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Date : 20010831

Dossier : IMM-5693-00

Référence neutre : 2001 CFPI 980

ENTRE :

                                       LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                        demandeur

                                                                            et

                                                    ANBESSIE DEBELE TIKY

                                                                                                                                         défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire qui vise la décision par laquelle la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a refusé, le 11 octobre 2000, la demande que le demandeur avait présentée en vue de faire annuler la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention dont bénéficiait le défendeur et a conclu que ce dernier était un réfugié au sens de la Convention.


LES FAITS

[2]                 Le 14 août 1996, conformément au paragraphe 69.2(3) de la Loi sur l'immigration, le demandeur a présenté une demande au président de la Commission en vue d'obtenir l'autorisation de demander à la Commission de réexaminer la question de la reconnaissance du statut de réfugié au sens de la Convention et d'annuler cette reconnaissance.

[3]                 La demande était accompagnée de la déclaration solennelle en date du 14 août 1996 de Charles Dombrady, agent des appels au bureau des appels de l'immigration. L'autorisation a été accordée le 30 août 1996 et par une demande datée du 21 novembre 1996, le demandeur a présenté une demande aux fins du réexamen et de l'annulation de la décision de la Commission.

[4]                 À l'appui de la demande d'annulation, le demandeur a allégué que le défendeur avait obtenu le statut de réfugié par des moyens frauduleux, par une fausse indication sur un fait important ou par la suppression ou la dissimulation d'un fait important qui, s'ils avaient été connus de la Commission, auraient pu donner lieu à une décision différente.


Enquête de l'immigration

[5]                 Le défendeur fait également l'objet, depuis le mois de juillet 1996, d'une enquête de l'immigration conformément à l'alinéa 19(1)j) de la Loi sur l'immigration. Dans le cadre de l'enquête, le demandeur a allégué qu'il existait des motifs raisonnables de penser que le défendeur avait commis, à l'étranger, un fait constituant un crime de guerre ou un crime contre l'humanité au sens du paragraphe 7(3.76) du Code criminel et qui aurait constitué au Canada une infraction au droit canadien en son état à l'époque de la perpétration. Cette allégation est fondée sur des renseignements qui sont en la possession du demandeur, selon lesquels en 1977 et en 1978, au cours de la campagne de la Terreur rouge, le défendeur était cadre au sein du gouvernement dans le secteur du conseil de zone de Gurage, en Éthiopie, et qu'il avait commis des assassinats collectifs et des voies de fait graves contre la population civile, dans le secteur du conseil de zone de Gurage, à Wollisso, en Éthiopie, au cours de la campagne de la Terreur rouge. Cette allégation est également fondée sur des renseignements selon lesquels le défendeur avait torturé Dessalegn Mammo et Hommo Worku ou avait donné des ordres pour que l'on torture ces personnes. Tous les témoins ont été cités par les deux parties à l'enquête; les parties devaient présenter leurs observations finales à la fin du mois de janvier 2001.


[6]                 L'avocat qui représentait le défendeur à l'enquête de l'immigration, et qui représentait également le défendeur lors de la demande d'annulation, a toujours obtenu communication de la preuve du demandeur. Par une lettre en date du 15 juillet 1997, il a reçu dix volumes de documents produits à l'enquête. Par une lettre en date du 7 août 1997, l'avocat du défendeur a fourni les proclamations de l'ancien gouvernement de l'Éthiopie. Un rapport du professeur Ibrahim Idris portant sur le régime de Dergue et la Terreur rouge, en Éthiopie, a été produit sous la cote C-11 à l'enquête de l'immigration, le 11 août 1997. Par une lettre en date du 23 décembre 1997, l'avocat du défendeur a reçu une copie de l'acte d'accusation déposé contre le défendeur.

La demande d'annulation

[7]                 Le 17 décembre 1996, le défendeur a demandé une liste des témoins et le sommaire des déclarations de chaque témoin ainsi que les Formulaires de renseignements personnels (les FRP) de ces derniers.

[8]                 Une autre lettre en date du 3 janvier 1997 adressée à la Commission précisait que le défendeur faisait également l'objet d'une enquête depuis six mois; l'auteur de la lettre demandait un ajournement jusqu'à ce que l'enquête soit terminée.

[9]                 Toutefois, les avocats et le Bureau des appels se sont entendus pour que l'affaire soit entendue le 23 avril 1997.

[10]            Le 16 avril 1997, le demandeur a demandé un ajournement pour que deux témoins et un témoin expert des États-Unis puissent comparaître à l'audience d'annulation. L'ajournement a été accordé, l'audience devant avoir lieu le 10 septembre 1997.

[11]            Par une lettre en date du 22 août 1997, l'avocat du défendeur a rédigé une lettre dans laquelle il disait que son client lui avait demandé de s'opposer à toute autre demande d'ajournement et demandait la communication intégrale de la preuve.

[12]            Par une lettre datée du 28 août 1997, le demandeur a sollicité un autre ajournement de la demande d'annulation en raison de l'enquête en cours, ce à quoi l'avocat du défendeur s'est opposé le 29 août 1997. L'ajournement a été accordé, l'audience devant avoir lieu le 25 février 1998.

[13]            Le 12 novembre 1997, la Commission a exclu le témoignage que Dessalegn Mammo, l'une des personnes qui avaient témoigné à l'enquête de l'immigration menée en vertu de l'alinéa 19(1)j), avait présenté à l'enquête, selon lequel le défendeur l'avait torturé. La Commission a exclu le contre-interrogatoire de Worku Homma effectué par l'avocat du défendeur, témoignage que M. Homma avait présenté le 16 janvier 1998 lors de l'enquête de l'immigration et dans lequel il déclarait que le défendeur l'avait torturé.

[14]            Le 30 janvier 1998, le demandeur a sollicité un ajournement en invoquant les mêmes motifs. L'avocat du défendeur s'est opposé à la demande par une lettre en date du 4 février 1998. L'audience a été reportée au 8 juillet 1998.

[15]            Le 22 juin 1998, l'avocat du défendeur a encore une fois demandé la communication de la preuve. L'avocat du défendeur a demandé à l'agente des appels, Mary Heyes, dans une lettre datée du 1er juillet 1998, si elle avait l'intention de poursuivre l'affaire. Par une lettre en date du 5 juillet 1998, Mme Heyes a demandé un ajournement en invoquant les mêmes motifs qu'auparavant. Par une lettre datée du 6 juillet 1998, l'avocat du défendeur s'est opposé à la demande d'ajournement. L'audience a été reportée au 14 octobre 1998.


[16]            Par une lettre en date du 7 octobre 1998 que l'agente des appels a envoyée au greffier de la Commission, l'avocat du demandeur a contesté les copies des documents ci-après énoncés que le demandeur avait l'intention de déposer à l'audition de la demande, le 14 octobre 1998, et notamment la transcription de six séances de l'enquête, l'affidavit de Girma Wakjira, procureur public en chef spécial, en Éthiopie, et les pièces qui y étaient jointes, datées du 3 juin 1997, la libération du bureau du procureur public spécial, en Éthiopie, datée du 13 février 1997, et une copie du document intitulé « Part I - Concerning Genocide; A Crime Against Humanity » , Éthiopie. Par une lettre d'envoi datée du 8 octobre 1998, transmise par télécopieur, l'avocat du demandeur a envoyé la lettre de communication à l'avocat du défendeur.

[17]            On a entre autres communiqué une copie de l'affidavit de Girma Wakjira, en date du 3 juin 1997, et une copie du document intitulé « Part I Concerning Genocide: A Crime Committed Against Humanity » , lesquels étaient tous deux joints à la lettre que l'agente des appels avait envoyée à la Commission le 7 octobre 1998.

[18]            Le 14 octobre 1998, la Commission a ajourné la demande d'annulation parce qu'un membre seulement était disponible afin d'entendre l'affaire. L'audience a été reportée au 4 février 1999.

[19]            Le 22 janvier 1999, la Commission a fait savoir au moyen d'une lettre que la séance du 4 février 1999 avait été ajournée parce qu'un des trois membres n'était pas disponible.

[20]            L'audience a été reportée au 6 mai 1999. Le 27 avril 1999, l'avocat du défendeur a demandé par écrit un ajournement parce qu'il ne pouvait pas communiquer avec son client étant donné que le demandeur contre-interrogeait celui-ci dans le cadre de l'enquête. L'audience a été reportée au 30 mars 2000.

[21]            Le 19 janvier 2000, Robert Bafaro, agent d'audience, a envoyé une lettre au greffe de la Commission, en y joignant des copies de la transcription des séances de l'enquête qui avaient eu lieu les 25, 26 et 27 mai ainsi que le 24 juin, et les 15 et 23 novembre 1999. La lettre indiquait que ces documents avaient déjà été signifiés à l'avocat du défendeur dans le cadre de l'enquête de l'immigration qui était en cours.

[22]            Le 30 mars 2000, le président a tenu une conférence préparatoire. La preuve documentaire a alors été examinée. Les parties ont convenu que les documents suivants seraient pertinents aux fins de l'audience d'annulation : la demande d'annulation et la déclaration; la transcription originale de la séance que la Commission avait tenue le 23 octobre 1995, qui était également la date à laquelle la revendication que le défendeur avait présentée en vue d'obtenir le statut de réfugié avait été entendue; les pièces C-1 à C-5 provenant de la première audience tenue le 23 octobre 1995; il a également été convenu que M. Bafaro, pour le compte du demandeur, remettrait à la Commission au plus tard le 6 juillet 2000 des renvois précis aux passages pertinents des pièces jointes aux lettres de Mme Hayes, en date du 7 octobre 1998 et de M. Bafaro, en date du 19 janvier 2000 ainsi que d'une lettre du 10 février 1999 et que la Commission tiendrait uniquement compte des passages pertinents remis au préalable. L'avocat du défendeur s'est engagé à répondre au plus tard le 7 août 2000 aux conditions imposées le 6 juillet 2000. L'audience devait avoir lieu le 19 septembre 2000.

[23]            Le 8 juin 2000, le demandeur a demandé une prorogation du délai du 6 juillet 2000 en déclarant qu'il avait conclu qu'il faudrait déposer des documents supplémentaires qui ne seraient disponibles qu'à la fin du mois de juin et qu'il entendait également déposer une preuve documentaire supplémentaire composée d'extraits de travaux d'auteurs et qu'étant donné le grand nombre de documents qu'il fallait examiner afin de préparer le dossier, il demandait que le délai soit reporté au mois de septembre 2000.

[24]            Le 13 juin 2000, le président a refusé, au moyen d'une lettre, la demande de prorogation de délai que le demandeur avait présentée.

[25]            Par une lettre en date du 14 juin 2000, le demandeur a réitéré sa demande. La demande a encore une fois été rejetée et, le 22 juin 2000, le délai du 6 juillet qui avait été fixé au cours de la conférence préparatoire a été confirmé; il a en outre été statué qu'une requête comportant un sommaire des documents à déposer et indiquant en quoi ces documents étaient pertinents aux fins de l'annulation devait précéder le dépôt de documents supplémentaires.


[26]            Le 2 août 2000, l'avocat du défendeur a fait savoir par écrit qu'il ne pourrait remettre ses arguments qu'une fois que le demandeur aurait fourni les siens et il a également fait savoir que, si le demandeur citait des témoins au moment où l'audition de la demande d'annulation reprendrait, il aurait besoin des sommaires des déclarations des témoins au moins deux semaines avant la date de l'audience.

[27]            Le 12 septembre 2000, l'avocat du défendeur a réitéré la demande qu'il avait faite dans la lettre du 2 août 2000. Avant le 6 juillet 2000, le demandeur n'a jamais fourni de détails au sujet des extraits et passages pertinents des transcriptions et autres documents qui avaient été déposés avec les lettres des 7 octobre 1998, 10 février 1999 et 19 janvier 2000. De plus, le demandeur a déposé des éléments de preuve supplémentaires la veille de l'audience seulement, soit le 18 septembre 2000, lorsqu'une requête datée du 15 septembre 2000 a été présentée pour que des documents supplémentaires d'information sur le pays puissent être déposés dans le cadre de la demande d'annulation.


[28]            Au début de l'audience, le 19 septembre 2000, l'agent d'audience a présenté oralement la requête en vue de faire admettre en preuve les documents supplémentaires d'information sur le pays. La Commission a rejeté la requête pour le motif que l'avis de pratique relatif à la communication et au dépôt avant l'audience, devant la Commission, d'éléments de preuve pertinents n'avait pas été observé et que les règles de la Commission relatives au délai imparti aux fins de la présentation d'une requête n'avaient pas été respectées. Compte tenu de l'historique de l'affaire, la Commission a conclu qu'il ne serait pas juste, eu égard aux circonstances dans leur ensemble, de déposer les documents d'information sur le pays au moyen d'une requête la veille de l'audience d'annulation.

[29]            La Commission n'a pas accepté les pièces jointes à l'avis de requête en date du 15 septembre 2000, mais elle n'a pas non plus accepté les transcriptions et documents qui avaient été remis au tribunal et à l'avocat du défendeur par Mme Hayes le 7 octobre 1998 ainsi que d'autres transcriptions que l'agent d'audience avait remises à la Commission le 21 janvier 2000, que l'avocat du défendeur avait déjà en sa possession à la suite de l'enquête.

[30]            Lors de l'audience d'annulation, la Commission a uniquement accepté en preuve les éléments de preuve ci-après énoncés :

M-1 -              demande visant l'autorisation relative à l'annulation en date du 14 août 1996;

M-2 -              déclaration de Charles Dombrady, avec pièces jointes;

M-3 -              ordonnance de la Commission en date du 30 août 1996 par laquelle l'autorisation était accordée;

R-1 -                 transcription de l'audience initiale tenue par la Commission le 23 octobre 1996; et

R-2 -                 pièces C-1 à C-5 se rapportant à l'audience initialement tenue par la Commission.


[31]            Lors de l'audience d'annulation, le défendeur a été interrogé par l'avocat du demandeur, par la Commission et par son propre avocat. La demande d'annulation était fondée sur les pièces jointes à la déclaration de M. Dombrady. Trois déclarations étaient jointes à la déclaration de M. Dombrady.

[32]            Deux déclarations indiquaient que le défendeur avait commis des crimes contre l'humanité, à savoir qu'il avait torturé ou tué des personnes pendant la Terreur rouge. Une déclaration indiquait que le défendeur était une bonne personne qui n'avait jamais participé à des actes de torture ou à des massacres.

LES POINTS LITIGIEUX

[33]            La Commission a-t-elle commis une erreur en excluant la preuve?

ANALYSE

La Commission a-t-elle commis une erreur en excluant la preuve?


[34]            Le demandeur soutient que la Commission a porté atteinte à son pouvoir discrétionnaire et qu'elle a violé les règles de justice naturelle et d'équité en refusant de permettre à son avocat de présenter une preuve à l'audience d'annulation parce qu'il ne s'était apparemment pas conformé à la Directive de pratique selon laquelle il devait remettre à la Commission un sommaire de tous les éléments de preuve à déposer et parce qu'il n'avait pas soumis les documents dans le délai imparti par la Directive de pratique et par les Règles relatives à la signification.

[35]            Le paragraphe 69.3(1) de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit :


69.3 (1) Dans les cas visés à l'article 69.2, la section du statut procède à l'examen de la demande par une audience dont elle communique au ministre et à l'intéressé les date, heure et lieu et au cours de laquelle elle leur donne la possibilité de produire des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de présenter des observations.

69.3 (1) Where an application to the Refugee Division is made under section 69.2, the Refugee Division shall conduct a hearing into the application, after having notified the Minister and the person who is the subject of the application of the time and place set for the hearing, and shall afford the Minister and that person a reasonable opportunity to present evidence, cross-examine witnesses and make representations.


[36]            Par une lettre en date du 13 juin 2000, le membre président a rejeté la demande que le demandeur avait faite le 8 juin 2000 en vue d'obtenir une prorogation du délai du 6 juillet 2000.

[37]            Le 14 juin 2000, le demandeur a réitéré par écrit sa demande, qui a encore une fois été rejetée; le 22 juin 2000, on a de nouveau fait savoir que le délai du 6 juillet fixé au cours de la conférence préparatoire continuait à s'appliquer et qu'avant de déposer des documents supplémentaires, il fallait présenter une requête comportant un sommaire des documents à déposer et expliquant en quoi ils étaient pertinents.


[38]            Dans sa décision, la Commission a dit qu'avant le 6 juillet 2000, le demandeur n'avait jamais fourni de détails au sujet des extraits et passages pertinents des transcriptions et autres documents qui avaient été déposés avec les lettres des 7 octobre 1998, 10 février 1999 et 19 janvier 2000. De plus, le demandeur avait déposé des éléments de preuve supplémentaires la veille de l'audience seulement, soit le 18 septembre 2000, lorsqu'une requête datée du 15 septembre 2000 avait été présentée pour que des documents supplémentaires d'information sur le pays puissent être déposés dans le cadre de la demande d'annulation.

[39]            Au début de l'audience, le 19 septembre 2000, l'agent d'audience a présenté oralement la requête en vue de faire admettre en preuve les documents supplémentaires sur le pays. La Commission a rejeté la requête pour le motif que l'avis de pratique relatif à la communication et au dépôt avant l'audience devant la Commission d'éléments de preuve pertinents n'avait pas été observé et que les règles de la Commission relatives au délai imparti aux fins de la présentation d'une requête n'avaient pas été respectées. Compte tenu de l'historique de l'affaire, la Commission conclu qu'il ne serait pas juste, eu égard aux circonstances dans leur ensemble, de déposer les documents d'information sur le pays au moyen d'une requête la veille de l'audience d'annulation.


[40]            Dans l'arrêt Prassad c. Canada (M.E.I.), [1989] 1 R.C.S. 560, il s'agissait de savoir si l'arbitre devait ajourner une enquête de l'immigration en vue de permettre à l'appelante de poursuivre une demande présentée devant le ministre en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi sur l'immigration. L'arbitre avait refusé d'accéder à la demande d'ajournement présentée par l'appelante. La majorité de la Cour suprême du Canada a statué ce qui suit, aux pages 568 et 569 :

Afin d'interpréter correctement des dispositions législatives susceptibles de sens différents, il faut les examiner en contexte. Nous traitons ici des pouvoirs d'un tribunal administratif à l'égard de sa procédure. En règle générale, ces tribunaux sont considérés maîtres chez eux. En l'absence de règles précises établies par loi ou règlement, ils fixent leur propre procédure à la condition de respecter les règles de l'équité et, dans l'exercice de fonctions judiciaires ou quasi judiciaires, de respecter les règles de justice naturelle. Il est donc clair que l'ajournement de leurs procédures relève de leur pouvoir discrétionnaire.

[...]

Le juge en chef Jackett, dans la décision Pierre c. Ministre de la Main-d'oeuvre et de l'Immigration, [1978] 2 C.F. 849, s'exprime ainsi, à la p. 851 :

Dans l'examen d'une plainte relative à un refus d'ajournement par un tribunal, il ne faut pas oublier qu'en l'absence de toute règle spécifique régissant le mode d'exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire dans l'octroi d'un ajournement, la question d'accorder ou de refuser l'ajournement demandé est de nature discrétionnaire pour le tribunal même, et qu'une cour supérieure ayant droit de surveillance n'a pas compétence pour réviser un refus d'ajournement, à moins qu'à cause de ce refus, la décision rendue par le tribunal à la fin de l'audience ne soit annulable pour violation des règles de justice naturelle.

[41]            Les Règles de la Section du statut de réfugié (les Règles de la Commission) prévoient ce qui suit, en ce qui concerne les requêtes :

28. (1) Toute demande d'une partie qui n'est pas prévue par les présentes règles est présentée à la section du statut par voie de requête, sauf si elle est présentée au cours d'une audience et que les membres décident d'une autre façon de procéder dans l'intérêt de la justice.

(2) La requête consiste en :

a) un avis précisant les motifs de la requête;

b) un affidavit énonçant les faits sur lesquels repose la requête;


c) un exposé succinct du droit et des arguments sur lesquels le requérant se fonde.

(3) La requête est :

a) signifiée à l'autre partie à la procédure;

b) déposée en double exemplaire au greffe, accompagnée de la preuve de sa signification, dans les cinq jours qui suivent la date de la signification.

(4) La preuve à l'appui de la requête est présentée par voie d'affidavit, sauf si la section du statut décide d'une autre façon de procéder dans l'intérêt de la justice.

(5) L'autre partie peut, dans les sept jours après avoir reçu signification de la requête, déposer au greffe une réponse exposant de façon succincte le droit et les arguments sur lesquels elle se fonde, accompagnée d'un affidavit énonçant les faits à l'appui de la réponse.

(6) L'agent d'audience peut, dans les sept jours après le dépôt de la requête, déposer au greffe un énoncé des éléments qui, à son avis, devraient être examinés par la section du statut au moment de statuer sur la requête.

(7) Dans les sept jours après avoir reçu signification d'une réponse visée au paragraphe (5) ou d'un énoncé visé au paragraphe (6), le requérant peut déposer au greffe une réplique.

(8) Une copie de la réponse et de l'affidavit déposés conformément au paragraphe (5), de l'énoncé déposé conformément au paragraphe (6) et de la réplique déposée conformément au paragraphe (7) est signifiée à toutes les parties dans les sept jours suivant la date de la signification de la requête, de la réponse ou de l'énoncé, selon le cas.

(9) La section du statut peut statuer sur la requête sans tenir d'audience si elle est convaincue qu'il ne risque pas d'en résulter d'injustice.

[42]            Les Règles de la Commission prévoient également ce qui suit :

39. Les présentes règles ne sont pas exhaustives; en l'absence de dispositions sur des questions qui surviennent dans le cadre d'une procédure, la section du statut peut prendre les mesures voulues pour assurer une instruction approfondie de l'affaire et le règlement des questions de façon expéditive.

40. En cas d'inobservation d'une exigence des présentes règles par une partie ou l'agent d'audience, la section du statut peut, sur réception d'une demande de la partie ou de l'agent d'audience, conforme à l'article 27, soit lui permettre de remédier au défaut, soit le dispenser de l'exigence, si elle est convaincue qu'une telle mesure ne risque pas de causer d'injustice aux parties ni d'entrave sérieuse à la procédure.


[43]            Dans ses motifs, la Commission a dit que Worku Homma et Dessalegn Mammo n'avaient pas fourni suffisamment de détails quant au moment et à l'endroit où ils avaient eu affaire au défendeur, de sorte que leurs déclarations ne constituaient pas une preuve digne de foi du rôle que le défendeur avait eu dans le cadre de la campagne de la Terreur rouge. La Commission a cité la déclaration que Mulugeta Bikila avait faite à l'agente d'immigration Tammy McKinght, à savoir que le défendeur était une bonne personne. Cette déclaration ne fournit aucun détail au sujet des circonstances dans lesquelles M. Bikila a eu affaire au défendeur. M. Bikila dit plutôt simplement qu'il a vu le défendeur pour la dernière fois lorsqu'il avait quatorze ou quinze ans.

[44]            La Commission n'a pas tenu compte de la preuve présentée par Worku Homma et par Dessalegn Mammo parce que ces derniers n'avaient pas été assignés à témoigner à l'audience d'annulation. Toutefois, M. Bikila n'a pas non plus témoigné à cette audience. La Commission a accepté la conclusion de ce dernier selon laquelle le défendeur était une bonne personne, même si M. Bikila n'avait relaté aucun fait à l'appui des assertions qu'il faisait au sujet de la réputation du défendeur et au sujet du fait que celui-ci n'avait pas participé à des actes de torture et à des massacres.


[45]            La Commission s'est fondée sur le témoignage du défendeur selon lequel la déclaration solennelle de Homma Worku n'était pas compatible avec la preuve que le témoin avait présentée à l'enquête de l'immigration afin d'omettre de tenir compte de la déclaration solennelle de Homma Worku. Dans ses motifs, la Commission a dit que la déclaration du défendeur selon laquelle la preuve présentée à l'enquête par les deux témoins était incompatible avec les renseignements figurant dans les déclarations n'avait pas été contestée par l'avocat du ministre.

[46]            La Commission a commis une erreur en se fondant sur le témoignage dans lequel on relatait ce qui s'était passé à l'enquête alors qu'elle avait refusé de permettre aux agents d'audience de présenter leur preuve exacte. La Commission n'avait pas le droit de se fonder sur le témoignage que le défendeur avait présenté au sujet de l'enquête en vue d'étayer la crédibilité du défendeur et de discréditer la preuve contenue dans les déclarations solennelles soumises par le demandeur. Il n'était pas loisible à la Commission de tenir compte du témoignage que le défendeur avait présenté au sujet des déclarations que les témoins avaient faites à son égard à l'enquête de l'immigration, puisqu'elle avait refusé d'admettre les transcriptions de l'enquête de l'immigration se rapportant aux témoignages desdits témoins.


[47]            En tentant avec ardeur de tirer des conclusions défavorables au demandeur, la Commission était prête à tenir compte d'éléments de preuve qui n'avaient pas été mis à sa disposition tout en interdisant au demandeur de présenter une preuve fournie à l'enquête, preuve qui aurait établi que Homma Worku ne s'était jamais contredit lorsqu'il avait témoigné. Dans sa déclaration solennelle, Dessalegn Mammo n'a pas déclaré que le défendeur l'avait torturé. À l'enquête, il a témoigné que le défendeur l'avait torturé et il a fourni des explications au sujet de la raison pour laquelle il n'en avait pas fait mention dans sa déclaration solennelle.

[48]            Tous les documents avaient été fournis au défendeur plusieurs années avant l'audience.

[49]            Je n'hésite pas à conclure que le défendeur a obtenu pleine communication.

[50]            Néanmoins, le 6 juillet 2000, le demandeur n'avait toujours pas fourni de détails au sujet des extraits et passages pertinents des transcriptions, conformément à l'entente conclue lors de la conférence préparatoire.

[51]            Les demandes que le demandeur avait faites en vue d'obtenir une prorogation de délai ont été rejetées à deux reprises. Dans sa lettre du 14 juin 2000, l'avocat du demandeur a expressément dit qu'il ne pouvait pas respecter le délai que la Commission avait fixé dans sa décision.

[52]            Le demandeur soutient avoir en outre le droit de présenter des observations supplémentaires conformément à l'article 69.3 de la Loi.


[53]            La Commission a manifesté de l'impatience envers le demandeur en ne l'autorisant pas à présenter des observations supplémentaires à la suite de la décision par laquelle elle avait rejeté la requête du 15 septembre 2000 visant au dépôt de documents et du sommaire.

[54]            À mon avis, le refus d'admettre la preuve à l'audience et en particulier le rejet de la preuve qui avait déjà été déposée devant la Commission et communiquée au défendeur plusieurs années auparavant constituent une erreur.

[55]            Dans les motifs par lesquels elle excluait la preuve, la Commission n'a jamais expliqué pourquoi la preuve n'était pas pertinente aux fins de la demande d'annulation.

[56]            À mon avis, les erreurs que la Commission a commises sont susceptibles de révision et justifient l'intervention de la Cour. La Commission ne pouvait avec raison tirer les conclusions qu'elle a tirées.

[57]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie. L'affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour que celui-ci rende une décision conformément à la présente décision.

[58]            L'avocat du défendeur propose la certification de la question ci-après énoncée :

[TRADUCTION] La Section du statut de réfugié commet-t-elle une erreur si elle refuse d'admettre des éléments de preuve à l'audience relative à la demande d'annulation qui est tenue en vertu des articles 69.2 et 69.3 de la Loi sur l'immigration si les délais impartis aux fins du dépôt de la preuve ne sont pas respectés et si aucune requête en prorogation n'est présentée?

[59]            L'avocat du demandeur propose la certification de la question suivante :

[TRADUCTION] La Section du statut de réfugié commet-elle une erreur si elle refuse d'admettre des éléments de preuve à l'audience relative à la demande d'annulation qui est tenue en vertu des articles 69.2 et 69.3 de la Loi si la partie adverse (le demandeur) ne respecte pas les délais impartis aux fins du dépôt de la preuve si le défendeur a obtenu communication de la preuve en temps opportun?

[60]            À mon avis, ni l'une ni l'autre question n'a une portée générale, de sorte qu'aucune question n'est certifiée.

« Pierre Blais »

Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 31 août 2001.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      IMM-5693-00

INTITULÉ :                                                                     MCI

c.

Anbessie Debele Tiky

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 16 août 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                             

ET ORDONNANCE PAR :                                        Monsieur le juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                                  le 31 août 2001

COMPARUTIONS :

M. Donald MacIntosh                                                     POUR LE DEMANDEUR

M. Micheal Crane                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

M. Micheal Crane                                                             POUR LE DÉFENDEUR

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