Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20021119

Dossier : T-2029-01

Ottawa (Ontario), le mardi 19 novembre 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON

ENTRE :

                                               WILLIAM JONATHAN BALTRUWEIT

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                   et

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                                  intervenante

                                                                     ORDONNANCE

            Il est fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire. La décision de la Commission canadienne des droits de la personne visée par la demande est annulée et l'affaire renvoyée à la Commission pour nouvelle décision.


Le demandeur a droit aux dépens, selon le barème ordinaire, de la part du défendeur, étant entendu que ces dépens seront réduits des montants sur lesquels l'avocat du défendeur et l'avocat de l'intervenante se seront entendus correspondant aux dépens du demandeur devant être assumés par l'intervenante. Les dépens que le défendeur versera au demandeur ne comprennent pas les dépens relatifs à la requête présentée par le défendeur pour demander l'ajournement de l'instruction de la présente demande qui était prévue pour le 9 septembre 2002 et à l'ordonnance connexe du 25 septembre 2002 qui accordait cette requête.

                                                                                                                                « Frederick E. Gibson »           

                                                                                                                                                                 Juge                          

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


Date : 20021119

Dossier : T-2029-01

Référence neutre : 2002 CFPI 2000

ENTRE:

                                               WILLIAM JONATHAN BALTRUWEIT

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                           LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                                                                                                                                      défendeur

                                                                                   et

                  LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

                                                                                                                                                  intervenante

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

INTRODUCTION


[1]                 Les présents motifs concernent la demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) par laquelle la Commission rejetait la plainte dans laquelle le demandeur alléguait avoir fait l'objet de discrimination en raison de son invalidité par le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Plus précisément, le demandeur soutient qu'il a fait l'objet de discrimination parce qu'il a été traité de façon préjudiciable et différemment des autres et parce que le Service ne lui a pas fourni un milieu de travail à l'abri de tout harcèlement. La Commission a agi aux termes du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne[1] (la Loi). La décision contestée est datée du 15 octobre 2001.

[2]                 Selon une ordonnance de notre Cour datée du 31 janvier 2002, l'instruction de la présente demande de contrôle judiciaire a été jointe à la demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur à l'égard d'une décision antérieure de la Commission, qui découlait de la même plainte et du même contexte, par laquelle la Commission renvoyait la plainte du demandeur à un conciliateur, conformément au paragraphe 47(1) de la Loi, dans le but de tenter d'en arriver à un règlement de la plainte[2]. La Commission n'a décidé de rejeter la plainte du demandeur qu'après l'échec de la conciliation. Par conséquent, lorsque les demandes de contrôle judiciaire réunies ont été instruites, l'avocat du demandeur a reconnu que la demande de contrôle judiciaire de la décision de renvoyer la plainte du demandeur devant un conciliateur était sans objet. Par conséquent, cette demande de contrôle judiciaire n'a pas été instruite et a été rejetée par une ordonnance datée du 29 octobre 2002, sans frais. À des fins de commodité, il a été ordonné qu'une copie des présents motifs soit versée dans le dossier de la Cour numéro T-1182-01.


LE CONTEXTE

[3]                 En 1991, le demandeur travaillait pour le SCRS et il a été diagnostiqué comme souffrant d'une maladie grave. Le demandeur s'est vu attribuer un congé à l'expiration duquel des efforts ont été déployés pour le réintégrer au sein du SCRS. Le 10 avril 1995, le demandeur a déposé trois (3) plaintes devant la Commission au sujet des efforts déployés pour sa réintégration. L'une de ces plaintes visait directement le SCRS. Les deux autres visaient deux employés du SCRS. Dans chacune des plaintes, le demandeur alléguait avoir fait l'objet de pratiques discriminatoires dans le cadre de son travail. La Commission a nommé un enquêteur qui a été chargé d'examiner les plaintes. Une fois l'enquête achevée, l'enquêteur a recommandé que la Commission nomme un conciliateur pour tenter de régler les plaintes. La Commission n'a pas accepté la recommandation de l'enquêteur et a rejeté les trois plaintes. Ces décisions de la Commission n'ont pas fait l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[4]                 En novembre 1998, le demandeur a présenté une quatrième plainte devant la Commission, qui cette fois-ci visait uniquement le SCRS. Malgré la tardiveté du dépôt de la plainte, la Commission a accepté de l'examiner. C'est la disposition finale de cette plainte qui est à l'origine de la présente demande de contrôle judiciaire.


[5]                 La Commission a chargé un enquêteur d'instruire la plainte. La Commission a avisé le SCRS de la plainte et a donné au SCRS la possibilité d'y répondre. Le SCRS a présenté sa réponse le 18 mars 1999. La Commission a transmis au demandeur un résumé de la réponse du SCRS et l'a invité à présenter des observations. Le 18 avril 2000, le demandeur a présenté une réponse après que la Commission ait chargé un autre enquêteur de l'examen de la plainte. Le 31 août 2000, la plainte du demandeur a de nouveau été attribuée à une autre personne, cette fois-ci à un enquêteur contractuel.

[6]                 Le 19 septembre 2000, le demandeur a fourni d'autres observations à l'enquêteur. L'enquêteur a présenté son rapport le 29 novembre 2000. Des exemplaires du rapport de l'enquêteur ont été transmis au SCRS et au demandeur. Voici quelles étaient les recommandations de l'enquêteur :

    ... que la Commission examine la plainte même si celle-ci est fondée sur des actes qui sont antérieurs de plus d'un an au dépôt de la plainte.

   ... que la Commission nomme un conciliateur pour tenter de régler la plainte pour les raisons suivantes :

                 - le plaignant a présenté des éléments indiquant qu'il était en mesure de reprendre le travail;

- le défendeur n'a pas permis au plaignant de reprendre son travail et lui a demandé de fournir d'autres renseignements médicaux. Lorsque le plaignant a refusé de fournir des renseignements supplémentaires, le défendeur a congédié le plaignant[3].


[7]                 Le 21 décembre 2000, le SCRS a transmis à la Commission des commentaires en réponse au rapport de l'enquêteur. Dans une lettre datée du 8 février 2001, la Commission a informé le demandeur qu'elle avait accepté les recommandations de l'enquêteur et avait nommé un conciliateur en vue de tenter d'en arriver à un règlement de la plainte. Comme nous l'avons noté plus haut dans les présents motifs, cette conciliation n'a pas débouché. Le rapport du conciliateur se lit en partie comme suit :

La plainte n'a pas été réglée et le dossier est renvoyé à la Commission pour décision.

Il est par conséquent recommandé

                 a) que conformément à l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission demande la nomination d'un Tribunal des droits de la personne pour qu'il fasse enquête sur la plainte, ou

                 b) que, conformément au sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission rejette la plainte parce que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci par un tribunal n'est pas justifié[4].

[8]                 Dans une lettre datée du 29 mars 2001, la Commission a remis au demandeur un exemplaire du rapport du conciliateur et l'a informé des possibilités qui s'offraient à elle, tel que décrit dans les recommandations du conciliateur. Elle a donné au demandeur et au SCRS la possibilité de présenter d'autres commentaires. Les deux parties se sont prévalues de cette possibilité et le demandeur a présenté deux séries d'observations écrites.

[9]                 Dans une lettre datée du 15 octobre 2001, la Commission a informé le demandeur de sa décision de rejeter la plainte[5]. C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.


LES ALLÉGATIONS DU DEMANDEUR ET LA DEMANDE DE TRANSMISSION DU DOSSIER

[10]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur allègue notamment ce qui suit :

[traduction]

- la [Commission] n'a pas respecté son obligation de faire enquête sur la plainte du demandeur;

- la [Commission] a affirmé que les allégations présentées par le demandeur reflétaient ses troubles mentaux et ne pouvaient être véridiques, ce qui est contraire au paragraphe 15(1) de la Charte des droits et libertés;

- la [Commission], sachant que les questions touchant la liberté et la sécurité de la personne prévues à l'art. 7 de la Charte faisaient partie des allégations du demandeur, a omis de confier la plainte du demandeur au Tribunal canadien des droits de la personne;

- l'enquête qu'a effectuée la [Commission] au sujet de la plainte du demandeur n'a pas été complète ni impartiale et le rapport de l'enquêteur comportait de graves lacunes;

- la [Commission] a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes et elle a agi de façon abusive ou arbitraire lorsqu'elle a rejeté la plainte du demandeur;

...[6]

[11]            Le demandeur allègue plus loin dans sa demande de contrôle judiciaire que la Commission a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes et a agi de façon abusive ou arbitraire en rejetant la plainte du demandeur et elle a causé à celui-ci un préjudice « ... constituant un abus de procédure et une violation des règles du droit administratif » [7].

[12]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, le demandeur demandait également que la Commission transmette une copie certifiée de tous les documents se trouvant dans le dossier concernant la plainte contestée, [traduction] « ... ou des documents se rapportant à la plainte déposée par le demandeur à la [Commission], qui ne se trouvent pas en la possession du demandeur mais en celle de la [Commission] et de les envoyer au demandeur et au greffe [de la Cour]... » [8].

[13]            La Commission a répondu à la demande présentée par le demandeur en vue d'obtenir une copie certifiée de son dossier en communiquant un dossier contenant, d'après un certificat :

[traduction] ... tous les documents que possédait la [Commission] lorsqu'elle a pris sa décision, datée d'octobre 2001, concernant [le demandeur et la plainte qu'il a déposée et qui est examiné ici] à l'exception d'un avis juridique daté du 7 mai 2001 qui est, d'après nous, assujetti au secret professionnel de l'avocat...[9].                                                                                                            [Nos soulignés]

LES QUESTIONS EN LITIGE ET LE RÔLE DE L'INTERVENANTE

[14]            Dans le mémoire des faits et du droit que le demandeur a présenté pour son propre compte, il décrit de la façon suivante les questions en litige dans la présente demande de contrôle judiciaire :

[traduction] La Commission a-t-elle violé les principes de l'équité procédurale lorsqu'elle a rejeté ma plainte?

La Commission a-t-elle fondé sa décision sur une instruction qui n'était pas suffisamment approfondie?


Les circonstances indiquent-elles que la Commission a rejeté ma plainte en commettant une erreur de droit parce qu'elle n'a pas examiné de façon détaillée les preuves et parce qu'elle a appliqué un fardeau de la preuve trop rigoureux pour déterminer s'il existait un motif raisonnable justifiant la nomination d'un tribunal[10]?

[15]            Lorsque l'affaire a été inscrite pour instruction devant moi, le demandeur était représenté par un avocat. Quelques jours auparavant, l'avocat dont les services venaient d'être retenus par le demandeur avait informé l'avocat du défendeur, qui à son tour en avait informé la Commission, qu'il avait l'intention, dans le cadre des questions en litige précédentes, d'insister sur une prétendue violation alléguée de l'équité procédurale, qu'avait commise la Commission lorsque celle-ci avait reconnu, comme elle l'avait fait dans son certificat visant le dossier, qu'elle possédait, au moment où elle a pris la décision, un avis juridique qui n'avait pas été communiqué au préalable au demandeur, et, peut-on penser, qui ne l'avait pas été non plus au SCRS, et au sujet duquel le demandeur n'avait donc pas eu la possibilité de présenter des observations.

[16]            L'avocate du défendeur affirme que cette question n'est pas bien exposée dans le mémoire des faits et du droit du demandeur, que le défendeur a subi un préjudice dans la mesure où son avocat n'a pas été en mesure de répondre à cet argument et qu'elle ne possédait pas en fait de documents émanant du demandeur qui définissent clairement cette question présentée pour le compte du demandeur. L'avocate du défendeur a demandé l'ajournement de l'instruction.

[17]            Un avocat a comparu pour le compte de la Commission et a déclaré que la question nouvellement soulevée par le demandeur était extrêmement importante pour la Commission et que celle-ci demandait donc le statut d'intervenant.

[18]            À la suite de tout cela, l'instruction de la demande de contrôle judiciaire a été ajournée au 28 octobre 2002, la Commission s'est vu accorder le statut d'intervenante à certaines conditions, et un calendrier a été fixé pour la communication de mémoires supplémentaires des faits et du droit pour le compte du demandeur et du défendeur et pour le dépôt et celle du mémoire des faits et du droit présenté par l'intervenante.

[19]            Dans le mémoire supplémentaire des faits et du droit déposé pour le compte du demandeur, son avocat expose les questions supplémentaires, ou mieux définies, que voici :

            - la norme de contrôle;

            - le droit d'être informé des faits à réfuter;

            - la divulgation des avis juridiques.


[20]            Au cours de l'audience que j'ai tenue le 28 octobre 2002, les débats ont principalement porté sur les nouvelles questions en litige, même si l'avocat du demandeur a présenté certaines observations sur les questions plus larges soulevées par le demandeur et l'avocat du défendeur a répliqué à ces commentaires. Je ne considère pas que les questions qu'a soulevées le demandeur ont été abandonnées et je les commenterai par conséquent brièvement, même si mon analyse porte principalement sur les questions nouvellement définies.

ANALYSE

            a)         La norme de contrôle

[21]            Dans Kollar c. Banque Canadienne Impériale de Commerce[11], mon collègue le juge O'Keefe a examiné la norme de contrôle applicable aux décisions de la Commission, comme celles examinées ici, aux paragraphes [34] et [35] de ses motifs :

La norme de contrôle qui est appliquée à une décision de la Commission dans le cas d'un rapport d'enquête a été énoncée par le juge MacKay dans les termes suivants dans le jugement Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. no 388 (QL), au paragraphe 12 :

L'arrêt Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l'énergie et du papier, [1999] 1 C.F. 113 (C.A.F.), à la p. 15, comporte une analyse sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission relativement au rapport d'enquête. Le juge Décary, s'exprimant au nom de la Cour, a noté entre autres :

                         La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l'exécution de sa fonction d'examen préalable au moment de la réception d'un rapport d'enquête. [...] Les motifs de renvoi à une autre autorité [...], de renvoi au président du Comité du Tribunal des droits de la personne [...] ou, carrément, de rejet [...] comportent, à divers degrés, des questions de fait, de droit et d'opinion [...], mais on peut dire sans risque de se tromper qu'en règle générale, le législateur ne voulait pas que les cours interviennent à la légère dans les décisions prises par la Commission à cette étape.

Il ressort clairement que la norme de contrôle applicable au rejet d'une plainte par la Commission exige que la Cour fasse preuve d'un très haut degré de retenue à l'égard de la décision de la Commission, à moins qu'il y ait violation des principes de justice naturelle ou absence d'équité procédurale, ou à moins que la décision ne soit pas étayée par les éléments de preuve dont dispose la Commission.

Cette décision a été confirmée dans l'arrêt Bourgeois c. Banque Canadienne Impériale de Commerce, [2000] A.C.F. no 1655 (QL). Au paragraphe 3, le juge Décary écrit, au nom de la Cour d'appel :


Le juge MacKay était d'avis, avec raison, que la norme de contrôle applicable au rejet d'une plainte par la Commission exige que la Cour fasse preuve d'un très haut degré de retenue à l'égard de la décision de la Commission, à moins qu'il y ait eu violation des principes de justice naturelle ou absence d'équité procédurale, ou à moins que la décision ne soit pas étayée par les éléments de preuve dont disposait la Commission. Il a conclu que les circonstances n'étaient pas telles qu'elles justifiaient l'intervention de la Cour.                                                                                                 [nos soulignés]

[22]            La décision qui précède n'a pas, pour l'essentiel, été contestée par les parties. Cela dit, l'avocat du demandeur soutient que l'omission de divulguer l'avis juridique que possédait la Commission et de lui fournir la possibilité d'y répondre constituait une « inéquité procédurale » et que, de toute façon, notre Cour ne peut décider si les éléments présentés à la Commission justifiaient la décision de rejeter la plainte du demandeur, sans prendre connaissance de l'avis juridique et des observations que l'avocat estime devoir présenter à la Cour en se basant sur cet avis.

            b)         L'obligation d'informer le plaignant et de lui donner la possibilité de présenter des observations

[23]            Dans Mercier c. Canada (Commission des droits de la personne)[12], le juge Décary, après avoir cité un long passage des motifs du juge Sopinka dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne)[13] qui à son tour citait les motifs de lord Denning dans Selvarajan c. Race Relations Board[14], a écrit à la page 12 :


Les exigences de l'équité procédurale, ainsi que le notait lord Denning, dépendent de la nature de l'enquête et de ses conséquences pour les personnes en cause. Fondamentalement, il s'agit dans chaque cas de s'assurer que l'administré a été informé de la substance de la preuve selon laquelle le tribunal entend se fonder pour prendre sa décision et qu'il s'est vu offrir la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.                                                                                   [nos soulignés]

[24]            L'avocat du demandeur soutient que ce principe s'étend aux avis juridiques, malgré le principe du « secret des délibérations » et celui du « secret professionnel de l'avocat » . Il appuie principalement cette proposition sur les arrêts Melanson c. New Brunswick (Workers' Compensation Board)[15] et Pritchard c. Ontario (Human Rights Commission)[16].

[25]            Les avocats du défendeur et de la Commission soutiennent tous deux que les décisions Melanson et Pritchard ne font pas autorité pour ce qui est de l'effet du secret professionnel sur l'obligation d'agir équitablement. Ils affirment que dans ces affaires, le principe du secret professionnel a été mal interprété, comme l'indiquent les citations suivantes des paragraphes [32] et [34] des motifs de Melanson :

[traduction] J'ai indiqué dans quel sens j'entendais trancher la présente espèce et je tiens à dire quelques mots au sujet des avis juridiques que la C.A.T. a refusé de produire. D'après moi, ces avis ne sont pas visés par le secret professionnel.

[...]


Les avis juridiques qui ont été fournis au sujet de l'interprétation de dispositions législatives se rapportant à une réclamation soumise à une des formations de la Commission ne sont pas visés par le secret professionnel. À mon avis, ces opinions professionnelles sont destinées à informer les employeurs, les employés et les personnes à leur charge au sujet du traitement des réclamations par la Commission des accidents du travail, et ne sont pas réservées à l'usage de la Commission. Lorsque la C.A.T. se trouve dans une position accusatoire ou a demandé un avis juridique portant sur des aspects non reliés à une réclamation, le secret professionnel s'applique à ces avis, par rapport aux autres parties. Cependant, lorsque l'avis juridique concerne l'interprétation de la loi applicable à la C.A.T. ou le devoir ou l'obligation de verser les réclamations, il ne faut pas refuser de les communiquer aux employeurs, aux employés ou aux personnes à leur charge.                                                                             [citations omises]

Les paragraphes [51] à [53] des motifs du juge MacFarland en première instance dans l'affaire Pritchard, précitée, vont à peu près dans le même sens.


[26]            Les avocats soutiennent que, dans Melanson, la Cour s'est fondée sur l'idée qu'il fallait que la Commission des accidents du travail, et en l'espèce, la Commission, d'un côté et le demandeur, et en l'espèce, le plaignant, aient des intérêts opposés pour que ce genre de document soit visé par le secret professionnel. Les avocats soutiennent que les juges qui ont prononcé les arrêts Melanson et Pritchard ont commis là une erreur, que leur raisonnement montre qu'ils ont mal conçu le « principe fondamental » qui sous-tend le secret professionnel de l'avocat. Les avocats soutiennent que ce n'est pas l'existence d'intérêts contraires mais que le « principe fondamental » qui sous-tend le secret professionnel de l'avocat est qu'un organisme, comme la Commission ici, a le droit, tout comme les particuliers et les personnes morales, à pouvoir communiquer franchement et sans restriction avec ses conseillers juridiques sans risquer que par la suite, comme ici dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, ces communications puissent être divulguées. Ils soutiennent que le principe du secret professionnel de l'avocat s'applique aux communications échangées entre un organisme comme la Commission et ses conseillers juridiques, et que le débat ne porte pas sur cet aspect. Dans Hammami c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia[17], le juge Harvey a écrit au paragraphe [29] :

[traduction] La protection qu'accorde le secret professionnel de l'avocat ne change pas selon l'identité du client, qu'il soit un particulier, une personne morale, un organisme gouvernemental, ou autre : [...]

Il cite à l'appui de cette affirmation l'arrêt : Stevens c. Canada (Premier ministre)[18].

[27]            L'avocat de la Commission soutient en outre que le principe du « secret des délibérations » est un aspect fondamental du fonctionnement, non seulement des tribunaux et des organismes apparentés, mais également de celui des tribunaux administratifs exerçant des activités décisionnelles, qu'il doit l'emporter sur le principe de l'équité qui exige que la personne dont les intérêts sont susceptibles d'être touchés par la décision d'un tribunal administratif a le droit de connaître les faits qu'elle doit réfuter et de présenter des observations à ce sujet.

[28]            Je suis convaincu qu'il n'est pas nécessaire d'aborder directement ces questions.


[29]            Il est incontestable que la notion du secret professionnel de l'avocat est fondamentale et s'applique à toutes les communications entre un client et un avocat dès qu'elle concerne la recherche d'un avis juridique. Le juge Arbour a rédigé des motifs supplémentaires en son nom et en celui du juge L'Heureux-Dubé, dans lesquels elle indique clairement qu'elle souscrit « entièrement à l'analyse [du juge Major parlant au nom des autres membres de la Cour] » et qu'elle disposerait du pourvoi comme il le fait, et elle écrit au paragraphe [112] des motifs dans l'arrêt R. c. Brown[19] :

Le privilège du secret professionnel de l'avocat revêt une importance fondamentale dans le système judiciaire canadien et c'est l'une de nos règles d'exclusion de la preuve les plus sacrées. Comme il ressort clairement de R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445 [...], rares sont les circonstances où ce privilège devra céder le pas, et ce uniquement en dernier recours, lorsque l'innocence de l'accusé est en jeu.                                                                           [citation omise]

Les faits dont était saisie la Cour suprême du Canada dans l'affaire Brown sont très différents des faits de la présente espèce puisqu'il s'agissait de l'exclusion de preuves dans un cas où l'innocence de l'accusé pouvait être en jeu; je suis néanmoins convaincu que certains passages de ces motifs sont instructifs lorsqu'il s'agit d'appliquer aux faits de l'espèce les principes régissant le refus de divulguer un document dans un souci d'équité, lorsque les droits fondamentaux du demandeur sont en jeu.

[30]            Dans l'arrêt Brown, le juge Major, parlant en son nom et en celui de six autres juges, a écrit aux paragraphes [1] à [3] des motifs :

Le présent pourvoi porte sur l'application du test énoncé dans R. c. McClure, [2001] 1 R.C.S. 445, [...] Il soulève de nouveau la question du conflit entre le privilège du secret professionnel de l'avocat et le droit à une défense pleine et entière que l'art. 7 de la Charte canadienne des droits et libertés garantit à l'accusé. Tous deux constituent des principes fondamentaux de notre système de justice. Dans McClure, la Cour reconnaît que le privilège du secret professionnel de l'avocat n'est pas absolu et que, dans de rares circonstances, il peut devoir céder le pas pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière contre une accusation criminelle.


Bien qu'il soit impossible d'accorder à l'un ou l'autre de ces principes un rang hiérarchique supérieur, comme j'espère l'expliquer dans les présents motifs, l'aversion des Canadiens pour les condamnations injustifiées fait légèrement pencher la balance en faveur de la démonstration de l'innocence de l'accusé, par rapport au privilège du secret professionnel. Une décision semblable visant à protéger l'identité des indicateurs a été prise pour des raisons d'intérêt public.

Cependant, McClure souligne également, au par. 5, que « les cas où le secret professionnel de l'avocat cède le pas sont rares et que le critère qui doit être respecté est rigoureux » . Bien que cela aille de soi, la Cour a réaffirmé que la moindre érosion du caractère absolu du privilège du secret professionnel de l'avocat ferait inévitablement du tort à la relation avocat-client. Il faut considérer McClure comme établissant que le critère à appliquer est celui de la démonstration de l'innocence de l'accusé, de telle sorte que le secret professionnel de l'avocat « devrait être levé seulement si des questions fondamentales touchant la culpabilité ou l'innocence de l'accusé sont en cause ou s'il y a un risque véritable qu'une déclaration de culpabilité injustifiée soit prononcée » [...] La levée de ce privilège est censée constituer une rare exception et n'être utilisée qu'en dernier recours.                                       [citations omises, nos soulignés]

La dernière phrase du deuxième paragraphe cité ici ne comporte aucune référence à la jurisprudence mais il semble qu'elle renvoie à la décision Personnes désirant adopter les pseudonymes de M. Untel et de Mme Unetelle c. Canada (Commissaire de la Gendarmerie royale du Canada)[20], et plus précisément, à l'issue de cette affaire et aux paragraphes [12] et [13] des motifs du juge Reed.

[31]            Le juge Arbour, comme nous l'avons noté plus haut, parlant en son propre nom et en celui du juge L'Heureux-Dubé dans des motifs supplémentaires, a écrit au paragraphe [116] :

L'idée que les tribunaux conserve le pouvoir discrétionnaire d'assouplir les règles de preuve lorsque l'innocence de l'accusé est en jeu puise son origine dans Williams. Dans cet arrêt, le juge Martin a statué que le droit de l'accusé de présenter une défense pleine et entière devait s'exercer dans le respect des règles régissant l'admission de la preuve [...] Le juge Martin a toutefois effectivement ajouté que le tribunal avait le pouvoir discrétionnaire résiduel d'assouplir des règles de preuve strictes en faveur de l'accusé lorsque cela est nécessaire pour éviter une erreur judiciaire [...] La thèse ainsi exprimée dans Williams trouve également appui dans les arrêts de la Cour d'appel de l'Ontario R. c. Rowbotham [...] et R. c. Finta [...], ainsi que dans l'arrêt Finta de la Cour, [...]                                                                                               [citations omises]


Voici comment le juge Arbour conclut aux paragraphes [119] et [120] :

Les préoccupations qui sous-tendent la règle établie dans McClure et qui ont conduit à la création d'une exception à l'une de nos règles d'exclusion les plus strictes devraient également présider à l'application d'autres règles pour le moins cruciales en vertu desquelles des renseignements sont soustraits au jury. Dans le cas du ouï-dire, les considérations relatives à la nécessité et à la fiabilité, qui traduisent le souci d'équité envers la partie adverse dans le système contradictoire, devraient être pondérées avec les dangers de condamner un innocent et l'ingérence indésirable dans les confidences faites à un avocat.

Je recommanderais donc que, dans le cadre des demandes de type McClure, les juges du procès examinent toutes les solutions de rechange à la levée du privilège dans le même esprit et avec la même souplesse que les considérations d'intérêt public qui ont présidé à la création de la règle énoncée dans cet arrêt.


[32]            Je souscris aux indications fournies par le juge Arbour dans le dernier paragraphe cité et conclus que, lorsqu'il s'agit, d'après les faits de l'espèce, d'assurer un traitement équitable à un demandeur qui tente de faire respecter ses droits fondamentaux en cherchant à connaître les faits et les arguments qu'il doit réfuter devant la Commission et à présenter les observations qu'il estime appropriées, il y a lieu d'examiner toutes les solutions de rechange à l'atténuation, et bien sûr à la levée, du privilège du secret professionnel de l'avocat. Je note les mots que le juge Major a repris dans l'arrêt McClure selon lesquels « les cas où le secret professionnel de l'avocat cède le pas sont rares et... le critère qui doit être respecté est rigoureux » , et que le secret professionnel de l'avocat « devrait être levé seulement si des questions fondamentales... » sont soulevées. Je me sens néanmoins conforté par le fait que le juge Major reconnaît que le secret professionnel de l'avocat n'est pas absolu et peut, même si cela doit être rare, céder le pas « ... pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière contre une accusation criminelle » . Il ne s'agit pas ici de défense pleine et entière contre une accusation criminelle, mais la situation contient des aspects parallèles : il s'agit de la possibilité pour le demandeur de faire valoir tous ses arguments dans un contraste où son allégation d'atteinte à ses droits fondamentaux risque d'être décidée, et c'est d'ailleurs ce qui est arrivé en l'espèce, de façon irrévocable en sa défaveur.

[33]            D'après les faits de l'espèce, je suis convaincu qu'il est préférable de porter légèrement atteinte au principe du secret professionnel de l'avocat plutôt que de réduire la portée de ce principe, ce qui, là encore j'en suis convaincu et je souscris sur ce point aux observations de l'avocat du demandeur, est bien l'effet des arrêts Melanson et Pritchard.

[34]            Je reviens brièvement à une citation des motifs du juge Décary dans l'arrêt Mercier, précité, qui figure un peu plus haut dans les présents motifs. Le juge Décary a écrit :

Fondamentalement, il s'agit dans chaque cas de s'assurer que l'administré a été informé de la substance de la preuve selon laquelle le tribunal entend se fonder pour prendre sa décision et qu'il s'est vu offrir la possibilité de répliquer à cette preuve et de présenter tous les arguments pertinents s'y rapportant.                                                                                                                                 [nos soulignés]


[35]            D'après les faits de l'espèce, il est incontestable que l'avis juridique en question est daté du 7 mai 2001, tandis que la décision examinée a été prononcée en octobre 2001. Aucun élément ne m'a été présenté qui permettrait de soutenir que la Commission n'a pas pu, entre la date de l'avis juridique et la date à laquelle elle a pris sa décision, divulguer au demandeur, ainsi qu'au SCRS, le fait qu'elle avait demandé un avis juridique sur les questions découlant de cette affaire ainsi que la substance de la question soumise aux avocats, sans nécessairement aller jusqu'à en communiquer la formulation exacte. Cette information, accompagnée d'une déclaration assurant le demandeur et le SCRS que l'avis devait se fonder sur tous les documents éventuellement soumis à la Commission, à l'exception de l'avis juridique fourni en réponse, et sur rien de plus, aurait, j'en suis convaincu, informé le demandeur et le SCRS de, pour reprendre les paroles du juge Décary, « la substance » des preuves supplémentaires sur lesquelles la Commission envisageait de fonder sa décision. Le demandeur et le SCRS auraient alors pu présenter, par l'intermédiaire de leur avocat ou autrement, des observations, notamment au sujet de la réponse à apporter à la question posée aux avocats et sa pertinence, ou son absence de pertinence, par rapport à la décision que la Commission serait appelée à prendre. La Commission aurait ainsi divulgué « la substance de la preuve » et, j'en suis convaincu, elle aurait donné aux intéressés la possibilité de présenter des observations, sans qu'il y ait véritablement violation du privilège du secret professionnel de l'avocat.

[36]            Quant au secret des délibérations, je suis convaincu que, d'après les faits de l'espèce, cette question n'est pas en litige.


[37]            En me basant sur ce qui précède, je conclus que la Commission n'a pas respecté l'obligation de respecter l'équité procédurale qu'elle avait envers le demandeur en omettant, alors qu'elle avait la possibilité raisonnable de le faire sans véritablement porter atteinte au secret professionnel de l'avocat, d'informer le demandeur de la substance des preuves sur lesquelles la Commission aurait pu se fonder pour rendre sa décision et de donner au demandeur la possibilité raisonnable de commenter ces preuves et de présenter tous les arguments s'y rapportant. Je suis convaincu que la conclusion qui précède apporte non seulement une réponse complète aux questions soulevées pour le compte du demandeur concernant l'obligation de la Commission d'informer le demandeur des faits à réfuter et de lui fournir la possibilité de les commenter mais rend également sans objet la question soulevée pour le compte du demandeur, à savoir si l'avis juridique dont disposait la Commission et la question exacte qui en était à l'origine doit être divulguée pour permettre à notre Cour de se prononcer en toute connaissance de cause sur cette demande.

            c)         Les autres questions soulevées par le demandeur


[38]            Comme nous l'avons indiqué plus haut dans les présents motifs, le demandeur a soulevé, pour son propre compte, des questions qui portent sur les aspects suivants : l'omission de l'enquête d'aborder un des aspects clés de sa plainte, à savoir, son allégation de mauvaise foi de la part du SCRS et le défaut de l'enquêteur d'interroger des témoins clés sur cette question et donc, implicitement l'omission de répondre à son allégation de discrimination fondée sur l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés[21] et sur l'article 7 de la Charte, qui reconnaît le droit à la sécurité de la personne et énonce qu'il ne peut être porté atteinte à ce droit qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale, l'insuffisance des motifs fournis par la Commission pour rejeter la plainte et le défaut de la Commission d'examiner « de façon approfondie » les preuves qui lui avaient été présentées et selon lesquelles le comportement du SCRS était vicié par « une touche subtile de discrimination » . Toutes ces questions ont été brièvement débattues devant moi. Je vais également les traiter brièvement.

[39]            Dans la plainte qu'il a déposée devant la Commission et qui a débouché sur la décision dont il s'agit ici, le demandeur a allégué, du moins de façon implicite, que le SCRS avait fait preuve de mauvaise foi et de discrimination dans son traitement du demandeur pendant toute la période qui a suivi sa maladie jusqu'à son congédiement[22]. Le demandeur soutient que la Commission n'a pas respecté l'obligation que lui imposent les articles 7 et 15 de la Charte, à savoir de veiller à ce que l'enquête effectuée, pour le compte de la Commission, au sujet de sa plainte examine effectivement ces allégations. Le demandeur soutient que l'omission de procéder à une enquête rigoureuse est établie par le fait que l'enquêteur n'a pas interrogé les témoins indiqués par le demandeur qui auraient, d'après lui, fait des déclarations qui auraient établi toutes les allégations du demandeur, ou qui les auraient corroborées.

[40]            Dans R. c. 974649 Ontario Inc.[23], le juge en chef McLachlin, parlant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes [36] et [39] :


Le Parlement et les législatures provinciales fondent leurs lois sur la prémisse que les tribunaux judiciaires et administratifs oeuvrent au sein d'un système de justice régit par les droits et les normes constitutionnels consacrés par la Charte. L'approche « fonctionnelle et structurelle » reflète cette prémisse. Elle repose sur la théorie voulant que, lorsque le Parlement ou une législature confère à un tribunal judiciaire ou administratif une fonction soulevant des questions relatives à la Charte et le dote de procédures propres à lui permettre de trancher de façon juste et équitable ces questions incidentes, il faut présumer que le législateur voulait que le tribunal exerce ce pouvoir.

...

Il s'ensuit que les pouvoirs réparateurs des tribunaux judiciaires et administratifs - même les tribunaux antérieurs à la Charte - doivent être interprétés à la lumière de l'édiction de ce texte. L'édiction de la Charte est indubitablement un fait marquant de notre histoire et de notre tradition juridiques - elle a jouté une « nouvelle dimension au système judiciaire canadien » [...] en introduisant un nouveau régime de droits et réparations constitutionnels. La Charte a garanti aux individus de nouveaux droits opposables aux autorités gouvernementales, de sorte qu'il n'y a « [r]ien d'étonnant à ce que des individus, qui prétendent avoir ces droits, les réclament dans des organismes qui ont été créés pour départager de façon expéditive leurs droits vis-à-vis [de] l'administration » [...] En d'autres termes, par suite de l'édiction de la Charte, de nombreux tribunaux judiciaires et administratifs ont nécessairement été touchés par le nouveau régime de droits et réparations établi par la Charte. Les pouvoirs d'origine législative confiés à ces organismes doivent être interprétés à la lumière de cette profonde évolution de la situation juridique au Canada.                        [citations omises]

[41]            L'avocat du demandeur soutient que le droit du demandeur à la sécurité de sa personne et à ce qu'il n'y soit porté atteinte qu'en conformité avec les principes de justice fondamentale garanti par l'article 7 de la Charte et son droit à la protection et au bénéfice de la loi indépendamment de toute discrimination fondée sur des motifs énumérés et analogues reconnus par le paragraphe 15(1) de la Charte ont été violés, ou du moins n'ont pas été intégralement respectés.


[42]            Il n'est pas contesté que l'enquêteur qui a instruit la plainte à l'origine de la décision attaquée n'a pas interrogé tous les témoins proposés par le demandeur mais je suis convaincu qu'il est également incontestable que l'enquêteur qui agit pour le compte de la Commission a le droit, et même l'obligation, de définir le cadre de son enquête, tout en respectant les valeurs garanties par la Charte et, tout en contribuant au traitement efficace et rapide des plaintes déposées devant la Commission.

[43]            Dans Connolly c. Société canadienne des postes[24], le juge MacKay a écrit aux paragraphes [26] à [28] :

En définitive, il n'est pas surprenant que la Cour ne trouve aucun fondement qui l'autoriserait à annuler la décision de la Commission. Dans l'affaire Walker c. Randall..., M. le juge Teitelbaum s'est exprimé ainsi :

41. Si, de fait, la plainte porte sur la rigueur dans la préparation du rapport d'enquête, alors la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Le contrôle judiciaire n'est pas la procédure appropriée pour contester la « rigueur » du travail d'enquête d'un enquêteur sur une plainte.

Puis :

53. ... Je suis convaincu qu' « au stade de l'examen préalable » de l'enquête, à la suite de la réception d'une plainte de discrimination, la Commission a un « degré remarquable de latitude » en ce qui a trait au type d'enquête qui doit être tenue avant qu'elle puisse conclure que la plainte ne devrait pas être déférée à un tribunal pour instruction.

Dans l'affaire Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne)..., M. le juge Nadon s'est exprimé ainsi :

Il faut faire montre de retenue judiciaire à l'égard des organismes décisionnels administratifs qui doivent évaluer la valeur probante de la preuve et décider de poursuivre ou non les enquêtes. Ce n'est que lorsque des omissions déraisonnables se sont produites, par exemple lorsqu'un enquêteur n'a pas examiné une preuve manifestement importante, qu'un contrôle judiciaire s'impose. Un tel point de vue correspond à la retenue judiciaire dont la Cour suprême a fait preuve à l'égard des activités d'appréciation des faits du Tribunal du droit de la personne dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Mossop,...

À mon avis, puisqu'il convient de déférer la manière dont la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire, et puisqu'il n'est pas établi que, dans sa décision, la Commission a commis une erreur de droit, qu'elle a apprécié les faits d'une manière manifestement déraisonnable ou qu'elle a manqué à l'équité procédurale, la Cour n'a aucun fondement sur lequel annuler la décision de la Commission.                                 [citations omises]

[44]            Je suis convaincu que les commentaires qui précèdent sont également applicables en l'espèce et que le demandeur n'a pas établi qu'il y avait sur ce point un motif de contrôle judiciaire. Le demandeur a eu toute latitude de présenter des observations au sujet du rapport d'enquête. Il s'est prévalu de cette possibilité et ses observations ont été transmises à la Commission. Les preuves présentées ne me permettent pas de conclure que la Commission n'a pas tenu compte des préoccupations du demandeur. Vu l'absence de telles preuves, le demandeur ne peut obtenir gain de cause sur ce point.

[45]            Le demandeur et son avocat ont également soutenu à l'audience que la Commission n'avait pas examiné « de façon approfondie » le rapport d'enquête qui lui avait été présenté et qu'elle n'avait pas respecté, ce faisant, ses obligations envers le demandeur. Compte tenu des documents qui m'ont été présentés et de la brève analyse que je viens de faire au sujet des allégations concernant le caractère insuffisant de l'enquête à l'origine du rapport présenté à la Commission, je ne vois rien qui permettrait d'accorder une mesure de redressement pour ce motif.


[46]            Enfin, le demandeur et son avocat soutiennent que la lettre dans laquelle la Commission a communiqué sa décision ne respectait pas son obligation d'équité envers le demandeur, en particulier, compte tenu du fait que la Commission semble s'être basée sur un avis juridique qui n'avait pas été divulgué au demandeur et à l'égard duquel celui-ci n'avait pu présenter des observations. L'avocat du demandeur a reconnu que ce moyen était, pour l'essentiel, un moyen subsidiaire par rapport au moyen analysé plus haut de façon plus approfondie et qui concernait la violation de l'équité. Compte tenu des conclusions auxquelles j'en suis arrivé au sujet de la violation de l'équité, je n'examinerai pas plus avant le présent moyen.

CONCLUSION

[47]            Compte tenu de l'analyse qui précède, étant donné qu'il y a eu violation de l'équité procédurale, il sera fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire. La décision de la Commission examinée sera annulée et l'affaire renvoyée à la Commission pour une nouvelle décision.

[48]            Le demandeur sollicite une autre réparation, en particulier une ordonnance enjoignant à la Commission de renvoyer la plainte à un tribunal conformément à la Loi ou, subsidiairement, une ordonnance enjoignant à la Commission d'examiner la plainte du demandeur conformément aux directives fournies par la Cour. Je suis convaincu que notre Cour n'a pas le pouvoir d'obliger la Commission à renvoyer une plainte devant le Tribunal canadien des droits de la personne. Cette décision appartient à la Commission. Outre les indications déjà contenues dans le présent motif dont peut s'inspirer la Commission, je ne vois rien dans les documents et les observations qui m'ont été présentés qui justifierait que notre Cour fournisse d'autres directives à la Commission.


LES DÉPENS

[49]            Le demandeur demande que les dépens de la présente demande lui soient versés [traduction] « ... en fonction des coûts exposés » . L'avocat du demandeur demande les dépens mais n'a pas fait d'état de circonstances particulières qui justifieraient que les dépens soient calculés autrement que de la façon habituelle. L'avocate du défendeur soutient qu'en cas de succès du demandeur dans la présente demande de contrôle judiciaire, il ne devrait pas y avoir d'ordonnance relative aux dépens mais là encore elle n'a mentionné aucune circonstance spéciale qui justifierait une telle ordonnance.

[50]            Les obligations de l'intervenante en matière de dépens ont été abordées dans une ordonnance antérieure de la Cour qui lui accordait le statut d'intervenante. Le paragraphe 6 de cette ordonnance se lit ainsi :

La Commission assumera les dépens de l'intervenante relatifs à la présente requête ainsi que les frais encourus par le demandeur et attribuables à la Commission en qualité d'intervenante; ...

[51]            La question des dépens relatifs à la motion d'ajournement mentionnée plus haut dans les présents motifs a été mise de côté pour être réglée à cette étape-ci.


[52]            Le demandeur aura droit aux dépens, selon le barème habituel, contre le défendeur, le montant de ces dépens étant réduit du montant convenu par l'avocate du défendeur et l'avocat de l'intervenante correspondant aux dépens du demandeur qui doivent être assumés par l'intervenante. Les dépens que le demandeur pourra recouvrer du défendeur ne comprendront pas les coûts de la requête antérieure du défendeur présentée en vue d'obtenir l'ajournement de l'audience de la présente affaire.

                                                                            « Frederick E. Gibson »           

                                                                                                             Juge                          

Ottawa (Ontario)

le 19 novembre 2002

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-2029-01

INTITULÉ :                                           William Jonathon Baltruweit c. Le procureur général du Canada

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 le 30 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE GIBSON

DATE DES MOTIFS :                        le 19 novembre 2002

COMPARUTIONS :

Clayton Ruby                                                                           POUR LE DEMANDEUR

Brian Evernden

Monika Lozinska                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

Andrea Wright                                                                         POUR L'INTERVENANTE, LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ruby & Edwardh

Toronto ON                                                                            POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR

Commission canadienne des droits de la personne              POUR L'INTERVENANTE



[1]         L.R.C. (1985), ch. H-6.

[2]         Numéro de dossier : T-1182-01.

[3]       Dossier de demande du demandeur, volume I, onglet 3, page 89.

[4]       Dossier de demande du demandeur, volume 1, onglet 3, page 48.

[5]         Dossier de demande du demandeur, volume 1, onglet 3, page 40.

[6]       Dossier de demande du demandeur, volume I, onglet 1, page 3.

[7]         Dossier de demande du demandeur, volume I, onglet 1, page 5.

[8]         Dossier de demande du demandeur, volume I, onglet 1, page 5.

[9]       Dossier de demande du demandeur, volume I, onglet 3, page 44.

[10]      Dossier de demande du demandeur, volume II, onglet 5, page 130.

[11]       [2002] A.C.F. no 1125, (en direct (QL) (1re inst.).

[12]       [1994] 3 C.F. 3 (C.A.).

[13]       [1989] 2 R.C.S. 879.

[14]       [1976] 1 All E.R. 12 (C.A.).

[15]       [1994] N.B. J. No. 160 (C.A.); autorisation d'appeler devant la Cour suprême du Canada refusée, [1994] S.C.C.A. No. 266.

[16]       [2001] O.J. No. 2788 (C. div.); confirmé sous le même intitulé, [2002] O.J. No. 1169, (C.S.J.); appel devant la Cour d'appel de l'Ontario; entendu le 18 septembre 2002, no de dossier C-38105; jugement pris en délibéré.

[17]       (2000), 25 Admin. L.R. 207 (C.S. C.-B.).

[18]       [1998] 4 C.F. 89, p. 105 (C.A.).

[19]       (2002), 210 D.L.R. (4th) 341 (C.S.C.), non cité devant moi.

[20]       [1998] 2 C.F. 252 (1re inst.).

[21]       Partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, (L.R.C. (1985), annexe II, no 44), annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.), 1982, ch. 11.

[22]       Dossier de demande du demandeur, volume 1, onglet 2, pages 9 à 11.

[23]       (2001), 159 C.C.C. (3d) 321 (C.S.C.).

[24]       [2002] A.C.F. no 242, (en direct : QL) (1re inst.).


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.