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Date : 20000615


Dossier : T-1227-99



OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUIN 2000.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE DUBÉ.



ENTRE :

     BRIAN BENTLEY,

     demandeur,


     - et -


     LA COMMISSION DE L"ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.



     ORDONNANCE


     Il faut répondre par la négative aux trois volets de la question de droit. Les dépens sont adjugés au demandeur.

     " J.E. DUBÉ "

     Juge

Traduction certifiée conforme


C. Bélanger, LL.L.





Date : 20000615


Dossier : T-1227-99



ENTRE :

     BRIAN BENTLEY,

     demandeur,


     - et -


     LA COMMISSION DE L"ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA

     et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     défendeurs.



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE DUBÉ

[1]          Il s"agit d"une requête présentée en application de la règle 220 des Règles de la Cour fédérale en vue d"obtenir, relativement à un point de droit, une décision préliminaire fondée sur l"interprétation de l"ancienne Loi sur l"assurance-chômage1(la " Loi ").

1. Question de droit


[2]          La question de droit visée est la suivante :


[TRADUCTION] La défenderesse peut-elle percevoir, le 27 janvier 1999 ou après cette date, la somme que lui doit le demandeur en raison des trop-payés et des pénalités énoncés dans l"exposé conjoint des faits?
Dans l"affirmative, la défenderesse a-t-elle droit de procéder à ces recouvrements :
(i)      par voie de compensation, en application de l"article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques?
(ii)      par voie de saisie et de vente des biens mobiliers du demandeur ou par l"obtention d"un privilège à l"égard de ses biens immobiliers ou la vente de ces derniers?

2. Exposé conjoint des faits


[3]          Voici les faits pertinents essentiels pour trancher la question susmentionnée. Le 27 janvier 1993, la défenderesse (la " Commission ") a informé ledemandeur du fait que ses prestations étaient suspendues, que des pénalités totalisant 18 060,00 $ lui étaient imposées et qu"il devait rembourser des versements excédentaires de prestations s"élevant à 37 598,00 $.



[4]          Entre 1993 et 1998, une somme de 11 946,00 $ a été perçue du demandeur et, le 19 octobre 1998, la Commissiona tenté d"obtenir paiement du solde s"élevant à 43 753,88 $. Le 15 décembre 1998, la Commission a déposé auprès de la Cour un certificat de jugement attestant l"existence d"une créance de ce montant, plus 41,00 $ de droits d"enregistrement, pour une somme totale de 43 753,88 $. Ces cotisations, trop-payés et pénalités n"ont jamais été contestés ni fait l"objet d"un appel par le demandeur en application des dispositions de la Loi.



[5]          Le 15 mars 1999, le demandeur a reçu un avis de la Commission selon lequel son remboursement d"impôt pour l"année d"imposition 1998 de 1 756,33 $ avait été porté en diminution de sa dette envers la Commission conformément à l"article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques2. Entre 1993 et 1998, une somme de 11 946,00 $ a également été perçue du demandeur sous forme de paiements volontaires versés par ce dernier et par voie de compensation fiscale comme l"autorise cette même disposition.



[6]          Le 4 juillet 1999, le demandeur a déposé une déclaration dans laquelle il allègue que le délai de prescription de six ans prévu au paragraphe 35(4) de la Loi empêche la Commission de recouvrer d"autres sommes exigibles. La Commission conteste cette action et fait valoir que le certificat enregistré auprès de la Cour fédérale dans le délai de six ans lui donne le droit de continuer de percevoir les sommes dues par le demandeur après l"expiration du délai de prescription. Cette prétention constitue, en bref, la question en litige dans la présente affaire.

3. Dispositions pertinentes de la Loi


[7]          Il n"est pas contesté que le litige en l"espèce relève de l"ancienne Loi et non de l"actuelle Loi sur l"assurance-emploi3. En effet, suivant les dispositions transitoires du paragraphe 159(1) de l"actuelle Loi sur l"assurance-emploi, toutes les questions relatives aux demandes de prestations pour une période de prestations débutant avant l"abrogation de l"ancienne Loi sont traitées conformément à celle-ci.



[8]          Le paragraphe 33(1) de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire d"imposer une pénalité lorsqu"elle estime que le prestataire a fait une déclaration fausse ou trompeuse. Selon le paragraphe 33(4), la Commission doit imposer cette pénalité au plus tard trente-six mois suivant la date de la fausse déclaration. L"article 43 prévoit que la Commission a également le pouvoir de réexaminer une demande de prestations en vue d"établir si des sommes ont été versées en trop. Le paragraphe 43(6) de la Loi porte que la Commission dispose de soixante-douze mois pour réexaminer la demande lorsqu"une déclaration fausse ou trompeuse a été faite. Aux termes du paragraphe 43(5), la responsabilité liée à un trop-payé prend naissance le jour où la Commission donne avis au demandeur, soit le 27 janvier 1993 en l"espèce.



[9]          Les modalités applicables au recouvrement sont énoncées aux articles 35 et 94 de la Loi. Le texte de ces dispositions est ainsi rédigé :

35. (1) Where a person has received benefit under this Act for a period in respect of which he is disqualified or any benefit to which he is not entitled, he is liable to repay an amount equal to the amount paid by the Commission in respect thereof.

35. (1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en vertu de la présente loi au titre d'une période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des prestations ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la Commission à cet égard.

(2) All amounts payable under this section or section 33, 37 or 38 are debts due to Her Majesty and are recoverable as such in the Federal Court or any other court of competent jurisdiction or in any other manner provided by this Act.

(2) Les sommes payables en vertu du présent article ou des articles 33, 37 ou 38 constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la présente loi.

...

...

(4) No amount due as a debt to Her Majesty under this section may be recovered after seventy-two monthsfrom the date on which the liability arose.

(4) Le recouvrementdes créances visées au présent article se prescrit par soixante-douze moisà compter de la date où elles ont pris naissance.

(5) A limitation period established by subsection (4) does not run during any period when there is pending an appeal or other review of any decision establishing liability for the amount to be recovered.

(5) Tout appel ou autre voie de recours formé contre la décision qui est à l'origine de la créance à recouvrer interrompt la prescription visée au paragraphe (4).

...

...

94. (1) An amount payable under Part I that has not been paid or such part of an amount payable under that Part as has not been paid may be certified by the Commission

94. (1) Une somme ou fraction de somme payable en vertu de la partie I et qui n'a pas été payée peut être certifiée par la Commission :

     (a) forthwith, when in the opinion of the Commission the person liable to pay the amount is attempting to avoid payment; and
     a) immédiatement, lorsque la Commission est d'avis que la personne qui doit payer cette somme tente d'éluder le paiement de cotisations;
     (b) otherwise, on the expiration of thirty days after the default.
     b) sinon, trente jours francs après le défaut de paiement.

(2) On production to the Federal Court, a certificate made under this section shall be registered in the Court and when registered has the same force and effect, and all proceedings may be taken thereon, as if the certificate were a judgment obtained in the Courtfor a debt of the amount specified in the certificate plus interest to the day of payment as provided for in this Act.

(2) Un certificat établi en vertu du présent article est enregistré à la Cour fédérale sur production à celle-ci et il a dès lors la même force et le même effet et il permet d'intenter les mêmes procédures que s'il s'agissait d'un jugement obtenu devant ce tribunalpour une dette du montant y spécifié majoré des intérêts prévus par la présente loi jusqu'à la date du paiement.

(my emphasis)

(mon soulignement)

[10]          Par conséquent, l"article 35 prévoit que la personne qui a reçu des prestations auxquelles elle n"a pas droit est tenue de rembourser les sommes qui constituent des créances de Sa Majesté dont le recouvrement peut être poursuivi soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la Loi. Or, le recouvrement des créances visées à cette disposition se prescrit par soixante-douze mois à compter de la date où elles ont pris naissance (le 27 janvier 1993 en l"occurrence). En l"espèce, aucun appel ni aucune autre voie de recours susceptible de prolonger ce délai de soixante-douze mois n"a été formé contre la décision à l"origine de la créance. Cependant, selon l"article 94, le dépôt d"un certificat a la même force et le même effet et il permet d"intenter les mêmes procédures que s"il s"agissait d"un jugement de la Cour fédérale.

4. Analyse


[11]          À mon avis, les termes du paragraphe 35(4) sont simples et sans ambiguïté : aucune créance ne peut être recouvrée après soixante-douze mois. On ne peut procéder au recouvrement une fois ce délai expiré. La version française du texte porte que " le recouvrement se prescritpar soixante-douze mois ". Il est manifeste que le recouvrement est interdit par le texte législatif et prescrit après ce délai. Les seules exceptions dont cette disposition fait l"objet se trouvent au paragraphe 35(5), suivant lequel tout appel ou autre voie de recours, mais non le dépôt d"un certificat, interrompt la prescription.



[12]          Si le législateur avait eu l"intention, à l"article 94, de proroger le délai applicable en matière de recouvrement, il l"aurait précisé. La Loi constitue un code complet prévoyant des pénalités et des trop-payés ainsi que les modalités de leur recouvrement. La Commission dispose de soixante-douze mois pour recouvrer la créance à compter de la date où l"assuré est avisé de la créance. Le délai de prescription de soixante-douze mois vise toutes les méthodes de recouvrement, y compris le certificat prévu à l"article 94. En effet, le paragraphe 35(4) n"aurait aucun sens si le simple dépôt d"un certificat entraînait la prorogation de ce délai. Voici ce qu"a déclaré la Cour d"appel fédérale au sujet de ce code complet dans l"arrêt Brière c. Canada (Commission de l"emploi et de l"immigration)4, à la page 110 :

[...] Dans la Loi de 1971 sur l"assurance-chômage, le Parlement a légiféré pleinement sur le droit de répétition des prestations d"assurance-chômage versées en trop et sur la prescription des créances qui en résultent pour le compte de la Couronne, dont la Commission est mandataire5. Les dispositions pertinentes de la Loi constituent en elles-mêmes un code completqui, lorsque la Commission s"en prévaut, régissent l"établissement et le recouvrement de ses créances à l"exclusion des règles du droit commun.
[Non souligné dans l"original.]



[13]          Dans l"arrêt Canada (Procureur général) c. Laforest6, la Cour d"appel fédérale, encore sous la plume du juge Lacombe rédigeant l"opinion majoritaire, affirme à la page 4 que le recours sous forme de certificat qui est visé au paragraphe 49(3) doit être exercé dans le délai fixé par la Loi :

Enfin, le régime instauré par le Parlement aux articles 49 et 57 pour le recouvrement des prestations d"assurance-chômage est un régime d"exception, qui est exhorbitant [sic] du droit commun. Comme tels, les articles en question doivent être interprétés restrictivement [sic]. Ils accordent en effet à la Commission des pouvoirs exceptionnels où elle est juge et partie en même temps pour établir d"autorité sa créance et la réaliser non seulement devant les tribunaux mais le cas échéant, l"exécuter elle-même d"autorité " de toute autre manière prévue par la présente loi "(paragraphe 49(2)), v.g. par la compensation (paragraphe 49(3)), le dépôt de son certificat à la Cour fédérale, la demande à un tiers qui est une forme de saisie-arrêt en mains tierces, etc. (article 112). Ces pouvoirs exceptionnels doivent être confinés rigoureusement dans les limites et selon les exigences de la Loi, ce qui comprend les délais dans lesquels ils sont exerçés et qui ne peuvent être élargis par interprétation judiciaire et par la recherche des intentions présumées du législateur.
[Non souligné dans l"original.]



[14]          Le Vocabulaire juridique7donne la signification juridique du terme " recouvrement " :

Recouvrement
Perception de sommes d"argent dues et par extension ensemble des opérations (judiciaires ou extrajudiciaires) tendant à obtenir le paiement d"une dette d"argent (on parle en ce sens du recouvrement d"une créance, d"une pension, de l"impôt, des dépens); réception d"un paiement volontaire ou forcé.



[15]          Dans le Dictionnaire de droit québécois et canadien d"Hubert Reid (1994), le terme " recouvrement "est ainsi défini :

Recouvrement
Action de rentrer en possession d"un bien ou d"une somme d"argent qui est due.

Enfin, voici comment le Nouveau Petit Robert (1996) définit le terme " recouvrer " :

Recouvrer
1. Rentrer en possession de... Recouvrer son bien, son argent. Recouvrer la santé : guérir, se rétablir [...] 2. Recevoir le paiement de (une somme due). Recouvrer une créance, un effet de commerce. Recouvrer l"impôt.



[16]          Comme il s"agit d"un mécanisme de recouvrement, le certificat visé à l"article 94 n"est susceptible d"exercice que dans le délai prescrit et ne peut avoir effet après l"expiration de celui-ci. La Commission doit recouvrer et (ou) obtenir jugement et se faire rembourser dans le délai fixé. Le certificat et le jugement ont pour objet de permettre à la Commission de recourir à des modalités de recouvrement très efficientes et radicales. On lui accorde soixante-douze mois pour prendre ces mesures. Après l"expiration des soixante-douze mois, cette possibilité n"existe plus.



[17]          Il n"appartient pas à la Cour, mais bien au législateur, de décider si le délai de soixante-douze mois est trop long ou trop court. Le strict délai de prescription fait clairement savoir à la Commission qu"elle doit agir dans un délai raisonnable.



[18]          Les mêmes motifs s"appliquent au recouvrement par voie de compensation visé à l"article 155 de la Loi sur la gestion des finances publiques et à la perception par voie de saisie et de vente ou par l"obtention d"un privilège à l"égard des biens du demandeur. À mon sens, on ne peut recourir à ces modalités de perception que dans le délai de soixante-douze mois. Il s"ensuit, en réponse à la question de droit, que la défenderesse ne peut, sous le régime de la Loi sur l"assurance-chômage, percevoir le 27 janvier 1999 ou après cette date, les sommes dues par le demandeur au titre des trop-payés et des pénalités.



[19]          Il faut donc répondre par la négative aux trois volets de la question de droit. Les dépens liés à la présente action sont adjugés au demandeur.




OTTAWA (Ontario)

Le 15 juin 2000

     " J.E. DUBÉ "

     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, L.LL.

__________________

1      L.R.C. (1985), ch. U-1.

2      L.R.C. (1985), ch. F-11.

3      L.C. 1996, ch. 23.

4      [1989] 3 C.F. 88; 93 N.R. 115, 89 C.L.L.C. 14, 025; 25 F.T.R. 80; 57 D.L.R. (4th) 402 (C.A.F.); modifiant [1986] A.C.F. no 558 (C.F. 1re inst., T-1481-85).

5      Loi régissant l"emploi et l"immigration, S.C. 1976-77, ch. 54, art. 10.

6      [1988] A.C.F. no 546; 62 D.L.R. (4th) 83 (C.A.F.).

7      Cornu, Gérard. Vocabulaire juridique , 4e édition, Paris, Presses universitaires de France, 1994.

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