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Date: 19971204


Dossier : T-1724-94

     ACTION IN REM CONTRE

     LES NAVIRES "ARCTIC TAGLU" ET "LINK 100"

     ET IN PERSONAM

ENTRE:

     BIRGIT KAJAT,

     demanderesse,

     et


LE NAVIRE "ARCTIC TAGLU", LE PROPRIÉTAIRE ET

TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE

NAVIRE "ARCTIC TAGLU", LE NAVIRE "LINK 100", LES

PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES AYANT UN

DROIT SUR LE NAVIRE "LINK 100", SEA-LINK

MARINE SERVICES LTD., MALCOLM BRUCE BROPHY,

GARY McKRAE et SA MAJESTÉ LA REINE DU

CHEF DU CANADA représentée par le MINISTRE

DES TRANSPORTS,

     défendeurs,


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED:

[1]      Le 26 août 1997, des motifs ont été prononcés à la suite de l'audition de la présente action qui s'est déroulée du 2 au 25 juin 1997. Dans les motifs du jugement prononcés le 26 août 1997, l"actuaire de la demanderesse, M. McKellar, avait été prié de recalculer le montant du sinistre subi par la demanderesse, par renvoi à certaines conclusions énoncées dans ces motifs. De plus, à la demande de l"avocat, certaines questions n"avaient pas été plaidées au procès (notamment l'intérêt avant jugement, la limitation de responsabilité, les dépens).

[2]      Ceci a conduit à une vidéoconférence, le 23 septembre 1997, au cours de laquelle le rapport de M. McKellar a été présenté. Il contenait deux séries de calculs, l"une fondée sur l"hypothèse selon laquelle M. Kajat aurait continué à fournir des services domestiques jusqu'à l'âge de la retraite, 65 ans, l"autre selon laquelle il l'aurait fait tant qu'ils auraient été vivants, lui et son épouse. M. McKellar n"était pas sûr, d"après les motifs du jugement du 26 août 1997, de l'hypothèse sur laquelle la Cour s"était fondée. Pendant la vidéoconférence du 23 septembre 1997, une entente a été conclue sur l'intérêt avant jugement qui devrait être stipulé dans l"ordonnance définitive. L"avocat de la demanderesse a aussi déclaré que l"ordonnance devrait inclure le redressement demandé dans la déclaration à l"encontre du navire "Arctic Taglu".

[3]      Bien que l"avocat de la demanderesse ait été prêt à présenter des arguments sur les dépens et à en demander la majoration, ce qu'il a fait, ses adversaires n"étaient pas en mesure d'y répondre. Une audience en personne a été demandée pour traiter cette question et pour présenter des arguments sur le partage de la responsabilité. Cette demande a été accueillie; toutefois, des difficultés dans l"établissement du calendrier ont conduit à renoncer à une autre audience en personne, et des observations écrites sur ces questions ont donc été présentées.

[4]      Les présents motifs concernent les points en litige, et je demande à l"avocat de la demanderesse de rédiger, sur le fondement de ces motifs, une ébauche d"ordonnance que je signerai et que l"avocat de la partie adverse aura approuvée quant à la forme.

[5]      Premièrement, le calcul de la perte devrait être fondé sur la prestation de services domestiques pendant la durée de la vie des deux parties, Monsieur et Madame Kajat. Deuxièmement, l"ordonnance devrait indiquer l'intérêt avant jugement sur lequel les avocats s'étaient entendus. Troisièmement, elle devrait inclure, comme l"a demandé l"avocat de la demanderesse, le redressement réclamé à l"encontre du navire.

[6]      Je passe maintenant à la question du partage de la responsabilité. Les deux avocats des défendeurs ont soulevé l"argument selon lequel, du fait que M. Kajat était partiellement en faute pour l"accident, la demanderesse ne devrait pas recevoir de dommages-intérêts. Ils ont cité l"arrêt Bow Valley Husky (Bermuda Ltd.) et al v. Saint John Shipbuilding et al. (1995), 126 D.L.R. (4th) 1 (C. A. T.-N.). L"autorisation d'interjeter appel contre cette décision devant la Cour suprême avait été accordée, et le pourvoi avait été entendu le 19 juin 1997 : il avait été sursis au prononcé du jugement. Le juge de première instance dans cette affaire avait conclu qu'en droit maritime canadien, la négligence contribuante constituait un moyen de défense complet contre toute action d"un demandeur. Les demandeurs s"étaient, par conséquent, vu refuser réparation. La Cour d"appel de Terre-Neuve a jugé, comme il est expliqué dans le sommaire de son jugement, que le droit maritime canadien s"appliquait à la faute à laquelle les dommages causés à l'installation de forage pétrolier étaient imputables et qu'il exigeait un partage de la responsabilité en cas de négligence contribuante. D"après le jugement, tel était le cas, soit en vertu de la Contributory Negligence Act de Terre-Neuve, R.S.N. 1990, ch. 33, qui était appliquée, soit, à titre subsidiaire, du fait que le droit maritime canadien en soi prévoyait le principe du partage.

[7]      J"estime que le droit maritime canadien, dans une affaire comme en l"espèce, n"a pas pour effet de priver la demanderesse de son droit à une réparation du fait de la négligence contribuante de M. Kajat. S'il est nécessaire de plaider de façon particulière et d"invoquer la Negligence Act de la Colombie-Britannique, R.S.B.C. 1979, ch. 298, j'accède à la requête de l"avocat de la demanderesse en vue de faire modifier la déclaration afin d"y ajouter le paragraphe suivant :

         [TRADUCTION]                 
         26A. La demanderesse plaide et invoque la Negligence Act, R.S.B.C. 1979, ch. 298, modifiée.                 

[8]      La règle 420 des Règles de la Cour fédérale prévoit que la Cour peut amender les plaidoiries à tout stade d"une action. Aucun préjudice n"a été causé à l"une ou l"autre des parties du fait de la modification. Je préfère fonder la décision en l"espèce sur les mêmes fondements subsidiaires que ceux qui ont été adoptés par la Cour d"appel de Terre-Neuve, au lieu de ne m"appuyer que sur le droit maritime canadien. Il est important que la demanderesse ne subisse pas de préjudice par inadvertance du fait qu"un aspect a été oublié dans les plaidoiries.

[9]      Les défendeurs ont présenté des observations sur le partage de la responsabilité entre eux. Chacun a, bien entendu, cherché à persuader la Cour que l"autre avait une plus grande part de responsabilité dans l"accident. Je répartis la faute entre les défendeurs comme étant à 70% imputable au défendeur Sea Link et à 30% à la Couronne. Bien que le capitaine Keeper ait fait preuve de négligence en n"examinant pas la façon dont le remorqueur a poussé la barge, il a, dans une certaine mesure, été amené à adopter cette position par l"approche de M. Brown, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle n'était pas très sincère.

[10]      Le témoignage montre que M. Brown s"inquiétait du fait que le Arctic Taglu/Link 100 n"était pas classé comme unité composite parce que cela aurait pu causer un durcissement des exigences en matière de dotation en personnel, c"est-à-dire des frais plus élevés pour lui. S'il s"était davantage préoccupé de la sécurité de ses navires pour les tiers quand ils naviguaient, et moins de son propre intérêt économique, cette tragédie aurait pu être évitée. Je n"oublie pas le fait qu"il existait un certain nombre de causes qui ont contribué à l"accident, notamment la mauvaise interprétation des règlements par M. Wade et la propre fatigue de M. Kajat. Toutefois, la plus grande partie de la responsabilité est imputable aux défendeurs Sea Link. Non seulement M. Brown ne s'est pas montré très sincère vis-à-vis de la Garde côtière mais, comme il a été expliqué dans les motifs du 26 août 1997, c"est l"utilisation du projecteur par l"opérateur de l"Arctic Taglu/Link 100 qui a poussé le Bona Vista à virer brusquement à bâbord et à chercher à traverser à toute vapeur devant la proue de l"Arctic Taglu/Link 100.

[11]      J'en viens maintenant aux arguments concernant les dépens, qui sont au nombre de deux, savoir, (1) si la demanderesse devrait obtenir une majoration des dépens supérieure à ce qui est prévu à la Colonne III de la Partie II du Tarif B; (2) si la demanderesse ne devrait recouvrer que 85 % des dépens évalués.

[12]      En ce qui concerne la majoration des dépens, je conviens avec l"avocat de la demanderesse que les défendeurs Sea Link ont adopté des positions extrêmes. Le manque de sincérité, pour ne pas dire d'honnêteté, de certains des témoins-clés a créé des difficultés pour la demanderesse, difficultés auxquelles elle n'avait pas à faire face. De plus, la disparition de la dernière page du journal de bord demeure inexplicable. Si les témoins comme MM. McKrae et Brown avaient fait preuve de transparence et de sincérité, la présente action aurait sans doute été réglée en grande partie; il aurait dû en être ainsi.

[13]      De la même manière, l"allégation très émotive selon laquelle M. Kajat avait laissé son fils âgé de six ans à la timonerie à 2 h 43, juste à l"extérieur de Active Pass, et que cette faute aurait conduit à l"accident, ressemble à de l"intimidation émotive. Mme Kajat a décrit la détresse qu"elle a ressentie quand elle en a été informée, et le stress émotif qui lui a été causé par le témoignage du plongeur à propos de la localisation des corps et de l'état dans lequel il les a découverts, témoignage sur lequel se sont appuyés les défendeurs Sea Link pour faire leur allégation. Le bon sens commande de considérer cette allégation comme déraisonnable.

[14]      L"avocat de Mme Kajat a écrit à l"avocat des défendeurs Sea Link, le 8 avril 1997, dans les termes suivants :

         [TRADUCTION]                 
         En réponse à votre lettre du 26 mars 1997 dans laquelle vous donnez comme exemple de faute le fait que :         
              "M. Kajat, la seule personne qui ait eu une expérience maritime, ne se trouvait pas à la timonerie juste avant la collision et a laissé son fils âgé de six ans comme seul occupant de la timonerie."                 
         Cet exemple de faute est de nature à influer indûment sur le jury et ne peut être étayé sur aucune des preuves révélées dans les témoignages des personnes interrogées ou dans les documents produits au présent litige. Veuillez nous communiquer les faits sur lesquels vous vous appuyez pour faire cette allégation.         
         Si vous avez l"intention de faire cette allégation au procès, nous vous avertissons que nous exigerons des dépens supplémentaires à l"encontre de vos clients, au cas où vous ne seriez pas capables d'en faire la preuve. Nous vous suggérons d"envisager de la retirer.         

[15]      Je conviens que la conduite des défendeurs Sea Link mérite que des dépens supplémentaires soient adjugés. Cependant, je n'estime pas approprié d"adjuger des frais entre avocat et client ni de montant forfaitaire. J"ordonnerais à l"officier taxateur d'appliquer la Colonne V de la Partie II du Tarif B à la taxation des dépens de la demanderesse. Sous réserve de cette directive, bien entendu, l"officier taxateur doit toujours exercer son pouvoir discrétionnaire, conformément au paragraphe 346(1.1) des Règles . Je conviens avec l"avocat de la Couronne que celle-ci ne devrait pas être tenue responsable de la majoration des dépens qui découle de la conduite de la défenderesse Sea Link. Tant l"avocat de la Couronne que celui de la défenderesse Sea Link ont convenu, toutefois, que l'article 7 devrait être taxé en vertu de la colonne V, et la défenderesse Sea Link a convenu que l'article 12 devrait aussi être taxé conformément à cette colonne. Compte tenu de ces aspects, j'invite l'avocat de la Couronne à collaborer avec l'avocat de la demanderesse pour proposer une ébauche d'article afin de mettre en oeuvre l'intention exprimée dans le raisonnement ci-dessus. Cet article sera inclus dans l'ébauche d"ordonnance qui doit m'être présentée.

[16]      J"examinerai à présent l"argument selon lequel la demanderesse, du fait que son mari a été jugé pour 15 % en tort dans l'accident, ne devrait recevoir que 85 % de ses dépens. L"avocat des défendeurs a soutenu que si le partage de la responsabilité entre M. Kajat et les défendeurs a été fait conformément à la Negligence Act de la Colombie-Britannique, le partage des dépens doit aussi être fait en vertu de cette Loi, aux termes de laquelle :

         [Traduction]
         3(1)      Sauf ordonnance contraire de la Cour, la responsabilité des dépens des parties dans toute action est proportionnelle à leur responsabilité respective pour compenser le préjudice ou la perte.                 

        

[17]      Je ne suis pas convaincue que la Negligence Act de la Colombie-Britannique s'applique. La loi provinciale ne s'applique qu'en cas de silence de la loi fédérale applicable. En l'espèce, la règle 344 des Règles de la Cour fédérale prévoit que les dépens sont adjugés à la discrétion du juge de première instance, notamment en ce qui concerne leur somme et leur répartition, ainsi que les personnes qui doivent les supporter. Parmi les facteurs dont la Cour peut tenir compte dans l'adjudication des dépens, citons le résultat de l'instance et le partage de la responsabilité. Il n'existe aucune lacune juridique à combler par un renvoi à la loi provinciale.

[18]      Ainsi, que le partage de la responsabilité soit fait directement en vertu du droit maritime canadien ou en ne s'appuyant que sur la loi provinciale pertinente en matière de faute, la règle 344 régit l'adjudication des dépens.

[19]      Si je me trompe dans ce raisonnement et que l'adjudication des dépens soit régi par l"article 3 de la Negligence Act de la Colombie-Britannique, je dois alors me demander s'il s'agit d'un cas où la Cour devrait rendre une "ordonnance contraire". Ainsi, la décision n"est pas essentiellement différente, qu"elle soit prise en vertu de la Loi ou en vertu de la règle 344.

[20]      Je conclus, pour bon nombre des mêmes motifs qui ont justifié une augmentation des dépens, qu"il est approprié, en l'espèce, de ne pas réduire l'allocation des dépens taxés de la demanderesse parce que le Bona Vista était jugé pour 15 % en tort dans l"accident. En plus de ces motifs, je souligne que ce n'est pas la faute de la demanderesse qui a contribué à l"accident et que le degré de faute attribué à son mari n"est pas élevé.

     B. Reed

                                 Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 4 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              T-1724-94
INTITULÉ DE LA CAUSE :          BIRGIT KAJAT c. LE NAVIRE
                         "ARCTIC TAGLU" ET AL.
LIEU DE L"AUDIENCE :              OTTAWA (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 23 SEPTEMBRE 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE REED

DATE :                      LE 4 DÉCEMBRE 1997

ONT COMPARU :

D. ROSS CLARK                      REPRÉSENTANT LA
et                              DEMANDERESSE

DIANA L. DOREY

W. GARY WHARTON                  REPRÉSENTANT LES
et                              NAVIRES DÉFENDEURS

NEVIN FISHMAN

ROBERT J. McDONELL                  REPRÉSENTANT SA
et                              MAJESTÉ LA REINE

STACEY S. SILBER

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

DAVIS & COMPANY                  POUR LA
VANCOUVER (C.-B.)                  DEMANDERESSE
CAMPNEY & MURPHY                  POUR LES NAVIRES
VANCOUVER (C.-B.)                  DÉFENDEURS
FARRIS, VAUGHAN, WILLS & MURPHY      POUR SA MAJESTÉ LA
VANCOUVER (C.-B.)                  REINE
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