka n'était pas justifiée.

f) Spécification insuffisante, double brevet, ambiguïté

[161]        Apotex a présenté de brefs arguments portant sur d'autres motifs d'invalidité découlant de la comorbidité fréquente de la dépression et des troubles anxieux. Elle a soutenu que cette situation donnait lieu à une « évidence » , à un double brevet et à de l'ambiguïté. Compte tenu des conclusions que j'ai tirées au sujet de l'évidence et de l'antériorité, je n'ai pas à examiner ces arguments.

5.          CONCLUSION

[162]        Étant donné ce qui précède, la demande d'ordonnance d'interdiction est rejetée.

6.          DÉPENS


[163]        La défenderesse Apotex a droit au remboursement de ses dépens par les demanderesses. Si ces dépens ne font pas l'objet d'une entente, ils devront être taxés conformément à la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998). Aucune ordonnance ne sera rendue pour adjuger les dépens au Ministre défendeur ou contre lui.


ORDONNANCE

[164]        LA COUR ORDONNE :

1. que la demande soit rejetée.

2. que les demanderesses remboursent les dépens de la présente instance à Apotex Inc. Si ces dépens ne font pas l'objet d'une entente, ils seront taxés en conformité avec la colonne III du tableau du tarif B des Règles de la Cour fédérale (1998).

« Eleanor R. Dawson »

                                                                                                             Juge                        

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL. L


             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                        SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                 T-2096-00

INTITULÉ :                                Pfizer Canada Inc. et Pfizer Inc. c.

Apotex Inc. et le ministre de la Santé

LIEU DE L'AUDIENCE :         Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :       Le 22 août 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS : Le 5 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Anthony Creber                          POUR LES DEMANDERESSES

Jennifer Wilkie

H.B. Radomski              POUR LES DÉFENDEURS

Rick Tuzi

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP            POUR LES DEMANDERESSES

Pièce 2600, 160, rue Elgin

Ottawa (Ontario), K1P 1C3

Goodmans LLP                                       POUR LES DÉFENDEURS

250, rue Yonge, pièce 2400

Toronto (Ontario), M5B 2M6

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