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                                                                                                                                           T-2440-85

 

OTTAWA (ONTARIO), LE 24 FÉVRIER 1997

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE McKAY

 

 

E n t r e :

 

                                                         RONALD M. OSWALD,

 

                                                                                                                                         demandeur,

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                                                      défenderesse.

 

 

                                                               J U G E M E N T

 

            LA COUR, STATUANT SUR l'action par laquelle le demandeur réclame des dommages-intérêts généraux et des dommages-intérêts spéciaux, les intérêts antérieurs au jugement et les dépens de l'action par suite du préjudice qu'il aurait subi en raison de la négligence des employés de la défenderesse ou des personnes engagées pour fournir des services professionnels au nom de la défenderesse lors de l'intervention chirurgicale buccale et des traitements post-opératoires du demandeur à compter de 1985, époque où le demandeur était détenu à l'établissement de Warkworth, un établissement à sécurité moyenne exploité par le Service correctionnel du Canada pour le compte de la défenderesse;

 

            APRÈS avoir entendu le demandeur, qui se représentait lui-même, et l'avocat de Sa Majesté la Reine, lors de l'instruction de l'action qui a eu lieu à Toronto les 24, 24, 26, 27 et 28 juin 1996, date à laquelle l'audience a été suspendue pour donner l'occasion au demandeur et à l'avocat de la défenderesse de se consulter et de s'entendre au sujet des pièces à verser au dossier en plus de celles qui avaient déjà été admises au procès et au sujet des observations écrites sur la preuve et le droit à être présentées par le demandeur et par l'avocat de la défenderesse;

 

            APRÈS présentation, après l'instruction, des pièces dont l'admission a fait l'objet d'une entente et des observations écrites sur la preuve et le droit soumises le 30 août par le demandeur et le 9 septembre par la défenderesse, et après examen des éléments de preuve présentés à l'instruction et des observations écrites du demandeur et de l'avocat de la défenderesse;

 

            APRÈS avoir conclu que la preuve administrée ne justifie pas l'octroi de dommages-intérêts spéciaux, de dommages-intérêts généraux pour manque à gagner ou de dommages-intérêts punitifs, lesquels sont réclamés dans les observations écrites bien qu'ils ne soient pas énoncés dans la déclaration du demandeur;

 

            ET APRÈS avoir conclu :

            1)qu'il y a eu négligence de la part du dentiste diplômé qui a agi à titre d'entrepreneur indépendant aux termes d'une entente de prestation de services, laquelle négligence a causé un préjudice au demandeur;

 

ii)que les dommages-intérêts généraux se rapportant aux souffrances s'établiraient à la somme de 15 000 $, s'ils étaient payables;

 

iii)que, conformément à la Loi sur la responsabilité de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, art. 31, modifiée (la Loi) :

 

a)la défenderesse n'est pas passible de dommages-intérêts pour la négligence commise par son entrepreneur indépendant lors de la prestation des services dentaires;

 

b)si la défenderesse était responsable, les intérêts antérieurs au jugement seraient calculés à compter du 1er février 1992 jusqu'à la date du présent jugement conformément aux lois applicables en Ontario, le tout conformément à l'article 31 de la Loi :

 

1.REJETTE l'action du demandeur;

 

2.STATUE QUE la défenderesse a droit aux dépens de l'action au tarif des dépens entre parties, si elle les réclame, mais INVITE la défenderesse à renoncer à ces dépens, compte tenu des circonstances de la présente affaire, dans laquelle la Cour conclut que la négligence commise par l'entrepreneur indépendant a causé un préjudice au demandeur.

 

 

                                                                                                                            W. Andrew McKay            

     JUGE

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                               

 

François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                                                                                                           T-2440-85

 

 

E n t r e :

 

                                                         RONALD M. OSWALD,

 

                                                                                                                                         demandeur,

 

                                                                             et

 

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

 

                                                                                                                                      défenderesse.

 

                                                       MOTIFS DU JUGEMENT

 

LE JUGE MacKAY

 

                        Par la déclaration qu'il a déposée dans la présente action, le demandeur, M. Ronald M. Oswald, demande à la Cour de condamner Sa Majesté la Reine (la Couronne ou la défenderesse) à lui verser des dommages-intérêts généraux, des dommages-intérêts spéciaux, les intérêts antérieurs au jugement et les dépens. La demande découle essentiellement des souffrances, des malaises personnels et de l'incapacité temporaire qui s'en est suivie qui feraient suite à l'intervention chirurgicale buccale inhabituelle que le demandeur a subie en 1985, et du traitement subséquent inadéquat de son état, alors qu'il était incarcéré à l'établissement de Warkworth. Il s'agit d'un établissement à sécurité moyenne qui loge des prisonniers et qui est exploité par le Service correctionnel du Canada près de Campbellford, en Ontario.

 

                        L'intervention chirurgicale a été pratiquée sur la personne du demandeur par le docteur Richard Binder, D.M.D., un chirurgien-dentiste, au centre de santé de Warkworth. À l'époque, le docteur Binder était depuis quelques mois, à savoir depuis octobre 1994, associé au docteur D. L. Derumaux au sein du même cabinet de dentistes à Campbellford (Ontario). Le docteur Derumaux avait conclu avec le Service correctionnel un contrat de fourniture de services dentaires aux détenus incarcérés à Warkworth. Ces services étaient principalement fournis au centre de santé de l'établissement. À l'époque en question, en janvier 1995, il n'existait pas de contrat écrit formel entre la Couronne, pour le Service correctionnel, et le docteur Binder. Il n'existait vraisemblablement pas d'entente écrite entre les deux dentistes, mais dans le cadre de leur association, le docteur Derumaux confiait au docteur Binder une partie de sa clientèle et des services à fournir à l'établissement. Jusqu'en avril 1985, mois où il a signé un contrat avec la Couronne pour ses services, le docteur Binder se présentait jusqu'à deux jours par semaine à Warkworth, où il agissait au nom du docteur Derumaux et en tant que délégué ou de sous-traitant de celui-ci. La relation qui existait entre le docteur Binder et la Couronne à titre de sous-traitant régi par le contrat de prestation de services passé entre la Couronne et le docteur Derumaux n'a pas été contesté au procès.

 

Les questions en litige

                        La présente action soulève plusieurs questions, qui doivent être abordées à tour de rôle, à savoir :

1)Le docteur Binder a-t-il commis une négligence dans l'exécution de l'intervention chirurgicale et dans les traitements post-opératoires qui ont été fournis au demandeur sous la direction du docteur Binder et du docteur Dosaj, le médecin chargé des soins médicaux à l'établissement?

 

2)Sa Majesté est-elle tenue à des dommages-intérêts pour toute négligence commise par les médecins dans la prestation de leurs services?

 

3)Quels dommages, s'il en est, sont établis par la preuve administrée par le demandeur?

 

                        Un jugement déboutant le demandeur de son action est maintenant rendu. Bien que je conclue que le docteur Binder, qui n'a pas été constitué défendeur à la présente action, a commis une négligence qui a causé un préjudice au demandeur, il n'en demeure pas moins que ce dentiste était, à l'époque en cause, un entrepreneur indépendant qui avait été engagé pour fournir des services à l'établissement de Warkworth. Sa Majesté la Reine n'est pas responsable, eu égard aux circonstances de la présente affaire, des dommages découlant des actes de négligence commis par un entrepreneur indépendant, compte tenu des principes généraux de la common law et ceux qui sont énoncés dans la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), ch. C-50, modifiée (la Loi).

 

                        Pour le cas où j'aurais tort de tirer cette conclusion, je me prononce à titre conditionnel sur les dommages-intérêts. Si des dommages-intérêts doivent être adjugés en l'espèce, je fixe à la somme de 15 000 $ les dommages-intérêts généraux à accorder au demandeur pour ses souffrances, à laquelle somme s'ajoutent les intérêts antérieurs au jugement prévus à l'art. 31 de la Loi.

 

                        Dans les présents motifs, j'examinerai les faits à l'origine du litige, y compris les problèmes d'ordre dentaire et médical de M. Oswald et les traitements qu'il a reçus, et je passerai ensuite aux questions de négligence, de responsabilité de la Couronne et de dommages-intérêts.

 

Faits à l'origine du litige

                        Le demandeur avait quarante et un ans en janvier 1985. En mars 1983, il avait été arrêté en compagnie d'autres personnes et avait été accusé de vol de banque. Alors qu'il était incarcéré à Toronto en attendant son procès, il a décidé de témoigner contre son coaccusé. Il a également reconnu sa culpabilité et a été condamné à huit ans d'emprisonnement. En raison du témoignage qu'il avait donné contre d'autres personnes, il a été envoyé au pénitencier de Kingston, où il a été placé en isolement protecteur pendant un certain temps. Il a ensuite demandé et obtenu à l'automne 1983 son transfèrement à l'établissement de Warkworth.

 

                        Il affirme qu'il a beaucoup appris grâce au régime disciplinaire du système carcéral. Il a repris ses études, qu'il avait abandonné alors qu'il était en neuvième année; il a complété avec succès ses études secondaires et, déjà en 1985, il se disait prêt à suivre certains cours universitaires. De plus, il s'était remis à la musique : il jouait de la guitare, il chantait et composait de la musique. À la fin de 1984, il a obtenu la permission de sortir sous surveillance et a commencé à donner des spectacles dans des maisons de santé et d'autres établissements de la région en compagnie d'un petit groupe. De plus, il s'entraînait régulièrement avec des poids et haltères.

 

                        À l'automne 1984, le demandeur avait demandé un rendez-vous chez le dentiste à cause d'un mal de dents. Il avait déjà eu des problèmes dentaires, avait eu de nombreuses caries et avait perdu quelques dents. Le 21 novembre, il a été convoqué au centre de santé de Warkworth, où il a rencontré le docteur Richard Binder pour la première fois.

 

                        Le docteur Binder était chirurgien dentiste et était autorisé à exercer sa profession en Ontario après avoir terminé ses études universitaires en 1983. Par la suite, il avait fait une année d'internat général à l'Hôpital général de Toronto. Il avait ensuite passé quelques mois à travailler dans le cadre d'un programme de santé publique destiné notamment aux populations autochtones dans des régions éloignées de l'Ontario. En octobre 1984, il s'est associé au docteur Derumaux à Campbellford. Dans le cadre de son travail avec le docteur Derumaux, il a entrepris de fournir des services à la population carcérale de l'établissement de Warkworth. Il croyait comprendre qu'il devait fournir des traitements dentaires généraux aux détenus. Il ne se souvient pas que le docteur Derumaux ou quelqu'un du Service correctionnel lui ait donné des instructions ou des directives particulières au sujet de la nature des soins et des services qu'il devait fournir.

 

                        Aux termes du contrat signé avec le docteur Derumaux et du contrat type que le docteur Binder a par la suite conclu en avril 1985, le dentiste est désigné comme l'« entrepreneur ». Dans chaque cas, les stipulations usuelles suivantes des marchés du gouvernement du Canada étaient insérées au chapitre des conditions générales applicables aux services de consultation et des services professionnels :

 

 

CG13Statut de l'Entrepreneur

 

13.1Le contrat porte sur la fourniture d'un service et engage l'Entrepreneur, comme entrepreneur indépendant, à fournir un service seulement. Ni lui ni aucun membre de son personnel n'est engagé par le contrat à titre d'employé, de fonctionnaire ni d'agent de Sa Majesté. L'Entrepreneur convient, en outre, qu'il est l'unique responsable de tous les paiements ou déductions qui doivent être faits, y compris pour le Régime de pensions du Canada, le Régime des rentes du Québec, l'assurance-chômage, le régime d'indemnisation des accidents du travail ou l'impôt sur le revenu.

 

 

Voici par ailleurs les conditions générales stipulées au chapitre de l'indemnisation :

 

 

GC5Indemnisation

 

5.1L'Entrepreneur garantira et protégera Sa Majesté et le Ministre contre tous dommages, réclamations, perte, coûts, dépenses, actions, et autres poursuites, faits, soutenus, présentés, intentés ou dont on menace Sa Majesté ou le Ministre de les intenter ou présenter, de n'importe quelle manière, et fondés sur, occasionnés par, ou attribuables à une blessure ou au décès d'une personne ou à des actes ou dommages à la propriété provenant d'une action, de la négligence, d'omission ou d'un retard volontaire ou non de la part de l'Entrepreneur, de ses employés ou de ses mandataires dans l'exercice réel ou supposé de leurs fonctions, ou conséquemment à l'exercice de leurs fonctions.

 

                        Les travaux à exécuter aux termes du contrat sont décrits de la même façon dans le contrat du docteur Derumaux que dans le contrat subséquent signé par le docteur Binder :

 

[TRADUCTION]

 

-Il pose des diagnostics et rend compte de l'état de santé dentaire des détenus incarcérés à l'établissement et fournit des soins dentaires complets :

 

-en faisant périodiquement de la consultation à l'établissement selon le nombre de dossiers à traiter;

 

-en examinant les patients, en posant des diagnostic au sujet de leur santé bucco-dentaire, en élaborant des plans de traitement, en faisant le graphique des problèmes dentaires et en prenant des radiographies;

 

- en effectuant les traitements dentaires indiqués;

 

- en traitant les gencives et les pathologies dentaires;

 

- en procédant à l'extraction de certaines dents incluses et de dents qui ne peuvent être sauvées;

 

- en exécutant les activités nécessaires à la fourniture de prothèses dentaires;

 

- en dirigeant au besoin les patients vers des spécialistes dentaires pour des traitements spécialisés;

 

- [Le contrat du 1er avril 1984 du docteur Derumaux prévoit cinq séances de trois heures par semaines, 52 semaines par année, mais aucune disposition semblable n'est prévue dans le contrat du 1er avril 1985 du docteur Binder.]

 

                        Lors de son premier rendez-vous de novembre, le demandeur a mentionné au docteur Binder son intérêt pour le chant et lui a parlé des activités qu'il exerçait dans ce domaine. Il a précisé au dentiste qu'il avait du mal à chanter certaines notes ou à produire certains sons parce qu'il n'arrivait vraisemblablement pas à étendre la langue assez loin. Le docteur Binder lui a examiné la langue et lui a dit qu'il semblait souffrir d'une brièveté anormale du frein de la langue, que le filet de la langue était anormalement court et que l'on pouvait améliorer son état par une intervention assez simple. M. Oswald a témoigné qu'on lui avait dit qu'il s'agissait d'une intervention assez simple, qu'on devait pratiquer une incision, mais que l'intervention ne l'incommoderait pas plus de trois jours et qu'elle devait suffire à régler son problème. Il déclare qu'il a informé le docteur Binder qu'il lui faudrait réfléchir avant de prendre sa décision, qu'il avait peur des aiguilles, c'est-à-dire vraisemblablement de l'anesthésie locale, et qu'il n'était pas pressé de subir cette intervention parce qu'il prévoyait avoir l'occasion de chanter à l'extérieur de la prison au cours de la nouvelle année. Le docteur Binder lui a plombé une dent au cours de ce premier rendez-vous. Il a noté et consigné à ce moment-là sur le relevé de soins dentaires joint à la fiche d'Oswald que l'on devait [TRADUCTION] « rappeler le patient pour une tension du frein ».

 

                        Le 7 janvier 1985, le demandeur a été rappelé au centre de santé pour un rendez-vous chez le dentiste. Il n'avait pas demandé ce rendez-vous et il a supposé que le dentiste voulait lui faire le plombage qui restait à faire après le premier rendez-vous. À sa surprise, le docteur Binder lui a dit qu'il avait été rappelé pour qu'on puisse pratiquer une intervention chirurgicale pour régler son problème de tension du frein. Le demandeur témoigne qu'il a alors répété qu'il lui fallait y réfléchir encore, qu'il avait peur des aiguilles. Les deux hommes ont parlé brièvement de l'opération et M. Oswald a alors accepté que le dentiste pratique l'intervention.

 

                        L'intervention chirurgicale qui a été pratiquée est connue sous le nom de frénectomie. Ainsi que le docteur Binder l'a expliqué en contre-interrogatoire, elle consiste à pratiquer une incision au moyen d'un scalpel, sous anesthésie locale, dans le repli muqueux situé entre la langue et la base de la langue, pour améliorer la mobilité de la langue, et à faire une suture pour bien refermer la plaie et favoriser la guérison.

 

                        Dans le cas qui nous occupe, l'intervention a duré entre 30 et 40 minutes selon l'estimation du docteur Binder. Après avoir administré un anesthésiant local, il a utilisé un instrument connu sous le nom d'ouvre-bouche pour tenir la bouche du patient ouverte de manière à pouvoir pratiquer l'intervention sans interruption et pour avoir libre accès au champ opératoire. À peu près au milieu de l'intervention, après que M. Oswald se fut plaint de douleurs aux muscles de la mâchoire, le docteur Binder a interrompu l'intervention, a vraisemblablement retiré l'ouvre-bouche pendant environ cinq minutes, puis l'a replacé et a poursuivi l'intervention. Le seul autre fait dont le docteur Binder se souvient est qu'alors qu'il pratiquait la suture, M. Oswald s'est plaint de douleurs. Le dentiste lui a alors injecté un autre anesthésiant local avant de faire les 14 points de suture nécessaires pour refermer le champ opératoire.

 

                        Le docteur Binder reconnaît qu'il n'avait jamais pratiqué cette intervention auparavant. Il en avait observé au cours de son internat général et il estime qu'il a pratiqué l'incision conformément à ce qu'il avait observé au cours de son internat. En plus des commentaires qu'il a faits au sujet des douleurs qu'il a ressenties au cours de l'intervention chirurgicale, M. Oswald a témoigné qu'il avait entendu un claquement dans la région de sa mâchoire gauche alors que le docteur Binder faisait la suture. Au cours du témoignage qu'il a donné au procès, le docteur Binder ne se rappelait pas de cet événement, mais il a effectivement reconnu avoir noté au dossier, après avoir palpé l'articulation de la mâchoire après l'intervention, un grincement dans les articulations qui semblait être la cause d'une partie des douleurs ressenties par M. Oswald. Dans la note de service qu'il a fait parvenir au directeur de la prison le 30 mai 1985, le docteur Binder signale que l'intervention a été entreprise [TRADUCTION] « pour dégager sa langue afin de faciliter son élocution. Par la suite, la cicatrisation imprévue de la zone située sous la langue s'est soldée par l'obstruction et par l'infection de la glande salivaire », infection pour laquelle le demandeur a été adressé à un spécialiste en chirurgie buccale et à un oto-rhino-laryngologiste. Voici un extrait des notes prises le 15 octobre 1985 par celui qui était à l'époque le directeur de la prison, M. Dan Kane, à la suite de la conversation qu'il a eue ce jour-là avec le docteur Binder :

 

[TRADUCTION]

 

                [...] Aucun problème au cours de l'intervention. Un moment donné, il y a eu un claquement [sic] de l'articulation de la mâchoire. Antécédents de problèmes à la mâchoire.

 

                Au cours de l'intervention, un nerf et une glande ont été sectionnés.

 

                                                                                                     [...]

 

                Il a été adressé au docteur Sutka [sic], un spécialiste. Le docteur Sutka a constaté un engourdissement de la langue et un problème aux articulations de la mâchoire. Le docteur Sutka a adressé le patient au docteur Fong [sic] (oto-rhino-laryngologiste).

 

Le docteur Fong l'a vu à quelques reprises et a ouvert le conduit [...]

 

                M. Oswald a été renvoyé au docteur Sutka, qui le traite présentement et lui a installé un « dispositif de sûreté nocturne ». Il se peut qu'il ait besoin d'une intervention chirurgicale.

 

                        À la suite de l'opération chirurgicale, des complications que ni le docteur Binder ni M. Oswald n'avaient prévues se sont produites. Un des problèmes était l'état de sa bouche. Il y a eu plus de saignements, d'enflure et de douleurs que prévu. M. Oswald a également souffert d'une infection qui s'est propagée et d'un engourdissement de la langue qui n'avaient pas été prévus. Je conclus que ces problèmes sont une conséquence directe de l'intervention chirurgicale. L'infection de la glande salivaire est le résultat de l'intervention et d'aucune autre cause, et elle s'est produite par suite de l'obturation d'un conduit par la cicatrice causée par l'intervention. Je n'accepte pas les notes prises par le directeur au sujet de la rupture d'un nerf et d'une glande. Le docteur Binder a réfuté ces allégations au procès, lorsqu'il a témoigné qu'il n'avait pas fait de telles déclarations au directeur. Il est toutefois acquis aux débats qu'un nerf a été atteint pendant au moins une certaine période de temps et que la glande salivaire sous-maxillaire gauche a été atteinte gravement et de façon permanente.

 

                        Le deuxième problème concerne les difficultés et les douleurs attribuables aux articulations de la mâchoire, en l'occurrence des problèmes d'ATM ou de l'articulation temporo-mandibulaire, particulièrement à la mâchoire gauche. Le docteur Binder et la Couronne refusent de croire que ces problèmes découlent de l'intervention chirurgicale. Suivant la preuve contenue dans les dossiers médicaux et dentaires de l'établissement, le demandeur avait déjà des problèmes d'articulation à la mâchoire avant l'intervention. Bien qu'ils manquent de précision, les dossiers renferment des inscriptions faites en mars 1983 par l'East Dentention Centre de Toronto et suivant lesquelles M. Oswald souffrait de [TRADUCTION] « douleurs à la mâchoire » et qui indiquaient que [TRADUCTION] « les deux ATM craquent. Il ne peut ouvrir la bouche complètement ». Pour indiquer ces antécédents médicaux à son arrivée au pénitencier de Kingston le 3 novembre 1983 ou peu de temps après cette date, le demandeur a coché « oui » une case où il était indiqué [TRADUCTION] « blessures ou commotions graves à la tête » et il a ajouté [TRADUCTION] « nombreuses commotions dues au kickboxing ». Il a également coché une case indiquant [TRADUCTION] « nombreux maux de tête » et a ajouté la note suivante : [TRADUCTION] « à cause des mâchoires ». Dans un relevé de soins dentaires versé à son dossier dentaire, qui avait été ouvert alors qu'il était au pénitencier de Kingston et qui avait poursuivi après son transfèrement à Warkworth, le docteur Derumaux a écrit la note suivante le 17 septembre 1984 : [TRADUCTION] « Tylenol no 2 [...] trois jours en raison d'un problème d'ATM et de mâchoire qui survient tous les mois ou tous les deux mois par suite de sa pratique du kickboxing ». C'est la dernière inscription qui a été faite au dossier de M. Oswald avant sa première rencontre avec le docteur Binder et elle explique peut-être la raison pour laquelle ce dernier a cru que les problèmes d'ATM du demandeur étaient attribuables au kickboxing. Au procès, M. Oswald a affirmé qu'il n'avait jamais fait de kickboxing; il a toutefois déclaré qu'alors qu'il était détenu à l'East Detention Centre de Toronto, il avait fait une démonstration de quelques mouvements d'arts martiaux et que cette démonstration avait contribué à lui faire une réputation de boxeur expérimenté, une réputation qui l'avait suivi et qui avait été alimentée par d'autres détenus transférés avec lui du centre de détention au pénitencier de Kingston, puis à l'établissement de Warkworth. Il n'avait pas essayé de combattre cette réputation, car elle semblait lui valoir un certain respect en tant que personne ayant la réputation d'être capable de se défendre physiquement.

 

                        Je constate qu'il est également indiqué dans les dossiers médicaux qu'avant l'intervention de 1985, M. Oswald avait signalé qu'il s'était fracturé la mâchoire en 1973 et en 1983. Le docteur Psutka, un des spécialistes qui l'a traité après l'intervention, a déclaré que le demandeur lui avait fait part des fractures qu'il avait déjà subies, et le docteur Psutka a produit des radiographies démontrant des signes de guérison d'une fracture antérieure. En 1984, M. Oswald avait perdu plusieurs dents et avait un partiel qu'il ne portait pas tout le temps pour cause d'inconfort. Au procès, les dentistes qui ont témoigné ont déclaré que les problèmes d'ATM du demandeur pouvaient être imputables de façon générale à une fracture de la mâchoire, si tant est qu'une telle fracture s'était produite, au fait qu'il lui manquait plusieurs dents, et au fait qu'il semble que M. Oswald grince des dents. Il n'y a toutefois aucun élément de preuve qui établisse clairement les causes fondamentales des problèmes d'ATM du demandeur.

 

                        Je ne suis pas convaincu que les problèmes d'ATM de M. Oswald ont commencé à se manifester par suite de l'intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Binder, bien qu'ils aient continué depuis lors à lui causer des douleurs, des maux de tête et de l'inconfort, longtemps après que les problèmes relatifs à la langue, auxquels se sont ajoutés de l'infection et des complications en ce qui concerne la glande salivaire, eurent été traités ou eurent diminué. D'ailleurs, les problèmes d'ATM lui causeraient encore de l'inconfort et de la douleur.

 

                        Je conclus toutefois que, bien qu'ils n'aient pas été causés par l'intervention chirurgicale, les problèmes d'ATM du demandeur ont été aggravés par celle-ci, notamment par l'utilisation de l'ouvre-bouche pendant une période prolongée de jusqu'à 40 minutes, avec une courte pause au milieu. Un autre dentiste a témoigné au procès que les dentistes généralistes ne comprennent pas toujours très bien les problèmes d'ATM et qu'ils ne savent pas toujours comment en minimiser les effets. Rien ne permet non plus de penser que le docteur Binder a pris connaissance avant l'intervention des problèmes d'ATM dont souffrait déjà M. Oswald, bien que, comme nous l'avons déjà vu, les problème d'ATM sont mentionnés dans la dernière note inscrite par le docteur Derumaux au dossier médical du demandeur avant sa consultation du 21 novembre. Bien que le docteur Binder eût l'habitude d'examiner le dossier du patient avant chaque rendez-vous, rien ne permet de penser que le docteur Binder ait estimé qu'il y avait un risque d'aggravation de ces problèmes ou qu'il en ait fait part au demandeur à l'avance ou qu'il a pris des mesures pour s'occuper de la question. Il est vrai qu'il a interrompu l'intervention parce que M. Oswald se plaignait de douleurs à la mâchoire, mais cette interruption faisait suite aux plaintes formulées par M. Oswald au cours de l'intervention, et il ne s'agissait pas d'une pause planifiée par suite des problèmes de mâchoire préexistants du demandeur.

 

                        À mon avis, les éléments de preuve relatifs aux plaintes formulées par le demandeur après l'opération et les mesures prises pour le soulager justifient de toute évidence la conclusion que, même s'il souffrait de problèmes d'ATM avant le 7 janvier 1985, ces problèmes ont été aggravés par suite de l'intervention chirurgicale pratiquée par le docteur Binder et nécessitaient une attention et un traitement plus immédiats et plus poussés. C'est en fait grâce aux spécialistes dont les services ont été obtenus par suite des démarches entreprises par le docteur Binder et payés par le Service correctionnel que ces problèmes ont pu être traités. La seule question non réglée au procès était celle de savoir si les services d'un autre spécialiste pouvaient être encore nécessaires. Compte tenu des éléments de preuve qui ont été portés à ma connaissance, force m'est de conclure que les services des spécialistes qui ont jusqu'à maintenant été fournis ou qui devront l'être dans un avenir rapproché, par exemple dans les deux ou trois prochaines années, pour traiter les problèmes d'ATM du demandeur auront été exigés, au moment où ils sont rendus, par suite de l'intervention chirurgicale pratiquée le 7 janvier 1985 par le docteur Binder. La question de savoir s'ils pourraient être nécessaires à un autre moment n'est qu'une supposition.

 

                        Je passe maintenant à la question des traitements post-opératoires qui ont été donnés au demandeur l'après-midi du 7 janvier 1985, après l'intervention. Le docteur Binder a prescrit du Tylenol no 3 pour soulager la douleur et M. Oswald a regagné sa cellule après l'intervention. Avant la fin de l'après-midi, il s'est présenté à nouveau au centre de santé parce que les saignements n'arrêtaient pas et qu'il ressentait de vives douleurs. Le docteur Binder s'y trouvait toujours. Il a vu M. Oswald, a prescrit un somnifère ou un relaxant et a noté dans son dossier dentaire : [TRADUCTION] « Douleurs à la tête et à la nuque. Creptus ATM. » [ce qui, sauf erreur, signifie craquement dans l'articulation temporo-mandibulaire]. « Se plaint d'enflures au cou, mais est capable d'avaler et de respirer normalement — demeurera à l'infirmerie pour la nuit ».

 

                        M. Oswald est demeuré à l'infirmerie du centre de santé de Warkworth jusqu'au 18 janvier sous les soins du docteur Binder, qui était assisté par les infirmières du centre. Le docteur Binder est revenu à Warkworth le 8 janvier pour le voir et il l'a revu le 15 janvier alors qu'il était à l'établissement. Dans l'intervalle, le docteur Binder avait prescrit des médicaments qui lui étaient administrés par le personnel infirmier. M. Oswald a pris des médicaments pour le soulagement de la douleur, pour la relaxation et pour dormir, de même que pour l'infection qui a suscité des inquiétudes en raison de l'enflure du visage et du dessous de la mâchoire. Au début, il avait de la difficulté à parler et à manger. Le 11 janvier, au cours d'un week-end, le personnel infirmier l'a fait conduire à l'hôpital de Campbellford, où il a été examiné par le médecin de garde à la salle d'urgence. Ce médecin a noté : [TRADUCTION] « tuméfaction du plancher buccal — hypertrophie glandulaire et fièvre. Oreilles O.K. » M. Oswald est retourné à Warkworth avec des médicaments à prendre et avec le diagnostic de congé de l'hôpital suivant : [TRADUCTION] « Infection — plancher buccal ». Il est demeuré à l'infirmerie jusqu'au 18 janvier 1985, date à laquelle il a réintégré sa cellule, vraisemblablement sur l'ordre ou le conseil du docteur A.K. Dosaj, un médecin dont les services à temps partiel avaient été retenus de façon permanente par le Service correctionnel pour dispenser des soins médicaux à Warkworth. Le docteur Dosaj était en vacances et était absent de l'établissement le 7 janvier; il était revenu de vacances le 18 janvier. Ce n'est pas lui qui a traité par la suite le demandeur pour les problèmes causés à ce dernier par l'intervention du docteur Binder, mais il a par la suite fourni des services médicaux pour d'autres problèmes de santé du demandeur.

 

                        Au soutien des moyens qu'il invoque à l'encontre du docteur Dosaj pour affirmer que les personnes chargées de dispenser des soins médicaux sous la direction de la défenderesse ont fait preuve de négligence dans les traitements post-opératoires qu'il a reçus, le demandeur cite l'absence du docteur Dosaj au moment de l'intervention et dans la dizaine de jours qui l'ont suivie et le fait que le docteur Dosaj a laissé au docteur Binder et aux personnes qui relevait de ce dernier le soin de traiter ses problèmes de bouche et de mâchoire. À mon avis, on ne saurait reprocher au docteur Dosaj d'avoir laisser le soin au docteur Binder de traiter les problèmes survenus après l'intervention. Il n'était pas responsable des services rendus par le docteur Binder ou par tout autre dentiste de Warkworth, et le dentiste en cause avait, jusqu'à preuve contraire, la responsabilité et la compétence professionnelles nécessaires pour s'occuper de ses propres patients relativement aux réactions du patient au traitement donné.

 

                        Le demandeur accuse également de négligence les deux directeurs qui se sont succédé à la tête de l'établissement en 1985, ainsi que l'adjoint du directeur qui était chargé des services de santé. Les moyens invoqués contre ces personnes constituent essentiellement des aspects du moyen du demandeur selon lequel il y a eu des retards dans la fourniture de traitements post-opératoires par les spécialistes, une question qui relevait au premier chef du docteur Binder.

 

                        En conséquence, c'est le docteur Binder qui a fourni et pris des dispositions pour que soient fournis les traitements post-opératoires que M. Oswald a reçus. Il ressort du dossier que le docteur Binder a bel et bien vu M. Oswald les 8 et 15 janvier alors que ce dernier était à l'infirmerie, et qu'il l'a revu les 22, 24 et 31 janvier et les 5, 7 et 12 février, ainsi que les 19, 26 et 28 février et en mars, après avoir repris les traitements dentaires ordinaires du demandeur. Le docteur Binder a prescrit des médicaments pour soulager la douleur et guérir l'infection. Il a pris des dispositions pour que le demandeur puisse consulter un spécialiste de l'extérieur, un chirurgien stomatologiste, à la fin de février ou au début de mars. Il a continué à le voir par la suite, pour surveiller l'évolution de son état et pour effectuer d'autres traitements dentaires. L'état de M. Oswald semblait s'améliorer en janvier et en février, mais comme la tuméfaction et l'infection apparente n'avaient pas disparu en mars, le docteur Binder a pris des dispositions pour que M. Oswald consulte un chirurgien stomatologiste à Peterborough, en l'occurrence le docteur D.J. Psutka. Ce premier rendez-vous a été obtenu pour la mi-avril et, le jour de cette consultation, le docteur Psutka a pris des dispositions pour que M. Oswald voie le docteur I.C. Fung, un oto-rhino-laryngologiste, au sujet de l'infection apparente de la glande sous-maxillaire gauche de M. Oswald.

 

                        Par la suite, en mai, sous la direction du docteur Fung, on a tenté de faire une sialographie à l'hôpital de Peterborough mais on n'a pas réussi à l'exécuter parce qu'on n'a pas trouvé dans le plancher buccal d'ouverture dans le canal de la glande. Le 26 juillet, le docteur Fung a procédé à l'examen chirurgical de la glande sous-maxillaire gauche. Il n'a constaté aucune tuméfaction de la glande, mais il n'a pas réussi à faire excréter de salive de la glande et n'a pas trouvé l'ouverture du canal. Il a pratiqué une incision pour ouvrir un canal et a constaté que la glande n'excrétait pas de salive. La glande était légèrement atrophiée.

 

                        Au cours du traitement donné par le docteur Fung, au moins deux des rendez-vous que M. Oswald avait avec lui ont été annulés parce qu'aucun agent n'était disponible pour l'accompagner. À la fin de ce traitement, le 3 septembre, le docteur Fung a procédé à un examen de suivi qui n'a révélé aucune tuméfaction de la glande, qui était inactive et n'avait pas besoin d'ablation. Ainsi, on peut dire qu'au 3 septembre, sinon plus tôt, les problèmes buccaux dont souffrait le demandeur par suite de l'intervention chirurgicale étaient réglés au sens clinique, mais pas ces problèmes d'articulation de la mâchoire. Autrement dit, les saignements, la tuméfaction, les douleurs, l'infection et l'engourdissement de la langue n'étaient plus des problèmes médicaux pour M. Oswald. Bien qu'on ait laissé entendre que des problèmes d'infection ont pu réapparaître, aucun élément de preuve convaincant n'a été présenté à ce sujet. L'examen subséquent effectué en février 1986 par un autre spécialiste a révélé qu'il faudrait probablement procéder un jour à l'ablation de la glande, mais il semble qu'on ne l'ait pas encore fait.

 

                        À la suite du traitement donné par le docteur Fung, le docteur Psutka a, à l'initiative du docteur Binder, entrepris des traitements pour soulager les problèmes d'ATM dont M. Oswald souffrait toujours. Il a d'abord conçu et posé un arc dentaire ou une attelle amovible que le demandeur devait porter principalement la nuit pour tenir la mâchoire en place et en corriger la position. Plus tard, en avril 1986, le docteur Psutka a pratiqué une intervention chirurgicale sur les articulations de la mâchoire du demandeur pour corriger le positionnement des disques intervertébraux et du cartilage.

 

                        À la suite de cette intervention, le docteur Psutka a envoyé M. Oswald voir le docteur Warren Hellen, un dentiste généraliste de Scarborough, qui a vu le demandeur à de nombreuses reprises et qui a entrepris une série de traitements de plombage, de détartrage en profondeur et de stabilisation du coup de mâchoire du demandeur par l'utilisation d'une autre attelle. Le traitement a duré plusieurs mois et a commencé en juillet 1986. Mis au courant par le docteur Psutka des problèmes d'ATM que le demandeur avait eus, le docteur Hellen a interrompu à plusieurs reprises les traitements dentaires de M. Oswald pour donner un répit à ce dernier. Le Service correctionnel a payé les traitements donnés par le docteur Hellen, comme il l'avait fait dans le cas des docteurs Fung et Psutka. Au procès, le docteur Hellen a déclaré qu'il avait vu M. Oswald la dernière fois en mars 1992. À ce moment-là, la santé bucco-dentaire du demandeur s'était considérablement améliorée par rapport à la première fois qu'il avait vu le demandeur six ans plus tôt. En outre, les grincements de dents qu'il avait observé en raison des signes d'usure des dents lors de la première consultation en 1986 ne semblaient plus être un problème en 1992.

 

                        M. Oswald continuait vraisemblablement à avoir à l'occasion des problèmes de mâchoire. Le docteur Ray Mulrooney, un dentiste qui s'intéresse spécialement aux problèmes d'ATM et qui est membre de l'International College of Craniomandibular Orthopaedics, a témoigné que le demandeur lui avait été adressé en août 1994. Il avait évalué le problème de M. Oswald et avait réparé quelques plombages. À son avis, une évaluation approfondie du problème posé par les symptômes de maux de tête répétés, de douleurs et de spasmes aux articulations de la mâchoire commandait des honoraires supplémentaires d'environ 2 500 $. Il faudrait en outre prévoir de 3 500 $ à 4 000 $ pour exécuter au besoin les traitements jugés nécessaires. À son avis, il faudrait peut-être à cette étape ultérieure effectuer des traitements restaurateurs à la mâchoire inférieure par la pose de prothèses fixes afin d'améliorer l'alignement de la mâchoire supérieure et de la mâchoire inférieure et relâcher ainsi la tension exercée sur les muscles et les articulations de la mâchoire.

 

                        J'estime que les complications découlant de l'intervention chirurgicale de janvier 1985 ont été en grande partie résolues avant la tenue du procès. Les problèmes buccaux de M. Oswald ont été, à l'exclusion de ses problèmes de mâchoire ou d'ATM, réglés en grande partie à la suite des traitements que lui a donnés le docteur Fung en 1985 et qui étaient terminés en septembre de la même année. Il est vrai que M. Oswald a consulté d'autres médecins en 1986 et 1994 au sujet de la glande sous-maxillaire gauche, après que le docteur Fung eut constaté des signes d'atrophie de la glande. L'examen de 1994 a révélé que les glandes s'étaient atrophiées sur le côté gauche et sur le côté droit et qu'on ne pouvait trouver les conduits de ces glandes et qu'aucune salive n'était excrétée d'un côté ou de l'autre. Mais rien ne permet de penser que toute atrophie survenue après 1985 soit imputable à l'intervention chirurgicale de janvier 1985.

 

                        Je conclus que les docteurs Psutka et Hellen avaient en grande partie terminée les traitements de la mâchoire de M. Oswald en 1986 et 1987. J'estime toutefois que l'on devrait procéder à l'évaluation proposée par le docteur Mulrooney et, le cas échéant, au traitement restaurateur de la mâchoire inférieure. Il semble que les traitements qu'il a déjà fallu entreprendre par suite de l'intervention chirurgicale aient été payés par la Couronne. J'espère que, si d'autres traitements sont requis, Sa Majesté en assumera de bonne grâce les coûts. À mon avis, si de tels traitements sont nécessaires, ils devraient être considérés comme ayant été causés, si l'on se place au moment présent et non à une époque plus avancée, par l'intervention pratiquée en 1985 par le docteur Binder.

 

                        Au procès, deux autres aspects de la situation vécue par M. Oswald au cours des mois qui ont suivi cette intervention ont été soulevés. Ils concernent les présumés retards dans la fourniture des traitements et des soins, ainsi que les complications subies par le demandeur à la suite de l'arrivée à Warkworth en juin 1985 de la personne qui avait été accusée avec lui lors du procès criminel de 1983.

 

                        Je suis convaincu que le retard dans la fourniture des soins a aggravé la situation du demandeur à l'époque. J'estime en particulier que le docteur Binder a tardé à consulter des spécialistes de l'extérieur. L'intervention a été pratiquée au début de janvier 1985; le docteur Binder a toutefois attendu à la fin de février pour chercher à obtenir pour le demandeur un rendez-vous avec le docteur Pustka et pour que celui-ci adresse le demandeur au docteur Fung par suite des inquiétudes exprimées par le docteur Binder quant à la persistance de l'infection. Après quelques retards causés par les annulations de rendez-vous, ce n'est qu'en septembre que le docteur Fung a pu confirmer que la procédure chirurgicale qu'il avait suivie en juillet pour examiner la glande sous-maxillaire gauche faisait en sorte qu'il n'était plus nécessaire de traiter ce problème. Ce n'est qu'après que le docteur Pustka a commencé à s'occuper des problèmes d'ATM du demandeur. À mon avis, le docteur Binder a manqué à son obligation de dispenser des soins raisonnables après l'intervention chirurgicale, mais uniquement en attendant un mois ou plus pour tenter de faire voir M. Oswald par des spécialistes pour que, comme la suite l'a démontré, il reçoive les traitements nécessaires.

 

                        Suivant la preuve, à au moins trois reprises, les rendez-vous pris avec des spécialistes au nom de M. Oswald ont été annulés, spécialement ceux qu'il devait avoir avec le docteur Fung, vraisemblablement parce qu'il n'y avait pas d'agent disponible pour l'accompagner à l'extérieur de l'établissement. Ce problème ne serait pas propre au demandeur. Du moins, dans son cas, ce problème a disparu après que lui et son père eurent porté la question de l'annulation des rendez-vous directement à l'attention du directeur de la prison. M. Kane, le directeur, qui était arrivé à Warkworth au printemps 1985. M. Kane avait ouvert en août une enquête administrative au sujet des circonstances entourant l'intervention chirurgicale et les traitements que le demandeur avait par la suite reçus. En partie à cause de cette enquête, il a donné des directives pour s'assurer que, désormais, l'on évalue comme il se doit l'ordre de priorité des rendez-vous que le demandeur pouvait avoir à l'extérieur avec des médecins, compte tenu des effectifs disponibles, et il semble que, par la suite, aucun rendez-vous n'a été décommandé.

 

                        L'avocat de Sa Majesté soutient que l'annulation de rendez-vous qui a causé les retards découle d'une décision de principe prise au nom de Sa Majesté pour maintenir la sécurité de l'établissement aux dépens des services de sorties sous surveillance lorsque le personnel disponible lors d'un quart donné ne pouvait suffire aux deux tâches. Sans trancher la question de savoir si, dans chaque cas, il s'agissait d'une décision opérationnelle plutôt que d'une décision de principe, je conclus, en ce qui concerne la question des retards causés par l'annulation des rendez-vous, qu'il n'a pas été démontré que ces retards ont aggravé ou empiré l'état médical de M. Oswald, bien qu'ils aient pu prolonger inutilement cette expérience pénible et sa déception devant le peu d'empressement que l'on montrait à s'occuper de son cas. En tout état de cause, il n'a pas été démontré que les retards causés par ces annulations de rendez-vous sont imputables à une négligence de la part du directeur de l'établissement.

 

                        Le second sujet d'inquiétude du demandeur pour ce qui est de la période post-opératoire est l'arrivée à Warkworth au printemps de 1985 du coaccusé contre lequel il avait témoigné au procès. Cette situation préoccupait vivement M. Oswald, étant donné qu'il avait cru comprendre que l'on ferait en sorte que lui et son coaccusé ne se retrouvent pas incarcérés dans le même établissement. Après avoir rencontré son coaccusé, le demandeur s'est réfugié dans sa cellule et a refusé d'en sortir pendant des périodes prolongées à la fin du printemps et à l'été 1985, alors que l'expérience malheureuse qu'il vivait en raison des douleurs post-opératoires se poursuivait et que sa frustration face aux rendez-vous manqués avec les spécialistes montait. Il n'y a pas de doute que cette situation présentait un problème spécial pour M. Oswald, mais elle ne lui permet pas de reprocher en l'espèce à Sa Majesté une négligence ou un autre acte fautif.

 

La négligence

                        Je passe maintenant aux moyens fondés sur la négligence. À mon avis, rien ne permet de conclure à une négligence de la part du docteur Dosaj. Bien qu'il ait reconnu une part de responsabilité générale en ce qui concerne le suivi des soins prodigués à M. Oswald à la suite de l'intervention chirurgicale de janvier 1985, il a confié, à juste titre selon moi, le soin de s'occuper des problèmes buccaux et de mâchoire du demandeur au docteur Binder, dont le demandeur était le patient en ce qui concerne l'intervention chirurgicale et buccale de janvier 1985 et les traitements donnés au cours des mois qui ont suivi.

 

                        Je ne conclus à aucune faute ou négligence en ce qui concerne le personnel ou les employés désignés de la Couronne, en l'occurrence les directeurs de la prison et le directeur administratif des services de santé, pour ce qui est de l'annulation des rendez-vous avec des spécialistes de l'extérieur alors qu'aucun agent n'était disponible pour accompagner le demandeur. Ces personnes n'ont pas commis de faute non plus en ce qui concerne les dispositions prises pour traiter M. Oswald et pour l'adresser à des spécialistes, étant donné que cette question avait été confiée à la supervision du docteur Binder, qui était chargé de prendre les mesures nécessaires à cet égard.

 

                        Je ne veux pas laisser entendre que le temps qui s'est écoulé avant que M. Oswald réussisse à rencontrer des spécialistes est la cause des complications liées aux problèmes buccaux ou de mâchoire qu'a vécus M. Oswald à la suite de l'intervention de janvier 1985. Je conclus toutefois que ce retard a prolongé inutilement les souffrances du demandeur et sa déception de ne pas être soulagé. Le défaut du docteur Binder de s'assurer que le demandeur puisse consulter en temps opportun des spécialistes externes n'a pas été à mon avis expliqué de façon acceptable. Ce n'est qu'à la fin de février, longtemps après qu'il eut été évident que les complications imprévues se poursuivaient qu'il a adressé le demandeur à des spécialistes.

 

                        Cet aspect ne constitue cependant pas le principal motif pour lequel je conclus qu'il y a eu négligence en l'espèce. Le principal élément de négligence découle plutôt de la façon dont le docteur Binder a effectué l'opération chirurgicale. Ma conclusion repose sur les facteurs suivants, à savoir : le manque de jugement professionnel dont le docteur Binder a fait preuve en décidant de procéder à l'intervention, le défaut de renseigner suffisamment le patient avant de pratiquer l'intervention pour s'assurer de son consentement éclairé, et la procédure suivie. J'estime que le docteur Binder a commis une faute à cet égard en plus de négliger de consulter ou de demander l'aide de spécialistes alors que des difficultés imprévues persistaient après l'opération.

 

                        Il est difficile d'évaluer la négligence du docteur Binder, qui n'a pas été constitué défendeur à la présente action, bien qu'il ait comparu et témoigné de son plein gré au procès. Dans ces conditions, je n'ai d'autre choix que d'évaluer sa conduite. Il ne faut pas oublier que toute évaluation défavorable ne vaut que pour la présente affaire. Le résultat pourrait être différent, selon la preuve produite dans une action dans laquelle le docteur Binder serait constitué partie et dans laquelle il serait libre de présenter ses propres éléments de preuve et de contre-interroger les témoins.

 

                        Le fait qu'une intervention médicale ait mal tourné ne constitue pas en soi une preuve de négligence (Challand v. Bell (1959), 18 D.L.R. (2d) 150, 27 W.W.R. 182 (C.S. Alb.). Dans son ouvrage Legal Liability of Doctors and Hospitals in Canada, 2e éd., Carswell, Toronto, 1984, à la p. 150, Mme Ellen Picard, maintenant juge à la Cour d'appel de l'Alberta, résume les conditions que le demandeur doit remplir pour obtenir gain de cause dans une action en négligence de ce type.

 

                        J'estime que le demandeur remplit ces conditions essentielles eu égard aux circonstances de la présente affaire. Je suis convaincu que Sa Majesté était tenue envers le demandeur de fournir des soins médicaux et dentaux raisonnables. En l'espèce, c'est le docteur Binder, qui était lui-même tenu à un devoir professionnel de prudence envers M. Oswald, qui s'était engagé par contrat à s'acquitter de cette obligation. Cette obligation consistait à faire preuve d'une habileté et d'une compétence raisonnables dans le diagnostic et le traitement du demandeur et à donner à celui-ci des renseignements et des conseils raisonnables. Je conclus en outre que le demandeur a subi un préjudice ou une perte et que ce préjudice est imputable à la conduite ou à la négligence du docteur Binder. La question de principe qui se pose en l'espèce en ce qui concerne la conclusion de négligence se rapporte à la question de savoir si l'on peut dire que le docteur Binder a manqué à la norme de prudence à laquelle il était légalement tenu envers le demandeur.

 

                        À mon avis, la preuve justifie pleinement les conclusions précédemment tirées au sujet des manquements du docteur Binder. À mon avis, il n'a pas bien exercé son jugement professionnel en décidant de procéder à la frénectomie. Cette intervention n'était pas essentielle; elle était tout au plus facultative. Le Service correctionnel n'était censé fournir que les soins dentaires et médicaux essentiels. M. Kane, qui a été nommé directeur de Warkworth au printemps 1985, après l'opération, a, au procès, qualifié de [TRADUCTION] « bizarres » les circonstances entourant l'intervention chirurgicale et les complications en découlant à une époque où l'ensemble du Service correctionnel faisait l'objet de compressions visant à s'assurer que les dépenses ne portent que sur des choses essentielles.

 

                        Il n'y a aucun dossier médical qui indique que la tension du frein de M. Oswald ait été observée auparavant. M. Oswald a simplement mentionné au dentiste qu'il avait de la difficulté à chanter certaines notes et produire certains sons; il n'a pas parlé de difficulté d'élocution. Le docteur Binder a reconnu qu'il avait pratiqué l'intervention chirurgicale pour corriger ou pour faciliter l'élocution du demandeur sans avoir procédé à d'autres évaluations cliniques que son bref examen de la langue du demandeur le 21 novembre 1984, puis le 7 janvier 1985, lorsqu'il a commencé l'intervention. Il a accepté les préoccupations que le demandeur avait lui-même exprimées au sujet de sa difficulté à chanter certaines notes pour justifier sa conclusion que M. Oswald avait un problème en raison d'une tension du frein de la langue qui limitait sa capacité de chanter. Le docteur Binder a reconnu qu'il n'avait décelé aucun problème d'élocution chez le demandeur et qu'il ne l'avait pas entendu chanter. En outre, il n'avait jamais pratiqué une telle intervention, même sous la surveillance d'un médecin dentiste ou d'un chirurgien stomatologiste expérimenté, bien qu'il eût observé ce genre d'intervention lors de son année d'internat général. Ce n'était pas une intervention ordinaire. Il serait pourtant surprenant que le docteur Binder n'ait pas observé et pratiqué sous surveillance au cours de sa formation clinique dentaire pour la licence et de son internat général toutes les interventions dentaires normales qu'il connaissait et qu'il pratiquait.

 

                        Il ne prévoyait pas que l'intervention pourrait comporter des complications sérieuses. Il est vrai que M. Oswald a consenti à l'intervention avant que celle-ci ne soit entreprise et que le docteur Binder croyait qu'il avait obtenu le consentement du demandeur. J'estime toutefois qu'il ne s'agissait pas d'un consentement éclairé sur la nature de l'intervention ou sur ses effets possibles. Qui plus est, le dentiste ne peut exciper du consentement du demandeur comme moyen de défense dans la présente action pour excuser sa négligence. Suivant la preuve, le docteur Binder a parlé à l'avance de la possibilité de douleurs, de saignements et de tuméfactions, ainsi que de risques d'infection par suite de l'opération. Il n'a pas parlé de risque d'atteinte au nerf, atteinte dont le demandeur a été victime, ni des risques d'infection de la glande sous-maxillaire et de l'interruption de la production de salive par suite de l'obstruction d'un conduit, ou de risques de complications d'ATM. Il semble que le docteur Binder n'ait prévu aucune de ces complications. Pourtant, il était de son devoir d'informer le demandeur avant l'intervention non seulement des conséquence possibles, mais également de l'existence de risques sérieux. La norme de prudence applicable dans ce domaine qui a été établie par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Hopp c. Lepp, [1980] 2 R.C.S. 192; (1980) 4 W.W.R. 645; 32 N.R. 145; 112 D.L.R. (3d) 67, oblige le médecin ou le dentiste à divulguer au patient, sans qu'on le questionne, « la nature de l'opération envisagée, sa gravité, tous risques importants et tous risques particuliers ou inhabituels que présente cette opération » (le juge en chef Dickson, à la p. 210 R.C.S.). Tout risque « inhabituel » ou improbable doit être divulgué si ces conséquences sont sérieuses. Inversement, une conséquence négligeable devrait être divulguée si elle est inhérente à l'opération ou si elle en découlera probablement (le juge McLachlin dans le jugement Rawlings v. Lindsay, (1982), 20 C.C.L.T. 301, à la p. 306 (C.S. C.-B.). À mon avis, le docteur Binder n'a pas respecté en l'espèce la norme de prudence applicable en matière de divulgation des effets possibles de l'intervention chirurgicale.

 

                        En tout état de cause, pour pouvoir exciper du consentement du demandeur comme moyen de défense, la défenderesse doit présenter des éléments de preuve au sujet de la manière dont la norme de prudence serait appliquée par d'autres membres de la profession dans les mêmes circonstances. Or, en l'espèce, la défenderesse n'a présenté aucun élément de preuve pour démontrer la norme professionnelle applicable en matière de divulgation ou pour établir que le docteur Binder l'avait respectée.

 

                        L'avocat de la défenderesse soutient qu'aucun élément de preuve convaincant n'a été présenté au sujet de la norme de prudence à laquelle le demandeur avait droit en ce qui concerne l'opération en question. Je me contente de me fonder sur le témoignage des docteurs Hellen et Mulrooney, qui exercent tous les deux comme dentistes généralistes. Ni l'un ni l'autre n'a critiqué la décision ou le travail du docteur Binder, mais ils ont tous les deux affirmé qu'ils n'avaient jamais pratiqué de frénectomie et qu'ils auraient refusé de le faire, qu'ils adresseraient le patient qui en aurait besoin à un spécialiste et qu'ils auraient trop de réticences pour entreprendre une telle intervention ou qu'ils refuseraient de le faire parce qu'ils manquent d'expérience dans ce domaine, bien qu'ils estiment tous les deux qu'en tant que chirurgiens dentistes, ils sont légalement autorisés à pratiquer ce genre d'intervention. L'avocat de la défenderesse affirme que la norme de prudence applicable est celle de la personne raisonnable se trouvant dans la position du docteur Binder, avec l'expérience et les connaissances qu'il possédait à l'époque. Mais l'ignorance des risques et l'inexpérience ne constituent pas des facteurs qui diminuent la norme de prudence professionnelle. Au contraire, le professionnel devrait plus que quiconque être conscient des limites de ses connaissances et de son expérience et devrait faire preuve en réalité d'une plus grande prudence lorsque le travail qu'il exécute se situe aux limites de ses connaissances ou de son expérience. En résumé, l'inexpérience du docteur Binder à l'époque ne diminue pas la norme de prudence à laquelle il était tenu envers M. Oswald. Les seuls éléments de preuve dont je dispose sont le témoignage de deux dentistes généralistes qui n'auraient pas entrepris cette intervention. D'ailleurs, au procès, le docteur Binder a lui-même reconnu que s'il avait su au moment de l'intervention ce qu'il sait maintenant, il n'aurait pas traité le demandeur de la même façon.

 

                        Qu'en est-il de l'intervention elle-même? Y a-t-il des éléments de preuve tendant à démontrer qu'une négligence a été commise dans son exécution? Je conclus qu'il y a effectivement eu négligence, compte tenu du fait que l'on n'a vraisemblablement pas procédé à une évaluation clinique approfondie avant de pratiquer l'intervention. Ce facteur a, à mon avis, contribué à l'obstruction du canal salivaire et à l'infection et à l'atrophie de la glande sous-maxillaire gauche, ainsi qu'à l'atteinte nerveuse qui a causé l'engourdissement de la langue. En outre, l'utilisation d'un ouvre-bouche pendant une période prolongée a, selon moi, aggravé les problèmes d'ATM dont souffrait déjà le demandeur, même si l'utilisation de ce dispositif visait à donner accès au champ opératoire tout en soulageant un peu la pression exercée sur les muscles de la mâchoire. En conséquence, il a fallu régler ces problèmes par l'utilisation d'une attelle, par l'intervention chirurgicale du docteur Psutka et par les traitements donné par le docteur Hellen à la suite de la chirurgie correctrice du docteur Psutka.

 

                        Ainsi que je l'ai déjà souligné, le demandeur reproche au docteur Binder et à d'autres personnes de ne pas lui avoir prodigué des soins appropriés après l'intervention. À mon avis, sauf à un égard, le docteur Binder a donné des soins post-opératoires raisonnables et a supervisé comme il se doit les traitements que M. Oswald a par la suite reçus jusqu'à ce qu'il cesse de rendre ses services et qu'il confie le demandeur aux soins du docteur Derumaux pour les traitements dentaires ordinaires, après que M. Oswald eut introduit une action contre le docteur Binder devant les tribunaux ontariens. Néanmoins, ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, je conclus que le docteur Binder a manqué à son devoir de prudence professionnel envers le demandeur après l'intervention de janvier 1985 en ne l'adressant pas à des spécialistes pour qu'il les consulte et qu'il reçoive des traitements, alors qu'il était évident, du moins dès le début de février 1985, que les complications survenues après l'opération persistaient. M. Oswald continuait à ressentir des douleurs, le problème d'infection de la glande persistait et il souffrait de problèmes d'ATM, malgré l'administration continue de médicaments destinés à soulager la douleur et à guérir l'infection. Pourtant, il lui a fallu attendre encore un mois avant que le docteur Binder ne prenne des mesures pour l'adresser au docteur Psutka, un chirurgien stomatologiste, pour que ce dernier l'examine. Le processus de traitement par des spécialistes a donc été retardé à un moment où le demandeur ressentait des douleurs constantes et cherchait à obtenir que des mesures soient prises pour soulager ses symptômes. J'estime que ce retard n'a pas causé les problèmes mais qu'il a contribué à ce qu'ils durent plus longtemps que cela n'aurait été le cas si le demandeur avait pu recevoir plus tôt les mêmes services des spécialistes.

 

Responsabilité de la Couronne

            Même si, comme c'est le cas, je conclus que le docteur Binder s'est rendu coupable d'une négligence qui a causé un préjudice au demandeur, l'avocat de Sa Majesté la Reine affirme que celle-ci ne peut être condamnée à des dommages-intérêts à ce titre. Il fait reposer sa thèse sur l'argument que la Couronne n'est pas responsable de la négligence commise par une personne dont les services ont été retenus à titre d'entrepreneur indépendant pour fournir un service. Il soutient également que la Couronne ne peut être tenue responsable des actes de négligence commis par un tel entrepreneur lorsque ces actes débordent le cadre du contrat de prestation de services.

 

                        Ces moyens sont fondés sur le principe établi suivant lequel le commettant n'est habituellement pas responsable de la négligence de la personne dont il retient les services à titre d'entrepreneur indépendant. De plus, la Couronne n'est responsable dans les actions fondées sur un délit civil que dans la mesure prévue par la loi et, en l'espèce, la Loi sur la responsabilité de l'État et le contentieux administratif, précitée, dégage la Couronne de toute responsabilité à l'égard de ce type de négligence. Voici en quels termes la Loi définit la responsabilité civile délictuelle de la Couronne :

 

 

                3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour :

 

a) les délits civils commis par ses préposés; [...]

 

                10. L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité civile délictuelle contre leur auteur ou ses représentants.

 

Voici en quels termes l'article 2 de la Loi définit le terme « préposés » :

 

 

« préposés » Sont assimilés aux préposés les mandataires. La présente définition exclut les personnes nommées ou engagées sous le régime d'une ordonnance du Yukon ou des Territoires du Nord-Ouest.

 

                        La Loi ne renferme pas de disposition précise comme celle que l'on trouve dans la Crown Proceedings Act, R.S.B.C. 1979, ch. 86, modifiée, et la Loi sur les instances introduites contre la Couronne, L.R.C. 1990, ch. P.27, modifiée, qui disposent que le terme « mandataire », lorsqu'il est question de la Couronne, s'entend en outre d'un entrepreneur indépendant employé par la Couronne du chef de la Colombie-Britannique et de l'Ontario respectivement. Mais ces lois précisent également que la Couronne n'est pas exposée à une responsabilité plus lourde du fait des actes ou des omissions d'un tel entrepreneur que celle à laquelle elle serait exposée si elle était une personne majeure et capable (voir R.S.B.C., ch. 86, al. 3(2)b) et L.R.O. 1990, ch. P-27, al. 2(2)a)).

 

                        Dans le cas qui nous occupe, il n'existe pas de disposition législative qui modifie l'application des règles de common law selon lesquelles la personne qui contracte avec une entrepreneur indépendant pour obtenir l'exécution de ses services n'est pas responsable des actes ou des omissions de l'entrepreneur, à moins que le commettant ne soit lui-même tenu à un devoir de prudence indépendant qui ne peut être délégué ou confié à un entrepreneur indépendant, à moins que l'on conclue qu'il y a eu manquement à ce devoir dans des circonstances dans lesquelles ce manquement cause le préjudice en question ou y contribue.

 

                        À mon avis, même si la Couronne peut, dans certains cas, être responsable des dommages causés par la négligence d'un entrepreneur indépendant, il ne s'agit pas d'une des exceptions au principe de common law. L'obligation qui était imposée à la Couronne envers M. Oswald en tant que détenu de Warkworth consistait à prendre raisonnablement soin de sa santé et de sa sécurité alors qu'il était en détention (McLean c. La Reine, [1973] R.C.S. 2, à la p. 7). Pour ce qui est des services dentaires et médicaux, voici en quels termes cette obligation est formulée à l'article 16 du Règlement sur le service des pénitenciers, C.R.C. 1978, ch. 1251, dans sa rédaction en vigueur en 1985 :

 

 

                16. Tout détenu doit bénéficier, conformément aux directives, des soins médicaux et dentaires essentiels dont il a besoin.

 

                        Sa Majesté ne peut s'acquitter de son obligation de fournir les soins médicaux et dentaires essentiels qu'en obtenant notamment les services de médecins et de dentistes qualifiés en les engageant ou en concluant des contrats en vue de retenir leurs services. Il se peut fort bien que Sa Majesté ne puisse déléguer cette obligation, mais la fourniture effective de soins raisonnables ne rend pas Sa Majesté responsable des actes ou de la négligence des membres du personnel de santé à moins que ceux-ci ne soient des « préposés » au sens de la Loi.

 

                        J'estime, en l'espèce, que Sa Majesté a raisonnablement respecté l'obligation qu'elle avait envers M. Oswald en concluant des contrats avec des médecins et des dentistes qualifiés en vue d'obtenir leurs services professionnels, tant à Warkworth qu'à l'extérieur de celui-ci, et en dispensant des soins au centre de santé de l'établissement, et des services à l'établissement et à l'extérieur de celui-ci au sein de la population générale.

 

                        L'obligation du docteur Binder, tout comme celle du docteur Dosaj et des autres médecins qui ont soigné M. Oswald, c'est-à-dire les docteurs Fung, Psutka et Hellen, consistait à dispenser des soins raisonnables avec la compétence, les connaissances et le jugement d'un dentiste raisonnable et prudent possédant les mêmes compétences et connaissances. Il s'agit d'une obligation différente de celle à laquelle Sa Majesté était tenue envers M. Oswald. Sauf si la personne qui rend le service est un préposé de la Couronne, celle-ci n'est pas responsable du fait d'autrui pour les actes de négligence du médecin en cause. La responsabilité de la Couronne n'est pas engagée du fait de la responsabilité personnelle de toutes les personnes qui rendent des services à titre d'entrepreneurs indépendants, c'est-à-dire en l'espèce tous les médecins concernés, que les soins soient donnés à Warkworth ou ailleurs.

 

                        En d'autres termes, Sa Majesté ne s'expose pas à une responsabilité plus grande pour la négligence de médecins et de dentistes indépendants qui rendent leurs services aux détenus au sein de l'établissement, en l'occurrence les docteurs Binder et Dosaj, qu'elle ne s'y exposerait dans le cas de la négligence d'autres personnes dont les services ont été retenus d'une façon semblable à l'extérieur de l'établissement, c'est-à-dire les docteurs Fung, Psutka et Hellen.

 

                        Imposer à Sa Majesté l'obligation générale de s'assurer que les services professionnels médicaux ou dentaires sont rendus sans négligence placerait Sa Majesté dans la position d'un assureur de services médicaux fournis par des entrepreneurs indépendants. J'ai beaucoup de sympathie pour M. Oswald, compte tenu de la situation difficile dans laquelle il s'est retrouvé à la suite de l'intervention chirurgicale de janvier 1985, mais il n'est pas possible d'interpréter les circonstances de manière à engager la responsabilité de Sa Majesté en tant qu'assureur. Elle n'est pas responsable des dommages découlant de chaque omission d'un médecin ou d'un dentiste indépendant de fournir des soins raisonnables. L'obligation à laquelle Sa Majesté était tenue envers M. Oswald était de prendre des mesures raisonnables pour fournir du personnel médical et dentaire qualifié afin de répondre aux besoins médicaux essentiels du demandeur et des autres détenus. Or, elle a rempli cette obligation en retenant les services de médecins et de dentistes qualifiés qui étaient soumis à leur propre devoir de prudence professionnel envers le demandeur.

 

                        En l'espèce, rien ne permet de conclure que les autorités de Warkworth ou du Service des pénitenciers, ou les docteurs Dosaj ou Derumaux, avaient informé en détail le docteur Binder de ses attributions à Warkworth, du moins avant qu'il ne signe son propre contrat en avril après l'opération de M. Oswald. On pourrait considérer que ceux qui ont agi au nom de Sa Majesté n'ont pas fait preuve de prudence raisonnable pour définir ses attributions au docteur Binder avant qu'il ne commence à dispenser ses services. Mais, en l'espèce, cette omission ne constitue pas un manquement à l'obligation imposée à la Couronne envers M. Oswald, étant donné qu'il est incontestable que le docteur Binder était un chirurgien dentiste qualifié et qu'en acceptant tacitement ses services aux termes du contrat conclu avec le docteur Derumaux, Sa Majesté respectait son obligation de fournir du personnel compétent.

 

                        L'insuffisance d'éléments de preuve au sujet d'instructions et de conseils donnés au docteur Binder au sujet de ses attributions à Warkworth constitue toutefois un motif suffisant pour se prononcer sur l'autre moyen invoqué par la Couronne pour décliner sa responsabilité, à savoir que l'intervention chirurgicale débordait le cadre des fonctions du docteur Binder, étant donné qu'elle n'est pas jugée essentielle. Cette appréciation est faite après coup et elle ne tient pas compte de l'appréciation que le docteur Binder a lui-même faite à l'époque. Bien que je conclue qu'il a commis une erreur de jugement, le docteur Binder a de toute évidence jugé à l'époque que l'intervention qu'il entreprenait était indiquée et qu'elle faisait partie de ses attributions, telles qu'il les comprenait.

 

                        En conséquence, je conclus qu'aux termes de la Loi, la défenderesse n'est pas responsables des dommages causés à M. Oswald par suite de la négligence du docteur Binder.

 

                        Néanmoins, pour le cas où ma conclusion serait erronée, je passe brièvement à l'examen des questions de dommages-intérêts soulevées par le demandeur.

 

Dommages-intérêts

                        Au début des présents motifs, j'ai souligné que, dans sa déclaration, le demandeur réclame des dommages-intérêts généraux, des dommages-intérêts spéciaux, les intérêts antérieurs au jugement et les dépens.

 

                        La déclaration a été déposée en novembre 1985. Je crois comprendre qu'à la suite de l'intervention chirurgicale de janvier 1985, les docteurs Fung, Psutka, Hellen, ainsi que les docteurs Binder, Derumaux et Dosaj ont tous, aux frais de la défenderesse, fourni d'autres traitements à M. Oswald alors qu'il était à Warkworth ou qu'il purgeait autrement sa peine. En tout état de cause, aucun élément de preuve n'a été présenté au procès ou après celui-ci au sujet des dommages-intérêts spéciaux. Il n'y a donc aucune raison d'examiner la question des dommages-intérêts spéciaux.

 

                        Les dommages-intérêts généraux réclamés dans la déclaration se chiffrent à 100 000 $, une somme qui, selon les observations présentées après le procès [TRADUCTION] « porte sur les souffrances endurées depuis onze ans et qui persistent toujours ». Un autre aspect des dommages-intérêts généraux, qui n'a pas été expressément plaidé mais que le demandeur a mentionné au procès, dans son témoignage, et dans les observations écrites qu'il a soumises après le procès, concerne le manque à gagner. En outre, le demandeur réclame, mais seulement dans les observations écrites qu'il a déposées après le procès, des dommages-intérêts punitifs.

 

                        Pour ce qui est des dommages-intérêts généraux réclamés au titre des souffrances, j'estime que, si des dommages-intérêts devaient être adjugés, compte tenu des sommes accordées dans d'autres affaires pour des lésions à la bouche et à la mâchoire, spécialement en ce qui concerne les problèmes d'ATM, ils devraient être fixés à 15 000 $. Cette somme comprend les souffrances suivantes. Premièrement, pour ce qui est de la bouche, les souffrances découlant de l'opération qui n'était pas nécessaire sur le plan dentaire, y compris la tuméfaction et l'engourdissement de la langue, l'infection de la glande sous-maxillaire et son atrophie après que le conduit de la glande eut été obstrué par la cicatrice, tous ces problèmes ayant été résolus dans la mesure du possible en septembre 1985. Rien ne permet de conclure que le demandeur a ressenti des douleurs dans ces régions par la suite. Deuxièmement, les douleurs constantes et les complications, notamment celles découlant de l'intervention chirurgicale et des traitements dentaires effectués en juillet 1985 pour régler le  problème d'infection de la glande et, plus tard en 1986, pour stabiliser la mâchoire par suite de l'aggravation des problèmes d'ATM. Les docteurs Psutka et Hellen ont réglé en grande partie les problèmes d'ATM entre 1985 et 1987, mais le demandeur a continué à ressentir des douleurs. Il se peut donc qu'il soit souhaitable que le docteur Mulrooney ou un autre spécialiste en problèmes d'ATM effectue d'autres traitements. Ainsi que je l'ai déjà fait remarquer, si d'autres spécialistes conseillent de tels traitements, j'exhorte Sa Majesté à les payer de bonne grâce.

 

                        Quant à la somme réclamée au titre du manque à gagner, le demandeur a parlé au procès des interruptions qu'ont connues sa vie, ses études, sa musique et son entraînement avec poids et haltères, interruptions qui résultent de l'opération et des souffrances en découlant, et il a parlé du fait qu'après sa sortie de Warkworth, il n'a pu reprendre d'emploi comme chauffeur dans l'industrie du camionnage. Il a jugé que cette dernière activité lui était désormais interdite à cause des chocs inévitables qu'implique la conduite de camions remorques et qui aggraveraient les problèmes d'ATM dont il souffre toujours, ainsi que ses douleurs. Au sujet de son possible manque à gagner, voici ce que le demandeur affirme dans ses observations écrites :

 

[TRADUCTION]

 

[...] À tout le moins [...] j'ai perdu la possibilité de gagner un revenu net de 300 000 $ comme chauffeur de camion remorque sur une période de travail de 15 à 20 ans après ma libération de prison.

Aucun autre élément de preuve n'a été produit pour établir cette perte. À mon avis, cette déclaration est insuffisante pour établir l'existence de cette perte probable. Il s'agit d'une estimation qui est fondée sur de simples suppositions et qui ne justifie pas l'octroi d'une somme au titre du manque à gagner imputable à une négligence se rapportant à l'intervention chirurgicale de janvier 1985.

 

                        Dans ses observations écrites, le demandeur exhorte également la Cour à condamner la défenderesse à payer des dommages-intérêts punitifs pour s'assurer qu'elle et ses mandataires prennent conscience du fait qu'un tel traitement d'un détenu est manifestement inacceptable. Il suggère la somme de 200 000 $ à ce titre. Aucune mention de dommages-intérêts punitifs n'a été faite dans les actes de procédure ou au cours du procès. La preuve ne justifie pas l'octroi de dommages-intérêts punitifs. Ainsi que je l'ai fait remarquer dans le jugement Babyn c. Canada, [1993] F.C.J. No. 1336, 71 F.T.R. 176, la Couronne ne peut être condamnée à des dommages-intérêts punitifs que dans des circonstances extraordinaires (voir également l'arrêt Canada c. Peeters, le juge MacGuigan, (1993), no du greffe A-721-92, [1993] F.C.J. No. 1146 (C.A.F.)). Ainsi que l'a déclaré le juge McIntyre, qui s'exprimait au nom de la majorité des juges de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Vorvis c. Insurance Company of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 1085, p. 1107-1108; 94 N.R. 321, p. 344 :

 

 

[...] il n'est possible d'accorder des dommages-intérêts punitifs qu'à l'égard d'un comportement qui justifie une peine parce qu'il est essentiellement dur, vengeur, répréhensible et malicieux [...] il faut que le comportement soit de nature extrême et mérite, selon toute norme raisonnable, d'être condamné et puni.

 

Aucun comportement de cet ordre n'a été établi en l'espèce. La négligence commise en l'espèce découle d'une erreur de jugement et non d'un comportement dur, vengeur, répréhensible et malicieux. Il n'y a aucune raison d'accorder des dommages-intérêts punitifs.

 

                        Quant aux intérêts antérieurs au jugement, si des dommages-intérêts étaient accordés en l'espèce, les intérêts seraient calculés conformément à l'art. 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, qui a été modifié par L.C. 1990, ch. 8, art. 31. Aux termes de cette disposition, les intérêts antérieurs au jugement seraient conformes aux règles de droit appliquées dans les instances opposant des administrés en Ontario, mais ne seraient applicables qu'à compter du 1er février 1992, date à laquelle la disposition relative aux intérêts antérieurs au jugement est entrée en vigueur.

 

Dispositif

                        En conséquence, l'action intentée par le demandeur contre Sa Majesté est rejetée étant donné que, eu égard aux circonstances de la présente affaire, la Couronne n'est pas, aux termes de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, passible de dommages-intérêts pour les dommages causés par la négligence d'un dentiste dont les services ont été retenus à titre d'entrepreneur indépendant pour fournir des services dentaires professionnels aux détenus de l'établissement de Warkworth.

 

                        Si j'ai tort en ce qui concerne mon application des règles de droit et que Sa Majesté est réputée responsable de la négligence du docteur Binder, lequel, selon ce que j'ai conclu, a fait preuve de négligence en entreprenant l'intervention chirurgicale buccale pratiquée en l'espèce sur le demandeur, négligence qui est à l'origine des souffrances causées à ce dernier, j'évaluerais les dommages-intérêts généraux à la somme de 15 000 $. Ces dommages-intérêts se rapportent aux souffrances et aux malaises personnels généraux découlant de l'intervention chirurgicale elle-même, de l'infection de la glande sous-maxillaire gauche et de son conduit qui en a découlé, et de l'atrophie ultérieure de la glande, des complications relatives à l'articulation temporo-maxillaire (ATM) et des autres interventions chirurgicales et traitements entrepris pour traiter et corriger, dans la mesure du possible, les problèmes causés par l'opération pratiquée par le docteur Binder en janvier 1985.

 

                        Aucuns autres dommages-intérêts n'ont été établis.

 

                        Si des dommages-intérêts étaient accordés au demandeur, celui-ci aurait droit aux intérêts antérieurs au jugement conformément à l'article 31 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif.

 

                        Comme le demandeur n'a pas obtenu gain de cause, la Couronne a droit aux dépens si elle insiste pour les obtenir. Elle les a réclamés dans la défense qu'elle a déposée en 1986, mais elle n'en a pas fait mention dans ses observations. J'invite la Couronne à envisager la possibilité de renoncer aux dépens, compte tenu des circonstances constatées en l'espèce, c'est-à-dire compte tenu du fait que, bien qu'elle ne soit pas passible de dommages-intérêts du fait de la négligence commise de la part d'un dentiste dont elle a retenu les services à titre d'entrepreneur indépendant, cette négligence a effectivement causé un préjudice au demandeur. La somme que le demandeur pourrait obtenir s'il obtenait gain de cause dans l'action qu'il a intentée contre le docteur Binder devant la Cour de l'Ontario ne comprendrait probablement pas les frais qu'il est susceptible d'engager pour la présente action.

 

                        Je serais négligent si je ne reconnaissais pas la façon dont M. Oswald a défendu sa cause devant le tribunal. Il agissait pour son propre compte, sans formation juridique, mais a pu bénéficier à l'occasion de conseils d'avocats qui n'étaient pas inscrits au dossier et qui n'ont pas participé au procès. Je tiens à remercier M. Oswald et l'avocat de Sa Majesté la Reine pour l'aide qu'ils ont apportée à la Cour en ce qui concerne l'administration de la preuve et en particulier en ce qui concerne la présentation d'observations écrites après le procès.

 

 

                                                                                                                            W. Andrew McKay            

JUGE

 

 

OTTAWA (Ontario)

Le 24 février 1997.

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                                                                                                                                                

 

François Blais, LL. L.


                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                           SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

 

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

No DU GREFFE :T-2440-85

 

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :Ronald M. Oswald c. Sa Majesté la Reine

 

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :Toronto (Ontario)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :24 juin 1996

 

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT prononcés par le juge MacKay le 24 février 1997

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Ronald M. Oswaldpour le demandeur

 

 

Raymond Wattpour la défenderesse

Douglas Smith

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Ronald M. Oswaldpour le demandeur

Campbellford (Ontario)

 

Dutton, Brock, MacIntyrepour la défenderesse

Toronto (Ontario)

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