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Date: 19980407


Dossier: T-587-98

Entre:

     MICHEL CÔTÉ

     Requérant

     ET

             RON SMITH, PHILIP YANKEY, DONALD MISICK, PIERRE BENOIT, RAPHAËL NELSON, ROBERT TREMBLAY, ANDRÉ DESMEULES, DALE BAKER, GUY AUGER, BRUCE CULLIMORE, FRANK SAMPSON, JERRY ROBERTS, CARL BENNETT, GORDON OUTHOUSE, ROSE ALTON, JAMES COHOON, JEAN LEMAY, POLITAKIS APOSTOLOS, MARGARET CREIGHTON, JEAN-EUDES FRASER, ANTHONY KUSSEY, COLEEN MAKINSON, MAREK PRZYBYLA, WYBOUW GARFIELD, SHAHID RAZA, PIERRE LETENDRE, ROGER PERRON, GILBERT LALIBERTÉ, KOPEC KRZYSZOF, RAYNALD TANGUAY, ARMAND LACHANCE, BERTRAND LÉVESQUE, ELVIN M. MALLETT, GABRIEL LAVOIE, PETER TULL, SANDRA PARENT, ROGER PROULX, ARNETT SPENCE, STEPHEN LEWIS, SERGE BEAUDRY, JEAN-CLAUDE TREMBLAY, ANDRÉ BROUILLET, JACQUES DESROCHERS, ANDRÉ VÉZINA, MARTIN BRIAND, MICHEL REBMANN, FRANÇOIS LACOURSIÈRE, VALLIER CROUSSET, SAMUEL DURANT, RÉJEAN CASTONGUAY, PAUL-ANDRÉ MARCHAND, SERGE GERVAIS, ROGER GAGNON, JACQUES MÉNARD, HECTOR BOUDREAU, LÉONIDE MICHAUD, ANDRUSYSZYN LESZEK, DEALMEIDA LUIS, KOALCZYK ARKADIUSK, RÉJEAN DÉLISLE, TÉO USQUIZA, MOHAMMED CEDRIC, NARCISSE LÉVESQUE, MICHEL DIONNE, J. RICHARD TACKABERRY, MAURICE SCOTT, DENNIS MURPHY, MATHIEU DUFOUR, SUZANNE BOUTOT, LYSE TURGEON, GILLES MALENFANT, SYLVIE SAUVÉ, THÉO DE CHAMPLAIN, DENIS SAUCIER, IAN SIMPSON, ANDRÉ SIROIS, JAMES VAN OVERBEEK, DOUGLAS WHITE, DONALD MACKENZIE, JEAN-CLAUDE CORMIER, ROSS MILLER, DENIS LEMIEUX, JOHANNE SÉGUIN, MARIELLE LANGELIER, MICHEL POIRIER, PAUL ROBINETTE, MARCELLIN CHAMPAGNE, CHARLES OMER PICARD, CLAUDE SERGERIE, JEAN-YVES DUCHAINE, CLÉMENT LAVOIE, JEAN-GUY MARTINEAU, EARL J. HAYNES, ÉTIENNE MARCHAND, VINCENT FOSSL, ALOYSIUS MCGRATH, GUY LÉPINE, MARCEL GAGNON, ANTHONY GAMES, DECLOU M. CEPHAS, MARTIN RANGER, RÉJEAN LAVOIE, JEAN BÉLANGER, ROBIN RIGGIN, JACQUES FRADETTE, NORMAND ALBERT, DENIS GAGNON, RANDALL PIKE, MARCEL CHANDONNET, RONALD ROSE, FRANK DIXON, ARTHUR AKRILL, HUBERT GRIFFITH, ANDREZ MAZUR, GÉRARD PARSLOW, JOHN WOOD, CLYDE PELLEY, GAÉTAN LALONDE, GAÉTAN DESCHENES, ANDRÉ POULIN, JOCELYN PARENT, WILFRID OSBORNE, MARIO HÉBERT, J.G. SAINT-MARTIN, CLAUDE ROCHETTE, NORMAND LEMAY, MICHEL ANDRÉ, J-CLAUDE COURNOYER, PATRICK BACCHUS, ELPHÈGE CHAMPOUX, RICHARD DUFOUR, BERTRAND GAGNÉ, ESROM KEEPING, JAMES KRECICHWOST, ROBIN MCKENNA, GUSTAVE MICHAUD, LOUIS PÉRUSSE, ALLAN STROWBRIDGE, RICHARD TITUS ET HEBERT WILLIAMS

     Intimés

     ET

     LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Intervenante

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE


[1]      La Cour est saisie d'une requête du requérant sous l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985) ch. F-7 afin que la Cour suspende de façon intérimaire l'effet d'un ordre de paiement (l'ordre de paiement) qui fut signifié au requérant le 24 mars 1998 aux termes de l'article 251.1 du Code canadien du travail, L.R.C. (1985) ch. L-2, tel qu'amendé (le Code).


Contexte


[2]      Les dispositions pertinentes du Code se lisent comme suit:

                      251.1 (1) L'inspecteur qui constate que l'employeur n'a pas versé à l'employé le salaire ou une autre indemnité auxquels celui-ci a droit sous le régime de la présente partie peut ordonner par écrit à l'employeur ou, sous réserve de l'article 251.18, à un administrateur d'une personne morale visée à cet article de verser le salaire ou l'indemnité en question; il est alors tenu de faire parvenir une copie de l'ordre de paiement à l'employé à la dernière adresse connue de celui-ci.                 
                 ...                 
                      251.11 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement ou un avis de plainte non fondée peut, par écrit, interjeter appel de la décision de l'inspecteur auprès du ministre dans les quinze jours suivant la signification de l'ordre ou de sa copie, ou de l'avis.                 
                      (2) L'employeur et l'administrateur de personne morale ne peuvent interjeter appel d'un ordre de paiement qu'à la condition de remettre au ministre la somme visée par l'ordre, sous réserve, dans le cas de l'administrateur, du montant maximal visé à l'article 251.18.                 
                 ...                 
                      251.15 (1) Toute personne concernée par un ordre de paiement donné en vertu du paragraphe 251.1(1) ou une ordonnance rendue en vertu du paragraphe 251.12(4), ou le ministre sur demande d'une telle personne, peut, après l'expiration d'un délai de quinze jours suivant la date de l'ordre ou de l'ordonnance, ou la date d'exécution qui y est fixée si celle-ci est postérieure, déposer à la Cour fédérale une copie de l'ordre de paiement ou du dispositif de l'ordonnance.                 
                      (2) Le directeur régional peut déposer à la Cour fédérale une copie de l'ordre de versement donné aux débiteurs de l'employeur, après l'expiration du délai de quinze jours qui y est mentionné.                 
                      (3) La Cour fédérale procède à l'enregistrement de l'ordre de paiement, de l'ordonnance ou de l'ordre de versement dès leur dépôt; l'enregistrement leur confère valeur de jugement de ce tribunal et, dès lors, toutes les procédures d'exécution applicables à un tel jugement peuvent être engagées à leur égard.                 
                 ...                 
                      251.18 Les administrateurs d'une personne morale sont, jusqu'à concurrence d'une somme équivalant à six mois de salaire, solidairement responsables du salaire et des autres indemnités auxquels l'employé a droit sous le régime de la présente partie, dans la mesure où la créance de l'employé a pris naissance au cours de leur mandat et à la condition que le recouvrement de la créance auprès de la personne morale soit impossible ou peu probable.                 

[3]      Le requérant a reçu signification de l'ordre de paiement - au montant de 704,853 $ - à titre d'administrateur de la compagnie Socanav Inc. Cette dernière corporation opérait dans le domaine du transport maritime. Elle est réputée avoir fait faillite en date du 20 septembre 1996.

[4]      Les quelque cent quarante quatre (144) intimés à la présente sont tous d'ex-employés de Socanav Inc. à qui seraient dues des sommes d'argent à titre de vacances impayées, de préavis de licenciement et d'indemnités de départ.

[5]      On doit conclure de la preuve déposée par l'intervenante qu'un ordre de paiement similaire fut émis à l'égard des trois autres administrateurs de Socanav Inc. Ces derniers ordres de paiement de même que celui signifié au requérant furent émis puisque l'inspecteure agissant sous le Code en est venue à la conclusion que l'état actuel de la faillite de Socanav Inc. rendait impossible ou peu probable le recouvrement des diverses créances des intimés.

[6]      Dans sa demande de contrôle judiciaire, le requérant attaque la constitutionnalité des articles 251.1, 251.11 et 251.15 du Code aux motifs qu'ils contreviennent aux articles 7, 8 et 15 de la Charte. Il allègue également que l'article 251.18 du Code est inconstitutionnel aux termes de l'article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867 puisque cet article 251.18 ne constituerait pas un exercice valide de la compétence du Parlement en droit du travail. Enfin, il dénonce vigoureusement l'ordre de paiement comme constituant l'aboutissement d'un excès de juridiction puisque cet ordre serait manifestement déraisonnable à sa face même, qu'il aurait été émis par l'inspecteure sans audition préalable et donc en contravention des principes de justice naturelle et, enfin, qu'il viserait des sommes qui ne sont pas dues en raison de conventions collectives en place.

[7]      En ce qui a trait plus spécifiquement à sa requête sous l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, le requérant allègue à son affidavit qu'il lui est impossible de payer la somme figurant à l'ordre de paiement. Il statue en effet qu'il ne dispose pas de cette somme et que la réalisation de ses actifs serait très loin de suffire à produire cette somme.

[8]      Étant dans l'impossibilité de payer la somme recherchée dans l'ordre de paiement, il demande à cette Cour de suspendre de façon intérimaire les effets de cet ordre de manière à ce que son droit d'appel sous le paragraphe 251.11(1) ne soit pas échu au 8 avril 1998 et que toute procédure d'exécution sous le paragraphe 251.15(3) ne puisse être entreprise. Ce serait là, en germe, les préjudices irréparables que le requérant subirait en l'absence de suspension.

Analyse

[9]      Il est acquis que les remèdes recherchés dans la requête à l'étude sont assujettis à l'analyse que la Cour suprême a rappelée comme suit dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334:

                 L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.                 

[10]      En ce qui a trait à la présence d'une question sérieuse à juger, je ne suis pas prêt, même au stade d'une étude intérimaire, à reconnaître que l'émission de l'ordre de paiement puisse enclencher en faveur du requérant l'application des articles 7, 8 ou 15 de la Charte. Je suis toutefois prêt à admettre de façon préliminaire que les excès de juridiction attribués à l'inspecteure ayant émis l'ordre de paiement puissent soulever un aspect sérieux à débattre.

[11]      Quant au préjudice irréparable dont pourrait souffrir le requérant si la suspension qu'il recherche n'est pas accordée, je ne considère pas à l'égard de la perte du droit d'appel que le requérant subirait un préjudice irréparable et ce, en raison de la dynamique qu'il recherche dans sa demande de contrôle judiciaire et de l'absence d'informations quant à sa situation financière future.

[12]      En effet, dans sa demande de contrôle judiciaire, le requérant recherche, entre autres, des déclarations de nullité et d'inopérabilité à l'égard des articles permettant l'émission d'ordres de paiement. Advenant qu'il ait raison au mérite, l'ensemble du système d'ordres de paiement tombera. Dans cette situation, la préservation intérimaire de son droit d'appel à l'égard de l'ordre de paiement ne servirait à rien puisqu'il n'existerait plus d'ordre à porter en appel.

[13]      Si par ailleurs le requérant a tort au mérite quant aux déclarations recherchées, rien dans la preuve qu'il a soumise ne nous indique qu'il aurait davantage alors les ressources financières pour loger un appel sous le paragraphe 251.11(2) du Code.

[14]      Quant au préjudice irréparable résultant de la prise de procédures d'exécution, il n'est pas acquis au départ qu'il y aura dépôt de l'ordre de paiement en vertu du paragraphe 251.15(1) du Code ou que même en cas de dépôt, il y aura des procédures d'exécution contre le requérant. Puisque ce dernier se dit loin de posséder la somme recherchée, on ne peut exclure que l'un des intimés ou le ministre du Travail cherchera plutôt à exécuter contre l'un ou l'autre des autres administrateurs. Par ailleurs, on ne peut écarter que les assureurs du requérant ne seront pas amenés à changer d'avis à court terme et à ainsi accepter de couvrir le requérant au niveau de sa responsabilité d'administrateur.

[15]      D'autre part, bien que la responsabilité de chaque administrateur soit solidaire pour la totalité de la dette en vertu de l'article 251.18 du Code, le requérant ne m'a pas convaincu que l'on doive écarter la possibilité que les administrateurs puissent se regrouper pour accumuler la somme recherchée ce qui à mon avis éviterait la prise de procédures d'exécution.

[16]      Advenant néanmoins la prise de telles mesures contre le requérant, il ressort que ce dernier pourrait aux termes de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), ch. B-3 (la Loi) déposer un avis d'intention de faire une proposition concordataire. Dès son dépôt, cet avis empêcherait toute mesure d'exécution. Cet avis pourrait demeurer en vigueur pour une période suffisamment longue - jusqu'à six mois. Un temps supplémentaire peut même être recherché en s'adressant à la Cour supérieure. Pendant cette période, le requérant ne serait pas en faillite. Il ne serait pas affublé du qualificatif irréparable de "failli". Cette même période de grâce sous la Loi permettrait de façon raisonnablement sûre au requérant de requérir cette Cour d'entendre au mérite sa demande de contrôle judiciaire.

[17]      Le procureur du requérant a dénoncé avec vigueur cette possibilité pour son client de faire appel à la Loi pour une somme d'argent qui ne serait point due par le requérant. Selon lui, le fait de déposer un avis d'intention attirerait sur son client une publicité négative et lui causerait, partant, un tort irréparable.

[18]      Je ne puis partager ce point de vue. Bien que le recours à la Loi puisse possiblement attirer une certaine attention, je ne peux me convaincre eu égard à l'ensemble des circonstances qu'un tel recours entraînerait chez le requérant un préjudice irréparable.

[19]      En conséquence, je ne peux considérer qu'un refus d'octroyer au requérant la suspension recherchée entraînerait en sa faveur un préjudice irréparable.

[20]      Advenant que j'aie tort de ne pas reconnaître au requérant un préjudice irréparable dans le fait de faire appel à la Loi le temps de faire entendre sa demande de contrôle judiciaire, je serais alors d'avis que l'intérêt des quelque cent quarante quatre (144) intimés à ce que soit maintenu le mécanisme de recouvrement du Code - intérêt qui prend ici une teinte d'intérêt public - subirait un tort irréparable si tel n'était pas le cas. L'équilibrage des inconvénients pencherait à mon sens en faveur des intimés. Bien que la plupart des intimés tenteront prochainement de faire valoir des privilèges maritimes dans le but de recouvrer leur créance, il n'est pas acquis que ces privilèges auront gain de cause. De plus, ces privilèges s'exerceront contre le produit de vente de navires, c'est-à-dire dans un contexte très différent du Code qui lui fait appel à la responsabilité personnelle des administrateurs.

[21]      Partant, pour ces motifs, cette requête pour l'obtention d'une ordonnance de suspension intérimaire sera rejetée.

Richard Morneau

     protonotaire

MONTRÉAL (QUÉBEC)

le 7 avril 1998

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-587-98

MICHEL CÔTÉ

     Requérant

ET

RON SMITH ET AL

     Intimés

ET

LA PROCUREURE GÉNÉRALE DU CANADA

     Intervenante

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 6 avril 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 7 avril 1998

COMPARUTIONS:

Me Laurent Fortier et Me Mireille Tabib pour le requérant

Me Raymond Piché pour l'intervenante

Me Bernard Gravel pour l'intimé Mario Hébert

Me Paul-E. Dion pour l'intimé Ron Smith

Me Gary H. Waxman pour l'intimé Wybouw Garfield

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Laurent Fortier et Me Mireille Tabib pour le requérant

Stikeman, Elliott

Montréal (Québec)

Me George Thomson pour l'intervenante

Sous-procureur général du Canada

Me Bernard Gravel pour l'intimé Mario Hébert

De Grandpré, Chaurette, Lévesque

Montréal (Québec)

Me Paul-E. Dion pour l'intimé Ron Smith

Montréal (Québec)

Me Gary H. Waxman pour l'intimé Wybouw Garfield

Montréal (Québec)

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