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Date : 20040805

Dossier : T-969-04

Référence : 2004 CF 1082

ENTRE :

                                           GRAND TANK (INTERNATIONAL) INC.

                                                      et DAVLIN HOLDINGS LTD.

                                                                                                                                     demanderesses

                                                                             et

                                                    DESTINY OILFIELD RENTALS

                                                          et DARIN M. HARDING

                                                                                                                                            défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                Sans avoir présenté une demande ou une requête au préalable, les défendeurs ont soumis, par écrit, la présente requête en obtention de détails, le 6 juillet 2004.

EXAMEN


[2]                Habituellement, la courtoisie, voire la raison et la sagesse exigent que la partie qui souhaite obtenir des détails le fasse au moyen d'une lettre ou d'une demande de détails. Cette étape préliminaire n'est plus obligatoire en vertu des Règles, comme elle l'était en vertu du paragraphe 415(5), aujourd'hui abrogé, mais la pratique n'en demeure pas moins souhaitable tant pour les parties que pour la Cour puisqu'il s'agit d'une pratique sensée qui permet de gagner du temps.

[3]                Les observations du protonotaire-chef adjoint Giles, dans la décision Covington Fabrics Corp. c. Master Fabrics Ltd. (1993), 48 C.P.R. (3d) 521 (C.F. 1re inst.) et qui portent sur la pratique habituelle demeurent pertinentes :

Selon la procédure que suit habituellement la Cour, celle qu'envisagent les Règles 415(5) et 319, la partie qui requiert des détails aura présenté une ou plusieurs demandes par écrit et, si l'on a refusé de communiquer les détails en question, elle signifiera et déposera un avis de requête spécifiant les détails exigés. Cette requête est habituellement appuyée par un affidavit où il est indiqué que ladite partie a besoin de détails, qu'elle ne peut plaider sa cause sans ces derniers, qu'elle a demandé les détails en question et qu'elle ne les a pas reçus. (page 522)

D'ailleurs, la directive no 14, Pratique et procédure du greffe, adoptée en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), avalise la pratique qui consiste à demander les détails avant de déposer une requête à cette fin. En l'espèce, si les défendeurs avaient présenté, par lettre, une demande de détails, ils auraient tôt fait d'apprendre que le contrat de licence, dont ils voulaient obtenir une copie était, en fait, un contrat oral au sujet duquel ils pouvaient se renseigner pendant l'interrogatoire préalable. Mais au lieu de cela, toutes les parties concernées doivent traiter la question dans le cadre d'une requête. La partie de la requête portant sur la production du contrat de licence est rejetée.

[4]                La demande formulée dans l'avis de requête, savoir la production de la licence, pour ce qui concerne les deux demanderesses, est elle-même vague, mais le document que les défendeurs souhaitaient obtenir devient évident à la lecture de la déclaration. Il aurait toutefois été beaucoup plus sensé de préciser le document demandé dans l'avis de requête, ce qui d'ailleurs est obligatoire. Le premier paragraphe de l'avis de requête, qui ne donne aucun détail qui aurait permis aux parties concernées de prendre connaissance des problèmes et du manque de précision de la déclaration, de l'avis des défendeurs, est beaucoup moins sensé et d'ailleurs totalement irrégulier :

[traduction]

1.              Une ordonnance enjoignant aux demanderesses de fournir plus de détails pertinents concernant les allégations comprises dans la déclaration relative à la présente action selon lesquelles les défendeurs auraient sciemment et volontairement violé ou fait en sorte que soit violé le brevet canadien no 2 219 053.


L'avocat de la partie adverse et d'ailleurs la Cour elle-même ne devraient pas être obligés de lire péniblement l'affidavit à l'appui de la requête et de fouiller dans toute la déclaration pour tenter de comprendre le but de la requête. Si on tient compte de l'affidavit et des observations écrites des défendeurs, ils demandent probablement des précisions relativement à quatre paragraphes, mais quoi qu'il en soit, les défendeurs ne semblent pas demander la même chose dans l'affidavit et dans les observations écrites. En outre, si on tient compte des termes qui seraient les plus importants du paragraphe 1 de l'avis de requête [traduction] « [...] concernant les allégations comprises dans la déclaration relative à la présente action selon lesquelles les défendeurs auraient sciemment et volontairement violé ou fait en sorte que soit violé le brevet canadien no 2 219 053 » ces termes précis n'apparaissent nulle part dans la déclaration, mais il ne s'agit que d'une nouvelle formulation du paragraphe 12 de la déclaration. Pour toutes ces raisons, il y a incertitude quant à la demande et, si la demande est accueillie, incertitude quant à la portée de l'ordonnance qui devra être rendue. Une explication et des directives concernant la fonction et la forme d'un avis de requête s'imposent.

[5]                En premier lieu, le Stroud's Judicial Dictionary of Words and Phrases, Sweet & Maxwell, Londres, définit en ces termes le mot « avis » : [traduction] « un énoncé direct et précis d'une chose, à la différence de la présentation de documents dont il peut s'inférer l'existence de la chose » . Ces termes sont inspirés des motifs du baron Parke dans Burgh c. Legge (1839) 5 M & W 418, à la page 420 et suivantes, 151 ER 177 et Vallee c. Dumergue (1849) 4 Ex. 290, à la page 301 et suivantes, 154 ER 1221, savoir le jugement de la Cour rendu par le baron Alderson. Ce qui importe en l'espèce, c'est que le contenu d'un avis doit être précis et qu'il ne doit pas s'inférer d'une autre source.

[6]                Quant à une requête, il s'agit d'une [traduction]    « [...] demande présentée à la Cour afin qu'elle rende une ordonnance précise » : Garner on Modern Legal Usage, 2e édition, 1995, Oxford University Press. Dans le même ordre d'idées, le Black's Law Dictionary, 7e édition, West Group 1999, définit le mot requête en ces termes : [traduction] « une demande écrite ou orale présentée à la cour pour qu'elle rende un jugement ou une ordonnance précise » .

[7]                Les règles de plusieurs tribunaux affirment qu'un avis de requête a pour objet de dire au tribunal qu'il lui sera demandé de rendre une ordonnance ou un jugement précis. Commençons toutefois par examiner l'alinéa 319(1)b) des Règles de la Cour fédérale en vigueur avant 1998 qui prévoit qu'une demande à la Cour doit être faite par voie de requête et débute par un avis de requête qui contient des renseignements, notamment « le redressement précis recherché » . Cette exigence évidente et sensée apparaît aujourd'hui à l'article 359 des Règles qui commence par une disposition obligatoire :

359.          Avis de requête - Sauf avec l'autorisation de la Cour, toute requête est présentée au moyen d'un avis de requête établi selon la formule 359 et précise :

...

b) la réparation recherchée;

359.          Notice of motion - Except with leave of the Court, a motion shall be initiated by a notice of motion, in Form 359, setting out

...

(b) the relief sought;

À première vue, la règle diffère de l'ancienne règle qui mentionnait « le redressement précis recherché » (non souligné dans l'original), mais elle ne l'est pas puisque, en vertu des nouvelles Règles, l'avis de requête doit être présenté selon la formule 359. La formule 359 précise :

LA REQUÊTE VISE (indiquer la réparation précise demandée)

En l'espèce, il faut deviner la réparation recherchée : il est clair que l'avis ne mentionne pas précisément la réparation demandée par les défendeurs. En outre, à sa face même, la déclaration ne mentionne pas clairement les détails dont une personne raisonnablement intelligente pourrait avoir besoin et encore moins un savant défendeur qui maîtrise parfaitement l'art de séparer les grenailles de la boue de forage et de recycler la boue.


[8]                Tout ceci a entraîné un dossier de réponse à la requête qui expose de façon détaillée la demande des défendeurs, c'est-à­-dire une grande quantité de documents qui portent sur une déclaration relativement brève. Toutefois, le dossier de réponse à la requête contient une suggestion intelligente portant que, si l'avis de requête comporte des lacunes, il soit permis aux défendeurs de clarifier les détails demandés.


[9]                Quant au résultat possible, les avocats des demanderesses ont mentionné la décision Burns Foods (1985) Ltd. c. Maple Lodge Farms Ltd. (1994), 75 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.), dans laquelle le juge Cullen a rejeté une requête au motif qu'elle ne respectait pas l'ancien alinéa 319c) des Règles qui n'exigeait pas une description précise de la réparation recherchée, mais plutôt les motifs que la partie qui présentait la requête avait l'intention de soulever. Ainsi, la situation actuelle, même si elle n'est pas semblable à la situation dans l'affaire Burns Foods, lui est tout de même analogue et l'affaire Burns Foods est pertinente. Dans cette affaire, le juge Cullen a adopté une approche stricte, surtout parce que la défenderesse avait avisé la demanderesse que l'avis de requête n'était pas conforme aux Règles. En l'espèce, les avocats des demanderesses ont écrit aux avocats des défendeurs pour attirer leur attention sur les lacunes de l'avis de requête, y compris qu'il n'y avait eu aucune demande de détails préalable et que, plus important selon les avocats des demanderesses, la réparation demandée dans l'avis de requête était formulée en termes vagues et imprécis. Les avocats des demanderesses ont ajouté que les défendeurs devaient retirer l'avis et en signifier un nouveau, plus précis. Dans l'affaire Burns Foods, comme je l'ai dit, le juge Cullen a rejeté l'avis de requête irrégulier, mais il n'est pas allé jusqu'à ordonner les dépens sur la base avocat-client.

[10]            Il est vrai que, dans Burns Foods, le juge Cullen a tranché en vertu des anciennes règles, mais comme je l'ai mentionné, les Règles en vigueur avant 1998 et celles de 1998, si on tient compte de la formule obligatoire concernant l'avis de requête, sont identiques : elles exigent toutes deux que la réparation recherchée dans une requête soit précisée dans l'avis de requête.


[11]            Les tribunaux acceptent d'aider les individus, parties à un litige, qui n'arrivent pas à résoudre des questions de fond qui donnent lieu à une action en justice. Les tribunaux peuvent également aider les parties au litige et leurs avocats qui n'arrivent pas à trouver un compromis sur une question de procédure. Les Règles et la pratique ont évolué et elles facilitent la mise en application du principe selon lequel il faut tenter de trouver un compromis de manière à éviter une procédure interlocutoire longue et coûteuse. Je reviens donc à la décision du protonotaire-chef adjoint Giles dans l'affaire Covington, précitée, et à la pratique reconnue qui consiste à écrire une lettre pour demander des détails ou à présenter une demande de détails plus officielle comme condition préalable quasi obligatoire à une requête en obtention de détails. Ce genre de procédure en deux temps permet aux avocats d'avoir le temps de réfléchir, de négocier et peut-être de conclure une entente sur les détails demandés : il en aurait très certainement été ainsi en l'espèce, quant à une partie de la requête, si la demande relative à la production de la licence, laquelle licence n'est pas écrite comme le savent maintenant les défendeurs, avait été présentée dès le départ dans une lettre.

CONCLUSION

[12]            Pour revenir à l'affaire Burns Foods (précitée), la requête des demanderesses visant le rejet de la requête au motif qu'elle n'était pas conforme aux Règles a été accueillie. Il s'agit d'une réparation assez sévère qu'il ne faut pas appliquer dans tous les cas et d'autant plus, si les détails s'avèrent nécessaires pour que la partie puisse défendre sa cause. En l'espèce, je préfère la proposition des défendeurs relative à une modification.

[13]            Les défendeurs disposeront d'une période de 30 jours pour signifier et déposer un avis de requête modifié conforme à la pratique habituelle, aux Règles et aux présents motifs. Soit l'avis de requête précisera les détails demandés soit ces détails seront précisés dans une demande de détails ou dans une lettre qui sera annexée à la requête. Les demanderesses disposeront de 21 jours pour répondre. J'espère que cette prolongation du délai permettra à tout le moins aux parties de tenter d'en arriver à un règlement.


[14]            Les défendeurs qui, s'ils s'étaient enquis d'une manière officieuse, avant de signifier et de présenter une requête, auraient appris qu'il s'agissait d'un contrat de licence oral, n'ont pas eu gain de cause en ce que la partie de la requête concernant la production de la licence a été rejetée. Les défendeurs n'ont pas eu gain de cause relativement au reste de la requête dans la mesure où leur requête n'a pas été rejetée et qu'ils ont obtenu l'autorisation de la modifier. Cependant, les demanderesses ont été obligées, inutilement, de consacrer temps et argent à cette affaire. Par conséquent, les défendeurs devront verser sans tarder les dépens aux demanderesses comme

condition préalable à la présentation des documents modifiés, sous forme de somme globale, conformément au tarif B, au taux moyen de la colonne IV, le montant forfaitaire de 660 $.

                                                                                                                            « John A. Hargrave »             

                                                                                                                                         Protonotaire                    

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 5 août 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES

DOSSIER :                                                     T-969-04

INTITULÉ :                                                    GRAND TANK (INTERNATIONAL) INC. ET AL.

c.

DESTINY OILFIELD RENTALS ET AL.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :               LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 5 AOÛT 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :

David J McGruder & Craig A Ash                     POUR LES DEMANDERESSES

J Jay Haugen                                                     POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oyen Wiggs Green & Mutala                             POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Vancouver (C.-B.)

Parlee McLaws LLP                                         POUR LES DÉFENDEURS

Avocats

Edmonton (Manitoba)

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