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Date : 20050207

Dossier : IMM-2589-04

Référence : 2005 CF 188

Toronto (Ontario), le 7 février 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

                                                   SRITHARAN SINNATHAMBY

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                À la fin de l'audition de la demande d'asile de Sritharan Sinnathamby, le président d'audience a rendu une décision de vive voix par laquelle il a rejeté la revendication de M. Sinnathamby. Alors que le président s'apprêtait à rédiger ses motifs, l'enregistrement des motifs qu'il avait exposés verbalement n'a pu être trouvé. En conséquence, il a tenté de reformuler les motifs en question dans sa décision écrite en se fondant sur ses notes et sur les propos qu'il se rappelait avoir tenus à l'audience.


[2]                Peu avant l'audition de la présente demande de contrôle judiciaire, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a trouvé l'enregistrement manquant, qui a depuis été transcrit.

[3]                M. Sinnathamby sollicite maintenant le contrôle judiciaire de la décision de la Commission, soutenant qu'il existe des différences importantes entre les motifs écrits de la Commission et ceux qui avaient été prononcés à l'audience. Selon M. Sinnathamby, en raison de ces différences, il est impossible de savoir avec certitude pourquoi le président d'audience a rejeté sa demande d'asile.

[4]                M. Sinnathamby reproche également à la Commission d'avoir mal évalué sa crédibilité.

Argument functus officio

[5]                Le défendeur soutient que le président d'audience est devenu functus officio immédiatement après avoir rendu sa décision de vive voix. En conséquence, selon l'avocat, le commissaire n'avait pas le pouvoir de rendre une décision par écrit et la Cour ne devrait tout simplement pas tenir compte du second énoncé de motifs. Le défendeur fait valoir que la demande devrait être tranchée uniquement en fonction de la décision de la Commission qui a été rendue de vive voix.

[6]                À l'appui de cet argument, le défendeur invoque le jugement que la Cour d'appel fédérale a rendu dans Acvi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1424.

[7]                Je ne suis pas d'accord avec le défendeur quant à cet argument.

[8]                Lorsqu'un arbitre rend une décision sans qu'il y ait quoi que ce soit à compléter, il est functus officio et n'est pas habilité à prendre la moindre mesure supplémentaire dans l'affaire : Slaight Communications Inc. c. Davidson, [1985] 1 C.F. 253 (C.A.), confirmé par [1989] 1 R.C.S. 1038.

[9]                Est-il permis de dire en l'espèce que le commissaire n'avait rien à compléter après avoir rendu sa décision de vive voix? Pour répondre à cette question, il est nécessaire de tenir compte des dispositions de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (LIPR) et des Règles de la Section de la protection des réfugiés (les Règles).

[10]            L'alinéa 169d) de la LIPR énonce que le rejet de la demande d'asile par la Section de la protection des réfugiés est motivé par écrit et que les motifs sont transmis au demandeur et au ministre.


[11]            Cette exigence est traduite dans les Règles. Bien que le paragraphe 63(2) des Règles prévoie qu'une décision rejetant une demande d'asile prend effet au moment où elle est prononcée, si elle est rendue de vive voix, le paragraphe 61(2) exige que des motifs écrits soient communiqués en cas de rejet d'une demande d'asile.

[12]            Il est donc évident qu'un membre de la Commission a non seulement le pouvoir de rendre une décision écrite après avoir prononcé de vive voix les motifs de sa décision, mais qu'il est tenu de le faire lorsqu'il rejette la demande d'asile.

[13]            À mon avis, l'arrêt Acvi n'est pas utile pour le défendeur. La Cour fédérale n'a pas dit dans son jugement qu'un membre est functus officio dès qu'il a rendu une décision de vive voix. Elle a plutôt affirmé que la communication de vive voix des motifs constitue une mesure suffisamment formelle indiquant la décision définitive de la Commission et que ni le président d'audience ni les commissaires ne sont autorisés à changer d'avis après cette communication.

[14]            Il ne s'ensuit pas pour autant que les présidents d'audience ne peuvent consigner par écrit après l'audience les décisions qu'ils ont rendues de vive voix. Effectivement, si je souscrivais à l'argument du défendeur, la Commission ne pourrait, comme la Loi l'y oblige, communiquer les motifs écrits au soutien du rejet d'une demande d'asile après avoir rendu sa décision de vive voix.

[15]            Je suis donc convaincue que le président d'audience avait le pouvoir et le devoir de consigner par écrit après l'audience la décision qu'il avait rendue de vive voix.

[16]            Il faut maintenant trancher la question de la mesure dans laquelle la décision écrite doit être conforme aux motifs communiqués verbalement.

Dans quelle mesure les motifs écrits de la décision de la Commission doivent-ils être conformes aux motifs communiqués verbalement?

[17]            Il appert clairement de l'arrêt Acvi ainsi que d'autres décisions de la Cour fédérale, notamment Thanni c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 582, Vaszilyova c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1994] A.C.F. no 1027, Islamaj c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) et Isiaku c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 46 Imm. L.R. (2d) 79 (C.F. 1re inst.), décision confirmée par [1999] A.C.F. no 1452 (C.A.F.), que même si la Commission peut communiquer des motifs par écrit après avoir rejeté une demande d'asile à l'audience, les motifs écrits doivent être conformes aux motifs prononcés verbalement.

[18]            Les motifs que la Commission invoque pour rejeter une demande d'asile doivent être suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre au demandeur de comprendre pourquoi sa revendication a échoué : voir Mehterian c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] A.C.F. no 545 (C.A.F.).


[19]            La jurisprudence susmentionnée indique clairement que, lorsque des différences importantes ou significatives existent entre les motifs exposés verbalement et les motifs consignés par écrit qui constituent le fondement du rejet d'une demande d'asile, la décision sera infirmée, parce que le demandeur ne pourra connaître avec certitude les raisons pour lesquelles sa demande a été rejetée.

[20]            La question est donc de savoir s'il y avait des différences importantes ou significatives entre les motifs que la Commission a prononcés à l'audience et ceux qu'elle a communiqués par écrit.

En quoi les deux énoncés des motifs sont-ils différents?

[21]            Un examen des motifs prononcés à l'audience et de ceux qui ont été communiqués par écrit indique des différences importantes entre eux. Ainsi, dans les premiers, il n'est nullement question d'une possibilité de refuge intérieur pour M. Sinnathamby alors que, dans les seconds, la Commission souligne que, si M. Sinnathamby devait retourner au Sri Lanka, il pourrait trouver un refuge sûr à Colombo.

[22]            Cette incohérence est particulièrement troublante, en raison du fait que, d'après les motifs donnés verbalement, la Commission estimait apparemment que M. Sinnathamby pouvait retourner en toute sécurité à sa maison familiale située à Batticaloa. En revanche, les commentaires formulés dans les motifs écrits au sujet d'une possibilité de refuge intérieur donnent à entendre que le tribunal avait peut-être des préoccupations au sujet de la sécurité de M. Sinnathamby à Batticaloa.

[23]            Un examen des deux énoncés des motifs révèle d'autres incohérences en ce qui concerne l'évaluation de la crédibilité de M. Sinnathamby, l'importance que la Commission a accordée à la capacité de celui-ci d'obtenir un visa d'étudiant lui permettant de quitter le Sri Lanka et la question de savoir s'il était une personne à protéger au sens de l'article 97 de la LIPR.

[24]            À mon avis, ces différences sont telles qu'il n'est pas possible de connaître avec certitude les raisons pour lesquelles la demande d'asile de M. Sinnathamby a été rejetée. En conséquence, la décision de la Commission ne peut être confirmée.

[25]            Compte tenu de la conclusion à laquelle j'en arrive au sujet de la première question, il n'est pas nécessaire d'examiner les arguments de M. Sinnathamby quant aux erreurs que la Commission aurait commises relativement à l'évaluation de la crédibilité du demandeur.

Conclusion

[26]            Pour les motifs exposés ci-dessus, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification


[27]            L'avocate de M. Sinnathamby a proposé une question à faire certifier si je devais conclure que le président d'audience est devenu functus officio immédiatement après avoir rendu sa décision de vive voix. Selon l'avocate, cette conclusion s'éloignerait de la règle de droit en vigueur et soulèverait une question grave de portée générale.

[28]            Je suis d'avis que la règle de droit est bien établie sur ce point et, en conséquence, je refuse de certifier une question.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué aux fins d'une nouvelle décision.

2.                   Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

                                                                                                                                  « A. Mactavish »              

                                                                                                                                                     Juge                       

Traduction certifiée conforme

D. Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-2589-04

INTITULÉ :                                        SRITHARAN SINNATHAMBY

demandeur

c.

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                  TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 3 FÉVRIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        MADAME LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                       LE 7 FÉVRIER 2005

COMPARUTIONS :

Barbara Jackman                                               POUR LE DEMANDEUR

Ladan Shahrooz                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackson & Associates

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                    POUR LE DÉFENDEUR

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