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Date : 20010531

Dossier : T-205-00

Référence neutre : 2001 CFPI 568

ENTRE :

    ALLIANCE DE LA FONCTION PUBLIQUE DU CANADA

                                                                                          demanderesse

                                                    - et -

           SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                   représentée par le CONSEIL DU TRÉSOR

et le COMMISSAIRE DE LA COMMISSION CANADIENNE DES GRAINS

                                                                                                 défendeurs

        MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]    Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du commissaire de la Commission canadienne des grains (censé agir en vertu du pouvoir de Sa Majesté la Reine du chef du Canada, représentée par le Conseil du Trésor), en date du 21 décembre 1999, et qui a décidé de mettre 69 employés de son installation de Thunder Bay, en « situation d'inactivité » sans leur consentement, et sans paie pendant trois mois à compter du 10 janvier 2000 jusqu'au 3 mars 2000.


LES FAITS

[2]    La demanderesse, L'Alliance de la fonction publique du Canada, est une organisation d'employés au sens de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35, et ses modifications (LRTFP), et elle est accréditée par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) à titre d'agent négociateur pour plus de 100 000 fonctionnaires fédéraux, dont les 69 employés de la Commission canadienne des grains qui ont été mis « en situation d'inactivité » .

[3]    La Commission canadienne des grains figure à la Partie I de l'Annexe I de la LRTFP, et, par conséquent, c'est le Conseil du Trésor qui est l'employeur de ces employés, aux termes de l'alinéa 2a) de la LRTFP.

[4]    L'installation de Thunder Bay fournit des services à l'industrie céréalière au port de Thunder Bay. Les céréales sont expédiées de l'Ouest par rail jusqu'à Thunder Bay et sont ensuite transportées par bateau en empruntant la voie maritime du Saint-Laurent.

[5]    Les employés de l'installation de Thunder Bay procèdent à l'inspection et au pesage des expéditions de céréales qui sont reçues aux terminaux et qui sont ensuite chargées à bord des navires. Les employés vérifient également les cargaisons contre les infestations, traitent la documentation relative aux expéditions et effectuent des vérifications des stocks au terminal.


[6]                 La Commission canadienne des grains donne du travail à 105 employés à plein temps, nommés pour une durée indéterminée, pendant toute l'année à son installation de Thunder Bay. Elle a également recours à des employés saisonniers à cette installation, uniquement pendant la période d'ouverture de la voie maritime du Saint-Laurent (du début d'avril jusqu'à la fin de décembre) et à des employés, nommés pour une durée déterminée, qui sont embauchés pour effectuer le travail quand de grandes quantités de céréales sont expédiées.

[7]                 La demanderesse est l'agent négociateur accrédité de 89 (sic) employés à plein temps, nommés pour une durée indéterminée (ci-après appelés les « employés d'exploitation » ) qui sont classés dans trois groupes professionnels, savoir le groupe des inspecteurs de produits primaires (PI), le groupe du soutien technologique et scientifique (EG), et le groupe des manoeuvres - manutentionnaires céréaliers et peseurs des grains (GL-GHW).

[8]                 La voie maritime du Saint-Laurent est fermée à la navigation dans les mois d'hiver (de la fin décembre à la fin mars) et il y a donc une réduction de la charge de travail et des besoins en personnel pendant cette période.


[9]                 Le travail disponible dépend du programme de transport ferroviaire annoncé par la Commission canadienne du blé qui continue habituellement d'expédier des céréales par rail pendant l'hiver. À l'automne 1999, la Commission canadienne du blé a décidé de ne pas expédier de céréales par rail en passant par Thunder Bay à l'hiver 2000. Sa décision a été communiquée à la Commission canadienne des grains le 6 décembre 1999.

[10]            En raison de la réduction des volumes de céréales que l'on pouvait s'attendre à traiter au port, la Commission canadienne des grains a envoyé le 21 décembre 1999 une lettre à 69 « employés d'exploitation » pour les informer qu'ils seraient mis « en situation d'inactivité » , à compter du 10 janvier 2000, et que la date prévue de leur retour au travail était fixée au 3 avril 2000.

[11]            Les employés mis « en situation d'inactivité » ont continué d'être employés par la Commission canadienne des grains, mais ont temporairement été autorisés à ne pas se présenter au travail, c'est-à-dire qu'ils étaient sans travail et sans paie.

[12]            La Commission canadienne des grains a rappelé certains « employés d'exploitation » quelques semaines après l'implantation de ce plan d'action, pour des périodes d'une à deux semaines de travail. Au bout du compte, tous les « employés d'exploitation » étaient de retour au travail le 13 mars 2000.


[13]            Par suite de la décision des défendeurs de mettre certains employés dans une « situation d'inactivité » à l'hiver 2000, la demanderesse a été privée d'une partie des cotisations syndicales payables par tous les employés qui travaillent plus de dix jours par mois.

[14]            Au début de l'audience, les défendeurs ont soulevé une objection concernant la qualité pour agir de la demanderesse dans cette demande de contrôle judiciaire et la compétence de la présente Cour à connaître de cette demande.

[15]            Les motifs suivants traiteront de ces questions.

QUESTIONS EN LITIGE

     La demanderesse a-t-elle qualité pour présenter cette demande de contrôle judiciaire ?

     Cette demande de contrôle judiciaire devrait-elle être radiée par suite de la procédure de règlement des griefs réglementaire prévue dans la LRTFP ?

LES DISPOSITIONS PERTINENTES

[16]            Les dispositions pertinentes de la LRTFP se trouvent aux paragraphes 91(1), 92(1) et 99(1) :



91 . (1) Sous réserve du paragraphe (2) et si aucun autre recours administratif de réparation ne lui est ouvert sous le régime d'une loi fédérale, le fonctionnaire a le droit de présenter un grief à tous les paliers de la procédure prévue à cette fin par la présente loi [non souligné dans l'original], lorsqu'il s'estime lésé :

91(1) Where any employee feels aggrieved

           a) par l'interprétation ou l'application à son égard :

   (a) by the interpretation or application, in respect of the employee, of

                       (i) soit d'une disposition législative, d'un règlement -- administratif ou autre --, d'une instruction ou d'un autre acte pris par l'employeur concernant les conditions d'emploi,

              (i) a provision of a statute, or of a regulation, by-law, direction or other instrument made or issued by the employer, dealing with terms and conditions of employment, or

                       (ii) soit d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

              (ii) a provision of a collective agreement or an arbitral award, or

           b) par suite de tout fait autre que ceux mentionnés aux sous-alinéas a)(i) ou (ii) et portant atteinte à ses conditions d'emploi.

   (b) as a result of any occurrence or matter affecting the terms and conditions of employment of the employee, other than a provision described in subparagraph (a)(i) or (ii).

in respect of which no administrative procedure for redress is provided in or under an Act of Parliament, the employee is entitled, subject to subsection (2), to present the grievance at each of the levels, up to and including the final level, in the grievance process provided for by this Act. [Emphasis added].

92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur_:

92 (1) Where an employee has presented a grievance, up to an including the final level in the grievance process, with respect to

           a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;

   (a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,

b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;

(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),

              (i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or


              (ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or

           c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire.

   (c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty, and the grievance has not been dealt with to the satisfaction of the employee, the employee may, subject to subsection (2), refer the grievance to adjudication. [Emphasis added].

99. (1) L'employeur et l'agent négociateur qui ont signé une convention collective ou sont liés par une décision arbitrale peuvent, dans les cas où l'un ou l'autre cherche à faire exécuter une obligation qui, selon lui, découlerait de cette convention ou décision, renvoyer l'affaire à la Commission, dans les formes réglementaires, sauf s'il s'agit d'une obligation dont l'exécution peut faire l'objet d'un grief de la part d'un fonctionnaire de l'unité de négociation visée par la convention ou la décision.[Non souligné dans l'original]

99(1) Where the employer and a bargaining agent have executed a collective agreement or are bound by an arbitral award and the employer or the bargaining agent seeks to enforce an obligation that is alleged to arise out of the agreement or award, and the obligation, if any, is not one the enforcement of which may be the subject of a grievance of an employee in the bargaining unit to which the agreement or award applies, either the employer or the bargaining agent may, in the prescribed manner, refer the matter to the Board. [Emphasis added].


MOYENS DES PARTIES

     La demanderesse

[17]            La demanderesse soutient que la seule véritable question dont est saisie la Cour a trait à sa qualité pour agir dans cette demande de contrôle judiciaire. Si la Cour estime que la demanderesse est directement touchée et qu'elle a la qualité pour agir, aucune question ne se pose concernant le mécanisme administratif de réparation prévu dans la LRTFP parce que l'article 91 vise uniquement les employés. Par conséquent, la demanderesse ne pourrait se prévaloir des dispositions de la LRTFP.


a)         La qualité pour agir

[18]            La demanderesse soutient qu'elle est directement touchée par la question au sujet de laquelle elle demande réparation, au sens du paragraphe 18.1(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7.

[19]            Elle fait valoir qu'en tant qu'agent négociateur accrédité, elle a un pouvoir indépendant de représenter les membres de l'unité pour laquelle elle est accréditée. Ce pouvoir s'étend à une multitude de questions qui touchent les employés à titre individuel ou l'ensemble de l'unité de négociation. La seule restriction expresse imposée au pouvoir de la demanderesse d'agir en tant qu'agent négociateur accrédité se trouve à l'article 10 de la LRTFP, qui impose à toutes les organisations d'employés l'obligation d'assurer une représentation équitable.

[20]            Ce serait commettre une erreur de droit que de limiter ses droits de représentation à la négociation collective dans la fonction publique et à d'autres activités expressément permises en vertu de la LRTFP, même si son statut découle de cette loi.


[21]            La demanderesse a le droit de contester la décision des défendeurs lorsque les intérêts en jeu vont au-delà de ceux des employés et touchent les intérêts de l'ensemble de l'unité de négociation, même si une telle décision a un effet important sur les employés qui forment l'unité ou qu'elle peut faire l'objet d'un grief déposé par un employé en vertu de l'article 91 de la LRTFP.

[22]            Elle a un intérêt direct dans cette affaire du fait qu'elle a perdu des contisations syndicales qui sont payables uniquement en tant que pourcentage des salaires versés. La décision des défendeurs de mettre certains employés en « situation d'inactivité » prive la demanderesse de sa capacité de percevoir les cotisations syndicales, qui est une source importante de stabilité financière.

[23]            La demanderesse fait valoir que la décision des défendeurs a eu et continuera d'avoir des effets néfastes importants sur l'intégrité de l'unité de négociation qu'elle représente. L'unité de négociation est le fondement essentiel du statut de la demanderesse en tant qu'agent négociateur et l'objet principal de ses obligations réglementaires.

[24]            En outre, la question du droit d'un employeur de mettre unilatéralement des employés dans une « situation d'inactivité » est une question qui pourrait se poser dans plusieurs contextes d'emploi à l'échelle de la fonction publique. Cette demande de contrôle judiciaire peut donc avoir des répercussions non seulement sur les employés de la Commission canadienne des grains, mais aussi sur tous les employés de la fonction publique.


[25]            Finalement, le statut indépendant de la demanderesse concernant cette question ressort clairement de la conduite des parties. La demanderesse soutient que les discussions et les consultations qui ont eu lieu avec les défendeurs au sujet de la « situation d'inactivité » sont des indices clairs et éloquents du fait que les défendeurs eux-mêmes considèrent la demanderesse comme ayant un intérêt relativement au milieu de travail qui est distinct de celui des employés qui sont touchés par leur décision.

           b)         La compétence de la Cour

[26]            La demanderesse soutient qu'il ressort clairement du libellé même de l'article 91 de la LRTFP qu'un agent négociateur accrédité ne peut déposer un grief en son propre nom aux termes de cet article. Les questions soulevées dans cette demande de contrôle judiciaire ne portent pas sur l'application d'une obligation découlant d'une convention collective. Par conséquent, la demanderesse n'a pas le droit de demander un renvoi à la CRTFP en vertu de l'article 99 de la LRTFP. Ainsi donc, la demanderesse ne peut se prévaloir des mécanismes administratifs de réparation établis par le législateur dans la LRTFP.


[27]            La demanderesse invoque le critère élaboré dans la décision Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, à l'appui de la proposition selon laquelle la présente Cour devrait se déclarer incompétente uniquement dans les cas où une partie a accès à un tiers décideur indépendant nommé par la loi ou par convention. La demanderesse fait valoir qu'elle n'a accès à aucun mécanisme administratif de réparation et que, par conséquent, elle a le droit de présenter cette demande de contrôle judiciaire.

[28]            La demanderesse souligne, que, conformément à la jurisprudence qui a confirmé le critère Weber, il doit y avoir un fondement quelconque dans la Loi ou dans la convention collective pour qu'une partie puisse invoquer un mécanisme de réparation non judiciaire. Aucun pareil fondement n‘existe en l'espèce et, par conséquent, la Cour a plein pouvoir pour connaître de cette demande de contrôle judiciaire.

[29]            La nature restreinte du mécanisme administratif de réparation prévu à l'article 91 de la LRTFP ne prévoit que la possibilité pour un employé de déposer un grief contre différentes mesures prises par un employeur au moyen de la procédure de règlement des griefs qui, au bout du compte, fait intervenir des décideurs qui sont les supérieurs de l'employé. Cet article ne prévoit aucun recours indépendant et il ne sert finalement qu'à porter une plainte concernant les mesures de l'employeur à l'attention de l'employeur lui-même. La demanderesse soutient qu'il doit y avoir une disposition législative claire dont le but est de la priver de sa capacité de présenter une demande de contrôle judiciaire pour cette raison.


[30]            Elle fait aussi valoir que le mécanisme administratif subsidiaire de réparation doit pouvoir offrir une réparation réelle et qu'il doit traiter de façon approfondie et efficace du fond de la question. Par conséquent, quand on examine la compétence de la Cour à connaître d'une question en particulier, c'est l'efficacité du mécanisme administratif de réparation qui est l'élément déterminant. Ce serait commettre une erreur de droit que d'obliger une partie à se pourvoir devant une instance qui n'offre aucune réparation réelle, alors que cette réparation pourrait être obtenue devant une aute instance.

     Les défendeurs

           a)         La qualité pour agir

                      (i)         L'article 91 de la LRTFP

[31]            Les défendeurs font valoir que leur décision de mettre certains employés en « situation d'inactivité » est une question qui relève de la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 de la LRTFP (et dans les deux conventions collectives). L'alinéa 91(1)b) de la LRTFP englobe toute contestation de la décision de mettre les 69 « employés d'exploitation » en « situation d'inactivité » , c'est-à-dire que la décision contestée constitue un « fait portant atteinte à [leurs] conditions d'emploi » .

[32]            La demanderesse ne peut se soustraire aux dispositions de règlement des conflits prévues dans la LRTFP (et les deux conventions collectives) en demandant l'application subsidiaire des articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, en se constituant elle-même partie, et en prétendant que, par conséquent, elle ne peut avoir recours au mécanisme administratif de réparation prévu à l'article 91 de la LRTFP.


[33]            La question de la qualité pour agir ne peut être tranchée en excluant la LRTFP, qui a été qualifiée par cette Cour de [TRADUCTION] « code complet pour le règlement des conflits de travail » . Le régime législatif offre aux employés un mécanisme de règlement des conflits à deux branches qui exclut leur agent négociateur accrédité du nombre des parties, sauf dans des circonstances restreintes, par exemple dans le cas des renvois prévus à l'article 99 de la LRTFP.

[34]            La demanderesse ne devrait pas pouvoir échapper aux restrictions prévues dans la LRTFP et contourner la loi en faisant appel à un mécanisme subsidiaire, c'est-à-dire une demande de contrôle judiciaire, et en se nommant elle-même demanderesse au nom des 69 « employés d'exploitation » .

(ii)        L'article 99 de la LRTFP

[35]            Les défendeurs font valoir qu'en l'espèce il était loisible à la demanderesse de se prévaloir du mécanisme administratif de réparation prévu à l'article 99 de la LRTFP. Aux termes de cet article, un agent négociateur accrédité peut renvoyer une question à la CRTFP s'il s'agit d'une question d'application de la convention collective qui ne peut faire l'objet d'un grief déposé par un employé.


[36]            Les allégations de dénégation illégale de cotisations syndicales auraient pu être renvoyées à la CRTFP en vertu de l'article 99 de la LRTFP. La perception de cotisations syndicales est traitée dans les deux conventions collectives touchant les « employés d'exploitation » .

[37]            Subsidiairement, tout impact sur la demanderesse est indirect et ne tombe pas sous le coup de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

(iii)       Capacité de représentation en dehors du cadre de la LRTFP

[38]            Les défendeurs contestent la position de la demanderesse qui prétend que les tribunaux ont reconnu le pouvoir d'un agent négociateur accrédité de représenter ses membres, en dehors du cadre de la LRTFP, que sa capacité de représentation va au-delà de la simple représentation de ses membres et lui permet d'acquérir le statut de partie en son propre nom. La demanderesse n'est pas constituée en syndicat ouvrier/agent négociateur et son pouvoir de représentation découle exclusivement de la LRTFP.

b)         La compétence de la Cour

                      (i)         Un tiers décideur indépendant


[39]            Les défendeurs prétendent que, pour appliquer le critère Weber, il n'est pas nécessaire qu'il y ait un tiers décideur indépendant en vertu de la LRTFP. Le fait que le litige soulevé par la demanderesse puisse faire l'objet de la procédure de règlement des griefs, plutôt que d'être renvoyé à un arbitre, ne prive pas les employés touchés d'un moyen de résoudre leurs griefs. En déterminant si un organisme d'arbitrage a compétence pour connaître d'un différend, le décideur doit respecter l'intention du législateur telle qu'elle est exprimée dans le ou les textes législatifs régissant les parties.

[40]            La LRTFP établit un mécanisme exhaustif pour le règlement des conflits liés au travail entre les employés de la fonction publique fédérale et leur employeur. L'absence d'un libellé obligatoire ne rend pas ce mécanisme moins exhaustif pour autant. Le droit de déposer un grief s'étend à presque toutes les questions liées à l'emploi.

[41]            Dans les limites de ce mécanisme exhaustif, il est clair que le législateur a réservé un rôle beaucoup plus restreint à l'arbitrage qu'à la procédure de règlement des griefs. Il a créé un mécanisme de règlement des conflits à deux branches, en vertu duquel la plupart des plaintes peuvent faire l'objet de griefs aux termes de l'article 91 de la LRTFP, alors que quelques autres seulement seront renvoyées à l'arbitrage en vertu de l'article 92 de la LRTFP. Ce mécanisme a été accepté par la voie de la négociation collective et il est donc applicable aux 69 « employés d'exploitation » .


[42]            L'exhaustivité du mécanisme prévu par la LRTFP a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Johnson-Paquette c. Canada, [2000] 253 N.R. 305 (C.A.F.). La Cour d'appel fédérale a aussi expressément statué que les différences entre le régime prévu par la LRTFP et le régime examiné par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber ne soustraient pas la LRTFP du modèle de la compétence exclusive. Les considérations de politique générale sur lesquels la Cour a fondé sa décision dans l'arrêt Weber « subsistent et demeurent applicables aux procédures de règlement des conflits de travail prévues dans la LRTFP » .

[43]            La Cour d'appel fédérale a reconnu deux exceptions à l'exclusivité du mécanisme de la LRTFP : (1) la compétence résiduelle des tribunaux, découlant de leurs pouvoirs particuliers, par exemple pour l'octroi d'une injonction, et (2) l'obligation pour les employés en vertu du paragraphe 91(1) de la LRTFP, d'avoir recours à une procédure administrative spécialisée pour obtenir réparation, quand cette procédure existe. Aucune de ces exceptions ne s'applique en l'espèce.

                      (ii)        Lacunes de la procédure de règlement des griefs en matière de réparation

[44]            Les défendeurs sont d'avis que la procédure de règlement des griefs pouvait fournir une réparation efficace en l'espèce. La légalité de la décision des défendeurs de mettre certains employés en « situation d'inactivité » est une question de droit qui, si elle avait fait l'objet d'un grief, aurait pu être réglée en vertu des dispositions des conventions collectives applicables, par le sous-ministre ou son représentant.


[45]            Les défendeurs notent que la décision prise au dernier palier peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La suggestion voulant que la procédure de règlement des griefs n'offre qu'une réparation inadéquate n'est pas exacte. En fait, le grief pourrait être examiné par un tiers par voie de recours en contrôle judiciaire.

ANALYSE

           a)         Qualité pour agir

[46]            Pour ce qui concerne la qualité pour agir de la demanderesse, l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale stipule qu'une demande peut être présentée « [...] par quiconque est directement touché par l'objet de la demande » .

[47]            Pour les motifs énoncés ci-dessous, je conclus que la demanderesse n'est pas directement touchée par la décision des défendeurs de mettre les « employés d'exploitation » en « situation d'inactivité » .

[48]            La décision des défendeurs fait partie des questions pouvant être réglées au moyen de la procédure de règlement des griefs prévue à l'article 91 de la LRTFP (et dans les deux conventions collectives) parce que cette décision porte atteinte aux conditions d'emploi des 69 « employés d'exploitation » .


[49]            Le mécanisme de la LRTFP offre aux « employés d'exploitation » un mécanisme de règlement des différends à deux branches qui empêche la demanderesse de réclamer le statut de partie dans la procédure de règlement des griefs, sauf dans certaines circonstances, comme dans le cas d'un renvoi prévu à l'article 99 de la LRTFP.

[50]            Par conséquent, la demanderesse ne peut se soustraire aux restrictions prévues dans la LRTFP et contourner la loi en faisant appel à un mécanisme subsidiaire, c'est-à-dire la demande de contrôle judiciaire, en se nommant elle-même partie, et en prétendant qu'il n'y a pas de recours concernant le mécanisme de règlement des conflits prévu dans la LRTFP.

[51]            En outre, aux termes de l'article 99 de la LRTFP, la demanderesse pourrait renvoyer la question à la CRTFP parce que la perception des cotisations syndicales (ou la dénégation illicite à cet égard par suite de la décision des défendeurs) est prévue dans les deux conventions collectives, et que cette question ne peut être réglée au moyen du dépôt d'un grief par un employé. (Voir par exemple, Association canadienne du contrôle du trafic aérien c. Conseil du Trésor, [1991] C.P.S.S.R.B. no 163).

[52]            Je ne peux trouver dans les décisions citées par la demanderesse de justification à ses affirmations selon lesquelles elle a un pouvoir indépendant de représenter les membres de l'unité de négociation qui s'étend à une multitude de questions qui peuvent avoir des effets sur les employés ou sur l'unité de négociation en général.


[53]            La demanderesse cite tout d'abord l'arrêt Linetsky c. Resanovic, [1985] A.C.F. no 417 (C.A.F.), qui traitait de la portée des articles 6 (activités légales de l'organisation d'employés) et 8 (participation de l'employeur à une organisation d'employés) de la LRTFP et, plus particulièrement, de la question de savoir si l'employeur pouvait menacer le président de la section locale de mesures disciplinaires pour avoir cherché à représenter, à titre de conseiller, un membre du syndicat au cours d'une audience n'ayant aucun rapport avec la LRTFP. Je ne crois pas que cette décision signifie que les droits de représentation de la demanderesse à titre d'agent négociateur accrédité s'étendent à toute une multitude de questions liées à l'emploi.

[54]            La deuxième décision est l'arrêt Canada (Procureur général) c. Alliance de la fonction publique du Canada, [1990] A.C.F. no 1069 (C.A.F.), qui traitait de la compétence de la CRTFP de se prononceer sur un renvoi qui lui avait été soumis en vertu de l'article 99 de la LRTFP. L'Alliance de la fonction publique du Canada alléguait que l'employeur avait violé la politique sur le réaménagement des effectifs (faisant partie de la convention collective) en donnant du travail en sous-traitance en dehors de l'unité de négociation pertinente. Je ne crois pas que cette décision puisse appuyer la proposition selon laquelle la demanderesse a un intérêt qui est indépendant de celui des employés qu'elle représente.


[55]            La dernière décision à laquelle la demanderesse a fait référence est Jacques et Alliance de la fonction publique du Canada, [1995] C.P.S.S.R.B. no 38 (CRTFP), qui traitait d'une plainte de représentation inéquitable, fondée sur l'article 23 de la LRTFP, déposée à l'encontre de l'Alliance de la fonction publique du Canada par un de ses membres. La CRTFP a réitéré qu'un agent négociateur accrédité avait une certaine discrétion dans la manière dont il représente ses membres qui ont des intérêts contradictoires, sous réserve que cette décision ne soit pas prise arbitrairement, d'une manière discriminatoire ou de mauvaise foi. Ici encore, cette décision n'appuie pas la proposition de la demanderesse selon laquelle un agent négociateur accrédité a le pouvoir indépendant de représenter ses membres.

           b)         La compétence de la Cour

[56]            Je vais maintenant aborder le critère Weber pour préciser quelque peu la compétence de la Cour sur cette question.


[57]            Dans l'arrêt Weber, la Cour suprême du Canada devait déterminer si une clause d'arbitrage obligatoire en vertu de la Loi sur les relations de travail de l'Ontario, L.R.O. 1990, ch. L.2, dépossédait le tribunal de sa compétence dans une action, lorsqu'un employé avait déposé un grief alléguant une contravention à la convention collective et intenté une action en responsabilité délictuelle et en violation des droits protégés par la Charte relativement au fait que l'employeur avait embauché des détectives privés pour faire enquête sur son congé de maladie prolongé.

[58]            La Cour suprême du Canada a adopté le modèle de la compétence exclusive, en vertu duquel l'arbitre a compétence exclusive au sujet d'un conflit qui, dans son essence, relève de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective (aux paragraphes 50, 52, 54, 57 et 58) :

[...] si le différend qui oppose les parties résulte de la convention collective, le demandeur doit avoir recours à l'arbitrage, et les tribunaux n'ont pas le pouvoir d'entendre une action relativement à ce litige.

[...]

Il s'agit, dans chaque cas, de savoir si le litige, dans son essence, relève de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution de la convention collective.

[...]

Ce modèle ne ferme pas la porte à toutes les actions en justice mettant en cause l'employeur et l'employé. Seuls les litiges qui résultent expressément ou implicitement de la convention collective échappent aux tribunaux : [...] En outre, les tribunaux possèdent une compétence résiduelle fondée sur leurs pouvoirs particuliers, ainsi que l'a confirmé le juge Estey dans St. Anne Nackawic, précité.

[...]

Il se peut que l'arbitre n'ait pas le pouvoir d'accorder la réparation requise. Le cas échéant, les tribunaux de compétence inhérente de chaque province peuvent alors assumer cette compétence. Notre Cour a confirmé dans St. Anne Nackawic que la loi du Nouveau-Brunswick ne dépossédait pas les cours supérieures de leur compétence inhérente résiduelle d'accorder des injonctions en matière de relations du travail (à la p. 724). [...] Il faut donc éviter, pour reprendre les termes du juge Estey dans St. Anne Nackawic (à la p. 723), la « privation réelle du recours ultime » .


En résumé, le modèle de la compétence exclusive est tout à fait conforme au libellé du par. 45(1) de la Loi sur les relations de travail et il concorde avec la position adoptée par notre Cour dans St. Anne Nackawic. En outre, il exauce le souhait que la procédure de règlement de litige établie par les diverses lois sur les relations du travail au pays ne soit pas doublée ou minée par des actions concomitantes. Il obéit à une tendance de plus en plus forte à faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de la procédure d'arbitrage et de grief et à reconnaître des restrictions corrélatives aux droits des parties d'intenter des actions en justice qui sont parallèles ou se chevauchent [...] [Non souligné dans l'original.]

[59]            Le critère Weber a été suivi depuis et il a été récemment appliqué par la Cour suprême du Canada dans Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, dans lequel la Cour devait décider, entre deux régimes législatifs concurrents, lequel devait régir un différend concernant des questions de discipline et de renvoi d'un policier. La Cour a déclaré ceci (aux paragraphes 34 et 39) :

[l]e raisonnement qui sous-tend le modèle adopté dans l'arrêt Weber, précité, pour déterminer l'instance décisionnelle compétente, était fondé, en partie, sur la reconnaissance que le fait de permettre que des litiges soient entendus par un tribunal autre que celui que prévoit un régime législatif complet destiné à régir tous les aspects des rapports entre les parties dans le cadre des relations du travail porterait atteinte à ce régime[...].

[...]

Cette logique s'applique, qu'il s'agisse de choisir entre un tribunal et une instance décisionnelle créée par la loi ou entre deux organismes créés par la loi. La question clé dans chaque cas est de savoir si l'essence du litige, dans son contexte factuel, est expressément ou implicitement visée par un régime législatif. Pour statuer sur cette question, il convient de donner à la loi une interprétation libérale de façon à ce que l'attribution de compétence à une instance que n'avait pas envisagée le législateur ne porte pas atteinte au régime. [Non souligné dans l'original.]

[60]            En l'espèce, j'estime que la LRTFP établit un code complet pour le règlement des conflits liés à l'emploi entre les employés de la fonction publique fédérale et leur employeur. Je suis parvenue à la même conclusion dans la décision Johnson-Paquette c. Canada (1999), 159 F.T.R. 42, aux paragraphes 20, 21 et 23 :

La demanderesse soutient que son cas n'étant pas couvert par l'article 92, elle ne peut pas aller en arbitrage, ce qui devrait lui donner le droit de saisir la Cour fédérale. Cet argument n'est pas valide à la lumière du paragraphe 96(3), que voici :[...].

En bref, la convention collective spécifie que le recours indiqué est celui prévu par la Loi et qui est un processus de grief en règle. Si le plaignant n'est pas satisfait de l'issue du grief déposé sous le régime de l'article 91 et que le différend soit couvert par l'article 92, il peut aller en arbitrage. Si le différend n'est pas couvert par l'article 92, la décision est finale selon le paragraphe 96(3). Quelle qu'en soit l'issue, la décision rendue par l'agent des griefs en application de l'article 91 ou par l'arbitre en application de l'article 92 peut, par application de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, faire l'objet d'un recours en contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

[...]

En l'espèce, la demanderesse n'a pas épuisé la procédure de grief prévue par la Loi ni le recours en contrôle judiciaire subséquent. Ce qu'elle essaie de faire, c'est d'attaquer en contrôle judiciaire la décision de l'agent des griefs par voie d'action en dommages-intérêts pour délit civil, ce qu'elle ne peut pas faire. [Non souligné dans l'original.]

[61]            La Cour d'appel fédérale a maintenu la décision et, pour ce qui concerne l'exhaustivité de la LRTFP, elle a noté ceci ([2000] 253 N.R. 305 (C.A.F.), au paragraphe 10) :

[...] le législateur a, au moyen d'une loi, adopté ce qui se veut manifestement un code complet applicable à la résolution des litiges en matière de relations de travail dans un secteur donné d'activité et a rendu l'issue des recours prévus dans la loi finale et obligatoire pour les personnes concernées, le fait de permettre le recours aux tribunaux ordinaires auxquels ces tâches n'ont pas été attribuées porterait atteinte au régime législatif.


[62]            Comme l'ont signalé les défendeurs, la Cour d'appel fédérale a conclu que les différences entre le mécanisme établi dans la LRTFP et le mécanisme analysé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Weber ne soustraient pas la LRTFP du modèle de la compétence exclusive. Les considérations de politique générale sur lesquelles la Cour a fondé sa décision dans l'arrêt Weber « subsistent et demeurent applicables aux procédures de règlement des conflits de travail prévues dans la LRTFP » (paragraphe 8).

[63]            En l'espèce, les deux conventions collectives applicables aux « employés d'exploitation » et la loi en vigueur prévoient le règlement de tels conflits en milieu de travail, qui portent atteinte aux conditions d'emploi des « employés d'exploitation » .

[64]            Il est clair que les « employés d'exploitation » pouvaient déposer un grief concernant cette question en invoquant l'article 91 de la LRTFP. En outre, la demanderesse pouvait également renvoyer l'affaire à la CRTFP pour que celle-ci se penche sur la supposée dénégation de cotisations syndicales (par suite de la décision des défendeurs).

[65]            Par conséquent, la demanderesse ne peut chercher à contourner la procédure de règlement des griefs prévue dans la LRTFP en déposant une demande de contrôle judiciaire contestant la légalité de la décision des défendeurs.


[66]            Pour tous ces motifs, j'estime que la demanderesse n'a pas la qualité nécessaire pour déposer cette demande et la Cour n'a pas compétence pour connaître de la question. Compte tenu de ma conclusion sur cette question, il est inutile de poursuivre l'étude de la demande.

[67]            La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Danièle Tremblay-Lamer »

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 31 mai 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL. L., trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                         A-205-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          Alliance de la fonction publique du Canada

c.

Sa Majesté la Reine du chef du Canada et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 2 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                           MADAME LE JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER

DATE DES MOTIFS :                                     le 31 mai 2001

ONT COMPARU

Andrew Raven                                                     POUR LA DEMANDERESSE

Jacquie de Aguayo

Richard Fader                                                     POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Raven, Allen, Cameron & Ballantyne                  POUR LA DEMANDERESSE

Ottawa (Ontario)

Morris Rosenberg                                                 POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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