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Date : 20040406

Dossier : IMM-5286-02

Référence : 2004 CF 531

Ottawa (Ontario), le 6 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                         VIATCHESLAV GARIEV

                                                                IRINA GARIEVA

ANNA GARIEVA

                                                        DARIA DANILTCHENKO

                                                                                                                                          demandeurs

                                                                             et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                M. Viatcheslav Gariev est un citoyen du Bélarus. Il vit et travaille à Chypre comme programmeur d'ordinateur. En août 1998, il a demandé le statut de résident permanent au Canada comme personne indépendante. Dans sa demande, sa femme et ses deux filles figuraient comme personnes à charge. Par la suite, sa demande a été approuvée à condition que les vérifications criminelles, médicales et de sécurité s'avèrent favorables.


[2]                Le 17 octobre 2002, un conseiller en immigration (conseiller) de l'Ambassade du Canada à Moscou a conclu qu'il y avait des motifs raisonnables de croire que M. Gariev était membre du GRU (service du renseignement militaire russe), une organisation qui a participé à des activités d'espionnage. Il y avait donc des motifs raisonnables de croire que M. Gariev était une personne interdite de territoire au sens de l'alinéa 34(1)f) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi). Le paragraphe 34(1) prévoit :

34(1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants :

[...]

34(1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for

[...]

f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c).

(f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).

[3]                M. Gariev demande le contrôle judiciaire de la décision selon laquelle il est interdit de territoire pour raison de sécurité.

[4]                Les présents motifs visent tant la demande du ministre en vertu de l'article 87 de la Loi en vue d'interdire la divulgation des renseignements que le conseiller a examinés et sur lesquels il s'est fondé sur le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire.

LA DEMANDE DE NON-DIVULGATION


[5]                Aux termes de l'article 87 de la Loi, il est permis notamment au ministre, dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire, de demander au juge d'interdire la divulgation de renseignements qu'un conseiller a examinés en décidant si un étranger qui a demandé un visa ou un autre document est interdit de territoire. L'article 78 de la Loi décrit les règles qui s'appliquent à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé des renseignements qui n'ont pas été divulgués et sauf quant au délai. Par souci de commodité, les articles 87 et 78 de la Loi sont repris ci-dessous, à l'instar de l'article 11 de la Loi dont il est fait précisément mention à l'article 87 et qui s'applique aux faits de la présente demande.


87(1) Le ministre peut, dans le cadre d'un contrôle judiciaire, demander au juge d'interdire la divulgation de tout renseignement protégé au titre du paragraphe 86(1) ou pris en compte dans le cadre des articles 11, 112 ou 115.

87(1) The Minister may, in the course of a judicial review, make an application to the judge for the non-disclosure of any information with respect to information protected under subsection 86(1) or information considered under section 11, 112 or 115.

87(2) L'article 78 s'applique à l'examen de la demande, avec les adaptations nécessaires, sauf quant à l'obligation de fournir un résumé et au délai.

87(2) Section 78, except for the provisions relating to the obligation to provide a summary and the time limit referred to in paragraph 78(d), applies to the determination of the application, with any modifications that the circumstances require.



78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire :

78. The following provisions govern the determination:

a) le juge entend l'affaire;

(a) the judge shall hear the matter;

b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

(b) the judge shall ensure the confidentiality of the information on which the certificate is based and of any other evidence that may be provided to the judge if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive;

(c) the judge shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit;

d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;

(d) the judge shall examine the information and any other evidence in private within seven days after the referral of the certificate for determination;


e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

(e) on each request of the Minister or the Solicitor General of Canada made at any time during the proceedings, the judge shall hear all or part of the information or evidence in the absence of the permanent resident or the foreign national named in the certificate and their counsel if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;

(f) the information or evidence described in paragraph (e) shall be returned to the Minister and the Solicitor General of Canada and shall not be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if either the matter is withdrawn or if the judge determines that the information or evidence is not relevant or, if it is relevant, that it should be part of the summary;

g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;

(g) the information or evidence described in paragraph (e) shall not be included in the summary but may be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if the judge determines that the information or evidence is relevant but that its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person;

h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;

(h) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with a summary of the information or evidence that enables them to be reasonably informed of the circumstances giving rise to the certificate, but that does not include anything that in the opinion of the judge would be injurious to national security or to the safety of any person if disclosed;

i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant;

(i) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with an opportunity to be heard regarding their inadmissibility; and

j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice - et peut fonder sa décision sur celui-ci.

(j) the judge may receive into evidence anything that, in the opinion of the judge, is appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base the decision on that evidence.



11(1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11(1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

11(2) Ils ne peuvent être délivrés à l'étranger dont le répondant ne se conforme pas aux exigences applicables au parrainage.

11(2) The officer may not issue a visa or other document to a foreign national whose sponsor does not meet the sponsorship requirements of this Act.



[6]                La Loi prévoit que lorsqu'une demande en vertu de l'article 87 est déposée, le juge chargé d'entendre l'affaire est tenu de garantir la confidentialité des renseignements en cause « dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui » . Pour être plus succincte, je vais utiliser l'expression « porter atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui » en mentionnant cette disposition.

[7]                Le juge doit trancher la demande sans formalisme et selon la procédure expéditive dans la mesure où les circonstances et les considérations de justice naturelle le permettent. Le juge est tenu, sur demande du ministre, d'entendre tous les renseignements qui, selon le ministre, ne peuvent être divulgués, en l'absence de l'étranger visé et de son conseil. Si le juge décide que la divulgation du renseignement porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui, il rendra une ordonnance favorable au ministre. Le renseignement fait alors partie du dossier dont la Cour est saisie dans la demande de contrôle judiciaire et il n'est pas divulgué au demandeur ni à son avocat.

[8]                Si toutefois, le juge décide que l'ensemble ou une partie des renseignements pourraient être divulgués parce que telle divulgation ne porterait pas atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui, les renseignements sont remis au ministre. Le cas échéant, ces renseignements ne sont pas versés au dossier dont la Cour est saisie dans la demande de contrôle judiciaire. Subsidiairement, le ministre peut décider qu'il n'est pas nécessaire de lui remettre les renseignements, auquel cas les renseignements sont divulgués et font partie des documents publics dont la Cour serait saisie.

[9]                Dans l'affaire qui nous occupe, le dossier du tribunal déposé en conformité avec l'article 17 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés, DORS/2002-232, contenait 8 pages sur lesquels certains renseignements avaient été rédigés (pages 2, 43, 113, 114 et 155 à 158). En outre, 12 pages avaient été totalement retirées (pages 125 à 136). Tous les documents comportant des renseignements sont appelés « renseignements confidentiels » dans les présents motifs.

[10]            Le ministre a déposé au dossier public la demande de non-divulgation des renseignements confidentiels. La demande était appuyée d'un affidavit également versé au dossier public qui confirmait que le conseiller s'était fondé sur des renseignements classifiés pour prendre sa décision et qui soutenait que ces documents devaient demeurer confidentiels de manière à ne pas être divulgués aux demandeurs, leur avocat ou le public. Selon l'affidavit, la demande serait appuyée d'un [traduction] « affidavit secret [qui] explique le fondement de la non-divulgation des renseignements » . Un affidavit confidentiel a ensuite été déposé.

[11]            La demande du ministre devait être entendue le 9 janvier 2004 et l'avocat des demandeurs a été avisé de la date et du lieu de l'audition de la demande en vertu de l'article 87. Avant l'audition de la demande en vertu de l'article 87, un affidavit supplémentaire a été déposé au nom du ministre.

[12]            Le 9 janvier 2004, les avocats des demandeurs et du ministre ont comparu et ils ont présenté leurs observations en audience publique pour ce qui concerne la demande relative à l'article 87 en se fondant sur le dossier public. Par la suite, la Cour a siégé à huis clos en l'absence des demandeurs et de leur avocat pour entendre les observations de l'avocate du ministre concernant les affidavits confidentiels. La Cour avait lu les affidavits confidentiels avant le 9 janvier 2004. Parce que la demande a été entendue, du moins en partie, en l'absence des demandeurs et de leur avocat, je vais décrire en détail le processus suivi par la Cour pour trancher la demande en leur absence.

[13]            L'alinéa 78c) de la Loi autorise un processus sans formalisme et selon la procédure expéditive dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent mais, à mon avis, une instance à huis clos ne doit pas normalement être menée sans formalisme. L'audience a donc été ouverte en la manière habituelle par le fonctionnaire du greffe; l'avocate du ministre a présenté ses observations formellement et ces observations étaient entièrement fondées sur le dossier de la preuve dont la Cour était saisi.

[14]            En examinant la question de savoir si la divulgation des renseignements confidentiels porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, les principes appliqués ont été les principes formulés dans l'arrêt Henrie c. Canada (Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité) (1988), 53 D.L.R. (4th) 568; confirmé 88 D.L.R. (4th) 575. Dans cette affaire, le juge Addy a écrit, aux pages 578 et 579 :


[...] en matière de sécurité, existe la nécessité non seulement de protéger l'identité des sources humaines de renseignement mais encore de reconnaître que les types suivants de renseignements pourraient avoir à être protégés, compte tenu évidemment de l'administration de la justice et plus particulièrement de la transparence de ses procédures : les renseignements relatifs à l'identité des personnes faisant l'objet d'une surveillance, qu'il s'agisse de particuliers ou de groupes, les moyens techniques et les sources de la surveillance, le mode opérationnel du service concerné, l'identité de certains membres du service lui-même, les systèmes de télécommunications et de cryptographie et, parfois, le fait même qu'il y a ou non surveillance. Cela signifie par exemple que des éléments de preuve qui, en eux-mêmes, peuvent ne pas être particulièrement utiles à reconnaître une menace, pourraient néanmoins devoir être protégés si la simple révélation que le S.C.R.S. en a possession rendrait l'organisme visé conscient du fait qu'il est placé sous surveillance ou écoute électronique, ou encore qu'un de ses membres a fait des révélations.

Il importe de se rendre compte qu'un [traduction] « observateur bien informé » , c'est-à-dire une personne qui s'y connaît en matière de sécurité et qui est membre d'un groupe constituant une menace, présente ou éventuelle, envers la sécurité du Canada, ou une personne associée à un tel groupe, connaîtra les rouages de celui-ci dans leurs moindres détails ainsi que les ramifications de ses opérations dont notre service de sécurité pourrait être relativement peu informé. En conséquence de quoi l'observateur bien informé pourra parfois, en interprétant un renseignement apparemment anodin en fonction des données qu'il possède déjà, être en mesure d'en arriver à des déductions préjudiciables à l'enquête visant une menace particulière ou plusieurs autres menaces envers la sécurité nationale. Il pourrait, par exemple, être en mesure de déterminer, en tout ou en partie, les éléments suivants : (1) la durée, l'envergure et le succès ou le peu de succès d'une enquête; (2) les techniques investigatrices du Service; (3) les systèmes typographiques et de téléimpression utilisés par le S.C.R.S.; (4) les méthodes internes de sécurité; (5) la nature et le contenu d'autres classifiés; (6) l'identité des membres du service ou d'autres personnes participant à l'enquête. [Non souligné dans l'original.]

[15]            En appliquant ces principes aux renseignements confidentiels ainsi qu'à la preuve soumise par le ministre, je suis convaincue que la communication des renseignements inscrits aux pages 2, 43, 155, 156 et 157 du dossier du tribunal porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui.

[16]            L'avocate du ministre a reconnu que les renseignements de la page 158 du dossier du tribunal devraient être divulgués au public et aux demandeurs puisqu'il s'agissait de renseignements qui faisaient déjà partie des documents publics.


[17]            Quant aux autres renseignements confidentiels, la preuve ne m'a pas convaincue que la divulgation de tous les autres renseignements confidentiels porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui. Je n'en suis pas convaincue parce que certains renseignements sont déjà des renseignements publics et aussi parce qu'une partie de la preuve contenue dans les affidavits confidentiels n'était que des énoncés généraux selon lesquels la divulgation de certains renseignements confidentiels porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui.

[18]            Selon moi, un juge ne peut pas examiner correctement une demande en vertu de l'article 87 de la Loi en se fondant sur une simple affirmation de conclusions. Au contraire, il faut une preuve admissible (qu'elle soit factuelle ou déposée par un expert, s'il s'agit d'un expert suffisamment qualifié) que la Cour peut elle-même évaluer de manière à pouvoir décider si la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui au sens de l'article 87 de la Loi.

[19]            J'étais d'avis qu'une partie des renseignements confidentiels pouvait être divulguée en toute sécurité et qu'il fallait donc remettre ces renseignements au ministre, mais j'étais également d'avis qu'une partie de ces renseignements ne pouvait pas être divulguée. En outre, je n'ai pas été en mesure de dire, compte tenu de la preuve, si une partie des renseignements confidentiels pouvait être divulguée en toute sécurité.

[20]            La nature d'une procédure à huis clos qui se déroule en l'absence d'une des parties est telle que la Cour doit éviter toute situation ou apparence de situation dans laquelle une partie a plusieurs fois l'occasion de s'acquitter de son fardeau de la preuve. Toutefois, par la même occasion, la Cour est tenue, en vertu de la loi, de garantir la confidentialité des renseignements dont la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui.

[21]            En outre, la Cour ne peut ordonner la divulgation de renseignements soumis par le ministre lors d'une demande en vertu de l'article 87 de la Loi. Au contraire, lorsque la Cour n'a pas été convaincue que la divulgation des renseignements porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui, le ministre doit pouvoir reprendre les renseignements et ne pas les utiliser s'il rejette cette conclusion et préfère reprendre les renseignements plutôt que de les voir divulguer.

[22]            À mon avis, une autre question importante se pose. Il est dans l'intérêt public que les décisions soient prises ouvertement et que le public puisse examiner le processus décisionnel. L'intérêt du public exige un dossier de preuve le plus complet possible.


[23]            Par conséquent, le 9 janvier 2004, après avoir entendu les observations de l'avocate du ministre, j'ai avisé cette dernière que la preuve était insuffisante au regard des pages 113, 114 et 125 à 136 du dossier du tribunal. L'avocate du ministre m'a ensuite avisée que, selon les instructions préliminaires qu'elle avait reçues, elle devait demander la remise au ministre des renseignements confidentiels inscrits sur ces pages. En tenant compte de toutes les questions décrites dans les paragraphes ci-dessus, j'ai ajourné l'audition de la demande du ministre pour permettre à l'avocate de ce dernier d'obtenir des instructions sur la question de savoir si les renseignements confidentiels des pages 113, 114 et 125 à 136 devaient être remis au ministre ou si l'avocate devait déposer une autre preuve pour permettre à la Cour de décider s'il était possible de divulguer en toute sécurité la partie des renseignements confidentiels sur laquelle elle n'avait pas été en mesure de prendre une décision, compte tenu de la preuve.

[24]            L'audience s'est poursuivie de nouveau le 30 janvier 2004, à huis clos, en l'absence des demandeurs et de leur avocat. Les demandeurs ont été avisés de l'ajournement et de la nouvelle date d'audience. Le 30 janvier 2004, la Cour a entendu les observations de l'avocate du ministre fondées sur un nouvel affidavit confidentiel qui avait été déposé et qui visait précisément chaque partie des renseignements confidentiels. La preuve a permis à la Cour d'apprécier la preuve et de décider quelles parties des renseignements confidentiels pouvaient être divulguées sans porter atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui.

[25]            Après avoir tenu compte de cette preuve et des observations de l'avocate du ministre, j'ai conclu que les pages 114, 131 à 133, 135 à 136 et 158 pouvaient être divulguées sans que soit portée atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui. J'ai également conclu que même si certains renseignements des pages 113, 125 à 130 et 134 ne pouvaient pas être divulgués, il pouvait être divulgué plus de renseignements que ceux qui apparaissaient au dossier écrit du tribunal.

[26]            L'avocate du ministre a été avisée de ma décision pendant l'audience du 30 janvier 2004. L'avocate du ministre a ensuite confirmé que le ministre ne demanderait pas que les renseignements qui, selon la Cour, pouvaient être divulgués en toute sécurité lui soient remis. La Cour a rendu l'ordonnance suivante :

1.          La demande a été accueillie relativement aux pages 2, 43, 155, 156 et 157 du dossier du tribunal de manière à ce que les renseignements inscrits sur ces pages ne soient pas divulgués aux demandeurs, à leur avocat ou au public.

2.          La demande a été rejetée relativement aux pages 114, 131, 132, 133, 135, 136 et 158 du dossier du tribunal de manière à ce que ces pages fassent partie du dossier public.

3.          La demande a été accueillie en partie relativement aux pages 113, 125, 126, 127, 128, 129, 130 et 134 du dossier du tribunal. Ces pages devaient être récrites compte tenu des pages annexées à l'ordonnance de la Cour de cette date.

[27]            Selon moi, il aurait été préférable que le ministre présente une preuve plus complète dès le début. Lorsqu'on demande la non-divulgation totale d'un dossier ou d'une partie d'un dossier comme l'a demandé le ministre en l'espèce, il serait prudent et opportun que le ministre explique très précisément les raisons pour lesquelles chaque élément d'information porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui.


[28]            Même si le ministre ne s'est pas acquitté de cette tâche au début, j'étais convaincue qu'il était nécessaire de permettre la présentation en preuve d'un autre affidavit confidentiel pour permettre à la Cour de décider pour elle-même quels renseignements pouvaient être divulgués en toute sécurité tout en respectant le mandat de la Cour qui est de garantir la confidentialité des renseignements qui lui sont soumis lorsque leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou d'autrui. En outre, le fait de divulguer le maximum de renseignements aux demandeurs est plus équitable à leur égard et favorise l'ouverture de la procédure de la Cour et l'examen le plus transparent possible de la décision en cause.

[29]            Ayant pris une décision concernant la demande relative à l'article 87, je passe maintenant à la demande de contrôle judiciaire.

LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

(i)          Contexte factuel

[30]            Dans sa demande de résidence permanente, M. Gariev a mentionné le service militaire qu'il avait fait au sein de ce qu'il a appelé le Régiment 20701.

[31]            M. Gariev a été interviewé à l'Ambassade du Canada, à Moscou, le 14 avril 1999 et il a été interviewé de nouveau en décembre 1999 afin d'obtenir plus de renseignements sur la nature de son service militaire.


[32]            Le 4 octobre 2002, M. Gariev a été avisé qu'il allait subir une autre entrevue le 17 octobre 2002 avec le conseiller. Le conseiller a signé un affidavit qui a été déposé dans la présente instance. Dans cet affidavit, le conseiller jure que le 17 octobre 2002, pendant l'entrevue, il a avisé M. Gariev qu'il avait reçu des renseignements, fondés principalement sur la demande de résidence permanente de M. Gariev et sur les déclarations qu'il avait lui-même faites pendant le traitement de sa demande, et que ces renseignements l'avaient amené à conclure que M. Gariev était interdit de territoire au Canada pour des raisons de sécurité, parce qu'il avait déjà été membre du GRU. Plus précisément, M. Gariev a été avisé que les renseignements que le conseiller avait reçus l'avaient amené à croire que le Régiment 20701 faisait partie du GRU.

[33]            Le conseiller jure également que lorsqu'il a été confronté avec ces renseignements, M. Gariev n'a pas nié le contenu des nouveaux renseignements, mais qu'il a plutôt tenté de minimiser sa participation aux activités proscrites qui lui étaient attribuées. Le conseiller jure que M. Gariev a déclaré que ses tâches se limitaient à élaborer des logiciels périphériques et de soutien administratif. M. Gariev a laissé à entendre que si on lui refusait la résidence permanente au Canada, il faudrait la refuser à tous les citoyens de l'ancienne Union soviétique, puisque tous les citoyens avaient été au service du KGB pendant cette période. M. Gariev aurait également dit que tous les mathématiciens étaient recrutés pour participer au cryptage.

[34]            Dans sa demande de contrôle judiciaire, M. Gariev a juré, dans son affidavit, ce qui suit concernant son expérience militaire :

[traduction]

3.              Enfant, j'étais doué pour les mathématiques et j'ai donc été envoyé dans une école secondaire spéciale de l'ancienne Union soviétique, école qui se spécialisait dans les mathématiques. J'étais le meilleur étudiant de l'école et, pour cette raison, lorsque j'ai obtenu mon diplôme, on m'a offert un poste prestigieux à l'école supérieure de niveau universitaire du KGB (l'Institut de cryptologie, de communication et des sciences de l'information) à Moscou en Russie. J'ai étudié à cette université de 1984 à 1989 quand j'ai obtenu un diplôme en mathématiques appliquées. Pendant que j'étudiais à l'université, je n'ai jamais été membre du KGB ou du GRU. Toutefois, je faisais partie de l'armée soviétique.


4.              Lors de l'obtention du diplôme universitaire en août 1989, on m'a confié le poste d'officier au sein du Régiment 20701 qui était basé à Minsk en Bélarus. J'ai participé au Régiment 20701 d'août 1989 à décembre 1992 quand j'ai été retiré de l'armée et que je suis devenu un civil. Lorsque j'ai été retiré du service, j'occupais le rang de lieutenant en chef.

5.              Le Régiment 20701 était un régiment militaire distinct du district militaire bélarussien de l'armée de l'Union soviétique qui relevait de cette dernière. Le Régiment 20701 n'appartenait pas au service de renseignement militaire soviétique qui est devenu par la suite le service de renseignement russe (le service de renseignement militaire soviétique, aujourd'hui le service de renseignement militaire russe se traduit en français par « direction principale du renseignement du ministère de la Défense » et il est connu sous l'acronyme russe qui, en français est le « GRU » . Dans mon affidavit, je parlerai du GRU.). Je veux souligner que le Régiment 20701 était distinct, sur le plan organisationnel, du GRU et du KGB.

6.              J'étais un officier de l'armée soviétique; toutefois, je n'ai jamais été un officier du GRU ou du KGB. D'ailleurs, je n'ai jamais été membre ni du GRU ni du KGB.

7.              Le Régiment 20701 offrait un soutien technique dans les domaines de l'analyse mathématique et statistique ainsi que de l'informatique pour ce qui concerne la cryptographie. D'autres organisations lui demandaient de l'aide, notamment le GRU, pour élaborer des logiciels ou des algorithmes mathématiques conformément à certains paramètres ou critères. Par exemple, j'étais personnellement chargé d'élaborer des logiciels principalement en langage PL/1, conformément aux instructions qu'on me donnait.

8.              Le Régiment 20701 ne s'adonnait à aucune activité d'espionnage ou de renseignement. D'ailleurs, sur le plan technique, ces activités n'étaient pas possibles puisque le régiment n'avait pas l'équipement nécessaire pour intercepter les signaux. En cas de guerre, des plans d'urgence prévoyaient que le Régiment 20701 jouerait un rôle plus actif. Toutefois, il n'y a jamais eu de guerre pendant mon service militaire dans l'armée soviétique et cela n'est donc jamais arrivé.

9.              Le Régiment 20701 n'appartenait pas au GRU et ne faisait pas partie de la structure organisationnelle du GRU. Toutefois, il devait rendre compte au GRU en réponse à des demandes du GRU pour l'élaboration de logiciels et d'algorithmes mathématiques conformément à des instructions précises données par le GRU.


(ii)         Norme de contrôle

[35]            Les parties ont convenu que, conformément à la jurisprudence, la norme de contrôle applicable à la décision du conseiller est celle de la décision manifestement déraisonnable.

(iii)        Analyse

[36]            L'article 33 de la Loi décrit les règles d'interprétation qui s'appliquent à l'article 34 de la Loi. Selon l'article 33, les faits qui emportent interdiction de territoire en vertu de l'article 33 sont appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.

[37]            Les parties reconnaissent que le GRU est une organisation qui s'adonne ou s'est adonnée à des actes d'espionnage contre des gouvernements démocratiques. Par conséquent, M. Gariev prétend, au paragraphe 1 de son mémoire en réplique, que pour qu'un conseiller [traduction] « décide qu'[il] était visé par l'alinéa 34(1)f) de la [Loi], il devait avoir une croyance légitime que le demandeur principal faisait directement partie du GRU ou que le Régiment 20701 faisait partie de l'organisation appelée GRU en se fondant sur une preuve digne de foi » .


[38]            Le ministre a reconnu, pendant la plaidoirie orale, qu'il s'agissait de la norme applicable. Je suis également convaincue qu'il s'agit de la norme appropriée. Comme je l'ai dit dans l'affaire Yao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 741, au paragraphe 28 :

La norme de preuve à satisfaire pour montrer qu'il existe des motifs raisonnables de croire quelque chose est définie comme « la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » . Voir l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297 (C.A.), au paragraphe 60. Il est donc inutile pour le Ministre d'établir que la personne appartient réellement à un organisme d'espionnage ou que des actes d'espionnage ont réellement été commis.

[39]            En l'espèce, le dossier public révèle que le conseiller disposait des preuves suivantes :

1.          M. Gariev a déclaré ses activités de programmeur d'ordinateurs pendant son service militaire au Régiment 20701.

2.          Le conseiller avait été informé que M. Gariev avait reconnu, pendant les entrevues antérieures à l'ambassade, que c'était le GRU qui l'avait choisi et assigné à un régiment qui participait à l'interception et au décryptage de communications provenant d'Europe. M. Gariev a dit que son travail consistait à élaborer un logiciel qui faciliterait le processus de décryptage.

3.          Le conseiller a reçu des renseignements qui l'ont amené à penser que le Régiment 20701 faisait partie du GRU.

4.          Lorsque le conseiller a transmis les renseignements qu'il avait reçus à M. Gariev, ce dernier n'a pas nié le contenu de ces nouveaux renseignements.

5.          M. Gariev a dit au conseiller que tous les mathématiciens étaient recrutés pour participer au cryptage.

[40]            En outre, le conseiller disposait de renseignements confidentiels.


[41]            Compte tenu de l'ensemble des documents dont disposait le conseiller, je suis convaincue que la conclusion du conseiller selon laquelle M. Gariev était interdit de territoire au Canada en conformité avec l'alinéa 34(1)f) de la Loi n'était ni déraisonnable ni manifestement déraisonnable. Le conseiller disposait d'une preuve digne de foi qui lui permettait légitimement de croire qu'il était tout à fait possible que M. Gariev était un membre direct du GRU ou que le Régiment 20701 faisait partie du GRU. L'ensemble de la preuve confirmait plus qu'un simple soupçon que M. Gariev était un membre direct du GRU ou que le Régiment 20701 faisait partie du GRU.

[42]            Je n'ai trouvé aucune erreur susceptible de contrôle, et la demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée. Les avocats n'ont soulevé aucune question de certification et je suis convaincue que ce dossier ne soulève aucune question de certification.

                                        ORDONNANCE

[43]            LA COUR ORDONNE :

Pour les motifs ci-dessus énoncés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                                                         _ Eleanor R. Dawson _            

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                            IMM-5286-02

INTITULÉ :                                                          VIATCHESLAV GARIEV ET AL.

c.                           

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                    TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  LE 12 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                     LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                         LE 6 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

Dan Miller                                                               POUR LES DEMANDEURS

Pamela Larmondin                                                   POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dan Miller                                                               POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


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