Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20190402


Dossier : IMM‑4247‑18

Référence : 2019 CF 397

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 2 avril 2019

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LASZLO RUSZO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE LIMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie dune demande de contrôle judiciaire visant une décision défavorable rendue le 31 mai 2018 dans le contexte d’un examen des risques avant renvoi [ERAR] par un agent principal [lagent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada.

[2]  Pour les motifs suivants, la présente demande est accueillie.

Contexte

[3]  Le demandeur est de citoyenneté hongroise. En mars 2010, le demandeur, son épouse et leurs deux enfants sont venus au Canada et ont présenté une demande d’asile, en invoquant la persécution et la discrimination dont ils se disaient victimes en Hongrie en raison de leur origine ethnique rom. En février 2012, la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de limmigration et du statut de réfugié du Canada a rejeté la demande dasile de la famille, au motif quelle pouvait se prévaloir de la protection de lÉtat. La Cour a par la suite refusé dautoriser le contrôle judiciaire de la décision de la SPR. La famille a été sommée de retourner en Hongrie, ce quelle a fait en décembre 2012.

[4]  Le 6 octobre 2016, le demandeur est revenu seul au Canada. Il prétend que la famille ne pouvait se permettre quun seul billet davion et que sa femme et ses enfants entendent le rejoindre au Canada dans l’avenir, si possible.

[5]  Le demandeur nétait pas admissible à présenter une autre demande dasile, mais il a présenté une demande dERAR en novembre 2016. Il a allégué que, au moment de présenter leur demande dasile, sa famille avait été mal représentée par leur avocat, Viktor Hohots, qui a depuis été reconnu coupable dinconduite professionnelle par le Barreau de lOntario relativement à sa représentation des demandeurs dasile roms.

[6]  Le demandeur a également allégué que la situation de sa famille en Hongrie ne sétait pas améliorée depuis leur retour en décembre 2012. Ils ont eu de la difficulté à réinscrire leurs enfants à lécole. Le fils aîné du demandeur na pas été admis dans un certain nombre décoles; par conséquent, il a commencé à travailler plutôt que de terminer ses études. Son plus jeune fils sest également vu refuser ladmission dans un certain nombre décoles et a finalement été accepté dans une école de rattrapage. Le fils du demandeur lui a d’ailleurs dit quil est maltraité à cette école en raison de son origine ethnique, et que même ses enseignants lui crachent dessus et le traitent de [traduction« gitan puant ».

[7]  Le demandeur a affirmé quen raison de la discrimination ethnique, il a été incapable de trouver du travail lorsquil est retourné en Hongrie la première fois. Il a fini par trouver du travail dans le cadre du programme de travaux publics, comme le balayage des rues, la coupe de haies et la tonte du gazon. Il a déclaré que le travail est irrégulier et que le programme, mis à la disposition des municipalités pour offrir un emploi aux personnes qui ont de la difficulté à trouver du travail, nest en vigueur que pour des périodes de trois ou six mois. Il a déclaré quil est payé en deçà du salaire minimum et que son salaire mensuel était inférieur au coût des factures de services publics de sa famille. Lorsquil ny a plus eu de travail disponible, il a été dirigé vers laide sociale, qui offre un revenu mensuel encore moindre. Le demandeur sest tourné vers des emplois manuels occasionnels pour compléter son revenu et subvenir aux besoins de la famille, mais il a allégué que ce type de travail était irrégulier et peu fiable.

[8]  Le demandeur a également affirmé qu’il avait été physiquement agressé à deux reprises par des racistes en Hongrie. La première agression a eu lieu avant larrivée de la famille au Canada. La deuxième agression a eu lieu après son retour, bien quil nait pas donné de date précise. Le demandeur a affirmé que des hommes lavaient battu alors quil retournait à la maison en revenant à pied du magasin. Ils l’auraient traité de sale gitan, puis menacé de le tuer. Il a déclaré sêtre réveillé dans une ambulance et ne pas se souvenir de lagression. Les ambulanciers lui ont dit que la police avait été appelée, mais que ses agresseurs sétaient enfuis avant larrivée de la police. Il sest ensuite rendu au poste de police pour signaler lagression, mais il sest fait dire que la police ne pouvait rien faire, parce qu’il s’agissait [traduction« d’agresseurs inconnus ». Il est par la suite retourné au poste de police pour une mise à jour, mais il a essuyé une rebuffade.

[9]  Lagent a rejeté la demande dERAR du demandeur le 29 mai 2018.

[10]  Le demandeur a présenté une demande dautorisation et de contrôle judiciaire le 29 août 2018. Le 11 septembre 2018, la juge Heneghan lui a accordé un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi, jusquà ce que la Cour traite sa demande.

La décision faisant lobjet du contrôle

[11]  Lagent a reconnu que le demandeur a affirmé quil avait été représenté de façon inappropriée par M. Hohots tout au long du processus de demande dasile de sa famille à la SPR et que le demandeur avait déposé une plainte contre M. Hohots auprès du Barreau de lOntario. Toutefois, lagent a constaté que le demandeur navait pas relevé de problèmes précis relativement au témoignage qu’il avait livré ou à la preuve qu’il avait produite devant la SPR et quil navait pas non plus donné dexemples de cas où il croyait que la preuve produite par la famille durant laudience sur le statut de réfugié avait été mal interprétée.

[12]  Lagent a conclu que la preuve documentaire fournie indiquait que les Roms en Hongrie avaient subi de la discrimination, mais que le dossier ne corroborait pas le fait que la discrimination subie par le demandeur consistait en de la persécution. Lagent a reconnu quil y a de la discrimination contre les Roms dans les domaines de léducation, des soins de santé et de lemploi, mais il a déclaré que le demandeur [traduction« n’avait pas présenté une preuve objective suffisante selon laquelle on lui avait refusé le droit de gagner sa vie, le droit à des soins de santé de base et le droit à des services sociaux, et qu’une éducation a été refusée à ses enfants ».

[13]  Lagent a noté que la preuve dont il disposait, quil a décrite comme étant la [traduction] « IMM5669, datée du 20 octobre 2016 », indiquait que le demandeur était employé comme préposé à lentretien des rues doctobre 2006 à mars 2010 et de décembre 2012 à octobre 2016. Lagent a déclaré que le demandeur navait pas fourni suffisamment déléments de preuve objectifs pour expliquer pourquoi il navait pas pu reprendre son emploi de préposé à lentretien des rues et que la preuve ne lui permettait pas de conclure que le demandeur était empêché de quelque façon que ce soit dobtenir un emploi dans un autre domaine à son retour en Hongrie.

[14]  Lagent a noté que le demandeur a déclaré avoir eu de la difficulté à inscrire ses enfants à lécole après leur retour en Hongrie en 2012. Toutefois, lagent a conclu que, hormis les affirmations du demandeur, aucune preuve ne corroborait cette difficulté à inscrire les enfants, ni le fait que ces derniers sétaient vu refuser l’accès à l’éducation. Le demandeur navait pas non plus fourni déléments de preuve relatifs à quelque réparation quil ait demandée à cet égard.

[15]  Ensuite, lagent a examiné la question de la disponibilité de la protection de lÉtat. Lagent a conclu que la prépondérance de la preuve objective démontre que, bien que la protection de lÉtat ne soit pas parfaite, elle est adéquate pour les Roms qui sont victimes de criminalité, de violence policière et de discrimination. Lagent a inséré de longues citations du U.S. Department of State Country Report on Human Rights Practices for 2015 ainsi que dautres sources documentaires et a conclu quil était clair, daprès les documents de recherche, que le gouvernement de la Hongrie [traduction« fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, même si ces efforts ne sont pas toujours fructueux, puisqu’un gouvernement ne peut garantir une protection [sic] à ses citoyens en tout temps ».

[16]  Lagent a constaté quil existe plusieurs mécanismes, comme la commission indépendante des plaintes relatives aux services de police, l’autorité pour l’égalité de traitement et le commissaire aux droits fondamentaux, pour recevoir les plaintes présentées par la communauté rom. De plus, la Hongrie est un pays démocratique et, par conséquent, il incombe au demandeur détablir quil a épuisé tous les recours disponibles en Hongrie. Lagent a déclaré que la communauté rom continuait dêtre victime de discrimination en matière de logement, demploi, déducation et de soins de santé, et que le gouvernement a eu de la difficulté à protéger les citoyens roms et que cette protection nest pas parfaite. Toutefois, lagent a conclu que la preuve documentaire dont il disposait indiquait que [traduction« la Hongrie déploie des efforts pour corriger sa discrimination de longue date envers le peuple rom ».

[17]  Lagent a rejeté l’ERAR du demandeur.

Les questions en litige et norme de contrôle

[18]  Le demandeur déclare que les questions en litige sont les suivantes :

  1. La conclusion de lagent dERAR selon laquelle les allégations du demandeur natteignent pas le niveau de persécution est-elle inintelligible?

  2. Lanalyse menée par lagent au sujet de la protection de lÉtat est-elle raisonnable?

[19]  À mon avis, la seule question à trancher en lespèce consiste à savoir si la décision de lagent était raisonnable. La norme de la décision raisonnable est une norme de déférence qui porte principalement sur la justification, la transparence et lintelligibilité du processus décisionnel, mais aussi à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

Analyse

La conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle les allégations du demandeur n’atteignent pas le niveau de persécution est-elle raisonnable?

[20]  Le demandeur soutient que la conclusion de lagent selon laquelle il est exposé à la discrimination, et non à la persécution, est déraisonnable pour les raisons suivantes :

  • 1) En concluant que les allégations du demandeur natteignent pas le niveau de persécution, lagent a fait fi des allégations du demandeur selon lesquelles il avait été physiquement agressé uniquement en raison de son origine ethnique;

  • 2) Lagent na pas tenu compte de laspect cumulatif des mauvais traitements que le demandeur subissait en Hongrie;

  • 3) Lagent a commis une erreur de droit en déclarant quun demandeur dERAR doit démontrer quil sest personnellement vu refuser un droit absolu à lemploi, à léducation, aux soins de santé et aux services sociaux afin détablir quil y a eu une discrimination équivalant à de la persécution.

À mon avis, la conclusion de lagent selon laquelle le demandeur a été victime de discrimination, et non de persécution, est déraisonnable.

[21]  À lappui de sa demande dERAR, le demandeur a produit un affidavit dans lequel, entre autres choses, il a décrit une agression physique qui a eu lieu avant larrivée de la famille au Canada en 2010, et une deuxième agression qui, selon lui, a eu lieu après son retour en Hongrie. Ces deux agressions étaient attribuables à son origine ethnique. Comme le fait valoir le demandeur, lagent naborde pas dans ses motifs le témoignage du demandeur au sujet des voies de fait. Le défendeur fait remarquer que le demandeur na fourni aucune date pour la deuxième agression alléguée et que cela aurait pu amener lagent à douter de sa crédibilité ou à conclure quune preuve plus corroborante était nécessaire.

[22]  Cependant, lagent na pas tiré une telle conclusion en lespèce. Au contraire, il ny a tout simplement aucune analyse quant à cette preuve, et il n’a pas reconnu son existence. Comme l’a énoncé la Cour dans la décision Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 1998 CanLII 8667 (CF) au paragraphe 17, « plus la preuve qui n’a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l’organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l’organisme a tiré une conclusion de fait erronée “sans tenir compte des éléments dont il [disposait]” ». Lallégation selon laquelle le demandeur a été agressé physiquement après son retour en Hongrie en 2012 est au moins directement pertinente quant à la question de savoir si ce dont il avait été victime équivalait ou non à de la persécution, par opposition à de la discrimination (voir Bayrak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1056 au paragraphe 14; Mrda c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 49 au paragraphe 40 [Mrda]).

[23]  De plus, et bien que le demandeur ny ait pas directement fait référence, lanalyse de lagent concernant la capacité du demandeur de trouver du travail est inintelligible à la lumière de la preuve. À cet égard, lagent déclare que la preuve dont il dispose, [traduction« IMM 5669, datée du 20 octobre 2016 », indique que le demandeur travaillait auparavant comme préposé à lentretien des rues. Il semble sagir dune référence à lannexe A, Antécédents/Déclaration, déposée par le demandeur lorsquil a présenté sa demande dERAR, qui se trouve dans le dossier certifié du tribunal. Lagent a conclu quil ny avait pas suffisamment déléments de preuve objectifs expliquant pourquoi le demandeur était incapable de reprendre cet emploi. Toutefois, laffidavit du demandeur fourni à lappui de sa demande dERAR indique quil travaillait pour le programme des travaux publics avant de venir au Canada. Lorsquil est retourné en Hongrie en 2012, il a commencé à chercher du travail et a fini par retourner dans ce programme. Il a décrit le traitement que la main-dœuvre, principalement rom, y recevait. Il fait remarquer que les travailleurs sont embauchés pour une période de trois ou de six mois, au cours de laquelle le travail nest pas constant. Dans le cadre du programme, il a alterné entre le balayage des rues, la coupe de haies et la tonte du gazon et son travail était parfois à temps plein, parfois à temps partiel. Il a déclaré par la suite quil ne pouvait pas vivre de ce salaire. Lagent a ensuite conclu quil ny avait pas suffisamment déléments de preuve indiquant que le demandeur serait empêché de quelque façon dobtenir un emploi [traduction« dans un autre domaine » à son retour en Hongrie. Pourtant, d’après son affidavit, à son retour en décembre 2012, il a commencé à chercher du travail immédiatement, et il lui a fallu de six à huit mois avant de trouver quoi que ce soit, car aucun employeur ne voulait lembaucher en voyant la couleur de sa peau. Ce n’est que plus tard qu’il avait réintégré le programme des travaux publics.

[24]  En bref, lagent na pas précisé qu’il jugeait que les déclarations du demandeur au sujet de son emploi énoncées dans son affidavit n’étaient pas crédibles, que cet élément de preuve contredisait dautres éléments de preuve versés au dossier dont il disposait ou qu’il ne corroborait pas son allégation de discrimination. Lagent na tout simplement pas traité de la preuve, ce qui rend inintelligible sa conclusion quant à la capacité du demandeur de trouver du travail.

[25]  De plus, et de façon plus significative, comme le fait valoir le demandeur, il ny a tout simplement pas danalyse indiquant que lagent a examiné si les effets cumulatifs de la discrimination à laquelle le demandeur était exposé équivalaient à de la persécution. Comme l’a énoncé madame la juge Dawson dans la décision Mete c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de lImmigration), 2005 CF 840, énoncé auquel la Cour dappel fédérale a souscrit dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et immigration) c Munderere, 2008 CAF 84, au paragraphe 41, « dans les cas où la preuve établit une série d’actions qui sont considérées comme de la discrimination plutôt que de la persécution, il faut tenir compte de la nature cumulative de cette conduite ». Laffidavit du demandeur faisait état des expériences de discrimination qu’il avait vécues dans son enfance, des difficultés quil avait éprouvées à inscrire ses enfants à lécole, des enseignants qui insultent son fils et lui crachent dessus, des difficultés auxquelles les membres de sa famille ont été confrontés dans le système de soins de santé, des obstacles à la recherche dun emploi, du traitement discriminatoire par les autorités municipales, des menaces verbales et des agressions physiques. Lagent a fait un énoncé général selon lequel il avait lu et examiné attentivement tous les renseignements présentés par le demandeur. Il a également tenu compte de la preuve concernant linscription des enfants à lécole et le travail du demandeur, de manière plutôt floue en ce qui concerne le travail, mais il nest pas allé plus loin dans son analyse.

[26]  La Cour a conclu quil nest pas suffisant pour un décideur de simplement dire quil a examiné les incidents de façon cumulative; un demandeur a le droit de savoir pourquoi les incidents n’équivalaient pas à de la persécution (Balog c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 414 au paragraphe 14). En lespèce, lagent na pas tenu compte de la nature cumulative, le cas échéant, des incidents décrits par le demandeur (Petrovic c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 637, au paragraphe 17; Mrda, au paragraphe 40).

[27]  À mon avis, le traitement de la preuve par lagent, tel quil est décrit ci-dessus, entraîne une erreur susceptible de contrôle et rend déraisonnable sa conclusion selon laquelle les allégations du demandeur n’équivalent pas à de la persécution.

La protection de lÉtat

[28]  Le demandeur soutient également que la conclusion de lagent selon laquelle le demandeur na pas réfuté la présomption relative à la protection de lÉtat est déraisonnable, car lagent na pas tenu compte des tentatives du demandeur de se réclamer de la protection de lÉtat. Le demandeur soutient également que lagent a commis une erreur de droit en sappuyant sur les efforts déployés par la Hongrie pour protéger les Roms à titre de preuve selon laquelle la protection de l’État est adéquate, tout en faisant fi de la majeure partie de la preuve documentaire qui démontre que ces efforts ont eu peu deffet.

[29]  Compte tenu de ma conclusion ci-dessus, je nai pas besoin daborder cette question. Toutefois, je conviens avec le demandeur que lanalyse de la protection de lÉtat faite par lagent peut être qualifiée de « passe-partout ». La décision comprend près de douze pages directement tirées de la preuve documentaire sur les conditions dans le pays et presque aucune analyse des faits propres à l’affaire. En fait, malgré le long affidavit détaillé fourni par le demandeur, la seule conclusion de lagent qui se rapporte au demandeur à proprement parler est que ce dernier na pas fourni de preuve corroborant le fait qu’il avait eu de la difficulté à inscrire ses enfants à lécole à son retour et quil na pas fourni de preuve quant à la réparation quil avait tenté dobtenir ou quant au recours qu’il avait fait valoir. De plus, ces conclusions ne sont même pas directement liées aux conclusions de lagent en matière de protection de lÉtat.

[30]  De plus, comme il a été mentionné précédemment, lagent ne mentionne pas et nanalyse pas les efforts déployés par le demandeur pour se réclamer de la protection de lÉtat après quil eut été, selon ses dires, agressé une deuxième fois, et il ne tire pas non plus de conclusions à cet égard. Pourtant, les tentatives du demandeur en vue dobtenir la protection de lÉtat sont directement pertinentes quant à l’analyse à savoir si lÉtat n’avait pas la capacité ou la volonté d’assurer une protection. Ces efforts sont aussi pertinents pour l’analyse à savoir sil était objectivement raisonnable ou non pour le demandeur de ne pas avoir épuisé toutes les sources de protection de lÉtat avant de demander lasile (Juhasz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 300 au paragraphe 34).

[31]  Les conclusions sur la protection de lÉtat doivent être individualisées et porter sur le demandeur en cause. Cest-à-dire que, bien quune analyse générale puisse suffire lorsque l’argument du demandeur repose sur la situation générale, il en faut plus lorsquun demandeur a fourni des éléments de preuve qui se rapportent directement à sa situation personnelle et quil allègue, à l’appui de sa demande d’asile, ne pas pouvoir se réclamer de la protection de lÉtat (Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1350 aux paragraphes 57 et 58). En omettant de le faire, lagent a commis une erreur de droit. Cette question suffit également pour conclure que la décision est déraisonnable.

[32]  À mon avis, lagent a également commis une erreur en ne tenant pas compte de l’efficacité concrète des efforts déployés par lÉtat. Le défendeur fait valoir que la Cour dappel fédérale dans l’arrêt Villafranca a énoncé le critère de lévaluation de la protection de lÉtat comme étant celui des « sérieux efforts pour protéger ses citoyens » (Canada (Ministre de lEmploi et de lImmigration) c Villafranca, [1992] 99 DLR (4e) 334, 1992 CanLII 8569). Toutefois, il y a une jurisprudence subséquente importante de la part de la Cour, dont une partie est invoquée par le demandeur, selon laquelle un décideur ne peut pas simplement se fonder sur les efforts de lÉtat, sans vraiment tenir compte du caractère adéquat de la protection de lÉtat. Comme le juge Diner le déclare dans Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 367 :

[21] Pour déterminer si la protection de l’État est adéquate, un décideur doit se concentrer sur le caractère adéquat et réel, plutôt que sur les « efforts » mis de l’avant par le pays pour protéger ses citoyens (Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 20 au paragraphe 12 [Lakatos]). Les efforts mis de l’avant doivent engendrer une protection véritablement adéquate à l’heure actuelle (voir l’affaire Hercegi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 250 au paragraphe 5). Autrement dit, on ne peut se fier uniquement à la parole de l’État. La protection doit être réelle et adéquate.

(Voir aussi Gjoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 292 au paragraphe 30; Kumati c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1519, aux paragraphes 27 et 28; Lakatos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 20, aux paragraphes 13 à 16; Olah c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada), 2017 CF 899, aux paragraphes 25 à 35; Majoros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 421, au paragraphe 18; Csurgo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1182, au paragraphe 26).

[33]  En lespèce, lagent a déclaré à quelques reprises dans ses motifs que lÉtat [traduction« a fait des efforts », [traduction« a pris des mesures » et [traduction« déploie de sérieux efforts ». Lagent a finalement conclu que la preuve documentaire indique que la Hongrie [traduction« déploie des efforts » pour corriger sa discrimination de longue date envers le peuple rom.

[34]  Il était loisible à lagent de conclure que le demandeur navait pas présenté une preuve claire et convaincante de lincapacité de lÉtat à fournir une protection ou que le demandeur nétait pas crédible, quoique cette dernière conclusion déclencherait l’obligation de tenir une audience. Lagent aurait également pu examiner si la preuve présentée à lappui de lERAR était suffisante pour constituer le fondement d’une conclusion quant à la protection de lÉtat qui serait différente de celle tirée antérieurement par la SPR, bien que des questions subsistent quant à la représentation antérieure du demandeur devant la SPR. Cependant, lagent na rien fait de tout cela. Il a plutôt simplement passé en revue les efforts déployés par le gouvernement hongrois pour améliorer les conditions du peuple rom, sans fournir danalyse quant au caractère adéquat de la protection dont peut se réclamer le demandeur dans sa situation particulière.

[35]  Pour les motifs ci-dessus, la décision est déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier nº IMM‑4247‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. Aucuns dépens ne seront adjugés.

  3. Aucune question de portée générale na été proposée aux fins de la certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 21e jour de mai 2019

Maxime Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4247‑18

INTITULÉ :

LASZLO RUSZO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE LIMMIGRATION

LIEU DE LAUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE LAUDIENCE :

Le 25 mars 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

DATE DES MOTIFS :

Le 2 avril 2019

COMPARUTIONS :

Astrid Mrkich

Pour le demandeur

Michael Butterfield

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mrkich Law

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.