Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision




     Date: 19990805

     Dossier: IMM-5272-98


ENTRE


LYNDA LEWIS,


demanderesse,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


défendeur.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE SIMPSON


[1]      Il s'agit d'une affaire inhabituelle. Lynda Lewis (la demanderesse) réside en permanence au Canada depuis 34 ans. Elle avait quatre ans lorsqu'elle est arrivée au pays.

[2]      La demanderesse a été élevée dans un milieu familial où la violence psychologique régnait. Dès l'âge de 11 ans, elle a commencé à consommer de la drogue qui lui était fournie par son frère aîné.

[3]      La demanderesse a effectué sa douzième année et elle a par la suite reçu une formation dans le domaine de la coiffure, mais elle a quitté la maison familiale à l'âge de 17 ans. Par la suite, elle a vécu successivement avec deux hommes. Les deux hommes étaient violents et ont chacun engendré une fille, la première en 1980 et la deuxième en 1982.

[4]      En 1983, la demanderesse a commencé à abuser de la drogue et de l'alcool; ce comportement a occasionné une série de déclarations de culpabilité, entre 1982 et 1991. Au cours de cette période, la demanderesse a purgé une peine d'emprisonnement de 12 mois pour vol qualifié; elle a été déclarée coupable de voies de fait, de possession de stupéfiant, de conduite en état d'ébriété (à deux reprises) et elle a été condamnée à deux ans moins un jour pour homicide involontaire coupable.

[5]      Pendant cette période, la demanderesse a adopté le mode de vie des lesbiennes. En 1986, elle a commencé à entretenir des relations avec une certaine Karen Sharpe. Cette relation était extrêmement violente et était caractérisée par la consommation excessive d'alcool, l'utilisation de drogues et des actes de violence contre la demanderesse de la part de Karen Sharpe. La demanderesse a tué Karen en 1987 pendant qu'elle était en état d'ébriété et cela a occasionné la déclaration de culpabilité pour homicide involontaire.

[6]      À la fin de l'année 1991, la demanderesse avait perdu la garde de ses filles. Elle ne communiquait avec celles-ci que par téléphone. Elle avait également perdu tout contact réel avec ses parents. Toute la famille de la demanderesse rejetait son style de vie de lesbienne.

[7]      La demanderesse a admis les crimes commis jusqu'en 1991, mais la Commission a fait remarquer avec raison qu'elle n'avait pas exprimé de remords à l'égard de son comportement et qu'elle avait tendance à blâmer les autres pour les circonstances qui avaient mené à la perpétration des infractions. Toutefois, elle a admis que sa conduite était " stupide " et elle se rendait compte que la drogue et l'alcool étaient souvent en cause dans son comportement criminel.

[8]      Heureusement, après l'année 1991, la vie de la demanderesse s'est améliorée. La demanderesse avait été déclarée coupable de possession d'une petite quantité de plants de marijuana en 1994, mais elle a dit à la Commission qu'elle était innocente et qu'elle avait supporté le blâme pour protéger un ami. La Commission semble avoir cru la demanderesse étant donné que sa crédibilité n'a aucunement été remise en question. Par conséquent, malgré la perpétration de deux infractions susceptibles de donner lieu à une expulsion au cours des années 1980, la demanderesse n'a pas commis de crimes, selon la Commission, depuis la deuxième déclaration de culpabilité pour conduite en état d'ébriété, en octobre 1991. La demanderesse n'a donc pas commis d'infractions au cours des sept années qui ont précédé l'audition de son appel par la Commission.

[9]      À la fin de l'année 1994, la demanderesse a commencé à entretenir des relations avec Patricia Merlin; les deux femmes vivent ensemble depuis 1996. Les deux femmes abusaient des substances toxiques, mais elles ont décidé de changer leur comportement. La Commission a retenu leurs témoignages, selon lesquels elles avaient réussi à se réadapter sans aide professionnelle. Au moment de l'appel, la demanderesse travaillait dans l'entreprise de Patricia Merlin et la Commission a conclu que la relation entre les deux femmes était paisible et affectueuse.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[10]      La Commission n'a pas commis d'erreurs de fait en appréciant la preuve. Elle a conclu qu'à cause du casier judiciaire chargé de la demanderesse, de ses relations passées malheureuses et infructueuses et du fait que par le passé elle avait abusé de la drogue et de l'alcool, on ne pouvait compter sur le fait qu'elle éviterait d'avoir des ennuis, de sorte qu'elle récidiverait probablement. La Commission s'inquiétait en particulier du fait que la demanderesse n'avait exprimé aucun remords et du fait qu'elle n'avait pas eu recours à des services professionnels de counselling, qui auraient pu l'aider à surmonter les effets de son enfance malheureuse et lui donner les outils nécessaires pour ne pas recommencer à abuser de la drogue et de l'alcool.

LA QUESTION EN LITIGE

[11]      La transcription révèle que l'avocat de la demanderesse a demandé à la Commission d'envisager de surseoir à la mesure d'expulsion au lieu de rejeter l'appel. Le paragraphe 73(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) permet à la Commission d'accorder un sursis lorsque, comme c'est ici le cas, l'appel est fondé sur l'alinéa 70(1)b) de la Loi. Les paragraphes 74(2) et (3) de la Loi permettent à la Commission d'imposer les conditions du sursis. La Commission peut également à n'importe quel moment modifier les conditions ou annuler le sursis et prendre une mesure d'expulsion.

[12]      Dans sa décision, la Commission ne mentionne pas la possibilité d'un sursis; la demanderesse allègue qu'eu égard aux circonstances de l'affaire, un sursis ayant été demandé, la Commission a commis une erreur en ne mentionnant pas qu'il convenait d'accorder un sursis à condition que la demanderesse ait recours à des services de counselling psychiatrique et participe à un programme régulier de traitement de la toxicomanie et de réadaptation pour les alcooliques.

ANALYSE

[13]      Le défendeur soutient qu'à la suite d'un appel, trois résultats seulement sont possibles : il peut être fait droit à l'appel, l'appel peut être rejeté, ou la mesure d'expulsion peut faire l'objet d'un sursis, et que je devrais supposer que la Commission envisage toujours d'accorder un sursis et que, si elle rejette l'appel, elle décide implicitement de ne pas accorder pareil sursis. C'est pourquoi l'avocate du défendeur soutient qu'il n'est pas nécessaire de justifier l'omission d'accorder un sursis.

[14]      Je ne puis souscrire à cette approche. À mon avis, lorsqu'un sursis est demandé et que les faits montrent qu'il y a lieu d'envisager un sursis conditionnel, si des motifs sont donnés conformément au paragraphe 69.4(5) de la Loi, le demandeur a le droit de savoir pourquoi le sursis est refusé.

[15]      À cet égard, je tiens compte de la remarque que Madame le juge L'Heureux-Dubé a faite dans l'affaire Baker c. Canada (MCI), dossier du greffe no 25823, 9 juillet 1999 (C.S.C.), au paragraphe 43, où le juge a dit, dans le contexte d'une décision fondée sur des raisons d'ordre humanitaire, que des motifs devraient être donnés parce qu'" [i]l serait injuste à l'égard d'une personne visée par une telle décision, si essentielle pour son avenir, de ne pas lui expliquer pourquoi elle a été prise ".

[16]      La décision de refuser d'accorder un sursis conditionnel dans ce cas-ci était essentielle à l'avenir de la demanderesse. En l'absence d'un sursis, la demanderesse sera expulsée dans un pays qu'elle n'a jamais connu et elle sera obligée de renoncer à une bonne relation. Si tel doit être son sort et si des motifs sont donnés, la demanderesse a le droit de savoir pourquoi la Commission a refusé d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon à accorder un sursis conditionnel.


     " Sandra J. Simpson "

     JUGE

OTTAWA (ONTARIO),

le 5 août 1999.

Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-5272-98

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LYNDA LEWIS

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      LE MARDI 27 JUILLET 1999

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)


MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Simpson en date du 5 août 1999


ONT COMPARU :

Lorne Waldman      pour la demanderesse

Geraldine MacDonald      pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman et associés      pour la demanderesse

Avocats

281, avenue Eglinton est

Toronto (Ontario)

M4P 1L3

Morris Rosenberg      pour le défendeur

Sous-procureur général

du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date: 19990805
     Dossier: IMM-5272-98

Entre
LYNDA LEWIS,
demanderesse,
et
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.






     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.