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                                                                                                               Date : 19980723

                                                                                                           Dossier : T-583-98

Entre :

                                         DOUGLAS ROSS MCLELLAN,

                                                                                                                        requérant,

                                                                 - et -

                             LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA,

                                                                                                                              intimé.

                                         MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]         Les présents motifs se rapportent à la requête déposée par l'intimé en vue de faire radier un avis de requête introductive d'instance dans lequel le requérant demandait que soit annulée la décision du solliciteur général de publier et de distribuer un document de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC), intitulé « Résumé des informations de police » , dans lequel figure un simple énoncé indiquant que M. McLellan a fait l'objet d'un avis d'Interpol par suite d'un incident non précisé qui s'est déroulé en 1995. Cet avis d'Interpol a apparemment surpris M. McLellan quand celui-ci a été arrêté par les autorités américaines de l'immigration. Cela l'empêche de voyager pour des raisons personnelles ou d'affaires. M. McLellan demande également une ordonnance enjoignant à la GRC d'aviser toutes les autorités étrangères de ne pas tenir compte de cet avis d'Interpol.

[2]         Le dossier de M. McLellan indique qu'il a été reconnu coupable d'une seule infraction criminelle en 1974, pour laquelle il a été condamné à une amende de 100 $ et à un suspension de son permis de conduire pour trente jours. Le 1er mai 1997, M. McLellan a obtenu son pardon. Son affidavit indique qu'il n'est pas au courant d'une infraction qu'il aurait commise en 1995, et à laquelle l'avis d'Interpol pourrait se rapporter. En fait, M. McLellan souhaite éclaircir parfaitement la situation avec la GRC de façon à éviter la répétition d'une expérience plutôt embarrassante avec les autorités américaines de l'immigration. L'intimé, dans les motifs invoqués à l'appui de sa requête en radiation, soutient que le solliciteur général n'a pris aucune décision et que, pour cette raison, la Cour n'a pas compétence.

ANALYSE

[3]         La façon appropriée de contester un avis de requête introductive d'instance qui n'est pas fondé est de débattre de ce point à l'audition éventuelle de la requête : voir David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. [1995] 1 C.F. 558, aux pages 596 et 597 (C.A.F.). Toutefois, dans l'affaire David Bull, le juge Strayer a ajouté que cela ne voulait pas dire que la Cour n'avait aucune compétence pour rejeter sommairement un avis de requête « [...] qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » (ibid, p. 600), mais que « [...] ces cas [devaient] demeurer très exceptionnels [...] » (loc. cit.).

[4]         J'ai également gardé à l'esprit le principe selon lequel il ne convient pas de traiter de graves questions de droit à l'audition d'une requête sommaire en radiation d'une instance à moins que la procédure soit futile au point de mériter un tel sort : voir Vulcan Equipment Co. Ltd. c. Coats Co. Inc. (1982) 58 C.P.R. (2d) 47, à la page 48 (C.A.F.), dont l'autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été refusée à (1982) 63 C.P.R. (2d) 261.

[5]         Concernant le bien-fondé de la requête de l'intimé, la question que ce dernier soulève est de savoir si le solliciteur général du Canada a pris une décision susceptible de contrôle au sens des articles 2 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale (la « Loi » ).

[6]         Il faut d'abord traiter de l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale qui confère à la Section de première instance la compétence d'accorder divers redressements, notamment une injonction et un jugement déclaratoire, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi. Le paragraphe 18.1(3) confère à la Section de première instance la compétence de prendre diverses ordonnances contre un office fédéral afin de l'obliger à accomplir certains actes. La Section de première instance peut également rendre une telle ordonnance dans diverses circonstances, qui sont exposées au paragraphe 18.1(4) de la Loi. Dans son avis de requête introductive d'instance, le requérant fait valoir que le solliciteur général et ses délégués, il faut supposer qu'il s'agit de la GRC, [TRADUCTION] « [...] ont failli à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en prenant la décision sans en aviser le requérant ou sans lui donner la possibilité de répondre à la décision ou de la réfuter » : cette allégation est manifestement basée sur l'alinéa 18.1(4)b) de la Loi. Le requérant allègue également que le solliciteur général et ses délégués ont porté atteinte à son droit de quitter le Canada, qui lui est garanti par l'article 6 de la Charte, ainsi qu'au droit à la liberté et à la sécurité de sa personne qui lui est garanti par l'article 7 de la Charte.

[7]         L'avocat de la Couronne fait d'abord valoir qu'il n'y a pas de loi habilitante en vertu de laquelle le secrétaire d'État peut exercer un pouvoir discrétionnaire et prendre la décision de publier l'avis d'Interpol et donc que le secrétaire d'État n'est pas un office fédéral au sens de la Loi sur la Cour fédérale. La condition prévoyant l'existence d'une loi habilitante fédérale est énoncée dans la définition d'office fédéral donnée à l'article 2 de la Loi. Toutefois, l'article 2 de la Loi fait également référence à l'exercice d'une compétence en vertu de la prérogative royale. En fait, cela pourrait faire référence à une ordonnance prise en vertu du pouvoir résiduel qui revient légalement à la Couronne. On peut soutenir que ce qui s'est produit dans le cas de M. McLellan va au-delà de la simple collecte d'éléments de preuve, ou du maintien du bon ordre public par la police, que prévoit la common law. Certainement, la GRC n'a pas publié l'avis d'Interpol simplement pour s'amuser sans s'appuyer sur une autorité quelconque. Assurément, c'est le solliciteur général qui donne ses directives à la GRC, par l'entremise du commissaire de la GRC : voir l'article 5 de la Loi sur la Gendarmerie Royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10. Même en faisant abstraction du fait que la loi établissant la GRC peut fort bien prévoir un tel pouvoir, le juge qui préside à l'audition de la demande de contrôle judiciaire de M. McLellan pourrait décider que le pouvoir qui a été exercé découle des prérogatives de la Couronne du chef du Canada.

[8]         Dans son deuxième argument, l'intimé fait essentiellement valoir que l'acte posé par le solliciteur général, par l'entremise de la GRC, ne constituait ni une décision administrative ni l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire pouvant faire l'objet d'un contrôle judiciaire. Procédant par analogie, l'intimé associe la présente collecte de renseignements et la publication de l'avis d'Interpol au rapport préparé par la police militaire, qui visait simplement à fournir des renseignements à des officiers supérieurs, dans la décision Lee c. Cairns et al. (1992) 51 F.T.R. 136 (C.F. 1re inst.) ; à la collecte et à l'inscription de données dans le dossier d'immigration d'une personne dans l'affaire Singh c. Canada (1995) 27 Imm. L.R. 176 (C.F. 1re inst.) ; ou au fait qu'aient été portés à la connaissance du ministre des renseignements devant figurer dans un certificat de nature fiscale lorsque le ministre n'a aucun pouvoir discrétionnaire pour déterminer la preuve et qu'il ne peut la modifier, étant donné que le dépôt devant une Cour d'un tel certificat ne constitue ni une décision administrative ni l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire, mais simplement une question d'administration de la preuve, comme il en a été question dans l'arrêt Fee c. Bradshaw [1982] 1 R.C.S. 607. Ce concept est énoncé en détail dans l'affaire Fee c. Bradshaw, aux pages 616 à 619, et la Cour suprême conclut de la façon suivante :

Le dépôt d'un certificat attestant de la date à laquelle la preuve est venue à la connaissance du ministre ne constitue, ni par le fait même du dépôt du certificat, ni par l'affirmation qu'il contient, une décision administrative ou l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire par le Ministre de façon à y rendre applicable la définition à l'art. 2 de la Loi des mots « office, commission ou autre tribunal fédéral » .

En fait, le dépôt d'un certificat de nature fiscale est une question procédurale, puisqu'il permet d'utiliser un certificat comme mode de preuve au lieu d'obliger le ministre à témoigner dans chaque cas où une dette fiscale doit être prouvée.

[9]         La question de savoir si la Cour peut examiner la situation de M. McLellan dépend de la façon dont on définit ce qui s'est passé. Donc, si le geste posé par le ministre, en publiant l'avis d'Interpol, est simplement un acte procédural, il ne peut y avoir de contrôle judiciaire.

[10]       À ce propos, l'avocat du solliciteur général a cité un passage intéressant de l'affaire Singh c. Canada (précitée), qui a perdu une partie de son sens à la traduction. Dans l'affaire Singh, Mme le juge Tremblay-Lamer, en traitant de la question de la compétence, note que la compétence ratione materiae de la Cour dépend de la façon dont on catégorise certaines mesures prises par un agent d'immigration, afin de déterminer s'il s'agit d'une décision au sens de l'article 18.1 de la Loi. Dans la traduction anglaise, le passage se lit comme suit :

"The courts have held that in order to make this determination the decision must in nature and have legal consequences." (p. 178)

Dans l'original des motifs, le passage est le suivant :

« Pour ce faire la jurisprudence a établi que la décision doit avoir un caractère définitif ayant des conséquences juridiques. »

À mon sens, cet extrait suppose que la décision doit, de façon inhérente, avoir des conséquences juridiques.

[11]       En l'espèce, la publication de l'avis d'Interpol par la GRC pourrait être caractérisée comme un acte qui va au-delà de la simple collecte de renseignements devant être versés dans un dossier. Il se peut fort bien qu'il s'agisse d'une décision de publier des renseignements. En outre, la décision a manifestement des conséquences juridiques, comme M. McLellan l'a constaté lorsqu'il a été arrêté par les autorités américaines de l'immigration quand il a essayé de partir en vacances à Hawaï. D'après cette interprétation, il ne s'agit pas simplement d'une collecte de renseignements, mais il y a en fait une décision ayant des conséquences juridiques.

[12]       L'avocat de M. McLellan fait valoir qu'au nombre de ces conséquences il faut mentionner une atteinte aux droits de M. McLellan garantis par la Charte, précisément à l'article 6 de la Charte, c'est-à-dire le droit de demeurer au Canada, d'y entrer ou d'en sortir, et à l'article 7, le droit de ne pas être privé de sa liberté, dans le sens des droits de liberté de circulation qui non seulement sont reconnus par la common law contemporaine[1], mais qui l'étaient déjà dans la Grande Charte[2].

[13]       L'avocat de M. McLellan ajoute que la décision de publier l'énigmatique résumé des informations de police, c'est-à-dire l'avis d'Interpol, a été prise sans aviser M. McLellan, ce qui est contraire au principe d'équité. Il fait ensuite référence aux décisions de la Cour suprême du Canada dans les affaires Cardinal c. Directeur de l'établissement Kent [1985] 2 R.C.S. 643 et Martineau c. Comité de discipline de l'Institution de Matsqui [1980] 1 R.C.S. 602, à l'appui de la proposition selon laquelle lorsque les droits, les privilèges et les intérêts d'une personne sont en jeu, il existe une obligation de respecter l'équité dans la procédure. En fait, lorsqu'un droit est bafoué, il doit y avoir un recours. Le requérant prétend que ce recours doit être exercé devant la Cour fédérale.

CONCLUSION

[14]       L'intimé a fait valoir des arguments bien raisonnés tout d'abord pour convaincre la Cour qu'il n'y a pas de loi habilitante en vertu de laquelle le solliciteur général pouvait prendre une décision et deuxièmement qu'il n'y a pas de décision susceptible d'être contrôlée par la Cour fédérale. Mais il y a également des arguments pour appuyer la proposition selon laquelle il y a une loi habilitante ou une prérogative royale permettant de fonder une décision et qu'en fait une décision a été prise qui, peut-être de façon non appropriée, a porté atteinte aux droits fondamentaux du requérant. Il n'est pas facile de rationaliser ces deux positions, en fait il s'agit plutôt d'une question juridique complexe, qui pourrait être tranchée dans un sens comme dans l'autre, selon la façon dont un juge caractérise ce qui s'est produit. D'aussi graves questions de droit ne peuvent pas être traitées dans le cadre d'une requête en radiation d'une procédure comme en l'espèce, étant donné que la réclamation n'est pas totalement futile.

[15]       Cela ne veut pas dire que le requérant aura gain de cause. Cela signifie plutôt que l'intimé ne s'est pas acquitté du lourd fardeau qui lui incombait pour faire radier un avis de requête introductive d'instance : l'intimé n'a pas démontré qu'il s'agissait d'une affaire exceptionnelle, totalement dénuée de toute possibilité de succès, au sujet de laquelle la Cour doit prendre une décision autre que celle d'entendre la question dans le cadre d'une procédure de contrôle judiciaire. La requête de l'intimé est donc rejetée.

                                                                                   (Signé) « John A. Hargrave »

                                                          

                                                                                                            Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

le 23 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :               le 27 avril 1998

No du GREFFE :                                             T-583-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         DOUGLAS ROSS MCLELLAN

                                                                        c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL

DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE

en date du 23 juillet 1998

ONT COMPARU :

            Daniel Kiselbach                                pour le requérant

            Paul Partridge                                     pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

            Swinton & Company                           pour le requérant

            Vancouver (C.-B.)

            Morris Rosenberg                              pour l'intimé

            Sous-procureur général du Canada



     [1]R. v. Secretary of State for Home Department ex parte McQuillan[1995] 4 All E.R. 400, p. 421 (C.B.R.)

     [2]Kent v. Dulles [1958] 2 L. ed. 1204, p. 1210 (C.S.E.-U.), décision du juge William O. Douglas

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