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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'immigration) c. Katriuk (1re inst.) [1999] 3 C.F. 143

     Date : 19990215

     Dossier : T-2408-96


AFFAIRE INTÉRESSANT une annulation de la citoyenneté fondée sur les articles 10 et 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée, ainsi que sur l'article 19 de la Loi sur la citoyenneté canadienne, S.R.C. 1952, ch. 33, dans sa forme modifiée;


ET une demande de renvoi à la Cour fédérale fondée sur l'article 18 de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29, dans sa forme modifiée;


ET un renvoi à la Cour fondé sur l'article 920 des Règles de la Cour fédérale

ENTRE

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     VLADIMIR KATRIUK,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE NADON

[1]      Dans la décision que j'ai rendue le 29 janvier 1999 au sujet de la question principale qui était soulevée dans l'instance, j'ai fait savoir que, sur demande d'une partie ou de l'autre, je fournirais des motifs détaillés au sujet de l'inadmissibilité du témoignage recueilli par commission en Pologne en avril 1998. Voici mes motifs.

[2]      Le 5 février 1998, le juge en chef de cette cour m'a désigné en vue de recueillir entre autres le témoignage de Michael Jankowski, d'Opole, en Pologne. Les paragraphes 13 et 14 de l'Entente mutuelle conclue entre le ministère de la Justice du Canada et le ministère de la Justice de la Pologne, qui a été signée à Varsovie le 7 juin 1988, prévoient ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Témoignages recueillis en Pologne                 
         13.      Lorsqu'un tribunal canadien, sur demande du ministère de la Justice du Canada ou autrement, demande à recueillir un témoignage en Pologne, le ministère de la Justice de la Pologne prendra les mesures nécessaires en vue de faciliter l'obtention de ce témoignage le plus tôt possible au moyen des dispositions suivantes :                 
             a)      Du côté polonais, un juge polonais présidera l'audience conformément aux exigences du droit polonais et permettra au représentant d'un tribunal canadien présidant également l'audience du côté canadien de recueillir le témoignage à l'audience conformément aux règles de preuve et de procédure canadiennes;                 
             b)      Des interprètes seront désignés par le ministère de la Justice du Canada;                 
                 -      toutes les procédures seront traduites en anglais ou en français conformément aux exigences du ministère de la Justice du Canada;                 
                 -      un compte rendu sténographique des procédures, y compris les questions et réponses des témoins ainsi que les objections des avocats et les discussions y afférentes, sera effectué par un sténographe désigné par les autorités canadiennes compétentes;                 
                 -      les procédures seront enregistrées sur bande vidéo par les autorités canadiennes;                 
                 -      toutes les activités susmentionnées seront exercées aux frais du Canada.                 
             c)      Le ministère permettra qu'on entende devant les tribunaux compétents, conformément aux règles de droit polonaises, les personnes qui, à la demande des autorités canadiennes compétentes, sont citées pour témoigner et faire des déclarations ou pour fournir des éléments de preuve ou d'autres éléments.                 
         14.      Le ministère de la Justice du Canada s'engage à rembourser au ministre de la Justice de la Pologne les frais qui sont normalement versés aux témoins conformément aux règles de droit polonaises.                 

[3]      Comme le montre clairement le paragraphe 13 de l'Entente mutuelle, un juge polonais doit présider l'audience conformément aux exigences du droit polonais et permettre au juge canadien de recueillir le témoignage du témoin conformément aux règles canadiennes de preuve et de procédure.

[4]      Le témoignage de M. Jankowski a été entendu à Opole, en Pologne, le 2 avril 1998. Comme le montre la transcription de l'audience, un juge polonais, Madame le juge Roguska-Gajewska, présidait non seulement l'audience conformément aux exigences du droit polonais, mais a aussi en fait mené l'interrogatoire du témoin conformément aux règles de droit et de procédure polonaises. En fait, comme le prévoit la législation polonaise, Madame le juge Roguska-Gajewska a interrogé et contre-interrogé le témoin.

[5]      Après avoir interrogé M. Jankowski, Madame le juge Roguska-Gajewska m'a demandé si j'[TRADUCTION] " aimer[ais] poser des questions au témoin "1. J'ai répondu par la négative, mais je l'ai informée que je préférais que les avocats canadiens se chargent de l'interroger.

[6]      Me Lucas, au nom du ministre, a posé un certain nombre de questions au témoin. Puis, Me Rudzik, au nom de M. Katriuk, a soulevé une objection au sujet de la procédure et des règles de preuve en vertu desquelles la juge polonaise interrogeait M. Jankowski. Aux pages 68 et 69, Me Rudzik a fait les observations suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         Avec égards, nous qui sommes invités dans votre ressort croyons que vos règles de procédure et les nôtres sont tout à fait différentes, de sorte que nous ne pourrions pas y remédier en soulevant des objections au sujet des problèmes qui se sont posés aujourd'hui et que nous présenterons nos objections en temps et lieu dans le cadre de notre réponse, une fois revenus au Canada. Je parle de questions telles que l'interrogatoire au sujet de déclarations contradictoires antérieures.                 
         L'INTERPRÈTE :                 
         L'interrogatoire?                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         L'interrogatoire d'un témoin au sujet d'une déclaration contradictoire antérieure qu'il a faite, le contre-interrogatoire de son propre témoin, le fait de poser des questions à son propre témoin et un certain nombre d'autres procédures permises à juste titre en vertu de vos règles de procédure, mais que nous n'avons jamais suivies, et auxquelles nous devons nous conformer.                 
         Je vous remercie donc encore une fois, Madame le juge, de la possibilité que vous m'avez donnée et d'avoir bien voulu nous entendre, mais nous allons conclure sur cette base.                 
         LE COMMISSAIRE :                 
         Puis-je répondre à vos observations?                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         Oui.                 

[7]      Aux pages 69, 70 et 71, j'ai répondu aux objections de Me Rudzik comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         LE COMMISSAIRE :                 
         Il me semble, Maître, j'espère que vous savez et que vous comprenez que cette affaire sera en fin de compte tranchée en vertu du droit canadien à l'aide des règles et principes que nous connaissons tous. Comme je l'ai déjà dit, je réglerai au Canada les objections et les problèmes qui se posent en raison de la différence entre les règles de pratique et de procédure après avoir entendu les arguments que les avocats auront présentés au sujet des points soulevés. Il m'est donc difficile de comprendre les remarques que vous venez de faire, lesquelles semblent montrer que vous n'acceptez pas que le cas de votre client soit traité conformément au droit polonais.                 
         L'INTERPRÈTE :                 
         Pourriez-vous répéter ce que vous venez de dire?                 
         LE COMMISSAIRE :                 
         Les remarques de Me Rudzik qui semblent vouloir dire qu'il n'accepte pas que le cas de son client soit traité conformément au droit polonais et à la procédure polonaise. Comme je l'ai dit, il est tout à fait clair que le cas de M. Katriuk sera traité conformément au droit canadien.                 
         Il sera - les réponses aux questions posées à la Cour seront soit affirmatives soit négatives selon la preuve qui lui aura été présentée au Canada et ici, dans la mesure où les éléments de preuve qui sont présentés ici sont admissibles conformément au droit canadien, mais c'est un point qui ne sera pas réglé ici, et ce, pour des raisons évidentes.                 
         Par conséquent, pour en venir à ce que j'ai à dire après cette longue introduction, étant donné que je ne me prononce pas sur ces points ici aujourd'hui, mais que je le ferai au Canada, je veux simplement souligner que si vous ne posez pas de questions, cela ne dépend que de vous. Je ne sais pas quel sera le résultat de ma décision, une fois que les questions auront été soulevées et débattues, mais je vous demande d'y réfléchir pendant quelques minutes.                 
         Il ne dépend que de vous de poser ou de ne pas poser de questions aujourd'hui, mais je prendrai en temps et lieu une décision au Canada. Si vous avez raison, il en sera ainsi. Si vous avez tort, cela voudra dire que vous n'aurez pas posé de questions.                 
         Par conséquent, j'aimerais vous demander encore une fois si vous voulez vous en tenir à l'objection que vous avez soulevée et ne pas poser de questions à M. Jankowski.                 

[8]      Me Rudzik a répondu qu'il ne poserait pas de questions et qu'il formulerait son objection au sujet de l'admissibilité de la preuve recueillie en Pologne à notre retour au Canada. La question a de fait été soulevée au Canada et j'ai décidé que le témoignage de M. Jankowski n'était pas admissible.

[9]      La juge polonaise croyait certainement que son gouvernement l'avait autorisée à interroger le témoin, M. Jankowski, conformément au droit polonais. C'est ce qui ressort clairement des propos qu'elle a échangés avec Me Rudzik, lesquels figurent aux pages 65, 66, 67, 68 et 69 :

         [TRADUCTION]                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         Je me demandais simplement s'il nous faut du temps pour préparer les questions.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         Je vous remercie, Madame le juge, mais je crois que nous sommes prêts à poursuivre l'affaire. Madame le juge, nous serons fort brefs. J'aimerais poser une question à la Cour, si vous me le permettez. Puis, je n'ai qu'à faire un énoncé général de la position que nous adoptons. Étant donné que nous sommes dans votre ressort et que vous nous avez permis de nous asseoir, j'accepterai votre offre.                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         Veuillez vous asseoir et ne vous pressez pas. Nous vous accorderons le temps nécessaire.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         Merci, je remarque que le document que Madame le juge a cité a été préparé par la commission d'enquête principale sur les crimes commis contre la nation polonaise. Étant donné que cet élément de preuve traite de ce qui est arrivé en Biélorussie en 1942 et en 1943 et, qu'autant que je sache, aucun ressortissant polonais n'était en cause, j'aimerais demander à la Cour comment il se fait que le cas de Vladimir Katriuk relève de la procédure pénale polonaise.                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         C'est le ministre de la Justice du Canada qui a communiqué avec nous pour que nous l'aidions dans l'affaire Katriuk. Entre autres choses, il s'agissait d'interroger un citoyen polonais, M. Jankowski.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         Je comprends cela, Madame le juge, mais à part ce lien fortuit, à savoir que le témoin est Polonais, je crois comprendre qu'il n'existe aucun autre lien entre le gouvernement polonais et le cas de Vladimir Katriuk.                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         La commission s'occupe des crimes qui ont été commis contre la nation polonaise, mais à ce moment-là il y avait des citoyens polonais dans cette région. Avant 1939, de nombreux crimes ont été commis à l'intérieur de la Pologne contre des ressortissants polonais par des organisations criminelles ukrainiennes. Je fais ici une déclaration fort générale sans parler d'organisations particulières.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         Cependant, Madame le juge sait-elle que le gouvernement canadien, pour des raisons que lui seul connaît, n'accuse pas M. Katriuk de quelque crime que ce soit?                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         Oui, je le reconnais.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         C'est pourquoi nous sommes étonnés, Madame le juge, d'avoir à comparaître au criminel. Notre position est peut-être, Madame le juge [...].                 
         LA COUR (Madame le juge Bozenna Roguska-Gajewska) :                 
         Nous interrogeons ici un témoin, et il a mentionné qu'il s'appelait Katriuk. Par conséquent, nous ne saurions omettre d'en tenir compte, même si le gouvernement canadien adopte peut-être un point de vue différent.                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         Je m'en rends bien compte, Madame le juge, et peut-être - j'allais simplement dire que je m'en rends compte, et vous me permettrez peut-être d'expliquer notre position, pour le compte de M. Katriuk.                 
         Avec égards, nous qui sommes invités dans votre ressort croyons que vos règles de procédure et les nôtres sont tout à fait différentes, de sorte que nous ne pourrions pas y remédier en soulevant des objections au sujet des problèmes qui se sont posés aujourd'hui et que nous présenterons nos objections en temps et lieu dans le cadre de notre réponse, une fois revenus au Canada. Je parle de questions telles que l'interrogatoire au sujet de déclarations contradictoires antérieures.                 
         L'INTERPRÈTE :                 
         L'interrogatoire?                 
         Me OREST RUDZIK :                 
         L'interrogatoire d'un témoin au sujet d'une déclaration contradictoire antérieure qu'il a faite, le contre-interrogatoire de son propre témoin, le fait de poser des questions à son propre témoin et un certain nombre d'autres procédures permises à juste titre en vertu de vos règles de procédure, mais que nous n'avons jamais suivies, et auxquelles nous devons nous conformer.                 
         Je vous remercie donc encore une fois, Madame le juge, de la possibilité que vous m'avez donnée et d'avoir bien voulu nous entendre, mais nous allons conclure sur cette base.                 

[10]      Il va sans dire qu'en ma qualité de juge canadien, je n'étais pas autorisé, pendant que j'étais en Pologne, à donner des directives ou un ordre à la juge polonaise ou à d'autres officiers de justice polonais. Comme je l'ai dit à l'audience publique lorsque j'ai rendu ma décision, mon mandat, selon l'ordonnance par laquelle cette cour m'avait désigné pour recueillir par commission un témoignage en Pologne, consistait à recueillir le témoignage de M. Jankowski conformément aux règles de preuve et de procédure qui s'appliquent au Canada. Cela s'est avéré impossible. Ainsi, à la page 60 de la transcription, Me Lucas, au nom du ministre, pose la question suivante :

         [TRADUCTION]                 
         Me DAVID LUCAS :                 
         Voici ma question : Qui exactement vous a proposé de joindre la police?                 

[11]      Madame le juge Roguska-Gajewska est immédiatement intervenue et a informé Me Lucas que le témoin avait déjà répondu à cette question en répondant à certaines questions qu'elle lui avait posées. En fait, la juge polonaise était prête à me permettre et à permettre aux avocats canadiens de poser des questions, mais elle réservait son droit, comme elle pouvait à juste titre le faire, d'autoriser ou de ne pas autoriser ces questions. À mon avis, cela était tout à fait clair.

[12]      Comme je l'ai déjà dit, la juge polonaise a non seulement interrogé M. Jankowski, mais elle l'a contre-interrogé à fond et elle a souvent contesté ses réponses en lui lisant des déclarations qu'il avait déjà faites aux autorités polonaises au sujet de sa participation aux activités du Bataillon 118.

[13]      J'ai décidé que l'objection de Me Rudzik était fondée et que le témoignage de M. Jankowski n'était donc pas admissible. J'ai tiré cette conclusion parce que je n'avais pas été en mesure de m'acquitter du mandat qui m'avait été confié, c'est-à-dire de recueillir le témoignage de M. Jankowski conformément aux règles de preuve et de procédure qui s'appliquent au Canada. Dans ces conditions, je ne crois pas qu'il aurait été approprié d'admettre le témoignage de M. Jankowski.

     " MARC NADON "

     JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 15 février 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     Avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :          T-2408-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION c. VLADIMIR KATRIUK
DATES DE L'AUDIENCE :      LES 13, 14, 15, 19, 20, 21, 22, 25 ET 26 MAI; LES 11, 15, 16, 22 ET 23 JUIN; LES 2 ET 3 JUILLET 1998

LIEUX DE L'AUDIENCE :      MONTRÉAL (QUÉBEC)

                     TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE DU 15 FÉVRIER 1999

ONT COMPARU :

                     DAVID LUCAS
                     MARTINE VALOIS
                             POUR LE DEMANDEUR
                     OREST H.T. RUDZIK
                     NESTOR WOYCHYSHYN
                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

                     MORRIS ROSENBERG
                     SOUS"PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
                     OTTAWA (ONTARIO)

                             POUR LE DEMANDEUR

                     OREST RUDZIK
                     TORONTO (ONTARIO)

                             POUR LE DÉFENDEUR

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1 Page 53 de la transcription.

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