Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 19990322

Dossier : IMM-1678-98

OTTAWA (ONTARIO), LE LUNDI 22 MARS 1999

DEVANT : LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE

JEAN-MICHEL BAHA NGUE,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

ORDONNANCE

            Pour les motifs énoncés dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à une formation différente pour nouvelle audition.

                                                                                                             Max M. Teitelbaum              

                                                                                                                        J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

Date : 19990322

Dossier : IMM-1678-98

ENTRE

JEAN-MICHEL BAHA NGUE,

demandeur,

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

défendeur.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]         Le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a conclu, le 3 mars 1998, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision et renvoyant l'affaire pour nouvelle audition.


LES FAITS

[2]         Le demandeur, qui est un citoyen du Cameroun, est arrivé au Canada le 28 mai 1997. Il a allégué être persécuté du fait de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social.

[3]         Le demandeur a allégué que son père avait été membre de l'Union des populations du Cameroun (l'UPC) depuis 1990. En 1992, le demandeur est devenu membre de l'UPC et s'est livré avec son père à des activités politiques. Le 3 février 1994, la police secrète s'est présentée chez eux et a arrêté le père. En essayant de s'enfuir par une fenêtre, le demandeur s'est blessé sur des morceaux de vitre cassée. Il a été arrêté et amené dans un hôpital d'où il s'est enfui.

[4]         Le demandeur a quitté le Cameroun le 4 février 1994 pour se rendre au Gabon et en Guinée. Quelques jours après son départ, il a appris que son père était décédé par suite des blessures qu'il avait subies entre les mains de la police secrète. Le demandeur est retourné au Cameroun pour assister aux funérailles de son père. Il a ensuite fait un séjour au Gabon et en Guinée où il s'est livré à des activités commerciales jusqu'au mois d'avril 1997. En avril 1997, il s'est rendu aux Pays-Bas pour quelques mois et en Espagne pour quelques jours. Il est arrivé au Canada en avril 1997 et a immédiatement revendiqué le statut de réfugié.

La décision de la Commission de l'immigration

[5]         La Commission a rejeté la demande pour les motifs suivants :

Le demandeur n'a pas démontré d'une façon crédible et digne de foi une crainte raisonnable de persécution aux motifs invoqués.

Tout son périple et le fait qu'il n'ait jamais cru bon de se réclamer de la protection d'un État en plus de cinq ans, nous incitent à penser que sa crainte n'est pas particulièrement fondée. Le fait qu'il ne parle pas hollandais n'est pas une raison suffisante pour expliquer l'omission.

Le demandeur n'a eu aucun problème lors des obsèques de son père qui, selon le demandeur, était un militaire à la retraite. Cela nous confirme que sa crainte n'est pas crédible.

Même en attendant que le demandeur ait été membre de l'UPC, pendant un mois ou deux en 1992, il nous est difficile de croire que les autorités s'acharneraient contre lui cinq ans plus tard.

ARGUMENTS

[6]         Le demandeur invoque essentiellement deux arguments. En premier lieu, il soutient que la Commission a commis une erreur lorsqu'elle a interprété d'une façon erronée la définition de « réfugié au sens de la Convention » figurant au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et appliqué le mauvais critère aux faits de l'affaire en exigeant que le demandeur démontre avoir une crainte « particulièrement fondée » . Il est soutenu que le critère à appliquer est de savoir s'il existe une possibilité raisonnable que le demandeur soit persécuté s'il retourne dans son pays d'origine. En second lieu, il est soutenu que la Commission a commis une erreur en faisant des remarques au sujet du fait que le demandeur avait omis de revendiquer le statut de réfugié au cours des cinq dernières années et qu'il avait attendu d'être au Canada pour le faire étant donné que cela impose une norme de preuve qui est plus rigoureuse que celle qu'exige le paragraphe 2(1) de la Loi. En outre, il est soutenu que la Guinée n'a pas signé la Convention et que, partant, la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions de fait défavorables pour le motif que pendant plus de cinq ans le demandeur n'avait pas revendiqué le statut de réfugié.

[7]         Dans l'affidavit qu'il a déposé à l'appui de la demande de contrôle judiciaire, le demandeur a fait certaines remarques dignes de mention. Il est soutenu que la Commission a commis une erreur en disant dans ses motifs que le demandeur avait disposé d'un délai de cinq ans pour revendiquer le statut de réfugié alors qu'en fait il ne s'était écoulé que trois ans; que le père du demandeur était officier dans l'armée alors qu'en fait, il était un agent de police à la retraite; et en concluant qu'il avait été membre du parti d'opposition pendant quelques mois seulement alors qu'en fait il était devenu membre du parti en 1992 et qu'il en est peut-être encore membre. De plus, étant donné que la Commission ne mentionne pas ou n'examine pas la preuve documentaire dans ses motifs, il est soutenu qu'elle a omis de tenir compte d'éléments de preuve tels que la carte d'identité nationale du demandeur, le certificat de décès de son père et un certificat faisant état de la cause du décès.

[8]         En tant que question préliminaire, le défendeur, dans ses prétentions écrites, soutient que l'affidavit du demandeur renferme des arguments sur des points de droit, ce qui est contraire au paragraphe 12(1) des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration, lesquels auraient strictement dû être inclus dans un mémoire des faits et du droit. La question n'a pas été débattue à l'audience.

[9]         Le défendeur soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur susceptible de révision. En tirant une conclusion au sujet de la crédibilité, la Commission a tenu compte du fait que le demandeur était retourné au Cameroun pour assister aux funérailles de son père et qu'il n'avait pas eu de problèmes à ce moment-là; qu'il avait attendu plus de trois ans pour revendiquer le statut de réfugié et qu'il n'avait pas revendiqué pareil statut lorsqu'il avait séjourné dans des pays qui avaient signé la Convention, à savoir les Pays-Bas et l'Espagne. Le défendeur soutient que la Commission n'a pas imposé à l'égard de la preuve une obligation plus stricte que celle qui a été établie dans la décision Adjei, infra, qui traite de l'obligation qui incombe au demandeur de démontrer que la crainte qu'il a d'être persécuté est objectivement fondée. L'extrait de la décision de la Commission se rapporte expressément à l'appréciation de la crédibilité du demandeur et non au fondement objectif de ses craintes. L'appréciation de la crédibilité d'une personne relève des pouvoirs discrétionnaires de la Commission; on ne devrait intervenir que si elle est manifestement déraisonnable ou si elle est fondée sur des facteurs étrangers ou non pertinents. À cet égard, il n'était pas déraisonnable pour la Commission de tirer une conclusion de fait défavorable fondée sur les motifs que le demandeur a donnés pour avoir omis de revendiquer le statut de réfugié aux Pays-Bas compte tenu du fait qu'un de ses frères réside à cet endroit.

[10]       En ce qui concerne les erreurs dont le demandeur fait mention dans son affidavit, il est soutenu que la Commission n'a pas commis d'erreur en omettant de mentionner toute la preuve documentaire dans ses motifs puisqu'elle n'est pas tenue d'aborder toutes les questions de fait ou d'examiner tous les éléments de preuve. En outre, en ce qui concerne les erreurs commises par la Commission lorsqu'elle a dit que le père du demandeur était officier dans l'armée plutôt qu'agent de police à la retraite, que le demandeur avait disposé d'un délai de cinq ans pour revendiquer le statut de réfugié plutôt que d'un délai de trois ans et qu'il avait uniquement été membre d'un parti politique pendant deux mois par opposition à une période indéterminée, il est soutenu qu'il ne s'agit pas d'erreurs importantes ou déterminantes justifiant l'intervention de cette cour.

LA QUESTION EN LITIGE

[11]       Le demandeur soulève les questions suivantes :

1)La Commission a-t-elle appliqué une obligation différente de celle qui a été établie dans la décision Adjei c. MEI [1989] 2 C.F. 680, en ce qui concerne la preuve?

2)La conclusion défavorable que la Commission a tirée au sujet de la crédibilité est-elle raisonnable compte tenu du fait que le demandeur n'a pas revendiqué le statut de réfugié aux Pays-Bas et pendant les trois ans qui ont suivi son départ du Cameroun?

3)Les erreurs de fait figurant dans les motifs de la Commission influent-elles d'une façon déterminante sur le résultat et justifient-elles l'intervention de cette cour?

ANALYSE

[12]       La Commission a conclu qu'il n'existait pas de fondement crédible à l'appui de la revendication du demandeur et a statué que « sa crainte n'est pas particulièrement fondée » . Le demandeur soutient que la Commission a imposé au demandeur une charge plus rigoureuse que celle qui a été établie dans la décision Adjei c. MEI [1989] 2 C.F. 680, selon laquelle le demandeur doit démontrer qu'il existe une possibilité raisonnable d'être persécuté s'il retourne dans son pays d'origine.

[13]       Comme l'a soutenu le demandeur, la charge de la preuve établie dans la décision Adjei, supra, se rapporte au fondement objectif de la crainte de l'intéressé. Seule la crainte subjective se rapporte à des questions de crédibilité.

[14]       En l'espèce, les motifs de la Commission montrent que l'absence de crédibilité constituait le seul fondement justifiant le rejet de la revendication du demandeur. Il est de droit constant que les décisions relatives à la crédibilité portent sur des questions de fait et que la Commission a le pouvoir discrétionnaire voulu pour apprécier cette crédibilité. Toutefois, il est également établi que les conclusions de crédibilité défavorables doivent être justifiées, c'est-à-dire être fondées sur des contradictions internes, sur des incohérences ou sur des subterfuges : Giron c. Canada (MEI) (1992), 143 N.R. 238 (C.A.F.).

[15]       Dans une décision récente, Bennasir c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (C.F. 1re inst.), (Imm-852-97, 27 avril 1998), le juge Cullen a résumé le droit en ce qui concerne les conclusions de crédibilité défavorables :

La Cour ne va normalement pas intervenir lorsque la Commission se prononce sur une question de crédibilité, puisque celle-ci a l'occasion d'observer en direct le témoignage du demandeur. La Commission est donc mieux placée pour jauger la crédibilité des témoins que ne l'est une cour de justice appelée à se prononcer sur une décision de la Commission : Rajaratnam c. M.E.I. (1991), 135 N.R. 300 (C.A.F.); Aguebor c. M.E.I. (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.); Brar c. M.E.I. (1993), 152 N.R. 157 (C.A.F.). Cela dit, dans le cadre de sa décision, la Commission ne peut pas retenir des inférences défavorables fondées sur des conclusions de fait manifestement erronées : Gracielome c. M.E.I. (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.). De plus, la Commission est tenue d'exprimer en des termes clairs et non équivoques toute conclusion défavorable touchant la crédibilité d'un témoin : Hilo c. M.E.I. (1991), 15 Imm. L.R. (2d) 199 (C.A.F.).

[16]       En l'espèce, la Commission dit, à l'appui de sa conclusion, que le demandeur a attendu cinq ans pour revendiquer le statut de réfugié, qu'il n'a pas eu de problèmes lorsqu'il est retourné chez lui pour assister aux funérailles de son père, qui était officier dans l'armée, et qu'il n'avait été membre d'un parti politique que pendant deux mois.

[17]       La preuve montre que les faits sur lesquels la Commission s'appuie pour tirer une conclusion de crédibilité défavorable sont inexacts. Ainsi, comme il en a été fait mention, la Commission a conclu que le père du demandeur était officier dans l'armée plutôt qu'agent de police, la Commission a conclu que le demandeur avait participé pendant deux mois à des activités politiques sans disposer d'éléments de preuve à ce sujet et qu'il avait attendu cinq ans pour revendiquer le statut de réfugié plutôt que trois ans. Les deux parties le reconnaissent. Le défendeur a soutenu que les erreurs n'influaient pas d'une façon déterminante sur le résultat et qu'elles ne devraient pas justifier l'intervention de cette cour.

[18]       J'ai lu toute la documentation et j'ai entendu les arguments oraux; à mon avis il s'agit de savoir si la conclusion de crédibilité défavorable peut être confirmée compte tenu des nombreuses erreurs de fait que la Commission a commises ou, en d'autres termes, s'il reste des éléments de preuve à l'appui de cette conclusion défavorable une fois que les erreurs de fait ont été séparées des autres éléments de preuve dont la Commission a fait mention dans ses motifs.

[19]       Dans l'arrêt Rezaei c. Canada (MEI) (A-255-90, 30 avril 1992), la Cour d'appel fédérale a statué qu'une conclusion de crédibilité défavorable peut être annulée si la Commission, en rendant sa décision, a interprété la preuve d'une façon erronée ou n'en a pas tenu compte. En l'espèce, il n'est pas contesté que la Commission a apprécié la preuve d'une façon erronée.

[20]       Dans les arrêts Amoah c. Canada (MEI) (C.A.F.) (A-206-92, 9 février 1995) et Luckner c. Canada (MEI) (C.A.F.) (A-255-90, 21 avril 1998), la Cour d'appel fédérale a dit que même si la Commission avait commis des erreurs de fait, la Cour n'interviendrait pas s'il existe encore des éléments de preuve à l'appui de la conclusion défavorable qui a été tirée au sujet de la crédibilité.

[21]       La décision de la Commission est essentiellement énoncée dans les trois paragraphes précités. Chaque paragraphe comporte une erreur qui se rapporte à chaque question sur laquelle la Commission a fondé sa conclusion. Certaines erreurs ne portent pas sur les faits fondamentaux en tant que tels, comme le fait que le demandeur avait attendu cinq ans au lieu de trois pour revendiquer le statut de réfugié, et il serait possible de dire qu'elles n'influent pas sur le résultat d'une façon déterminante, mais à mon avis, compte tenu des nombreuses erreurs de fait qui ont été commises, l'appréciation qui a été faite au sujet de la crédibilité est déraisonnable.

[22]       Il est fort malheureux que les commissaires n'aient pas pris le temps d'examiner la preuve avant de rédiger leur décision. Il est également fort malheureux que les commissaires ne se soient pas préoccupés d'exprimer leur avis au sujet de la preuve documentaire.

[23]       La décision est tellement brève qu'il n'y est même pas question de ce que les commissaires entendaient par « particulièrement fondée » en parlant de la crainte de persécution du demandeur.

[24]       J'ai examiné les faits et je suis convaincu que l'affaire doit être renvoyée pour nouvelle audition devant une formation différente.

[25]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[26]       Ni l'une ni l'autre partie n'a proposé la certification d'une question.

                                                                                                        Max M. Teitelbaum                   

                                                                                                                        J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :IMM-1678-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :JEAN-MICHEL BAHA NGUE

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :LE 19 MARS 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE TEITELBAUM EN DATE 22 MARS 1999.

ONT COMPARU :

Michael Doreypour le demandeur

Michèle Joubert                                    pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Dorey pour le demandeur

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.