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Date: 19980604

Dossier: IMM-1914-97

OTTAWA, ONTARIO, CE 4e JOUR DU MOIS DE JUIN 1998

Présent :              MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

Entre :

                                                           DJEZIRI SAIM,

                                                        DERRAS NAJAT

                                                         DJEZIRI AMIRA,

                                                                                                                         Demandeur,

                                                                    - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                           Défendeur.

                                                         ORDONNANCE

La demande est accueillie. L'affaire est retournée devant une Commission du statut de réfugié différemment constituée.

                                                                                                                                                                                     

                                                                                                                                        Juge


Date: 19980604

Dossier: IMM-1914-97

Entre :

                                                           DJEZIRI SAIM,

                                                        DERRAS NAJAT

                                                         DJEZIRI AMIRA,

                                                                                                                         Demandeur,

                                                                    - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉET DE L'IMMIGRATION,

                                                                                                                           Défendeur.

                                               MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ:


[1]                     Les trois requérants sont des citoyens de l'Algérie qui ont revendiquéle statut de réfugiéen alléguant une crainte bien fondée de persécution dans leur pays en raison de leur opinion politique et de leur appartenance à un groupe social (dans le cas de l'épouse). La troisième requérante est leur enfant, une jeune fille de trois ans. Le requérant principal était un ingénieur militaire et capitaine dans l'armée algérienne. Il aurait fait trois demandes de radiation de l'armée entre 1988 et 1989, au motif qu'il n'était pas d'accord que "l'armée soit employée contre le peuple", suite aux événements survenus en Algérie en 1988.

[2]                     Paradoxalement, quelque temps après, l'armée lui offrait une bourse d'étude d'une durée de quatre ans en France. Le requérant se rendit donc en France et compléta ses études en novembre 1994. Par après, il déserte l'armée algérienne, demeure en France jusqu'en février 1995 pour compléter son doctorat avant de se rendre au Canada.

[3]                     Le Tribunal en est venu à la conclusion que le revendicateur n'est pas crédible relativement à certains éléments importants de sa revendication et que son témoignage comporte des invraisemblances et des contradictions évidentes. Par ailleurs, il m'apparaît que certains de ces éléments importants dépassent la connaissance générale du Tribunal et qu'il ne lui appartenait pas de les trancher sans preuve additionnelle.


[4]                     Dans un premier temps, le Tribunal conclut que "le revendicateur a délibérément menti sur la non possession d'un carnet militaire" au motif que, selon lui, tout membre de l'armée algérienne possède un tel document. Deuxièmement, le Tribunal n'accepte pas que le revendicateur soit dans l'impossibilitéde fournir le contrat qui l'aurait liépour sept ans à l'armée algérienne. Il trouve "invraisemblable de ne pas garder de copie de documents si importants". Ensuite, le Tribunal, après avoir pris connaissance d'une carte postale en date du 2 janvier 1995 provenant d'un des amis du requérant, confirme que la carte en question n'est pas signée alors qu'effectivement le nom "Omar" apparaît dans le haut de la carte puisqu'il n'y a plus d'espace dans le bas. Finalement, face à un extrait de casier judiciaire oùil est inscrit qu'un mandat d'arrêt a étéémis en Algérie le 16 mai 1995 par le juge d'instruction de Maghnia, le Tribunal manifeste son étonnement que ce mandat ne soit pas émis par un tribunal militaire.


[5]                     En vertu des dispositions du paragraphe 68(4) de la Loi sur l'Immigration ("la Loi"), la Section du Statut peut admettre d'office "les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation". Dans l'affaire Bula c. Canada (Secretary of State)[1], la Cour d'appel fédérale a affirmé qu'il était non seulement normal mais aussi inévitable qu'en accomplissant son rôle, les membres du Tribunal soient influencés par l'expérience qu'il ont pu acquérir dans l'exercice de leurs fonctions. Par contre, en autant que les membres se fondent uniquement sur leur expérience et non sur des renseignements spécifiques, le paragraphe 68(4) de la Loi ne s'applique pas.

[6]                     Dans l'affaire Appau c. Canada (Minister of Employment & Immigration)[2], la Cour a décidé que la Section du statut ne pouvait se baser sur sa prétendue connaissance des procédures de sécurité des agents de Swiss Air ou des douaniers suisses. Elle a conclu que ces prétendues connaissances ne pouvaient pas être décrites comme étant "des faits de connaissance générale" ou "des opinons ou des connaissances faisant partie des connaissances spécialisées d'un membre de la SSR".

[7]                     Attendu que les éléments précités jouent un rôle très important dans l'appréciation par le Tribunal de la crédibilitédu revendicateur, il m'apparaît juste et raisonnable de retourner cette affaire devant un Tribunal constituéde membres différents pour reconsidérer cette affaire en se basant sur des renseignements provenant de sources autorisées.

[8]                     De plus, le Tribunal ne semble pas avoir considéréles motifs de revendication de la demanderesse qui, bien que liée à celle de son époux, fonde sa crainte particulière à son appartenance à un groupe social particulier, en l'occurrence l'épouse d'un militaire algérien. D'ailleurs, le Tribunal a notécette revendication particulière de l'épouse à la page 2 de sa décision dans les termes suivants: "Son épouse base sa revendication sur la sienne et ajoute qu'elle et sa fille sont ciblées car elles font partie de la famille d'un militaire".

[9]                     La transcription du témoignage de la requérante devant le Tribunal (aux pages 32 à 36) révèle clairement la source de ses craintes. Elle répond aux questions d'un conseiller qu'elle craint "les Islamistes de GIA qui torturent, qui tuent, qui violent les femmes de militaires parce qu'elles sont femmes de militaires". Elle déclare qu'elle ne veut pas porter le Hijab et que les femmes en Algérie n'ont plus le droit de porter des jupes courtes ou même d'aller chez le coiffeur. Elle-même, qui a vécu en France pendant quatre ans, n'accepte pas que l'on viole ou que l'on tue les femmes qui ne se voilent pas. Elle ajoute dans son affidavit au soutien de sa requête qu'elle a "une culture francophone qui me pousse à m'émanciper et à refuser de me soumettre à la vision des Islamistes qui considèrent la femme comme une créature inférieure à l'homme".

[10]                   Un document au dossier intitulé"Algérie: mise à jour sur la situation politique et sur les droits de la personne" préparépar la Direction des Recherches de la Commission de l'Immigration et du Statut de Réfugiétraite au chapitre 5 des groupes menacés d'attaques par les Islamistes armés et plus particulièrement le titre 5.5 intitulé"Les femmes". Cette section semble justifier les craintes de la requérante. Dans les circonstances, il me semble opportun de reproduire le premier paragraphe de cette section:

5.5 Les femmes

Le 22 janvier 1996, un article rapporte que, depuis le début du conflit arméen 1992, 343 femmes ont ététuées, 310 blessées, 30 000 sont devenues veuves et 150 000 filles orphelines (Map 22 janvier 1996). Les forces de sécuritéont prétendu que des islamistes armés auraient tué161 femmes entre janvier et juillet 1995 (HRW Déc. 1995, 265). Bien que les motifs de l'assassinat de certaines femmes par les islamistes ne soient pas clairs, il semblerait que ce sont les femmes qu'ils considèrent comme étant nanti-islamiquesoen raison de leur habillement, de leur occupation ou de leur statut en tant qu'épouse ou parent de membres des forces de sécurité, qui sont particulièrement menacées (voir la section 5.1) (ibid.; Women in Action 2e trimestre 1995, 52; HCR 8 sept. 1995, 3; AFP 21 août 1995). Un reportage du 8 mars 1996 avance l'opinion que des femmes sont prises pour cible parce que des [traduction] n"forces réactionnaires" qui assassinent des penseurs, des personnalités littéraires et des poètes sont celles qui rejettent les accomplissements des femmes algériennes depuis l'indépendanceo(Al-Sharq Al-Awsat 8 mars 1996).

[11]     En conséquence, la demande est accueillie et cette affaire est retournée devant une Commission du statut de réfugiédifféremment constituée.

[12]     Àmon avis, il n'y a pas de question d'importance générale à certifier.


O T T A WA, Ontario

le 4 juin 1998

                                                                                                                                        

                                                                                                    Juge


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS_ INSCRITS AU DOSSIER

N ° DE LA COUR:                        IMM-1914-97

INTITULÉ :                                    DJEZIRI SAIM ET AUTRES v. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :            MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :          19 MAI 1998 MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE DURÉ EN DATE DU                                                      4 JUIN 1998

COMPARUTIONS

ME SERBAN MIRAI TISMANARIU                                      POUR LA PARTIE REQUÉRANTE ME DANIEL LATULIPPE

POUR LA PARTIE INTIMÉE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

ME SERBAN MIRAI TISMANARIU

POUR LA PARTIE REQUÉRANTE

ME DANIEL LATULIPPE

M. George Thomson                                                              POUR LA PARTIE INTIMÉE Sous-procureur général du Canada



[1]                                    C.F.A., no. A-329-94. 19 juin 1996.

[2]                                    (1995), 91 F.T.R. 225.


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