Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20040818

Dossier : T-686-04

Référence : 2004 CF 1145

Toronto (Ontario), le 18 août 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                                       OMAR AHMED KHADR,

représenté par sa tutrice à l'instance FATMAH ELSAMNAH,

FATMAH ELSAMNAH, MUHAMMED ELSAMNAH et

ABDURHAMAN KHADR

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                     LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les présents motifs font suite à la requête présentée par le défendeur en vue d'obtenir une ordonnance de radiation visant tout ou partie de l'avis de demande dans le dossier T-686-04.


LE CONTEXTE

[2]                Omar Khadr est un citoyen canadien de 17 ans qui est détenu depuis 2002 par le gouvernement américain en raison de sa participation alléguée aux activités des forces d'Al-Quaida en Afghanistan. Il est détenu à l'heure actuelle dans le camp Delta à Guantanamo Bay.

[3]                Les demandeurs soutiennent qu'Omar Khadr a été interrogé plusieurs fois pendant sa détention, qu'il n'a pas été traduit devant un tribunal indépendant, qu'il s'est vu refuser l'accès à des représentants consulaires, à ses avocats et à sa famille. Ils soutiennent qu'il fait face maintenant à des poursuites devant un tribunal militaire qui pourraient déboucher sur sa condamnation à mort pour des événements qui se sont produits alors qu'il avait 15 ans.

[4]                La demande T-686-04 a été introduite par la famille d'Omar Khadr dans le but d'obliger le gouvernement à fournir à ce dernier des services consulaires et diplomatiques. Les demandeurs soutiennent que le ministre a omis de lui fournir ces services et qu'il a ainsi agi à l'encontre de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, L.R.C. 1985, ch. E-22 (LAECI) et a violé les droits que possède Omar Khadr et sa famille aux termes de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte).

[5]                Les demandeurs soutiennent également qu'à deux reprises au moins, des agents du gouvernement canadien ont interrogé Omar Khadr à Guantanamo Bay et ont ensuite transmis les renseignements obtenus de cette façon à des officiers américains. Les demandeurs sollicitent divers types de redressement concernant ces interrogatoires, notamment un jugement déclarant qu'il y a eu violation de la Charte. Dans une action connexe, T-536-04, les demandeurs demandent des réparations semblables, outre des dommages-intérêts, à l'égard de ces interrogatoires.

[6]                Dans la présente requête, le défendeur sollicite une ordonnance de radiation de l'avis de demande pour le motif qu'il contrevient à l'article 302 des Règles de la Cour fédérale (1998), (DORS/98-106), qu'il constitue un abus de procédure étant donné qu'il est très semblable à la déclaration déposée dans le dossier T-536-04 et ne révèle aucune cause d'action. Le défendeur a mentionné qu'une requête semblable serait présentée à la fin du mois concernant l'action T-536-04.

LES QUESTIONS EN LITIGE

1.          Y a-t-il lieu de radier, en tout ou en partie, l'avis de demande pour la raison qu'il a été déposé en contravention des Règles ou constitue un abus de procédure?

2.          Y a-t-il lieu de radier, en tout ou en partie, l'avis de demande parce qu'il ne révèle aucune cause d'action?


ANALYSE

Question en litige 1 : Y a-t-il lieu de radier en tout ou en partie l'avis de demande pour la raison qu'il a été déposé en contravention des Règles ou constitue un abus de procédure?

[7]                Dans le dossier T-686-04, les demandeurs sollicitent deux types de redressement :

1.          une ou plusieurs ordonnances de mandamus obligeant le ministre à fournir à Omar Khadr les services consulaires décrits dans la publication du ministère intitulée « Guide à l'intention des Canadiens emprisonnés à l'étranger » (le ministre s'est contenté de signaler, dans des lettres datées du 3 juin 2004, que des observations avaient été transmises aux officiers américains concernant le traitement que subissait M. Khadr);

2.          une ou plusieurs ordonnances interdisant au ministre ou aux fonctionnaires agissant en son nom d'interroger Omar Khadr à Guantanamo Bay (les demandeurs soutiennent que ces interrogatoires constituent une violation de ses droits constitutionnels) et un jugement déclarant que les interrogatoires antérieurs constituent une violation de la Charte.


[8]                Pour ce qui est du second type de redressement, les demandeurs sollicitent dans la présente demande pratiquement les mêmes redressements que ceux qui sont demandés dans la déclaration dans le dossier T-536-04, à savoir un jugement déclarant qu'il y a eu violation de la Charte et une injonction interdisant au défendeur d'assister le gouvernement des États-Unis dans les poursuites qui pourraient être intentées à l'avenir contre Omar Khadr.

[9]                La demande T-686-04 et l'action T-536-04 ne peuvent procéder de cette façon pour deux raisons. Tout d'abord, la règle 302 interdit de contester deux décisions dans la même demande à moins qu'il ne puisse être démontré que les décisions en question faisaient partie d'une même série d'actes (Truehope Nutritional Support Ltd. c. Canada (Procureur général), [2004] A.C.F. n ° 806). En l'espèce, la première série de décisions que contestent les demandeurs concerne l'omission du ministre de fournir à Omar Khadr les services consulaires décrits dans le « Guide à l'intention des Canadiens emprisonnés à l'étranger » . Ces décisions touchent certains aspects de la façon dont le gouvernement américain semble traiter M. Khadr. La seconde série de décisions contestées par les demandeurs concerne les interrogatoires d'Omar Khadr menés par des fonctionnaires du gouvernement canadien à Guantanamo Bay. Ces décisions concernent des actes qu'a pu poser M. Khadr et des renseignements qu'il est susceptible de posséder.

[10]            Étant donné que ces deux séries de décisions ont été prises à des époques différentes et touchent des aspects différents, il n'est pas possible d'affirmer qu'elles constituent « une même série d'actes » . Par conséquent, l'avis de demande serait contraire à la règle 302, s'il n'était pas modifié.

[11]            Deuxièmement, le fait pour un demandeur de contester la même décision et de demander le même redressement dans deux instances parallèles constitue un abus de procédure. Comme l'a déclaré le juge Lutfy, maintenant juge en chef, dans NFC Canada Ltd. c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. n ° 454, au paragraphe 22 :

Les questions de fait en cause se chevauchent de façon importante. La présentation de la preuve dans les deux instances ferait donc double emploi. Il faut écarter la possibilité que des décisions contradictoires soient rendues...

En l'espèce, il y aurait dédoublement des instances si les demandeurs étaient autorisés à contester la décision du ministre au sujet des interrogatoires à la fois dans l'action et dans la demande.

[12]            Compte tenu de ce qui précède, la bonne administration de la justice et le souci d'utiliser efficacement les ressources judiciaires exigent que soient radiées les parties de l'avis de la demande qui concernent les interrogatoires. De cette façon, conformément à la règle 302, la demande ne portera que sur une seule décision. En outre, cela évitera tout dédoublement des instances en veillant à ce que toutes les questions touchant les interrogatoires soient abordées dans la même instance. Par conséquent, toutes les questions concernant les interrogatoires seront désormais abordées dans l'action T-536-04 et toutes les autres questions dans la demande T-686-04.


Question en litige 2 : Y a-t-il lieu de radier en tout ou en partie l'avis de demande parce qu'il ne révèle aucune cause d'action?

[13]            Le tribunal peut rejeter un avis de demande sommairement lorsque celui-ci est si manifestement irrégulier qu'il est dépourvu de toute chance de succès (David Bull Laboratories Can. (Inc.) c. Pharmacia Inc. (1994) 58 C.P.R. (3d) 209 (C.A.)). Cependant, de telles circonstances sont exceptionnelles, étant donné que la Cour doit être convaincue que la demande sera rejetée en se fondant sur le dossier de requête (Pfeiffer c. Canada (Surintendant des faillites), [2004] A.C.F. n ° 902 (C.A.); Scheuneman c. Canada (Procureur général), [2003]_A.C.F. n ° 686 (C.A.)).

[14]            Dans la présente demande, les demandeurs présentent deux arguments :

1.          l'omission du ministre de fournir les services demandés constitue une violation des droits constitutionnels d'Omar Khadr et de sa famille,

2.          la décision du ministre de ne pas fournir ces services constitue un manquement aux devoirs que lui impose l'article 10 de la LAECI.

Le défendeur soutient qu'aucun de ces deux arguments ne révèle une cause d'action valide.


La Charte

[15]            Pour démontrer qu'il y a eu violation de la Charte, il faut établir l'existence d'un « lien causal suffisant » entre les actions du gouvernement et la privation des droits (États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283; Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3). Comme la Cour l'a déclaré dans Suresh au paragraphe 54 :

... dans les cas où la participation du Canada est un préalable nécessaire à l'atteinte et où cette atteinte est une conséquence parfaitement prévisible de la participation canadienne, le gouvernement ne saurait être libéré de son obligation de respecter les principes de justice fondamentale uniquement parce que l'atteinte en cause serait le fait d'autrui (non souligné dans l'original).

[16]            En l'espèce, les demandeurs n'ont pas établi qu'ils avaient des arguments valables pour soutenir que la décision du ministre était « un préalable nécessaire » au traitement actuel et futur d'Omar Khadr par le gouvernement des États-Unis. Plus précisément, les demandeurs n'ont pas présenté à la Cour des preuves indiquant que la situation de Omar Khadr est semblable à celle des autres détenus qui ont été relâchés du camp Delta ou que les mesures diplomatiques prises par le gouvernement canadien entraîneraient le même résultat que ceux qu'ont obtenus des gouvernements étrangers, comme le Royaume-Uni, la France et l'Afghanistan. Il n'est donc pas « parfaitement prévisible » que les interventions du Canada entraîneraient les mêmes résultats que ceux qu'ont obtenus le Royaume-Uni, la France et l'Afghanistan.

[17]            En outre, je prends note du jugement de la Cour suprême dans l'affaire Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, dans lequel la Cour a déclaré au paragraphe 81 que :

En conséquence, jusqu'à maintenant, rien dans la jurisprudence ne tend à indiquer que l'art. 7 impose à l'État une obligation positive de garantir à chacun la vie, la liberté et la sécurité de sa personne. Au contraire, on a plutôt considéré que l'art. 7 restreint la capacité de l'État de porter atteinte à ces droits.

À la différence de l'affaire Burns, Omar Khadr n'a jamais été sous la garde de fonctionnaires canadiens et il ne l'est pas non plus en ce moment. Par conséquent, le raisonnement tenu dans l'arrêt Gosselin s'applique aux faits de la présente espèce et le gouvernement canadien n'a pas l' « obligation positive » conformément à la Charte de remédier aux atteintes éventuellement portées à ses droits.

[18]            Pour les motifs ci-dessus, et compte tenu du fait que les demandeurs n'ont pas établi le « lien causal suffisant » exigé par les arrêts Burns et Suresh, je ne vois pas comment ils peuvent soutenir utilement qu'il y a eu violation de la Charte. Par conséquent, les parties de l'avis de demande qui font état d'allégations relatives à la Charte sont par les présents motifs radiées.

La LAECI

[19]            L'article 10 de la LAECI énonce :

(2) Dans le cadre des pouvoirs et fonctions que lui confère la présente loi, le ministre :

(2) In exercising his powers and carrying out his duties and functions under this Act, the Minister shall

a) dirige les relations diplomatiques et consulaires du Canada;

(a) conduct all diplomatic and consular relations on behalf of Canada;

b) est chargé des communications officielles entre le gouvernement du Canada, d'une part, et les gouvernements étrangers ou les organisations internationales, d'autre part;

(b) conduct all official communication between the Government of Canada and the government of any other country and between the Government of Canada and any international organization;

c) mène les négociations internationales auxquelles le Canada participe;

(c) conduct and manage international negotiations as they relate to Canada;

d) coordonne les relations économiques internationales du Canada;

(d) coordinate Canada's international economic relations;

e) stimule le commerce international du Canada;

(e) foster the expansion of Canada's international trade and commerce;

f) a la tutelle de l'Agence canadienne de développement international;

(f) have the control and supervision of the Canadian International Development Agency;

g) coordonne les orientations données par le gouvernement du Canada aux chefs des missions diplomatiques et consulaires du Canada;

(g) coordinate the direction given by the Government of Canada to the heads of Canada's diplomatic and consular missions;

h) assure la gestion des missions diplomatiques et consulaires du Canada;

(h) have the management of Canada's diplomatic and consular missions;

i) assure la gestion du service extérieur;

(i) administer the foreign service of Canada;

j) encourage le développement du droit international et son application aux relations extérieures du Canada...

(j) foster the development of international law and its application in Canada's external relations...

Les demandeurs soutiennent qu'il y a lieu d'interpréter cet article comme s'il imposait au ministre l'obligation de fournir les services qu'a demandés Omar Khadr, soit en raison du principe des attentes légitimes, soit en vertu des règles et principes du droit international.


Les attentes légitimes

[20]            Pour ce qui est du premier moyen avancé par les demandeurs, le libellé de la LAECI est très clair. La Loi énonce que le ministre dirige les relations diplomatiques et consulaires du Canada. Il est manifestement tenu d'exercer ces fonctions et n'est pas simplement autorisé à le faire.

[21]            La publication intitulée « Guide à l'intention des Canadiens emprisonnés à l'étranger » reflète cette situation. Il est affirmé dans ce guide que le gouvernement « fera tout en son pouvoir pour s'assurer » qu'un Canadien détenu à l'étranger est « traité de manière équitable » . Le guide énonce en outre :

¼ Les fonctionnaires consulaires faciliteront la communication entre vous, ou la personne que vous avez désignée pour vous représenter, et votre avocat...

La liste des services que peuvent offrir les fonctionnaires consulaires canadiens varie selon les cas et selon le pays. Les fonctionnaires discuteront avec vous, ou avec la personne qui vous représente, des services les mieux adaptés à votre cas et à votre situation. Si vous en faites la demande, voici ce que les fonctionnaires peuvent faire pour vous :

·                informer votre famille ou vos amis de votre situation et leur faire savoir s'ils peuvent vous aider et comment;

·                vous aider à communiquer avec votre famille, avec vos amis ou avec la personne qui vous représente;

·                essayer de faire en sorte que l'on vous traite avec équité conformément aux lois et normes du pays d'accueil au moment de votre arrestation et durant votre détention;

·                se renseigner sur votre cas et demander aux autorités de traiter l'affaire dans des délais raisonnables;


·                vous fournir, ou fournir à votre représentant ou à votre famille, des renseignements sur le système judiciaire et le système carcéral du pays, sur la durée approximative des poursuites en justice, sur les jugements typiques rendus en rapport avec des cas semblables à l'infraction présumée, et sur la mise en liberté sous caution;

·               faire tous les efforts voulus pour s'assurer que vous êtes bien nourri et recevez les soins médicaux et dentaires dont vous avez besoin;

·                s'occuper, à vos frais, et dans la mesure où cela est permis, de l'achat de suppléments diététiques indispensables, de vêtements essentiels et d'autres fournitures de base que vous ne pouvez vous procurer en milieu carcéral;

·               vous remettre du courrier et vous apporter de la lecture si cela est permis et s'il n'existe pas de services postaux réguliers;

·               vous transmettre des messages si les services téléphoniques ou postaux sont inefficaces ou inutilisables;

·                joindre votre famille ou vos amis pour leur demander en votre nom de vous envoyer les fonds nécessaires;

·               faciliter le transfert de fonds s'il n'existe pas d'autres moyens ou si ces moyens ne sont pas fiables (droits à payer);

·                s'informer au sujet de toute perte d'effets personnels.

Le guide contient non seulement un engagement à l'égard des mesures qui seront prises à l'avenir mais ses termes indiquent que le ministre a en fait déjà souvent fourni ces services à la plupart des personnes détenues à l'étranger.

[22]            D'après ce qui précède, il existe des arguments convaincants qui établissent que la LAECI et le guide créent des attentes légitimes et raisonnables au sujet des services qu'un citoyen canadien détenu à l'étranger peut obtenir, services qui sont très semblables à ceux qu'a demandés Omar Khadr. En fait, les Canadiens à l'étranger seraient surpris, voire choqués, d'apprendre que la prestation de services consulaires dans un cas individuel est laissée à la complète discrétion du ministre, sans possibilité de révision.


[23]            Pour ce qui est de ce qui précède, je note que l'on pourrait soutenir que les attentes existantes dans la présente espèce comportent des éléments procéduraux et substantiels. Ce genre d'attentes a fait l'objet de commentaires judiciaires importants ces dernières années. Le défendeur a soutenu que, d'après la jurisprudence, la notion d'attente légitime ne peut viser que des résultats procéduraux et non pas substantiels. Il y a néanmoins lieu de noter que la majorité de la Cour suprême n'a pas abordé la question de savoir si une attente peut viser certains résultats substantiels dans l'arrêt Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), [2001] 2 R.C.S. 281. En outre, le juge Binnie, dissident dans l'affaire Mont-Sinaï, note que la distinction aspect procédural/aspect substantiel a été supprimée en Angleterre, en Australie et dans d'autres pays. Il conclut au paragraphe 35 :

En confirmant que la théorie de l'expectative légitime est restreinte à la réparation procédurale, il faut reconnaître qu'il est parfois difficile de différencier ce qui est de nature procédurale et ce qui est de nature substantielle. Par exemple, dans Bendahmane c. Canada, précité, les juges majoritaires de la Cour d'appel fédérale ont considéré comme étant de nature procédurale la demande présentée par le requérant en vue de bénéficier d'un programme de réduction de l'arriéré des revendications du statut de réfugié (p. 33), alors que le juge dissident estimait que la réparation demandée était de nature substantielle (p. 25). Une décision tout aussi serrée a été rendue dans Canada (Procureur général) c. Canada (Commissaire de l'enquête sur l'approvisionnement en sang au Canada), [1996] 3 C.F. 259 (1re inst.). L'insistance trop grande sur une qualification et une catégorisation formelles des pouvoirs aux dépens d'une application souple des principes généraux peut être nuisible en l'espèce. (Non souligné dans l'original)


[24]            La présente situation n'est pas très différente de l'affaire Abbasi v. Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [2002]_E.W.J. No. 4947 (C.A.) du Royaume-Uni, dans laquelle la Cour d'appel de l'Angleterre et du Pays de Galles a jugé que diverses mesures et déclarations faites par le gouvernement britannique avaient donné naissance à une attente légitime à l'égard de certains types de services consulaires. Le raisonnement qui a été tenu dans cette affaire semble également applicable à la présente situation.

[25]            Par conséquent, j'estime qu'il existe des arguments convaincants indiquant que la LAECI, le guide et la jurisprudence citée ont créé des attentes légitimes à l'égard des services consulaires.

Le droit international

[26]            Étant donné que le guide contient des arguments convaincants au sujet de l'existence d'attente légitime dans ce domaine, il n'est pas nécessaire que j'examine les autres arguments présentés par les demandeurs qui portent sur l'article 10 de la LAECI. Je note néanmoins que les demandeurs ont présenté des arguments convaincants indiquant qu'il y a lieu d'interpréter l'article 10 en tenant compte de la Convention de Vienne sur les relations consulaires, U.N.T.S. Nos. 8638-8640, vol. 596, pp. 262-512 (VCCR), dont le Canada est signataire. Comme l'a jugé récemment la juge en chef McLachlin dans Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 31 :

À l'intérieur de ce champ d'application limité, les obligations découlant des traités internationaux peuvent permettre de préciser davantage ce qui est raisonnable dans les circonstances. Les lois doivent être interprétées d'une manière conforme aux obligations internationales du Canada : Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, par. 137... (Non souligné dans l'original)

[27]            Plus précisément, l'arrêt LaGrand (Allemagne c. États-Unis d'Amérique), [2001]_ C.I.J. 3 (27 juin 2001) prononcé par la Cour internationale de justice énonce que la Convention de Vienne accorde aux individus le droit de recevoir les services sollicités par les demandeurs en l'espèce. Il convient également d'accorder aux demandeurs la possibilité de présenter des preuves montrant qu'est apparue une coutume internationale à l'égard de la prestation de certains services consulaires.

[28]            Je ne suis pas convaincu qu'il soit possible d'en arriver à la même conclusion à l'égard des arguments présentés par les demandeurs au sujet de la Convention relative aux droits de l'enfant, U.N.G.A. Res. 44/25, annex, 44 U.N. GAOR Supp. (No. 49) 169 et sur le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, U.N.G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) 49. Je ne puis conclure que ces instruments contiennent des principes applicables aux services consulaires et autres que sollicitent les demandeurs en l'espèce.

CONCLUSION


[29]            Compte tenu des conclusions au sujet des attentes légitimes et raisonnables, je conclus que la demande révèle une cause possible d'action indiquant que la décision qu'a prise le ministre de ne pas fournir les services appropriés (exigés dans les circonstances) énoncés dans le guide peut constituer une violation de ses obligations aux termes de l'article 10 de la LAECI. Je conclus également qu'il y a lieu d'interpréter les fonctions que confère l'article 10 au ministre à la lumière de la Convention de Vienne, de la jurisprudence et de la coutume internationales. Par conséquent, je ne suis pas disposé à radier la présente demande pour le motif qu'elle ne révèle pas de cause d'action.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          Les parties de l'avis de demande qui concernent l'interrogatoire de Omar Khadr et qui allèguent les violations de la Charte en raison de l'omission du ministre de fournir des services consulaires et autres à Omar Khadr sont radiées;

2.          Le présent avis de demande, dans la mesure où il concerne les allégations présentées par les demandeurs en vertu de l'article 10 de la Loi sur le ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, est maintenu, à l'exception des allégations relatives aux instruments internationaux autres que la Convention de Vienne sur les relations consulaires;

3.          Les demandeurs sont invités à présenter un projet d'ordonnance à la Cour d'ici le 26 août 2004, dans le but d'apporter des changements appropriés à l'avis de demande conformément à la présente décision.

                                                                        _ K. von Finckenstein _          

                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                            T-686-04

INTITULÉ :                                           OMAR AHMED KHADR, représenté par sa tutrice à l'instance FATMAH ELSAMNAH,

FATMAH ELSAMNAH, MUHAMMED ELSAMNAH et ABDURHAMAN KHADR

                                                                                          demandeurs

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

                                                                                             défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 12 AOÛT 2004

LIEU DE L'AUDIENCE :                     EDMONTON (ALBERTA)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                           LE JUGE von FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                          LE 18 AOÛT 2004

COMPARUTIONS :

Nathan Whitling                                                                         POUR LES DEMANDEURS

Dennis Edney                                                                            POUR LE DEMANDEUR DANS T-536-04

Doreen Mueller et

Robert Drummond                                                                     POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Parlee McLaws LLP

Avocats

Edmonton (Alberta)                                                                   POUR LES DEMANDEURS

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                            POUR LE DÉFENDEUR


             COUR FÉDÉRALE

                                 Date : 20040818

                             Dossier : T-686-04

ENTRE :

OMAR AHMED KHADR, représenté par sa tutrice à l'instance FATMAH ELSAMNAH, FATMAH ELSAMNAH, MUHAMMED ELSAMNAH et ABDURHAMAN KHADR

                                        demandeurs

et

LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

                                           défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.