Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                                           Date : 20030626

Dossier : IMM-3797-02

Référence : 2003 CFPI 777

Ottawa (Ontario), le jeudi 26 juin 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE SNIDER

ENTRE :

                                                          ANATOLI KALACHNIKOV

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), dans le but d'obtenir une ordonnance de mandamus enjoignant au défendeur de traiter la demande de résidence permanente présentée par Anatoli Kalachnikov (le demandeur) et de rendre une décision définitive dans les soixante jours de cette ordonnance de la Cour.


Les faits

[2]         Le demandeur et son épouse, Valentina Kalachnikova, citoyens de Russie, ont poursuivi une longue et difficile quête pour devenir des résidents permanents du Canada.

[3]         En juillet 1998, leur fille, Elena Gribanova, a présenté une demande de parrainage afin que le demandeur et son épouse soient admis à titre de résidents permanents. L'ambassade du Canada à Moscou (l'ambassade), par une lettre datée du 11 février 1999, a informé Mme Gribanova que le traitement des dossiers à son bureau requérait, en moyenne, quatorze mois à partir de la date de réception de la demande de résidence permanente. Le demandeur et son épouse ont transmis à l'ambassade le 2 mars 1999, par un service de messagerie à partir du Canada, une demande de résidence permanente remplie et signée.

[4]         Ils ont subi leurs examens médicaux en mars 1999. L'ambassade les a informés par une lettre datée du 12 août 1999 que les résultats de ces examens étaient valides jusqu'au 28 avril 2000. Dans cette lettre, l'ambassade les informait en outre que leur demande faisait [TRADUCTION] « actuellement l'objet d'un examen quant à la vérification de leurs antécédents » .

[5]         Le 8 juin 2000, le demandeur s'est présenté à une entrevue à l'ambassade. Les derniers documents soumis au soutien de la demande ont été présentés en juillet 2000.


[6]         Entre le 15 octobre 1999 et le 6 juin 2002, le demandeur, par son avocat M. Rotenberg, a écrit 15 lettres à l'ambassade afin de s'informer de l'état de sa demande et de la vérification de ses antécédents. L'ambassade a répondu à certaines de ces lettres, mais non à toutes.

[7]         Le 13 août 2002, le demandeur a présenté sa demande d'autorisation et de contrôle judiciaire auprès de la Cour.

[8]         À la date de la présente audience, le temps qui s'est écoulé depuis que la demande a été complétée en juillet 2000 est de presque trois ans.

La question en litige

[9]         Le demandeur soulève la question suivante :

1. Une ordonnance de mandamus enjoignant au ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration de traiter la demande de résidence permanente présentée par le demandeur est-elle justifiée compte tenu du temps excessif qui s'est écoulé?

Analyse

[10]       Pour les motifs ci-après énoncés, je suis d'avis que la présente demande devrait être accueillie pour des raisons autres que celles invoquées par le demandeur.


Le critère pour l'ordonnance de mandamus

[11]       L'ordonnance de mandamus est une mesure discrétionnaire de redressement en equity (voir l'arrêt Khalil c. Canada (Secrétaire d'État), [1999] 4 C.F. 661 (C.A.)), soumise aux conditions préalables ci-après énoncées.

1. Il existe une obligation légale d'agir à caractère public;

2. L'obligation doit exister envers le demandeur;

3. Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

(a)      le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à l'obligation;

(b)      il y a eu une demande préalable d'exécution de l'obligation, une période raisonnable pour se conformer à la demande et un refus postérieur qui peut être exprès ou tacite; il y a eu par exemple un délai déraisonnable;

4. Le demandeur n'a aucun autre recours.

5. La « balance des inconvénients » joue en faveur du demandeur (voir à cet égard l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (P.G.), [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), confirmé par [1994] 3 R.C.S. 1100, et la décision Conille c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.)).


[12]       Dans la décision Conille, précitée, [1999] 2 C.F. 33 (1re inst.), Mme le juge Tremblay-Lamer énonce, au paragraphe 23, trois conditions à remplir pour qu'un délai de traitement soit jugé déraisonnable. Ces conditions sont les suivantes :

(1)          Le délai en cause a été plus long que ce que la nature du processus exige de façon prima facie;

(2)          Ni le demandeur ni son avocat ne sont responsables du délai;

(3)          L'autorité responsable du délai ne l'a pas justifié de façon satisfaisante.


[13]       Dans la décision Mohamed c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1677 (1re inst.) (QL), Mme le juge Dawson, au paragraphe 15, fait une mise en garde selon laquelle la jurisprudence antérieure n'est « pas particulièrement utile sauf pour ce qui est de fixer les paramètres dans lesquels la Cour a accepté de prononcer une ordonnance de mandamus parce qu'elle estimait qu'aucune explication raisonnable n'avait été fournie relativement à un délai inhabituel » . Le juge Dawson a accordé une ordonnance de mandamus dans la décision Mohamed, précitée, en raison du long délai nécessaire pour faire l'enquête de sécurité et de l'absence d'explication quant aux raisons pour lesquelles le délai de six mois à un an prévu pour le traitement avait été dépassé. Le juge Dawson n'a pas accepté que la déclaration selon laquelle les délais de traitement étaient dus à des préoccupations à l'égard de la sécurité puisse être une justification satisfaisante pour le fait que, après plus de quatre ans, la demande de résidence permanente présentée par le demandeur était encore pendante.

L'application du critère aux faits de l'affaire

1. Obligation d'agir à caractère public

[14]       Le paragraphe 9(2) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, impose au défendeur l'obligation d'apprécier la demande de résidence permanente présentée par un demandeur.


(2) Le cas du demandeur de visa d'immigrant est apprécié par l'agent des visas qui détermine si le demandeur et chacune des personnes à sa charge semblent répondre aux critères de l'établissement.

(2) An application for an immigrant's visa shall be assessed by a visa officer for the purpose of determining whether the person making the application and every dependant of that person appear to be persons who may be granted landing.


2. Obligation envers le demandeur

[15]       Étant donné que la demande de résidence permanente en l'espèce est présentée par le demandeur, il existe une obligation envers lui.

3. Droit clair d'obtenir l'exécution de l'obligation


[16]       L'ambassade a reçu en mars 1999 la demande de résidence permanente présentée par le demandeur et les frais de traitement applicables. Le demandeur a en outre fourni au défendeur tous les renseignements et documents requis, y compris les examens médicaux et les renseignements à l'égard de son avoir net. Le demandeur a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance à l'obligation. Le défendeur n'a pas contesté ces faits.

[17]       En outre, je suis convaincue qu'il existe en l'espèce un droit clair d'obtenir l'exécution de l'obligation. Le demandeur, par son avocat, a envoyé au moins quinze lettres demandant des renseignements sur l'état de sa demande. Un examen de la correspondance envoyée par M. Rotenberg à l'ambassade révèle que le demandeur a fait plusieurs demandes d'exécution de l'obligation énoncée au paragraphe 9(2) de la Loi sur l'immigration.

[18]       À mon avis, le défendeur a en outre eu un délai raisonnable pour se conformer à la demande d'exécution de son obligation. Bien que je partage l'opinion du défendeur selon laquelle l'exécution de la vérification des antécédents puisse augmenter le temps requis pour le traitement de la demande de résidence permanente présentée par le demandeur, le défendeur a eu une période raisonnable pour effectuer ces vérifications et pour traiter la demande présentée par le demandeur.


[19]       En outre, je suis d'avis que le délai de traitement était déraisonnable. Le défendeur n'a pas fourni au demandeur ou à la Cour des justifications satisfaisantes quant aux raisons pour lesquelles il a fallu presque trois ans pour traiter la demande de résidence permanente (voir à cet égard la décision Conille, précitée). Je ne partage pas l'opinion du défendeur selon laquelle la déclaration [TRADUCTION] « la vérification des antécédents est pendante » constitue une explication appropriée pour le délai de traitement. Cette vérification des antécédents est pendante depuis octobre 1999 et le défendeur n'a fourni au demandeur aucun renseignement pour expliquer les raisons pour lesquelles la vérification a pris plus de trois ans. En outre, le juge Dawson a rejeté une explication similaire dans la décision Mohamed, précitée.

[20]       Par conséquent, le demandeur a un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, savoir le traitement de sa demande de résidence permanente.

4. Le demandeur n'a aucun autre recours

[21]       Je partage l'opinion du demandeur selon laquelle il n'a aucun autre recours. Ses nombreuses et répétées demandes sont souvent restées sans réponse et, dans les cas où l'ambassade y a répondu, les renseignements étaient vagues et mentionnaient le fait que la vérification des antécédents n'était pas encore achevée ou était pendante. Rien n'indique que le défendeur ait pris des mesures pour achever le traitement de la demande présentée par le demandeur.

5. La balance des inconvénients

[22]       À mon avis, même si la balance des inconvénients joue en faveur du demandeur, le défendeur a également soulevé des préoccupations valides qui requièrent de l'attention.


[23]       Le demandeur, qui est au début de la soixantaine, souhaite venir au Canada avec son épouse afin qu'ils puissent vivre avec leur fille et leurs deux petits-enfants. Il a attendu trois ans après que les formalités de sa demande de résidence permanente au Canada eurent été complétées pour en connaître l'issue et il a fait tout ce qui était nécessaire au traitement de cette demande. Le défendeur n'a pas fourni des justifications satisfaisantes pour le délai de traitement. La réunification des familles est l'un des objectifs de la Loi sur l'immigration, qui était en vigueur au moment où la demande de résidence permanente a été présentée, et de la LIPR, qui est maintenant en vigueur. Je suis d'avis, en me fondant sur ces facteurs, que la balance des inconvénients joue en faveur du demandeur.

[24]       Cependant, je suis également consciente qu'il est nécessaire que le défendeur procède à la vérification des antécédents afin de s'assurer que les objectifs de la LIPR qui touchent la sécurité des Canadiens (alinéa 3(1)h et i)) soient atteints. Le fait d'intervenir judiciairement dans le processus d'achèvement de la vérification des antécédents pourrait être jugé comme une intervention inappropriée à l'égard du mandat imposé par le législateur dans la LIPR. Je suis également consciente que le fait de donner la priorité au dossier d'un individu perturbe le traitement de tous les autres dossiers. Néanmoins, je crois que ma décision pourrait prendre en compte ces préoccupations de deux manières, soit :


1. En accordant au défendeur six mois additionnels pour traiter la demande plutôt que d'ordonner que cette demande soit traitée dans les soixante jours comme le demandeur l'exigeait;

2. En prévoyant que le défendeur peut présenter une demande à la Cour pour obtenir une prorogation de délai au-delà de la période de six mois prévue pour traiter la demande. Je m'attends à ce qu'une telle demande soit accompagnée de justifications appropriées.

Conclusion

[1]         En conclusion, je reconnais que la présente affaire est l'un des cas exceptionnels pour lesquels une ordonnance de mandamus devrait être rendue.

Les dépens

[2]         Le demandeur sollicite l'adjudication de dépens sur une base avocat-client comme cela a été fait dans la décision Poon c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 595, [2003] A.C.F. no 779 (QL). Selon les faits de la présente affaire, je ne suis pas convaincue que le demandeur a démontré qu'il existait des « raisons spéciales » , comme celles visées à l'article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22. Par conséquent, la demande d'adjudication de dépens sera rejetée.


Question aux fins de la certification

[3]         J'ai demandé aux parties de proposer par écrit leurs questions aux fins de la certification afin que je les examine. Aucune question n'a été proposée. Aucune question ne sera certifiée.

                                                                     ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1. Que le défendeur traite la demande de résidence permanente présentée par le demandeur et qu'il rende une décision définitive dans les six mois de la présente ordonnance, sous réserve du droit du défendeur de présenter pour des motifs raisonnables une demande de prorogation de délai.

2.       Aucuns dépens ne sont adjugés.

3.       Aucune question n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                         SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                         AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                    IMM-3797-02

INTITULÉ :                                  Anatoli Kalachnikov c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :                        Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                        Le 5 juin 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       Le juge Snider

DATE DES MOTIFS :                     Le 26 juin 2003

COMPARUTIONS :

Cecil L. Rotenberg                                  Pour le demandeur

Jeremiah Eastman                                   Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cecil L. Rotenberg                                Pour le demandeur        

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                           Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.