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                                                  T-2503-94

 

 

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 1996

 

 

En présence de monsieur le juge Muldoon

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle judiciaire et d'annulation présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, concernant une décision d'un tribunal canadien des droits de la personne constitué en application de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, dans sa forme modifiée, rendue par M. Lyman R. Robinson, président, le 15 septembre 1994, à l'égard d'une plainte déposée en vertu de l'article 40 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (dossier no D.T. 14/94).

 

 

Entre :

 

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                requérante,

 

                          - et -

 

                   SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

 

                                                   intimée,

 

                          - et -

 

                 PEGGY (JOHNSON) VERMETTE,

 

                                                   intimée.

 

 

 

 

                        ORDONNANCE

 

           APRÈS avoir entendu la présente requête en présence de l'avocat de la requérante (CCDP) et de celui de la Société Radio-Canada, [l'intimée Peggy (Johnson) Vermette n'était pas représentée], et

 

           APRÈS avoir entendu les allégations desdits avocats, et décidé ensuite de surseoir au prononcé de la décision;


                           - 2 -

 

           LA COUR ORDONNE que la demande d'annulation de la décision du tribunal des droits de la personne (Robinson, C.R.), portant le numéro de dossier D.T. 14/94 et communiquée et diffusée le 15 septembre 1994, telle que présentée dans l'avis de requête introductif d'instance de la CCDP déposé le 14 octobre 1994, soit rejetée, de même que la demande annexe visant à obtenir une ordonnance de renvoi consécutive.

 

 

                                               F.C. Muldoon        

                                        Juge

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                        

 

  François Blais, LL.L.


 

 

 

 

 

                                                  T-2503-94

 

 

AFFAIRE INTÉRESSANT une demande de contrôle et d'annulation présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dans sa forme modifiée, concernant une décision d'un tribunal canadien des droits de la personne constitué en application de l'article 49 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, dans sa forme modifiée, rendue par M. Lyman R. Robinson, président, le 15 septembre 1994, à l'égard d'une plainte déposée en vertu de l'article 40 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (dossier no D.T. 14/94).

 

 

Entre :

 

 

     COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                requérante,

 

                          - et -

 

                   SOCIÉTÉ RADIO-CANADA,

 

                                                   intimée,

 

                          - et -

 

                 PEGGY (JOHNSON) VERMETTE,

 

                                                   intimée.

 

 

 

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge Muldoon

 

           Il s'agit d'une affaire qui, d'un point de vue documentaire, est volumineuse. La requérante a commencé par être la porte-parole de l'intimée, Mme Vermette, avec l'assistance d'une avocate; elle a ensuite perdu ce statut en faveur de l'avocat que Mme Vermette avait choisi, et maintenant, cette partie est désignée comme intimée, mais elle n'a comparu ni en personne ni par l'entremise d'un avocat devant la présente Cour.

 

           Point n'est besoin de répéter ici le passage habituellement inutile et redondant (mais informatif) qui précède l'intitulé de la cause.

 

           Le tribunal a rejeté la plainte datée du 27 février 1990 que l'intimée, Mme Vermette, avait déposée à l'encontre de la Société intimée (la SRC), dont copie est présentée en tant que pièce HR-1 à la p. 639 du dossier de la requérante, volume III. La plainte contre la SRC était fondée sur le motif illicite de la déficience, dans une affaire liée à l'emploi en vertu de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi). Par souci de commodité, l'intimée, Mme Johnson-Vermette, sera appelée la plaignante en l'espèce.

 

           La requérante, la CCDP, sollicite une ordonnance annulant la décision du tribunal et renvoyant la plainte, assortie d'instructions, à un tribunal de constitution différente.

 

AVIS DE REQUÊTE INTRODUCTIF D'INSTANCE

           Selon l'avis introductif de la requérante, les motifs invoqués de la présente demande sont les suivants :

 

[TRADUCTION]

 

1.Le tribunal a excédé sa compétence en rejetant la plainte parce que la preuve sur laquelle la requérante avait fondé sa décision de déposer la plainte dans le délai prévu à l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») ne révélait pas un motif raisonnable de priver l'intimée, la Société Radio-Canada, du bénéfice du délai de prescription prévu audit article 41.

 

2.Le tribunal a fait subir à la requérante et à l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, un déni d'équité procédurale et a enfreint les règles de justice naturelle :

 

a)en refusant la demande d'ajournement de la requérante afin de produire une preuve d'expert au sujet de la déficience de l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette;

 

b)en refusant de permettre à la requérante et à l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, de produire une contre-preuve au sujet des pratiques et des procédures liées à la durée d'une admission au centre de traitement;

 

c)en refusant de permettre à l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, de produire, pour son propre compte, une preuve liée à sa déficience;

 

d)en rejetant la demande de la requérante en vue d'obtenir la réouverture de sa cause afin de produire une preuve d'expert sur la déficience de l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette.

 

                3.Le tribunal a commis une erreur de droit :

 

a)en appliquant de manière inexacte le critère juridique applicable au fardeau de la preuve concernant la déficience de l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette;

 

b)dans son interprétation de l'article 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

c)en ce qui concerne l'obligation d'accommodement;

 

d)dans son interprétation de l'article 16 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

4.Le tribunal a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées, qu'il a tirées sans tenir compte de la preuve soumise, à savoir que :

 

i)l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, ne souffrait pas d'une dépendance envers l'alcool au sens de l'article 25 de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

 

ii)l'intimée, la Société Radio-Canada, s'était acquittée de l'obligation d'accommodement jusqu'au point de subir une contrainte excessive.

 

           La demande est étayée, en partie, par l'affidavit de Mme Fiona Keith, signé le 14 octobre 1994. Mme Keith était l'avocate de la CCDP, et a représenté aussi l'intimée à la première journée et à une partie de la deuxième journée de l'audience que le tribunal a tenue à Saskatoon, du 7 au 9 février 1994 (dossier de la requérante, vol. II, p. 346 et suivantes). L'affidavit semble être une disculpation plutôt qu'une expiation à l'égard de méprises indiquées et de fausses présomptions de la part de l'avocate de la CCDP. Les observations qui y sont faites ne sont ni objectivement cruciales ni indispensables au règlement de la demande en l'espèce.

 

L'ENTENTE PRÉLIMINAIRE DES PARTIES

           En septembre 1993, longtemps avant que le tribunal instruise la présente affaire, c'est-à-dire en février et en avril 1994, la Commission, agissant en son nom et en celui de la plaignante, et la SRC, toutes deux par l'entremise d'avocats, se sont entretenues dans le cadre d'une conférence téléphonique avec M. Raymond W. Kirzinger, qui était à ce moment le président désigné du tribunal. La conférence téléphonique avait pour but de régler la conduite des parties et de l'audition afin d'éviter toute surprise à l'une ou l'autre des parties à l'audience et, en fait, d'organiser une audition ordonnée où chaque partie pourrait faire valoir équitablement tous ses arguments en vue d'obtenir une décision. Les conclusions admises de cette conférence téléphonique se sont limitées à un texte écrit par le président, sous l'égide du « tribunal des droits de la personne », et avec la désignation des parties, sous le titre de Protocole d'entente. Une copie de ce document est reproduite au début du dossier de demande de la SRC. Les dispositions importantes du protocole conclu entre les parties sont les suivantes :

 

[TRADUCTION]

 

1.0 QUESTION PRÉLIMINAIRE

 

1.1          La plaignante souhaite que la Commission agisse en son nom relativement à la plainte dans la mesure où il y a concordance entre ses propres intérêts et l'intérêt public (que défend la Commission). La plaignante comprend qu'elle a le droit d'agir en tant que partie distincte si cette concordance venait à disparaître.

 

1.2          L'intimée [SRC] entend contester la compétence du tribunal pour deux raisons :

 

a)il s'est écoulé un laps de temps excessif entre le moment où l'incident est survenu et celui où la plainte a été déposée, ce qui a occasionné un préjudice à l'intimée;

 

b)l'intimée dispose d'une procédure de règlement des griefs qu'il aurait fallu épuiser avant que la Commission statue sur la plainte comme l'envisage l'alinéa 41a) de la Loi.

 

1.3          Les questions de compétence seront vraisemblablement tranchées par le tribunal dans l'un ou l'autre des deux cas suivants :

 

a)à la suite de la présentation des arguments au début de l'audience, à la condition qu'un énoncé conjoint de tous les faits pertinents, de même que des observations écrites concernant la question de la compétence soient déposés auprès du Greffe dans les 14 jours qui précèdent l'audience au plus tard; ou

 

b)à la suite de l'audience, s'il faut produire une preuve orale en plus ou à la place d'un exposé conjoint des faits sur la question de la compétence.

 

2.0  QUESTIONS À EXAMINER

 

2.1          La question de fait principale que le tribunal doit examiner sera de savoir si la plaignante a été licenciée ou non à cause d'une dépendance envers l'alcool ou pour un autre motif (absentéisme inexpliqué, etc.).

 

2.2          Les questions de droit anticipées sont celles de savoir si :

 

a)la dépendance envers l'alcool est une « déficience »;

 

b)le programme d'emploi/formation dans le cadre duquel la plaignante a été embauchée est autorisé par la loi (nota : au moment de l'audience préliminaire, la Commission ne s'attendait pas à contester la position de l'intimée sur cette question);

 

c)l'intimée est tenue dans cette affaire de s'acquitter d'une obligation d'accommodement raisonnable et, si tel est le cas, l'a-t-elle fait convenablement;

 

d)l'intimée peut établir le bien-fondé d'une défense d'EPJ si l'existence d'une preuve à première vue de discrimination est établie.

 

3.0  EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

 

[Aucun n'a jamais été produit.]

 

4.0  PREUVE

 

4.1          [* * *] le tribunal s'attend à ce que la Commission présente en premier l'ensemble de sa preuve, suivie de l'intimée.

 

4.2          La plaignante prévoit présenter les témoins suivants (sous réserve du dépôt d'un exposé conjoint des faits et de la portée de celui-ci) :

 

a)la plaignante (durée prévue du témoignage : 2 à 3 heures)

 

b)un représentant de Cardwell Human Resources (durée prévue du témoignage : moins d'une heure);

 

c)un représentant de Pine Lodge (durée prévue du témoignage : 30 à 45 minutes) au sujet des communications ayant eu lieu avec l'intimée avant le licenciement;

 

d)un témoin expert en médecine ou en toxicomanie (durée du témoignage actuellement inconnue) au sujet de l'alcoolodépendance en tant que déficience.

 

4.3          À ce stade-ci, l'intimée prévoit produire les témoins suivants :

 

a)Dennis [sic] Stambuck, agent des ressources humaines auprès de l'intimée (durée du témoignage inconnue);

 

b)Sandra Coates, agent des programmes spéciaux du gouvernement de la Saskatchewan, chargée de la formation des Autochtones, et au service de l'intimée (durée du témoignage inconnue).

 

5.0  DOCUMENTS/PIÈCES

 

                                                                         ***     ***     ***

 

6.0  PREUVE D'EXPERT

 

6.1          La Commission fait savoir qu'elle fournira aux autres parties, au moins quatre semaine avant l'audience, un résumé des titres et compétences du témoin expert ainsi que du témoignage qu'il présentera.

 

7.0  AUTRES PARTIES INTÉRESSÉES

 

                                                                         ***     ***     ***

 

8.0  CALENDRIER ET DURÉE DE L'AUDITION

 

                                                                         ***     ***     ***

 

9.0  QUESTIONS PROCÉDURALES ET D'AUTRE NATURE

 

9.1          Il n'y avait pas d'autres sujets de discussion.

 

10.0  NOTATION

 

                                                                         ***     ***     ***

 

11.0  LEVÉE DE LA SÉANCE

 

                                                                         ***     ***     ***

 

Le protocole est daté du 14 septembre 1993 et porte la signature de M. Kirzinger.

 

EXPOSÉ DES FAITS NON CONJOINT ET SANS VALEUR

           Une ébauche d'exposé conjoint des faits (appelé « exposé des faits admis ») avait été produite pour le compte de la SRC et soumise à l'avocate de la Commission, mais elle n'est jamais entrée en vigueur parce que, semble-t-il, cette dernière ne voulait pas l'accepter. L'ébauche était donc entachée de nullité. Plus tard, pendant le peu de temps qu'a duré l'audition du tribunal en février 1994, l'avocate de la Commission a demandé un ajournement afin de pouvoir citer ses témoins mentionnés aux alinéas 4.2c) et d) du protocole cité ci-dessus. Pourquoi? Bien que l'ébauche d'exposé ne soit jamais entrée en vigueur, une copie est en fait annexée à l'affidavit de l'avocat de la Commission, déposé en l'espèce (dossier de la requérante, vol. I, p. 67 à 70).

 

           À la p. 65 du dossier figurent les paragraphes 3 et 4 de l'affidavit de Mme Fiona Keith :

 

[TRADUCTION]

 

3.             Le 11 septembre 1993, j'ai reçu par télécopieur une copie d'une ébauche d'exposé de « faits admis » que l'avocat de l'intimée, la Société Radio-Canada, avait établie. L'exposé en question n'a pas été achevé ou déposé auprès du tribunal. En lisant l'exposé des faits suivant, au [second] paragraphe 12 de l'ébauche que l'avocat de l'intimée avait préparée, j'ai compris que cette dernière n'avait pas l'intention de contester que l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, était alcoolodépendante : « Mme Johnson a été admise au centre Pine Lodge, à Indian Head (Saskatchewan), le 31 août 1988, afin d'y être soignée pour alcoolodépendance ». Une copie de l'ébauche d'exposé des « faits admis » reçue le 11 septembre 1993 est jointe au présent affidavit en tant que pièce « A ».

 

4.             Le protocole d'entente que le tribunal a établi à la suite de la conférence préalable à l'audience indique que je prévoyais appeler à témoigner, pour le compte de la Commission, un expert en médecine et en toxicomanie pour qu'il fournisse des informations sur l'alcoolodépendance en tant que déficience.


           Le texte du paragraphe 3 de l'affidavit de Mme Keith ne cite qu'un petit bout du second paragraphe 12 de l'ébauche d'exposé des faits admis. Le texte intégral du second paragraphe 12 (dossier de la requérante, p. 69, vol. I) est rédigé comme suit :

 

[TRADUCTION]

 

12.          Mme Johnson a été admise au centre Pine Lodge, à Indian Head (Saskatchewan), le 31 août 1988, afin d'y être soignée pour son alcoolodépendance. C'est un certain temps après cette date que la SRC a été avisée que Mme Johnson se trouvait à Pine Lodge. En fait, Mme Johnson est demeurée à Pine Lodge au cours du mois de septembre 1988. Ce n'est que longtemps après que la SRC a été mise au courant de la situation.

 

L'avocate de la Commission a fait une fausse présomption en se fondant sur l'ébauche ci-dessus, laquelle était entachée de nullité, et jamais, avant février 1994, a‑t‑elle tenté de confirmer ou d'infirmer cette présomption auprès de l'avocat de la SRC, qu'il suffisait en tout temps d'appeler simplement au téléphone. C'est pour cela qu'elle n'a jamais pris la peine de communiquer avec les deux témoins qu'elle comptait appeler; c'est aussi pourquoi elle a demandé que soit ajournée la brève audition qui devait avoir lieu à Saskatoon le mois de février suivant. C'est la raison pour laquelle elle n'a pu respecter son engagement énoncé au paragraphe 6.1 du protocole daté du 14 septembre 1993. Elle n'a pu non plus se conformer au paragraphe 4.1 dudit protocole.

 

           L'auteure de l'affidavit, Mme Keith, a aussi produit une copie des pages 182 à 184, et 191 à 204 des notes sténographiques de l'audience du tribunal (dossier de la requérante, vol. I, p. 72 à 88). Le texte de ces pages est introduit par le paragraphe 6 de l'affidavit :

 

[TRADUCTION]

 

6.             À la suite du contre-interrogatoire de l'intimée, Peggy (Johnson) Vermette, j'ai demandé à Me Heenan, avocat de l'intimée, si sa cliente avait l'intention de contester que Mme Vermette était alcoolodépendante. C'est à ce moment que j'ai pris conscience de la position de l'intimée, et j'ai demandé un ajournement pour appeler à témoigner un expert en médecine au sujet de l'alcoolodépendance de la plaignante. Une copie des pages 182 à 1844 et 191 à 204 des notes sténographiques est jointe au présent affidavit en tant que pièce « B ».

 

 

ÉQUITÉ PROCÉDURALE ET JUSTICE NATURELLE

           Un avocat différent a comparu pour le compte de la Commission devant la présente Cour, et il a fait des observations sur le caractère volumineux du présent dossier. Il est tentant de citer ici tous les motifs pour lesquels le tribunal a refusé la demande de la Commission en vue d'obtenir un ajournement pour appeler le témoin expert, refus que conteste la Commission dans son avis introductif d'instance. Dans ses motifs, sous le titre de « Décision du tribunal » (dossier de la requérante, vol. I, p. 10 et suivantes), le président et seul membre du tribunal, le doyen Lyman R. Robinson, c.r., a écrit les deux paragraphes suivants au sujet de ce refus d'ajournement trois jours avant l'audience afin que l'avocate de la Commission puisse s'organiser pour appeler un spécialiste à témoigner :

 

1.La demande d'autorisation de l'avocate de la Commission visant la présentation d'un témoin expert malgré l'absence de l'avis de 30 jours

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                L'audience devait s'ouvrir le 7 février 1994, et elle a bien commencé à cette date. Plutôt que de donner à l'intimée l'avis de quatre semaines énonçant les compétences et l'expérience de l'expert et résumant son témoignage, l'avocate de la Commission a demandé au Tribunal de rendre une ordonnance permettant la présentation d'un témoin expert à trois jours d'avis (dont deux jours de fin de semaine). La production d'un témoignage d'expert suivant un préavis aussi court aurait pu causer à l'intimée un préjudice considérable. En effet, celle-ci n'aurait pu bénéficier, en seulement quelques jours, d'une possibilité raisonnable de prendre connaissance du témoignage que la Commission entendait présenter et de chercher, si elle l'estimait souhaitable, à se constituer elle aussi un témoin expert qui soit en mesure de venir témoigner à Saskatoon.

 

                La Commission avait été informée, par un avis daté du 8 décembre 1993, de la date prévue pour l'audience, savoir le 7 février 1994, et la conférence préalable à l'audience avait eu lieu au mois de septembre 1993. La Commission avait donc amplement le temps de choisir les témoins qu'elle voulait présenter et de donner à l'intimée l'avis de quatre semaines prévu au paragraphe 6.1 du protocole d'entente.

 

           Une seconde décision procédurale a été prise, et celle-ci figure aux pages 13 et 14 du dossier de la requérante, vol. I :

 

2.La demande d'ajournement de l'audience afin de présenter un témoin expert et de faire produire par subpoena des documents de Pine Lodge

 

                Après l'interrogatoire et le contre-interrogatoire de la plaignante et de M. Cardwell, l'avocate de la Commission a informé le Tribunal qu'elle n'avait plus de témoins pouvant déposer pour le moment. Elle a indiqué (Transcription, vol. 2, à la p. 191) qu'elle désirait soumettre d'autres éléments de preuve concernant la question de l'alcoolodépendance de Mme Vermette et qu'elle pensait présenter le témoignage de l'ancien directeur du centre de réadaptation Pine Lodge lequel, apparemment, était également médecin. Elle a informé le Tribunal que ce médecin était à Regina et qu'elle n'avait pas encore pu obtenir confirmation qu'il pouvait venir témoigner. Elle a également fait mention d'une feuille médico-administrative préparée par le centre au sujet de Mme Vermette, et elle a expliqué qu'elle voulait signifier un subpoena à l'établissement pour qu'il produise le dossier de la plaignante et envoie un employé témoigner quant à ces documents, mais qu'elle ne savait pas encore quel employé assigner. De toute évidence, cette personne n'était pas là pour témoigner et elle n'aurait pu se présenter pour le faire pendant le reste de la période prévue pour la présentation de la preuve au cours de cette semaine-là du mois de février. L'avocate de la Commission a demandé un ajournement afin de pouvoir présenter ces témoins. L'avocat de l'intimée s'est opposé à la présentation d'un témoignage d'expert parce que l'intimée n'avait pas reçu le résumé des titres et compétences du témoin ainsi que du témoignage de celui-ci au moins quatre semaines avant l'audience, ainsi que le prévoyait le paragraphe 6.1 du protocole d'entente.

 

                J'ai statué que le témoignage d'expert que l'avocate voulait obtenir du médecin était irrecevable parce que l'intimée n'avait pas reçu l'avis de quatre semaines requis par le paragraphe 6.1 du protocole d'entente, que je répète ici :

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                                                                          (par. 6.1 cité ici)

 

                J'ai également refusé d'ordonner un ajournement pour permettre à la Commission d'appeler à témoigner un expert en matière d'alcoolodépendance ou d'assigner une personne de Pine Lodge pour qu'elle produise des documents relatifs au séjour de la plaignante dans cet établissement. Le protocole d'entente établi par la suite de la conférence préalable à l'audience du mois de septembre 1993 prévoyait clairement que la Commission présenterait un témoignage d'expert concernant l'alcoolodépendance et qu'elle assignerait un employé de Pine Lodge. Voici, à cet égard, un extrait du paragraphe 4.2 du protocole :

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                                                                    [al. 4.2c) et d) cités ici]

 

La Commission avait reçu un avis daté du 8 décembre 1993 l'informant que l'audience devait commencer le 7 février 1994. Elle avait donc tout le temps voulu pour choisir et assigner les témoins dont elle avait besoin. L'octroi d'un ajournement signifiait une remise d'au moins deux mois pour permettre à la Commission de clore sa preuve avant que le Tribunal commence à entendre celle de l'intimée. Les témoins de l'intimée étaient présents et prêts à déposer pendant la semaine du 7 février 1994, et certains s'étaient déplacés d'Ottawa ou de l'Alberta. Si j'avais accordé l'ajournement, ces témoins auraient dû revenir plus tard à Saskatoon. Pour l'intimée, cela signifiait des frais abusifs et pour les témoins, des inconvénients inacceptables.

 

3.La demande de l'avocate de la plaignante de rappeler sa cliente en interrogatoire principal

 

[Cette requête introductive d'instance de la part de la CCDP vise effectivement à contester cette décision.]

 

                                                                         ***     ***     ***

 

4.La demande de la Commission visant à présenter une contre-preuve en réponse et à réouvrir sa preuve

 

                Lorsque s'est terminée l'audition de la preuve, au mois de février 1994, l'audience a été ajournée au 7 avril 1994 pour les plaidoiries orales. L'avocate de la Commission a demandé, dans une lettre datée du 11 mars 1994, l'autorisation de présenter une contre-preuve en réponse et de soumettre de nouveaux éléments de preuve. L'avocate de la plaignante a appuyé la demande, mais l'avocat de l'intimée s'y est opposé.

 

a)La contre-preuve en réponse

 

                Les nouveaux éléments de preuve comprenaient le témoignage de M. Roly Gatin, ancien directeur du centre de réadaptation Pine Lodge. Dans sa lettre du 11 mars 1994, l'avocate de la Commission indiquait ce qui suit :

 

[TRADUCTION]  [...] je prévois qu'il témoignera relativement au congé anticipé de Mme Vermette, le 6 septembre 1989.

 

[Ici, le président du tribunal a cité Sopinka & Lederman, The Law of Evidence in Canada, à la p. 880, Wigmore Evidence (Chadbourne rev. 1976), no 1873, à la p. 672, et Allcock, Laight & Westwood Ltd. v. Patten [1967] 1 O.R. 18 (C.A. Ont.), le juge Schroeder, à la p. 21, pour arriver ensuite à la conclusion suivante :]

 

                Après examen des observations écrites de l'avocate, j'ai rendu une ordonnance restreignant la portée de la contre-preuve aux conversations que Roly Gatin a eues avec Dennice Stambuck, l'agente du personnel de l'intimée, dans la mesure où le témoignage de ce dernier réfuterait celui de Mme Stambuck ou lui apporterait des réserves. On peut raisonnablement considérer que le témoignage de M. Gatin sur les points suivants aurait dû faire partie de la preuve de la Commission et ne pouvait donc être reçu en contre-preuve :

 

a)les usages de Pine Lodge relativement à la durée du séjour des bénéficiaires au centre de réadaptation;

b)l'état de Mme Vermette à son arrivée à Pine Lodge;

c)le programme de réadaptation suivi par Mme Vermette à Pine Lodge;

d)le congé anticipé reçu par Mme Vermette, à moins qu'il ne s'agisse de l'affirmation que cette date a été communiquée à l'intimée;

e)les caractéristiques générales de l'alcoolisme ou de l'alcoolodépendance.

 

                L'avocate de la Commission a indiqué au Tribunal, dans une lettre datée du 28 mars 1994, que M. Gatin ne se souvenait pas s'il avait parlé ou non avec Mme Stambuck, et elle ne l'a pas appelé à témoigner en contre-preuve.

 

b)Demande de réouverture de la preuve de la Commission

 

                Dans sa lettre du 11 mars 1994, l'avocate de la Commission a également demandé au Tribunal de l'autoriser à présenter de nouveaux éléments de preuve. Elle ne donnait pas de précisions sur ces éléments, mais faisait mention de la demande qu'elle avait soumise en terminant sa preuve, au mois de février, visant la présentation du témoignage d'opinion d'un expert au sujet de l'alcoolodépendance de Mme Vermette.

 

                Il appert que par cette demande de réouverture de la preuve, l'avocate de la Commission cherche essentiellement à présenter les éléments de preuve que le Tribunal a refusé de recevoir à la clôture de la preuve de la Commission au mois de février (voir la section 2 ci-haut). L'avocate a toutefois fait valoir, dans sa demande du mois de mars, qu'elle avait donné le préavis de quatre semaines exigé par le protocole d'entente relativement à la présentation d'un témoin expert lorsqu'elle avait remis à l'intimée un résumé du témoignage que l'expert entendait donner. Elle avait en outre communiqué à l'avocat de l'intimée copie de la feuille d'admission et de la feuille médico-administrative concernant Mme Vermette.

 

                L'octroi d'une demande de réouverture relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal. En matière civile, ce principe a été énoncé, notamment, dans les affaires B.F. Goodrich Canada Ltd. v. Mann's Garage Ltd., (1959) 21 D.L.R. (2d) 33 (C.B.R. N.-B.) et Clayton v. British American Securities Ltd., [1934] 3 W.W.R. 259 (C.A.C.-B.) et, en matière pénale, dans l'affaire R. c. Scott, [1990] 3 R.C.S. 979 (le juge Cory, aux p. 1002 et 1003).

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                Dans les cas où la demande de réouverture est soumise avant que la décision soit rendue, il a été reconnu que les tribunaux disposent de plus de latitude. Dans l'ouvrage précité, MM. Sopinka et Lederman indiquent que la réouverture peut être accordée [TRADUCTION] « lorsque l'intérêt de la justice le requiert » (à la p. 541). À l'appui de cette affirmation, ils citent notamment l'affaire Sunny Isle Farms v. Mayhew (1972), 27 D.L.R. (3d) 323 (C.S.Î.-P.-É.), dans laquelle le juge Nicholson a fait siens les propos suivants tenus par le juge Boyle dans l'affaire Sales v. Calgary Stock Exchange, [1931] 3 W.W.R. 392, à la p. 394 (C.A. Alb.) :

 

[TRADUCTION]  Rouvrir un procès une fois que toute la preuve a été reçue est, selon moi, un geste très grave. Cela ne devrait jamais être fait à moins qu'il ne semble impératif, dans l'intérêt de la justice, de rouvrir la preuve pour y ajouter de nouveaux éléments.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                     [d'autres exemples pertinents sont tirés de la jurisprudence et de la doctrine]

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                Dans l'affaire Gass v. Childs, (1958) 43 M.P.R. 87, à la p. 93, le juge Ritchie énonce trois critères dont un tribunal doit vérifier l'existence avant d'exercer son pouvoir discrétionnaire de rouvrir une preuve :

 

[TRADUCTION] Les trois conditions énumérées ci-dessous doivent être réunies pour qu'un tribunal soit justifié d'accepter de nouveaux éléments de preuve ou d'ordonner un nouveau procès :

1.il doit être établi que même en faisant preuve de diligence raisonnable il n'aurait pas été possible d'obtenir les éléments de preuve pour présentation au procès;

2.les éléments de preuve doivent être susceptibles d'influer substantiellement sur l'issue de l'affaire, quoiqu'ils n'aient pas à être déterminants;

3.les éléments de preuve doivent être vraisemblables ou, autrement dit, ils doivent paraître crédibles même s'il n'est pas nécessaire qu'ils soient irrécusables.

 

                Bien que la doctrine et la jurisprudence précitées s'appliquent à des procédures judiciaires, j'estime que l'extrait précité de Wigmore, Evidence (Chadbourne rev. 1976), no 1873, à la p. 672 peut viser autant des instances judiciaires que des instances portées devant un tribunal des droits de la personne.

 

                J'ai évalué la demande de réouverture présentée par l'avocate de la Commission en fonction des critères élaborés dans l'affaire Gass v. Childs (précitée). Il s'agit d'abord de se demander s'il n'aurait pas été possible, en faisant preuve de diligence raisonnable, d'obtenir les éléments de preuve avant la clôture de la preuve de la Commission au mois de février. Depuis le début, la plainte faisait état d'un acte discriminatoire fondé sur une déficience, savoir l'alcoolodépendance. La dépendance alcoolique figurait, au paragraphe 2.2 du protocole d'entente, au nombre des points que les parties prévoyaient soulever, et le paragraphe 4.2 du même document faisait mention, dans la liste des témoins qui y était dressée, d'un témoin expert dans le domaine médical de la dépendance que la Commission avait l'intention d'appeler pour déposer sur ce sujet. Rien n'indique qu'il n'aurait pas été possible, en s'y employant diligemment, d'obtenir cet élément et de l'intégrer à la preuve de la Commission ou de s'assurer, pour cette preuve, le témoignage du médecin qui était l'ancien directeur du centre de réadaptation Pine Lodge ou le témoignage d'un autre expert. Il n'a pas été établi non plus que même en faisant preuve de diligence raisonnable, la Commission n'aurait pu se procurer la feuille d'admission et la feuille médico-administrative de la plaignante de même que d'autres éléments de preuve documentaires en la possession de Pine Lodge afin de les intégrer à sa preuve. J'ai donc conclu que la demande ne satisfaisait pas au premier critère de l'affaire Gass v. Childs.

 

                Cette conclusion rend inutile l'examen du deuxième et du troisième critère.

 

                J'ai refusé la demande de réouverture de la preuve de la Commission et j'ai fait tenir une première version des motifs sous-tendant ce refus aux avocats avant l'audition des plaidoiries orales, en informant ceux-ci que les motifs définitifs seraient intégrés aux motifs de la présente décision.

 

           La Cour conclut que, dans toutes les dispositions citées ci-dessus, le tribunal s'est comporté de manière équitable et exacte en droit. Il faudrait que la Commission soit au moins perçue comme comprenant que l'équité est équitable : elle est à double tranchant. La SRC mérite, tout autant que la plaignante, d'être traitée et jugée équitablement. Après avoir passé attentivement en revue les documents présentés, et après mûre réflexion, la Cour est arrivée à une conclusion. Rien dans les dispositions du tribunal qui sont citées ci‑dessus ne convainc la Cour, au stade du contrôle judiciaire, d'accorder à la Commission tout recours extraordinaire qu'elle sollicite. Le tribunal n'est pas coupable d'un déni d'équité procédurale, pas plus qu'il n'a enfreint une règle quelconque en matière d'équité procédurale, et ce, même si le protocole d'accord, fait le 14 septembre 1993, et cité plus tôt, n'avait pas existé. Mais il en existait un. Pourquoi, dans ce cas, aurait-on dû permettre à la Commission de donner de faux espoirs à la SRC, et ensuite de jouer double jeu avec elle dans le litige même que les parties cherchaient à régulariser par ce protocole préalable à l'audience? Pourquoi faudrait-il dispenser la Commission de faire preuve d'une conduite honorable et d'une diligence raisonnable en gardant sa parole? En sollicitant l'ajournement, la CCDP ne s'est pas comportée de manière déraisonnable. Aucun des motifs énoncés aux alinéas 2 a) à d) de la requête introductive d'instance n'ont été établis. Les arguments écrits de l'avocat de la SRC, de même que ses arguments oraux (notes sténographiques : p. 144 à 159) sont des plus convaincants et, à vrai dire, concluants. En conséquence, la demande de la Commission est, à cet égard, rejetée.

 

AUTRE RECOURS APPROPRIÉ - ARTICLE 55

           Avant d'examiner plus avant la présente demande de contrôle judiciaire, la Cour se prononcera maintenant sur une question judiciaire, soit celle de savoir si la demande aurait même dû être entendue en premier lieu. Il est fait référence ici au principe de l'« autre recours approprié ». La Cour devrait-elle avoir compétence sur la demande de la CCDP quand cette dernière disposait manifestement d'un autre recours approprié?

 

           La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit, à l'article 55, un processus d'appel :

 

55. La Commission ou les parties peuvent interjeter appel de la décision ou de l'ordonnance rendue par un Tribunal de moins de trois membres en signifiant l'avis prescrit par décret du gouverneur en conseil aux personnes qui ont reçu l'avis prévu au paragraphe 50(1) dans les trente jours du prononcé de la décision ou de l'ordonnance.

 

           Le libellé permissif, non coercitif, de la loi donne lieu à une doctrine qui habilite la présente Cour à considérer si la partie requérante dispose ou non d'autres recours plus appropriés que ceux que prévoient les articles 18 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. La situation dont il est question en l'espèce ne tombe pas, strictement ou littéralement, sous le coup de l'article 18.5 de la Loi sur la Cour fédérale. La doctrine du droit et l'article 18.5 manifestent le même esprit.

 

           L'avocat de la SRC a plaidé fortement en faveur du fait que la Cour rejette la demande de la CCDP, en invoquant comme motif l'autre recours approprié (notes sténographiques : p. 116 -118 et 161). Deux exemples de cela suffisent :

 

[TRADUCTION]

 

Me HEENAN : * * * Je dois dire que notre position est - et il existe une ample jurisprudence à l'appui de ce fait - qu'il n'y a pas lieu d'utiliser un bref de prérogative discrétionnaire lorsqu'une procédure d'appel est prévue. En fait, le libellé de certains des brefs de prérogative s'applique dans les cas où il n'existe, pour le requérant, aucune autre procédure égale, expéditive et ordinaire.

 

                                                           (notes sténographiques : p. 118)

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                  * * * Je répète et réitère les propos que j'ai formulés plus tôt, à savoir que nous avons affaire ici, en tout état de cause, à des questions qui ne relèvent pas à proprement parler de l'article 18. Il s'agit d'un simple appel, et l'article 18 ne devrait pas servir à cette fin.

 

                                                           (notes sténographiques : p. 161)

 

 

           L'avocat de la Commission a aussi plaidé, en termes énergiques, contre la tenue d'un contrôle judiciaire lorsqu'un appel est déjà prévu dans la Loi canadienne sur les droits de la personne (notes sténographiques : p. 173-178). Voici ce qu'il a indiqué, en résumé :

 

[TRADUCTION]

 

                Me DUVAL : * * * Donc, en un mot, si vous le voulez bien, je dis qu'étant donné la nature des motifs invoqués en l'espèce, et que, dans sa requête, la Commission ne demande pas à la Cour, contrairement à ce qu'a laissé entendre mon collègue, de siéger à un appel de la décision du tribunal, car, si vous vous souvenez de mes arguments, j'ai parlé de compétence, j'ai parlé de justice naturelle et j'ai parlé d'erreurs de droit. Il me semble donc qu'au vu de la nature des motifs — et je crois qu'il s'agit là du facteur qui permettrait de déterminer s'il convient d'exercer ou non un pouvoir discrétionnaire — vu que la question est nouvelle — je veux dire le paragraphe 25(1) — et le paragraphe 41(1) est nouveau aussi, car la seule jurisprudence qui existe au sujet du paragraphe 41 est votre décision, qui ne traite pas de la compétence.

 

                Donc, vu la nouveauté des points soulevés, il me semble que dans la présente affaire la cour est justifiée d'exercer son pouvoir discrétionnaire et, en raison de sa crédibilité à l'égard de ces questions et de questions de nature technique, d'éviter probablement une étape supplémentaire qui existerait peut-être s'il y avait eu un appel devant un tribunal d'appel.

 

                Il me semble donc, comme je l'ai déjà dit, que lorsqu'il est question d'exercer votre compétence, vous devez tenir compte de la nature des motifs qui sont soulevés.

 

                                                     (notes sténographiques : p. 177 et 178)

 

           Est pertinent à cette question de la juridiction appropriée le jugement qu'a récemment rendu la Cour suprême du Canada dans l'affaire C.P. Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, où la Cour a analysé la question de l'autre recours approprié, distinct des recours qui sont à la disposition des tribunaux. Voici ce que la Cour a déclaré :

 

                Le principe de l'autre recours approprié a été examiné en profondeur dans l'arrêt Harelkin v. University of Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, à la p. 586, où le juge Beetz a conclu au nom de la majorité, à la p. 576, que « même dans les cas d'absence de compétence », les brefs de prérogative conservent leur nature discrétionnaire. Le juge Dickson, dissident (plus tard Juge en chef), a adopté une vue plus étroite du pouvoir discrétionnaire dans le cas d'une erreur de compétence (p. 608 et 609). Il a néanmoins conclu, à la p. 610, que si l'erreur de compétence « découle d'une mauvaise interprétation d'une loi, un droit d'appel prévu par la loi peut très bien être approprié.

 

                Dans l'affaire Harelkin, on avait exigé d'un étudiant qu'il abandonne ses études. L'appel de l'étudiant devant un comité de l'université a été rejeté. Bien qu'il y ait eu possibilité d'appel au sénat de l'université, l'étudiant a saisi les cours de justice de demandes de certiorari et de mandamus. La question, qui est pertinente en l'espèce, était de savoir si le fait qu'il n'avait pas épuisé tous les recours qu'offrait l'université elle-même empêchait l'étudiant de s'adresser aux cours de justice. Le juge Beetz a dit à la p. 588 :

 

Pour évaluer si le droit d'appel de l'appelant au comité du sénat constituait un autre recours approprié et même un meilleur recours que de s'adresser aux cours par voie de brefs de prérogative, il aurait fallu tenir compte de plusieurs facteurs dont la procédure d'appel, la composition du comité du sénat, ses pouvoirs et la façon dont ils seraient probablement exercés par un organisme qui ne constitue pas une véritable cour d'appel et qui n'est pas tenu d'agir comme s'il en était une, ni n'est susceptible de le faire. D'autres facteurs comprennent le fardeau d'une conclusion antérieure, la célérité et les frais.

 

Le juge Beetz est parvenu à la conclusion que la procédure d'appel propre à l'université représentait un autre recours approprié et que la juridiction inférieure aurait en conséquence dû, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuser d'accorder un redressement.

 

                La doctrine de l'autre recours approprié a été appliquée par la suite dans l'arrêt Canada (Vérificateur général) c. Canada (Ministre de l'Énergie, des Mines et des Ressources), [1989] 2 R.C.S. 49, où le juge en chef Dickson a confirmé, à la p. 93, le caractère discrétionnaire des brefs de prérogative, même dans les affaires mettant en cause l'absence de compétence. Il a ajouté, à la p. 95 :

 

Bien que l'on s'inspire du texte et de l'économie de la loi dont résulte le recours subsidiaire, le fait qu'on doive en évaluer le caractère approprié et que l'exclusion soit nécessairement tacite tend à indiquer que l'irrecevabilité des redressements judiciaires discrétionnaires en raison de l'existence d'autres recours dans ce cas est, dans les faits, davantage le fruit du jugement des tribunaux quant à l'opportunité de leur intervention qu'une déclaration d'intention claire et nette de la part du Parlement. En s'abstenant de mettre clairement en évidence l'exclusivité du recours prévu par la loi, le Parlement laisse au judiciaire la faculté de définir son rôle par rapport à ce recours. [Souligné dans l'original.]

 

                Il est fort possible que, si l'autre recours est jugé approprié, le redressement discrétionnaire devienne irrecevable, mais cela ne fait que refléter la préoccupation du judiciaire d'exercer son pouvoir discrétionnaire d'une façon qui soit uniforme et fondée sur des principes. Se demander si l'autre recours disponible est approprié équivaut à examiner l'opportunité d'exercer le pouvoir discrétionnaire d'accorder le contrôle judiciaire recherché. C'est aux tribunaux qu'il appartient d'identifier et de mettre en équilibre les facteurs applicables à l'examen du caractère approprié du recours.

 

                Me fondant sur ce qui précède, je conclus que les cours de justice doivent considérer divers facteurs pour déterminer si elles doivent entreprendre le contrôle judiciaire ou si elles devraient plutôt exiger que le requérant se prévale d'une procédure d'appel prescrite par la loi. Parmi ces facteurs figurent : la commodité de l'autre recours, la nature de l'erreur et la nature de la juridiction d'appel (c.-à-d. sa capacité de mener une enquête, de rendre une décision et d'offrir un redressement). Je ne crois pas qu'il faille limiter la liste des facteurs à prendre en considération, car il appartient aux cours de justice, dans des circonstances particulières, de cerner et de soupeser les facteurs pertinents.

 

Dans l'arrêt Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, le juge Beetz est arrivé à la conclusion suivante :

 

Mais je ne peux admettre qu'il s'agit d'un cas de justice élémentaire, ni que la demande de certiorari et de mandamus de l'appelant aurait dû être accueillie. Il était, et il l'est encore, plus avantageux pour l'appelant de se prévaloir de son droit d'appel devant le comité du sénat; il aurait dû l'exercer.

 

           Dans l'arrêt C.P. Ltée c. Bande indienne de Matsqui, précité, la Cour suprême a énoncé les facteurs qu'il faudrait prendre en considération lorsque l'on a affaire à d'autres recours appropriés, et plus précisément : la commodité de l'autre recours, la nature de l'erreur et les pouvoirs de la juridiction d'appel. En l'espèce, il est évident qu'il serait plus commode de porter l'appel devant le tribunal d'appel en ce sens que le recours que l'on cherche à obtenir de la présente Cour renverrait en fin de compte l'affaire, si elle était fructueuse, à la Commission en vue d'une nouvelle audition. Il ne fait aucun doute que les erreurs qu'allègue la requérante sont susceptibles d'un contrôle de la part de la présente Cour, mais en même temps, il s'agit d'erreurs sur lesquelles il serait possible de statuer convenablement en appel. Le dernier facteur dont il faut tenir compte est celui des pouvoirs de la juridiction d'appel. Le paragraphe 56(5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne énonce ce qui suit :

 

(5)  Le tribunal d'appel qui statue sur les appels prévus à l'article 55 peut soit les rejeter, soit y faire droit et substituer ses décisions ou ordonnances à celles faisant l'objet des appels.

 

     Il est clair que le tribunal d'appel est investi de pouvoirs plus pertinents que ceux dont dispose la présente Cour. Ainsi qu'il est indiqué ci-dessus, si la requérante obtient gain de cause à l'égard de la présente demande de contrôle judiciaire, le mieux que la Cour puisse faire est d'ordonner qu'un tribunal constitué différemment procède à une nouvelle audition. Par ailleurs, le tribunal d'appel a le pouvoir de rendre la décision que la requérante cherche en fait à obtenir. Par conséquent, la Cour conclut qu'il existe un autre recours approprié, un recours qu'elle qualifierait, de plus, de meilleur et de plus efficace. Il aurait fallu se prévaloir du processus d'appel prévu par la Loi, surtout par la Commission, qui est créée par la Loi canadienne sur les droits de la personne et qui est chargée de l'application de cette dernière.

 

           Malheureusement, il semblerait que la Commission requérante aurait alors excédé le délai prévu. Toutefois, la Commission devrait connaître sa propre loi et, comme la plaignante est en fait une intimée en l'espèce, la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour entendre l'affaire. Il est trop tard pour cela, mais non pour rejeter la demande, ce que fait maintenant la Cour en raison de l'existence manifeste d'un autre recours approprié.

 

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL ET ALINÉA 41e)

           Au cas où une cour d'appel jugerait que les dispositions qui précèdent sont inexactes, il conviendrait de régler la question de la décision du tribunal selon laquelle il n'a pas été prouvé qu'il y avait des motifs suffisants pour priver la SRC du bénéfice de l'alinéa 41e) de la Loi. Cette disposition est libellée en ces termes :

 

41.  Sous réserve de l'article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu'elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

 

                                                                         ***     ***     ***

 

e)  la plainte a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée.

 

           Il est allégué, pour le compte de la Commission, que le tribunal des droits de la personne

 

[TRADUCTION]

 

* * * a excédé sa compétence en rejetant la plainte parce que la preuve sur laquelle la requérante avait fondé sa décision de déposer la plainte dans le délai prévu à l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP) ne révélait pas un motif raisonnable de priver l'intimée, la SRC, du bénéfice du délai de prescription prévu audit article 41,

 

tel qu'indiqué comme motif premier de la CCDP dans sa requête introductive d'instance.

 

           Se pourrait-il que la Commission poursuive la même pensée erronée que celle dont a fait preuve la Section d'appel de la présente Cour à l'égard des positions et des pouvoirs de la Commission de l'emploi et de l'immigration du Canada vis-à-vis des conseils arbitraux en vertu de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1? Durant de nombreuses années, la Cour d'appel a infirmé les décisions de conseils arbitraux et d'arbitres, à l'exception de ceux qu'elle avait amenés à adopter un système rigide de [TRADUCTION] « jurisprudence que la Cour a aujourd'hui répudiée », comme l'a déclaré cette Cour dans l'arrêt Morin c. C.E.I.C., (1996) 134 D.L.R. (th) 724.

 

           L'analogie entre cette autre commission et la CCDP dans la présente affaire, ainsi qu'entre les conseils arbitraux de cette commission et les tribunaux des droits de la personne de la CCDP, est frappante. Dans l'arrêt Morin, la Cour d'appel a finalement restitué aux arbitres - qui sont aussi des tribunaux d'instruction approfondie - le droit et le pouvoir de modifier ou d'annuler des pénalités imposées par Emploi et Immigration Canada en application de pouvoirs législatifs qui, comme la Cour le soutenait depuis des années, étaient exclusifs et auxquels cette Commission ne pouvait toucher. Entre la Commission, qui n'est pas habilitée à procéder à une instruction approfondie du litige opposant les parties, et le tribunal créé par la loi (un conseil arbitral dans l'affaire Morin, et un tribunal des droits de la personne en l'espèce), le pouvoir de se prononcer sur les droits de fond des parties devrait légalement relever d'un tel tribunal, même si cela veut dire modifier ou annuler la décision procédurale et préliminaire de la Commission. La CCDP fait valoir en l'espèce qu'elle, et elle seule (sous réserve d'un contrôle judiciaire), est habilitée à faire avancer et engager un litige concernant une plainte après l'expiration du délai d'un an que prévoit l'alinéa 41e de la LCDP. Pour mettre à l'épreuve cette prétention, il faudra examiner la nature du délai de prescription non absolu, ainsi que les pouvoirs respectifs que confère le législateur et à la Commission et à un tribunal des droits de la personne. Depuis qu'a été rendue la décision marquante dans l'affaire MacBain c.Lederman, [1985], 1 C.F. 856 (C.A.F.) et que le législateur a créé le bureau du président du Comité du tribunal des droits de la personne, ce sont les tribunaux qui ont statué non seulement sur les droits de fond des plaignants, mais aussi sur ceux des personnes visées par une plainte. En ce qui concerne le litige qui oppose ces parties, la CCDP sert à filtrer au départ les plaintes inutiles, ainsi qu'à prendre des mesures procédurales et administratives en faisant examiner les plaintes les plus plausibles, et, dans certains cas, en les soumettant à un tribunal. À ce niveau, la seule influence qu'exerce la Commission sur les droits de fond des parties au sujet de l'affaire est d'être représentée, en vertu de l'article 51 de la CCDP, devant un tribunal comme si elle était une partie.

 

           Pour qu'un tribunal procède à l'examen complet d'une plainte en apparence valable, l'alinéa 41e) confère à la Commission le pouvoir préliminaire, procédural, de passer outre au délai de prescription de base d'un an et d'étendre ce délai à celui qu'elle juge approprié dans les circonstances. Comparativement aux pouvoirs législatifs qu'a un tribunal de procéder à un « examen complet » aux termes de l'alinéa 50(2)a), le pouvoir qu'accorde à la Commission l'alinéa 41e) n'est ni formel ni ultime, pas plus qu'il n'exige, pour être exercé, que l'on entende les observations d'une partie quelconque, hormis celles que l'enquêteur pourrait transmettre ou non à la Commission. En outre, pour éviter que la CCDP exerce son pouvoir de manière arbitraire, au hasard ou de façon capricieuse, la présente Cour doit insister pour qu'elle prouve qu'il existe quelque chose de sérieux, et non de frivole, une chose qu'elle juge appropriée dans les circonstances.

 

           Pourquoi devrait-il s'agir là de la manière dont la Cour doit interpréter l'alinéa 41e)? Parce que le législateur a adopté le délai d'un an comme un droit de fond dont bénéficient les personnes contre qui une plainte est déposée, mais la Commission ne statue pas sur les plaintes en examinant les droits absolus de chacun. Toutefois, les tribunaux déterminent effectivement des droits de fond en procédant à des examens complets en vertu des pouvoirs prévus à l'article 50, et en concluant si une plainte est fondée, ou non, à l'encontre des intimés, en vertu de l'article 53.

 

           Un examen équitable et complet est un processus dans le cadre duquel les personnes visées par une plainte bénéficient chacune de la possibilité d'opposer une défense pleine et entière aux arguments de la partie plaignante. À l'évidence, dans une défense pleine et entière, le fait d'être privé du bénéfice du délai d'un an peut être invoqué. Il s'agit là du pouvoir des tribunaux, car ces derniers, dans le cours normal d'un litige, entendent (ou lisent) tous les éléments de preuve, inévitablement plus, et sont davantage au courant des circonstances que la Commission dans son rôle préliminaire. En considérant les choses sous cet angle, il ne semble pas inique, mais plutôt raisonnable que les tribunaux, comme l'a fait le tribunal en l'espèce, permettent aux intimés d'invoquer comme moyen de défense qu'il n'était pas convenable dans les circonstances de priver l'intimée du bénéfice du délai de prescription fixé par le législateur, si cela n'était effectivement pas convenable dans l'ensemble des circonstances portées à la connaissance du tribunal. Certes, un tribunal peut conclure, le cas échéant, que la plaignante était faible, nonchalante, désintéressée, réticente et insouciante au sujet de la poursuite et de la justification de sa plainte. Il s'agit là d'un exercice indubitable des pouvoirs que le législateur a conférés aux tribunaux des droits de la personne.

 

           Les litiges, tels qu'on les connaît aujourd'hui, semblent être à la pointe d'un changement dans la common law — qui, après tout, est le droit public auquel est soumis le Canada tout entier, le Québec compris. Un tel changement peut être attribué à la décision finalement unanime de la Cour suprême du Canada, rédigée en grande partie par le juge La Forest, dans Tolofson c. Jensen, [1994] 3 R.C.S. 1022.

 

           Le juge La Forest a écrit sur la question, comme on peut le voir à la p. 1068 du recueil. Il a cité l'extrait suivant de l'« approche pragmatique » illustrée dans l'arrêt Block Bros. Realty Ltd. c. Mollard, (1981) 122 D.L.R. (3d) 323 (C.A.C.-B.) :

 

* * * J'estime qu'une mesure législative ne devrait être qualifiée de procédurale que si cela ne fait aucun doute. S'il y a un doute, on devrait le dissiper en concluant que la mesure législative est une règle de fond.

 

                Cette démarche m'apparaît logique. Il est juste de dire, toutefois, qu'elle s'écarte sensiblement de la position initiale de la common law en ce qui concerne la prescription.

 

                                                                         (p. 1068 et 1069)

 

           En ce qui concerne l'acceptation hâtive, par la common law, du caractère procédural des prescriptions, le juge La Forest a signalé pour cela deux grandes raisons, dont la première est de peu d'importance en l'espèce.

 

* * * La seconde raison était l'opinion plutôt mystique selon laquelle une cause d'action en common law conférait au demandeur un droit permanent. Une loi en matière de prescription ne faisait que supprimer un recours devant les tribunaux du ressort où elle avait été adoptée.

 

                Ce raisonnement a laissé perplexes des auteurs européens comme M. Jean Michel (La Prescription libératoire en droit international privé, thèse, Université de Paris, 1911, paraphrasé dans Ailes, loc. cit, à la p. 494), qui a fait valoir que [TRADUCTION] « cette distinction est trompeuse et repose davantage sur le texte que sur le sens des lois en matière de prescription... ». Selon la conception européenne, toutes les lois en matière de prescription anéantissent des droits substantiels.

 

                Je dois admettre que cette conception européenne me paraît convaincante. Les raisons qui sous-tendent la vieille règle de common law ne me semblent pas avoir leur place dans le contexte moderne. L'idée qu'il faille refuser à des justiciables étrangers des avantages dont ne disposent pas les justiciables du tribunal saisi s'harmonise mal avec la proposition que j'ai acceptée précédemment, selon laquelle la loi qui détermine la nature et les conséquences du délit est la lex loci delicti. Le tribunal assume compétence non pas pour appliquer la loi locale, mais pour accommoder les justiciables afin de répondre à la mobilité contemporaine et aux impératifs de l'ordre économique national ou mondial.

 

                Les tribunaux canadiens ont également commencé à démythifier la seconde raison qui tient à l'idée que les lois en matière de prescription visent les recours et non les droits. Dans l'arrêt Martin c. Perrie, [1986] 1 R.C.S. 41, notre Cour a, dans un autre contexte, pris connaissance du droit du défendeur d'être libéré des demandes caduques.

 

                                                                         (p. 1069 et 1070)

 

Dans l'arrêt Tolofson c. Jensen, le juge La Forest a également écrit ce qui suit, à la p. 1071 du recueil :

 

                La Cour a contourné la distinction entre le droit de la demanderesse et son recours en concluant que l'expiration d'un délai de prescription confère des droits au défendeur. À la page 49, le juge Chouinard cite et approuve les propos suivants de lord Brightman, dans l'arrêt Yew Bon Tew c. Kenderaan Bas Mara, [1983] 1 A.C. 553 (C.P.), à la p. 563 :

 

[TRADUCTION]  De l'avis de leurs Seigneuries, un droit acquis d'invoquer la prescription, acquis après que la prescription extinctive a couru, est dans toute l'acceptation du terme un droit, même si c'est une loi de procédure qui le crée. C'est un droit qu'on ne saurait enlever en conférant à la loi un effet rétroactif, à moins qu'une telle interprétation ne soit inévitable. [Je souligne.]

 

Et, de plus :

 

                La prescription comme moyen de défense a été dûment plaidée dans la présente affaire et toutes les parties ont tenu pour acquis, devant nous, qu'il s'agit d'un moyen de défense valide si la loi de la Saskatchewan s'applique. Je n'accepte pas que ce moyen de défense soit si contraire à l'ordre public qu'un tribunal de la Colombie-Britannique ne devrait pas le retenir. La mesure dans laquelle les lois en matière de prescription devraient protéger les particuliers contre les demandes caduques fait intervenir, de toute évidence, des considérations de principe non liées à la manière dont un tribunal doit s'acquitter de sa tâche, et l'évaluation qui doit être faite à cet égard peut varier d'un endroit à l'autre.

 

                                                                                (p. 1073)

 

                Il y a lieu d'accueillir le pourvoi ***. Il y a également lieu d'accueillir la requête de l'appelant visant à obtenir un jugement déclarant qu'il convient de décider que la loi applicable est celle de la Saskatchewan et que le délai de prescription qui y est fixé constitue une règle de fond.

 

                                                                                (p. 1077)

 

           La Commission soutient que [TRADUCTION] « le tribunal n'a pas compétence pour rejeter la plainte en se fondant sur des motifs non liés à son bien-fondé ». Cette prétention adopte une vision trop étroite de la nouvelle portée du « bien-fondé ». La prescription d'un an confère à la personne contre laquelle une plainte est déposée un droit de fond auquel la Commission ou la plaignante ne peut toucher plus tard, à moins que la Commission, dans une décision préliminaire et procédurale, rendue dans le cadre d'un examen moins que complet, décide de passer outre, dans des circonstances appropriées, au délai de prescription d'un an. La loi l'autorise pour que la plainte soit soumise à un tribunal administratif dans le cadre d'une audience accusatoire complète. La loi prescrit maintenant que cette décision préliminaire et procédurale, rendue par la Commission en vertu de l'alinéa 41e), n'est pas coulée dans le bronze, mais qu'elle peut être modifiée en fonction de ce qui, d'après le tribunal, est approprié dans les circonstances entièrement divulguées à l'examen complet auquel procède le tribunal en vue de déterminer le droit de fond de l'intimée de jouir du bénéfice du délai de prescription, ou non.

 

           Voici l'effet pratique de cette mesure : il semblerait que le tribunal examine la décision de la Commission en vertu de l'alinéa 41e) quand, essentiellement, la tâche qui incombe au tribunal est de déterminer les droits de fond de l'intimée, et ce, dans les circonstances où la plaignante a déposé sa plainte. Vu l'effet pratique évident, la réalité de la distinction est, en l'espèce, plutôt métaphysique et subtile.

 

           Le doyen Robinson - l'auteur du rapport du tribunal en l'espèce - n'a pas fait mention de l'arrêt Tolofson c. Jensen, précité, mais son raisonnement semble en englober la teneur (dossier de la requérante, vol. I, p. 28 à 34). Malgré la longueur que les présents motifs ont déjà atteinte, la Cour juge important de reproduire les passages suivants, qui sont tirés des motifs du tribunal :

 

2.L'article 41 de la Loi

 

                L'intimée a fait valoir l'argument subsidiaire voulant qu'elle ne doive pas être privée du bénéfice de la prescription prévue à l'article 41 de la Loi, et que la plainte doive être rejetée parce qu'elle repose sur un acte qui a eu lieu plus d'un an avant qu'elle soit déposée devant la Commission.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                Il est incontestable qu'un tribunal des droits de la personne n'a pas compétence pour annuler la décision de la Commission, rendue en vertu de l'article 41 de la Loi, de traiter une plainte déposée plus d'un an après l'acte visé. Seule la Cour fédérale peut casser les décisions de la Commission.

 

                Dans l'affaire Sinclair v. Peel Non-Profit Housing Corporation (No. 1), la commission d'enquête a indiqué qu'il peut exister des circonstances faisant que la décision de la Commission soit un [TRADUCTION] « simulacre » et permettant d'affirmer qu'aucune décision n'a été rendue. Selon le président de la commission d'enquête saisie de l'affaire Sinclair, M. Friedland, une commission d'enquête (un tribunal des droits de la personne dans le contexte de la Loi canadienne) n'aurait pas compétence, dans de telles circonstances, pour examiner la plainte. Il s'est exprimé ainsi à la p. D/341 :

 

[TRADUCTION]  Il se peut que l'enquête faite par la Commission et la requête présentée au ministre soient un tel « simulacre » qu'on puisse affirmer que celle-ci n'a, en fait, rendu aucune décision. Il ne fait pas de doute qu'un tel simulacre pourrait avoir des répercussions sur la compétence de la commission d'enquête.

 

Je ne crois pas que l'intimée ait prétendu que la décision de la Commission en l'espèce pouvait constituer un « simulacre » ou que le Tribunal n'avait pas compétence à cause de présumés vices dans la décision de la Commission.

 

                Je tiens aussi à exprimer clairement que je ne considère pas qu'il appartienne à un tribunal des droits de la personne de réviser une décision rendue par la Commission en application de l'article 41 afin de déterminer si celle-ci a correctement exercé le pouvoir discrétionnaire conféré par cet article. Seule la Cour fédérale peut procéder à une telle révision. Il n'est pas pour autant interdit au Tribunal, toutefois, de trancher, en fonction de la preuve dont il dispose, la question de savoir si l'intimé doit être privé du bénéfice de la prescription que le Parlement a établie à l'article 41 de la Loi. Les observations formulées par le juge Muldoon dans la décision Procureur général du Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et autres (1991), 36 C.C.E.L. 83 (C.F., 1re inst., non publiée dans sa version française) sont instructives. Il s'est exprimé ainsi au sujet de l'article 41 (à la p. 28) :

 

Or, il est manifeste que si le Parlement, à l'alinéa 41e), a prévu le délai d'un an qui constitue un repère, c'est dans le but sérieux d'accorder un avantage et non simplement pour compliquer la L.C.D.P. de façon injustifiée. Cette limite d'un an semble n'apporter aucun avantage direct au plaignant. Qui le Parlement voulait-il avantager? La limite -- qui est perméable, puisqu'il revient à la Commission de décider ce qu'il convient de faire -- semble profiter directement à un employeur intimé, tel le Secrétariat d'État en l'espèce. Il va de soi que si l'employeur doit être privé de l'avantage accordé par le Parlement, la Commission doit donner une indication pertinente ou une explication des raisons pour lesquelles elle a jugé opportun d'en priver l'employeur.

 

                Je conclus qu'un tribunal des droits de la personne a compétence pour rejeter une plainte qui a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, s'il est d'avis qu'il n'existe aucune explication raisonnable justifiant que, pour reprendre les mots du juge Muldoon dans la décision Procureur général du Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et autres, « l'employeur doi[ve] être privé de l'avantage accordé par le Parlement » par l'établissement de la prescription prévue à l'article 41 de la Loi. En se prononçant sur l'existence d'une telle justification, le Tribunal doit analyser les raisons sur lesquelles la Commission s'est fondée pour décider de traiter la plainte, mais celles-ci ne constituent qu'un des facteurs à examiner, car la preuve soumise au Tribunal peut renfermer des éléments qui n'ont pas été présentés devant la Commission. Un tribunal des droits de la personne doit prendre en considération, notamment, les facteurs suivants :

 

(i)la période écoulée entre l'acte ou l'omission faisant l'objet de la plainte et le moment où celle-ci est déposée devant la Commission ou reçue par elle,

(ii)la période écoulée entre l'acte ou l'omission faisant l'objet de la plainte et le moment où l'intimé est avisé de l'existence de celle-ci,

(iii)les motifs du retard mis à déposer la plainte ou à aviser l'intimé de l'existence de celle-ci,

(iv)les motifs pour lesquels la Commission a décidé en vertu de l'article 41, de traiter la plainte même si celle-ci a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée;

(v)le préjudice que le retard a causé à l'intimé.

 

                À l'évidence, ces facteurs recoupent quelque peu ceux qui doivent être examinés dans l'application de la théorie du manque de diligence, mais le critère déterminant est différent. Dans la théorie du manque de diligence, il faut mettre en balance la diligence raisonnable requise du plaignant et le préjudice causé par le retard, lequel retard peut empêcher l'intimé de présenter une défense pleine et entière. Ici, il faut plutôt se demander s'il existe une justification raisonnable pour priver l'intimé du bénéfice de la prescription prévue par le Parlement à l'article 41 de la Loi.

 

                Le premier des facteurs énumérés ci-dessus est la période écoulée entre l'acte ou l'omission faisant l'objet de la plainte et le moment où celle-ci est déposée devant la Commission ou reçue par elle. En dépit du fait que la conversation qu'a eue la plaignante avec Virginia Menzie, le 20 juillet 1989, a mené à la préparation d'un projet de plainte, la plainte elle-même n'a été signée que le 27 février 1990 et n'a été « reçue » par la Commission que le 2 mars suivant. Plusieurs faits m'incitent à conclure que ce n'est pas avant le mois de janvier 1990, voire avant le 27 février, que la plaignante s'est finalement décidée à porter plainte. Ces faits comprennent notamment :

 

a)le laps de temps considérable qui sépare le moment où la plaignante a reçu le projet de plainte, à la mi-août 1989, et celui où elle a recommuniqué avec la Commission, au mois de janvier 1990;

b)la discussion que Virginia Menzie a eue avec la plaignante au sujet de l'expiration du délai de « dépôt » de la plainte devant la Commission, au mois de septembre 1989;

c)le silence que la plaignante a gardé, lorsqu'elle a rencontré Mme Stambuck par hasard, au sujet du fait qu'elle avait déposé une plainte auprès de la Commission ou qu'elle s'apprêtait à le faire.

 

                Le deuxième facteur est la période écoulée entre l'acte ou l'omission faisant l'objet de la plainte et le moment où l'intimée a été avisée de l'existence de celle-ci. L'intimée n'ayant reçu avis de la plainte que le 5 avril 1990, cette période était donc d'un an et sept mois. Si, comme le laisse entendre le rapport Ritchot/Hosking, les contacts établis avec la Commission aux mois de juillet et d'août 1989 étaient suffisants pour remplir l'exigence du « dépôt », il était inexcusable que la Commission n'avise l'intimée qu'au mois d'avril 1990.

 

                Quant au troisième facteur, soit les motifs du retard mis à déposer la plainte ou à aviser l'intimée de l'existence de celle-ci, les raisons qui ont été invoquées ne constituent pas, à mon avis, une explication raisonnable du retard. Le témoignage de la plaignante selon lequel elle pensait qu'elle avait amorcé le processus à l'intérieur du délai d'un an en téléphonant à Virginia Menzie est incompatible avec la note de service de cette dernière (Pièce R-3) faisant état du fait que la plaignante était au courant de l'échéance du mois de septembre 1989. Si la plaignante pensait qu'en prenant contact avec la Commission au mois de juillet 1989, elle avait satisfait à l'exigence du dépôt, il n'y aurait pas eu lieu de s'inquiéter de l'échéance du mois de septembre 1989. La plaignante explique sa période d'inaction d'août 1989 à janvier 1990 en affirmant qu'elle avait des questions à poser et que la personne avec qui elle avait communiqué était absente jusqu'au mois de janvier 1990. Cependant, elle ne donne aucun détail, dans sa déposition, sur les questions qu'elle estimait nécessaire de poser. Le dépôt d'une plainte est l'affaire du plaignant et n'a pas à être approuvé par la Commission ni par l'un de ses agents. La plaignante aurait facilement pu corriger le projet de plainte que la Commission lui avait fait parvenir sans discuter des modifications avec Virginia Menzie ou avec un autre agent. Lorsqu'un plaignant apprend que l'agent avec qui il a déjà discuté du dossier doit s'absenter pour une période de cinq mois, il n'est pas raisonnable qu'il attende simplement que celui-ci revienne.

 

                Quant au quatrième facteur, il porte sur les motifs pour lesquels la Commission a décidé, en application de l'article 41, de traiter la plainte même si celle-ci a été déposée plus d'un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée. Il semble que pour prendre cette décision, la Commission se soit contentée d'entériner la recommandation formulée dans le rapport Ritchot/Hosking. Dans l'affaire Société Radio-Canada c. Commission canadienne des droits de la personne et Leila Paul et autres (décision non publiée de la C.F., 1re inst., rendue le 15 décembre 1993), le juge Noël examine ce genre de décision. On peut lire l'observation suivante à la p. 16 des motifs du juge :

 

Dans l'arrêt Syndicat des employés de production du Québec et de l'Acadie c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1989] 2 R.C.S. 879, la Cour suprême du Canada a estimé que, lorsque la Commission rend une décision non motivée, en reprenant simplement à son compte les conclusions contenues dans le rapport d'enquête, il est loisible de considérer que ce rapport renferme les motifs de la décision.

 

                Le rapport Ritchot/Hosking (Pièce HR-14) comporte deux omissions importantes. Premièrement, on n'y trouve aucune mention du fait que la plaignante savait qu'elle devait déposer sa plainte à l'intérieur d'un délai d'un an. Il appert clairement de la note de Virginia Menzie (Pièce R-3) que la plaignante savait qu'un délai s'appliquait au dépôt de la plainte et que celui-ci serait écoulé au mois de septembre 1989. Dans le témoignage qu'elle a donné devant le Tribunal, la plaignante a déclaré que, dès son premier contact avec la Commission, au mois de septembre 1988, elle avait été au courant de l'existence du délai d'un an. Lorsqu'elle a été interrogée à ce sujet, elle a affirmé (à la p. 97 de la transcription) :

 

[TRADUCTION] Je le savais parce que le mois de septembre suivant -- ou précédent, lorsque j'avais téléphoné, on m'avait dit que j'avais un an pour déposer ma plainte.

 

                L'employé de l'intimée qui a préparé les observations que celle-ci a soumises à la Commission (Pièce HR-15) relativement à la question du respect du délai de dépôt de la plainte, M. Claude J. Mason, n'a pas mentionné ce fait. Il est fort peu probable qu'il ait su, au moment de la présentation de ces observations, que la plaignante connaissait l'existence de la prescription d'un an.

 

                Deuxièmement, le rapport Ritchot/Hosking ne mentionne pas le fait que Mme Stambuck, l'employée de l'intimée au bureau de Saskatoon, qui avait eu les rapports les plus étroits avec la plaignante, avait jeté son registre quotidien au mois de janvier 1990, lorsqu'elle avait déménagé de Saskatoon à Ottawa. Il convient de signaler, toutefois, qu'on ne trouve nulle mention de cet incident dans les observations que M. Claude J. Mason (Pièce HR-15) a préparées en réponse audit rapport, et que M. Mason n'y conteste pas non plus l'affirmation des auteurs du rapport selon laquelle [TRADUCTION] « il est peu probable que l'intimée en subisse un préjudice puisque les documents et les témoignages utiles doivent encore pouvoir être présentés en preuve ».

 

                Le rapport présente un vice plus sérieux au paragraphe 16, lequel renferme le passage suivant :

 

[TRADUCTION]  De plus, comme la plaignante avait exprimé son intention de porter plainte à l'intérieur de l'année qui a suivi l'acte présumé discriminatoire, l'avis de plainte a été envoyé à l'intimée, en conformité avec la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Woldemar Madisso c. Commission canadienne des droits de la personne. Bien que l'intimée ait été informée qu'au sens de la décision susmentionnée, la plainte avait été déposée dans le délai prévu, elle a contesté cette opinion et a demandé que la plainte soit déférée devant la Commission pour décision.

 

La décision Woldemar Madisso c. Commission canadienne des droits de la personne (1988), 10 C.H.R.R. D/5680 (C.A.F.) peut-elle servir d'appui à l'affirmation contenue dans le rapport Ritchot/Hosking?

 

                                                                           ***     ***     *

 

[Cette courte décision de la Cour d'appel fédérale ne semble pas être pertinente en l'espèce.]

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                La Cour d'appel fédérale affirme dans la décision Madisso, qu'il n'existe aucune façon prescrite de présenter une plainte, mais il demeure qu'il doit quand même y avoir plainte. La Cour a considéré que la demande d'autorisation de porter plainte équivalait au dépôt d'une plainte parce que, devant le refus de la Commission d'examiner l'affaire, c'était tout ce que M. Madisso pouvait faire. En l'espèce, la situation est différente. Peggy Johnson n'a signé sa plainte que le 27 février 1990 et, jusqu'à cette date, ne peut affirmer avec certitude, pour les motifs précédemment exposés, qu'elle avait pris la décision ferme de déposer une plainte contre l'intimée.

 

                Passons au cinquième des facteurs susmentionnés, savoir le préjudice causé à l'intimée par le retard. L'avocat de l'intimée a soutenu que sa cliente avait subi plusieurs types de préjudice. Les allégations de l'intimée en cette matière ont été décrites plus haut, je ne ferai donc que les résumer. Le premier type de préjudice découlait du fait que Mme Stambuck avait jeté le registre quotidien dans lequel elle inscrivait les appels téléphoniques et autres incidents. J'ai conclu que la disparition de ce document avait causé un certain préjudice à l'intimée. Le deuxième type de préjudice tenait au fait que les cinq années et demie écoulées depuis le licenciement de la plaignante avaient altéré la mémoire des témoins appelés par l'intimée. Ainsi que je l'ai indiqué plus haut, même si la plaignante avait déposé sa plainte dans l'année qui a suivi son licenciement, c'est-à-dire dans le délai normalement prévu, il est peu probable que l'audience s'en serait trouvée rapprochée de plus de six mis et, donc, que la mémoire des témoins aurait été sensiblement meilleure.

 

                L'examen de tous ces facteurs m'amène à conclure qu'il n'existe aucune justification raisonnable au fait de priver l'intimée du bénéfice qu'a consenti le Parlement en prévoyant une période de prescription d'un an à l'article 41 de la Loi. En conséquence, je suis d'avis de rejeter la plainte.

 

                Cependant, pour le cas où l'analyse que je fais de l'article 41 et la conclusion que je tire de son application aux faits seraient cassées en révision ou en appel, je procéderai maintenant à l'examen du fond de la plainte.

 

           De l'avis de la présente Cour, le raisonnement du tribunal est valable, et compatible avec le droit applicable, et la conclusion qu'il a tirée est exacte. Tout bien considéré, la Commission n'est pas parvenue à convaincre la Cour que le tribunal a commis une erreur quelconque. De ce fait, le paragraphe premier de l'avis introductif, c'est-à-dire le premier motif invoqué par la CCDP pour faire annuler la décision du tribunal au sujet de l'article 41 de la LCDP, n'est pas retenu, et la demande est rejetée à cet égard.

 

LES ERREURS DE DROIT ALLÉGUÉES

           Selon le troisième paragraphe de l'avis introductif d'instance, le tribunal aurait commis quatre erreurs de droit.

 

           a)  La CCDP soutient que le tribunal a appliqué de manière inexacte [TRADUCTION] « le critère juridique applicable au fardeau de la preuve concernant la déficience de [la plaignante], Peggy (Vermette) Johnson ».

 

           La plaignante était au service de la SRC à Saskatoon, à titre de stagiaire au sein d'un programme de la SRC destiné à permettre aux Autochtones et aux Métis d'acquérir les compétences nécessaires pour obtenir un emploi auprès d'organismes de radiodiffusion et de télédiffusion. Le programme de formation, que soutenait financièrement le gouvernement de la Saskatchewan à titre de service éducatif, avait été créé par M. Ron Smith, directeur régional de la SRC pour la Saskatchewan de 1985 à 1989. La plaignante avait été choisie comme stagiaire en journalisme télévisé, à un poste classé comme « annonceure temporaire affectée à la télévision », à Saskatoon. Mme Sandra Coates, coordonnatrice du Native Career Development Program de l'Indian and Native Affairs Secretariat a déclaré qu'il s'agissait d'un programme de haut niveau dans lequel les stagiaires étaient censés posséder une certaine expérience dans le domaine de la radio ou de la télévision pour y être acceptés. M. Smith a déclaré que le programme de formation avait pour objectif de dispenser aux stagiaires, au cours d'une période de 12 mois seulement, le genre d'enseignement qu'une école de journalisme étalerait sur trois ou quatre ans. La durée de l'affectation s'étendait du 30 mai 1988 au 28 mai 1989, mais les parties ont convenu de reporter la date de début au 27 juin 1988 parce que la plaignante était censée subir une intervention chirurgicale dans la deuxième semaine du mois de mai 1988. Des documents relatifs au programme ont été déposés auprès du tribunal, en tant que pièces HR-3, -4 et -5, et R-4 et -9.

 

           Voici quelques paragraphes, extraits de la décision écrite du tribunal, qui ont un rapport avec cette question :

 

5.             Le licenciement de la plaignante

 

                Le lundi 29 août 1988, la plaignante s'est présentée au travail au bureau de l'intimée. Dans sa déposition, elle a déclaré qu'elle avait du mal à se concentrer, ce matin-là, parce que des incidents survenus au cours de la fin de semaine et concernant son ami l'avaient bouleversée. Au cours de la matinée, la plaignante est allée voir Mme Stambuck, l'agente des ressources humaines au service de l'intimée à Saskatoon et, a-t-elle déclaré dans son témoignage, elle a informé cette dernière qu'elle était perturbée à cause d'une [TRADUCTION] « violente dispute avec son ami ». Elle a demandé si elle pouvait se prévaloir du programme d'aide aux employés et, après discussion avec Mme Stambuck, cette dernière a accepté. Mme Stambuck a confirmé, dans son témoignage, les éléments essentiels de la discussion qu'elle a eue avec la plaignante. Elle a déclaré, en outre, que la plaignante ne l'avait jamais informée qu'elle avait bu pendant la fin de semaine et n'avait jamais laissé entendre qu'elle était alcoolodépendante ou qu'elle avait un problème d'abus d'alcool. La plaignante a reconnu, en contre-interrogatoire, qu'elle n'avait rien dit à Mme Stambuck concernant sa consommation d'alcool.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                Après avoir fait état de ses problèmes au conseiller, la plaignante a témoigné qu'elle avait décidé, par suite de la recommandation du conseiller, de s'inscrire au centre de réadaptation en établissement d'Indian Head (Saskatchewan). À la question de savoir pourquoi elle avait pris une telle décision, elle a répondu (à la p. 76 de la transcription) :

 

[TRADUCTION]  Parce que c'est ce qui m'avait été recommandé. J'avais décidé de faire tout ce qu'on me demanderait de faire pour régler mon problème d'alcoolisme, qu'il s'agisse d'un traitement en clinique externe ou en établissement ou d'une série de cent réunions en cent jours.

 

La plaignante a déclaré qu'elle avait été admise au centre le 31 août 1988.

 

                Mme Stambuck s'est souvenue que la plaignante n'était pas venue au travail le mardi 30 août 1988, soit le lendemain de l'entretien qu'elle avait eu avec elle et au cours duquel celle-ci lui avait demandé de se prévaloir du programme d'aide aux employés. Mme Stambuck a commencé à s'inquiéter de l'absence de la plaignante lorsqu'elle a reçu la visite de la fille de cette dernière, plus tard dans la semaine, et que celle-ci lui a demandé si elle savait où se trouvait sa mère. Mme Stambuck n'a pu se rappeler la date exacte de cette visite. Après celle-ci, elle a informé M. Smith de l'absence de la plaignante et du fait que sa fille ne savait pas où elle se trouvait.

 

                Mme Stambuck s'est souvenue que, plus tard dans la semaine du 29 août 1988, elle avait reçu un appel d'une personne travaillant chez Cardwell & Associates, l'informant que la plaignante souffrait d'un abus d'intoxicants. Elle n'a pu toutefois se rappeler la date de cet appel. C'était la première fois que Mme Stambuck entendait des propos indiquants que la plaignante souffrait d'un problème d'abus d'intoxicants. Ella a témoigné qu'elle croyait avoir reçu un second appel de Cardwell & Associates l'informant que des mesures avaient été prises pour que la plaignante soit traitée au centre de réadaptation Pine Lodge. Par la suite, elle a parlé avec un employé du centre, dont elle ne peut se rappeler l'identité; elle croit, sans en être certaine, que c'est elle qui a téléphoné au centre, dans le but de savoir quelle serait la durée du traitement. Dans son témoignage, elle a déclaré que l'employé du centre à qui elle a parlé n'avait pu la renseigner à ce sujet. Mme Stambuck se souvient d'avoir transmis ce renseignement à M. Smith.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                Après son entretien du 29 août 1988 avec Mme Stambuck, la plaignante n'a jamais communiqué avec l'intimée pour l'informer qu'elle serait absente du programme de formation ou qu'elle entreprenait un traitement en établissement. Elle a expliqué son comportement en disant qu'elle pensait que l'intimée serait mise au courant par Cardwell & Associates ou par le conseiller Mickey Locke.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 37 et 38)

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                M. Smith a témoigné qu'avant de recevoir ces renseignements, il n'avait rien vu ni entendu qui pût indiquer que la plaignante avait un problème d'alcoolodépendance ou d'abus d'intoxicants.

 

           Les gens de la SRC ont finalement appris que le personnel du centre de réadaptation ne pouvait prévoir combien de temps la plaignante resterait à Pine Lodge. M. Smith a appelé Mme Coates, lui a expliqué la situation et lui a demandé ce que la SRC devait faire. D'après ses souvenirs, sa réponse a été la suivante :

 

[TRADUCTION]

 

Nous vous payons pour former, pas pour réadapter. Pas de formation, pas d'argent.

 

Mme Coates se rappelle avoir répondu ceci :

 

[TRADUCTION]

 

Nous payons pour de la formation, non pour de la réhabilitation.

 

Il est bel et bien établi que le gouvernement de la Saskatchewan n'allait pas rembourser à la SRC la rémunération due à la plaignante pour le temps pendant lequel elle était absente du travail. Tous espéraient trouver de nouvelles ouvertures pour la plaignante lorsque celle-ci serait de nouveau en bonne santé, mais M. Smith ne savait pas si ce genre de formation serait financé à l'avenir.

 

           Voici ce que le tribunal a également relaté :

 

                Mme Stambuck, suivant les instruction de M. Smith, a rédigé et envoyé à la plaignante une lettre, datée du 6 septembre 1988 (Pièce HR-7), dont le texte est reproduit ci-dessous :

 

[TRADUCTION]  Nous vous avisons que votre emploi temporaire à la SRC à Saskatoon prend fin le 2 septembre 1988.

 

Vous serez payée jusqu'au vendredi 2 septembre inclusivement et, en application de l'article 14.3 de la convention collective conclue avec le SCFP (GB & B), vous toucherez trois jours supplémentaires de salaire tenant lieu d'avis.

 

Peggy, lorsque vous aurez terminé votre traitement, téléphonez-moi s'il-vous-plaît. Nous pourrions peut-être prendre un café ensemble... J'aimerais vous voir.

 

Sincères salutations.

 

La lettre a été envoyée à la plaignante au centre de traitement Pine Lodge à Indian Head (Saskatchewan). La plaignante a reconnu, dans sa déposition, l'avoir reçue pendant qu'elle se trouvait à Pine Lodge.

 

                Dans son témoignage, M. Smith a déclaré que l'intimée a suivi, pour mettre fin à l'emploi de la plaignante, la procédure appliquée à tous les employés en stage probatoire et les employés temporaires ayant moins de trois mois de service.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                La plaignante est demeurée à Pine Lodge jusque vers la fin du mois de septembre. Elle n'a jamais essayé de communiquer avec Mme Stambuck ni avec M. Smith pour donner suite à l'invitation exprimée dans le dernier paragraphe de la lettre du 6 septembre 1988. L'intimée n'a pas fait d'autre tentative pour communiquer avec la plaignante. Cette dernière a rencontré Mme Stambuck par hasard au mois de novembre 1989 au cours d'une conférence à laquelle elles assistaient toutes les deux. Mme Stambuck a déclaré, dans son témoignage, qu'elle se souvenait que la plaignante lui avait dit être [TRADUCTION] « mécontente de toute cette situation », mais qu'elle ne lui avait pas donné l'impression qu'elle allait porter plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. Mme Stambuck n'a apparemment pas fait de propositions à la plaignante concernant de futurs programmes de formation susceptibles d'être offerts par l'intimée en collaboration avec le Native Career Planning Program.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 40 et 41)

 

           Pendant toute la période en cause, la plaignante était visée par une convention collective (pièces HR-3 et R-10), laquelle prévoyait que tout nouvel employé subissait une période probatoire de trois mois durant laquelle la SRC avait le droit de le licencier sans motif. Tout licenciement de cette nature ne pouvait faire l'objet d'un grief, sauf dans certaines circonstances non pertinentes en l'espèce, et la plaignante n'a jamais essayé de le faire.

 

           Le tribunal a conclu que l'obligation d'assiduité que la SRC imposait aux stagiaires était une exigence professionnelle justifiée (EPJ), ce qu'a reconnu l'avocate de la CCDP. Celle-ci a toutefois déclaré aussi qu'il s'agissait en l'espèce d'un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Lorsqu'une plaignante soutient que son employeur lui a causé un préjudice en exerçant contre elle de la discrimination en violation de ses droits de la personne, il lui incombe de faire la preuve que l'employeur était au courant de sa vulnérabilité et a néanmoins continué d'agir de manière discriminatoire contre elle, en violation de ses droits de la personne déclarés. Si, comme c'est le cas en l'espèce, elle avait refusé d'informer l'employeur de sa déficience, ce dernier pourrait difficilement être coupable de discrimination, pas plus qu'il ne pourrait savoir quelles mesures d'accommodement prendre. Après tout, la plaignante n'a jamais montré de signes de consommation abusive d'alcool ou d'alcoolodépendance au travail (dossier de la requérante, vol. I, p. 207, lignes 11 à 14, notamment).

 

           Le tribunal a cité les propos du juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, aux p. 558 et 559 :

 

Suivant la règle bien établie en matière civile, ce fardeau incombe au demandeur. Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver. Donc, selon la règle énoncée dans l'arrêt Etobicoke quant au fardeau de la preuve, savoir faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire de l'existence d'un cas de discrimination, je ne vois aucune raison pour laquelle cela ne devrait pas s'appliquer dans les cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. Dans les instances devant un tribunal des droits de la personne, le plaignant doit faire une preuve suffisante jusqu'à preuve contraire qu'il y a discrimination. Dans ce contexte, la preuve suffisante jusqu'à preuve contraire est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l'absence de réplique de l'employeur-intimé.

 

           Comme pour corroborer la réticence de la plaignante, l'on peut signaler de quelle façon celle-ci a corrigé l'ébauche de formulaire de plainte qui lui a été envoyée le 10 août 1989. La plaignante l'a renvoyée à la CCDP le 15 janvier 1990, en étant bien au courant du délai de prescription d'un an mentionné à l'alinéa 41e) de la LCDP. Il ressort de la pièce R-6 (dossier de la requérante, vol. III, p. 684) que selon cette ébauche, la plaignante avait confié à Mme Stambuck que [TRADUCTION] « bien que je n'aie jamais consommé d'alcool pendant les heures de travail », j'éprouvais quand même, « du fait de ma consommation d'alcool », des difficultés d'ordre fonctionnel au travail. La plaignante a rayé les mots se trouvant entre guillemets. Il en va de même de l'allégation selon laquelle elle avait [TRADUCTION] « communiqué avec [son] employeur pour demander pourquoi [elle] avait été congédiée ». Le formulaire de plainte de la plaignante, sur la foi duquel a été instituée la présente affaire (pièce HR-1, vol. III, p. 639) n'a pas été signé avant le 27 février 1990, et la SRC n'en a pas été avisé avant le 5 avril 1990 (dossier de la requérante, vol. I, p. 166; vol. III, p. 673 [chronologie]), (Pièce HR-1).

 

           C'est la plaignante elle-même qui a fait état de sa réticence, parce que, comme elle l'a déclaré, elle avait honte de sa consommation abusive d'alcool et elle ne voulait pas informer - et n'a pas informé - qui que ce soit à la SRC des deux fins de semaine où elle avait pris de l'alcool. La SRC n'a rien su des occasions où la plaigante avait consommé de l'alcool et de son alcoolisme (à l'exception d'une allusion à une « consommation abusive ») entre le dernier jour de travail de la plaignante, soit le 29 août 1988, et le 5 avril 1990, date de réception de sa plainte relative aux droits de la personne. (Dossier de la requérante, vol. I, p. 190 et 191; 206 à 209; et vol. III, p. 673.)

 

           La réticence de la plaignante à l'égard de la divulgation de son alcoolodépendance, le fait qu'elle ait laissé son employeur dans l'ignorance à ce sujet, et son manque de tout sentiment d'urgence à propos de la signature d'une plainte jusqu'au 27 février 1990, sont des facteurs qui ont tous rapport avec le fait qu'elle ne se soit pas acquittée du fardeau de la preuve concernant sa présumée déficience. La piètre excuse donnée par la plaignante - une personne instruite, sachant bien s'exprimer et d'une intelligence supérieure à la moyenne - pour n'avoir pas manifesté un sentiment d'urgence, même si elle était au courant - et une fonctionnaire de la Commission, Mme Virginia Menzie, le lui avait dit, depuis le 20 juillet 1989 au moins - de [TRADUCTION] « l'échéance de septembre 1989 dans son cas », ainsi que le révèle la pièce R-3 datée du 23 août 1989 (dossier de la requérante, vol. III, p. 680), est, sinon simplement un signe d'indifférence de sa part, alors incroyable.

 

           Dans les interrogatoires oraux qu'ont menés les avocats de la Commission et de la SRC, cités plus tôt, la plaignante a déclaré qu'elle avait reçu une ébauche de formulaire de plainte, la pièce R-6, au début d'août 1989, mais qu'elle avait refusé de la signer, parce qu'il était nécessaire de la modifier. Au lieu de renvoyer sans délai ce document à la CCDP, la plaignante a attendu jusqu'au 20 janvier 1990 environ. Pourquoi? Parce que, a-t-elle dit, elle avait quelques questions à poser en août 1989, mais quelqu'un (qui?) lui avait dit (quand?) qu'elle devait continuer de faire affaire avec le même fonctionnaire de la CCDP (elle n'a jamais dit qu'il s'agissait de Mme Virginia Menzie, ou de quelqu'un d'autre), mais ce fonctionnaire était paraît-il en congé jusqu'à janvier 1990. Pourquoi la plaignante, cette personne instruite, sachant bien s'exprimer et d'une intelligence supérieure à la moyenne, n'a-t-elle pas déclaré à son conseiller anonyme, comme elle le savait fort bien, qu'il y avait [TRADUCTION] « l'échéance de septembre 1989 dans son cas »? Et bien, la plaignante n'a pas voulu signer cette ébauche de plainte inexacte parce qu'il était allégué dans celle-ci qu'elle avait mis au courant la SRC de son alcoolodépendance, ce qui n'était pas vrai.

 

     Il ne semble pas plausible que la plaignante croyait que son premier contact avec la Commission, au téléphone et par la poste, ait institué sa plainte contre la SRC sans un formulaire de plainte signé. Si tel était le cas, pourquoi diable Mme Virginia Menzie aurait-elle été pointilleuse au point d'écrire dans la note du 23 août 1989 que, [TRADUCTION] « [l]orsqu'elle [la plaignante] m'a contactée la première fois le 20 juillet 1989, elle a indiqué qu'elle était au courant de l'échéance de septembre 1989 dans son cas? ». Cela n'a aucun sens. Là aussi, la plaignante a encore attendu plus d'un mois, du 20 janvier au 27 février 1990, avant de daigner signer la seule et unique plainte en l'espèce, dans laquelle, pour la première fois, elle révélait officiellement son allégation d'une déficience liée à l'alcool. La SRC ne l'a appris qu'en avril 1990.

 

           Dans ces circonstances, s'il a conclu qu'en ayant dissimulé à la SRC sa présumée déficience, la plaignante a négligé de s'acquitter du « fardeau de la preuve concernant la déficience », ainsi qu'il est dit à l'alinéa 3a) de l'avis introductif d'instance, le tribunal ne semble pas avoir appliqué erronément un critère juridique quelconque. Voici ce qu'a écrit, en partie, le tribunal :

 

                Selon moi, l'intimée a mis fin à l'emploi de la plaignante en raison de l'incapacité où cette dernière se trouvait de suivre avec assiduité le programme de formation, et parce qu'il lui aurait été impossible de terminer ce programme avant l'expiration de la convention de services. J'estime qu'il n'a pas été établi en preuve que le licenciement de la plaignante découlait d'une déficience liée à l'alcoolodépendance.

 

                                                      (dossier de la requérante, vol. I, p. 44)

 

Dans ces conclusions, le tribunal avait bien raison, et l'allégation que formule la Commission à l'alinéa 3a) de son avis de requête est rejetée.

 

           Le texte de l'alinéa 3b) de l'avis de requête introductif d'instance est rédigé comme suit :

 

 

3.  Le tribunal a commis une erreur de droit :

 

b)  dans son interprétation de l'article 25 de la LCDP.

 

La disposition particulière de la Loi à laquelle il est fait référence doit être la suivante :

 

25. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

« déficience » Déficience physique ou mentale qu'elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l'alcool ou la drogue.

 

Le tribunal a accepté et fait sienne la définition du mot « dependence » que donne le Dorland's Illustrated Medical Dictionary, 26e édition, à la page 359 :

 

[TRADUCTION]

 

état psychophysique d'une personne toxicomane caractérisé par le besoin de prendre la dose habituelle ou des doses croissantes de la substance toxicomanogène afin de prévenir l'apparition de symptômes de sevrage.

 

           En plus de reconnaître que l'assiduité généralement régulière des stagiaires au travail était une exigence professionnelle justifiée (EPJ) du programme auquel prenait part la plaignante, l'avocate de la CCDP a plaidé devant le tribunal que la plainte était fondée sur un cas de discrimination par suite d'un effet préjudiciable. D'après le juge McIntyre, dans l'arrêt CODP et O'Malley c. Simpsons-Sears, cité plus tôt, à la p. 551 du recueil, ce genre de discrimination se produit lorsque, pour des raisons d'affaires véritables, une règle ou une norme qui est neutre à première vue et qui s'applique également à tous les employés, a un effet discriminatoire pour un motif prohibé sur un seul employé ou un groupe d'employés en ce qu'elle leur impose, en raison d'une caractéristique spéciale de cet employé ou de ce groupe d'employés, certaines obligations ou peines non imposées aux autres employés. En l'espèce, pour éviter l'obligation d'assiduité régulière, la CCDP a fait valoir que cette dernière avait un effet discriminatoire sur la plaignante parce que celle-ci n'était pas en mesure de se présenter régulièrement au travail en raison d'une présumée alcoolodépendance. Par conséquent, a-t-il été allégué, la SRC se trouvait dans l'obligation de trouver un moyen de composer d'une certaine façon avec la déficience que dissimulait la plaignante. Il est certain que la règle de l'assiduité régulière quasi parfaite dans le cadre d'un programme de formation relativement court, mais intensif, n'exerce pas de discrimination à première vue, et il est donc possible de concilier les motifs donnés par madame le juge Wilson, au nom de la majorité de la Cour suprême, dans l'arrêt Alta HRC c. Central Alberta Dairy Pool, [1990] 2 R.C.S. 489, avec ceux du juge Sopinka, s'exprimant au nom de la minorité de la Cour, dans des circonstances telles que les présentes. À l'évidence, l'aveu de l'avocate de la CCDP au sujet de la présence simultanée, en l'espèce, d'une EPJ et d'une obligation d'accommodement aurait anéanti sa cause au vu de la décision rendue par la Cour suprême dans l'affaire Bhinder c. CNR Co., [1985] 2 R.C.S. 561, citée en partie dans l'arrêt Alta HRC susmentionné. Le juge McIntyre a déclaré ce qui suit dans l'arrêt Bhinder (p. 590 du recueil) :

 

Selon sa formulation dans la Loi canadienne sur les droits de la personne, le moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle [justifiée], lorsqu'il est établi, exclut toute obligation d'accommodement.

 

           Le tribunal, sous la plume du doyen Lyman Robinson, C.R., a écrit ceci :

 

                En ce qui concerne la « dépendance passée » envers l'alcool, l'article 25 signifie, selon l'interprétation que j'en fais, que si la plainte est fondée sur une « dépendance passée envers l'alcool ou la drogue », la plaignante doit prouver que subsiste une certaine déficience liée à cette dépendance passée et que celle-ci s'est manifestée entre le moment où la plaignante a commencé à participer au programme et celui où elle a été licenciée en raison de la dépendance passée.

 

                                                                         ***     ***     ***

 

Ces éléments constituent à tout le moins une preuve prima facie de la dépendance passée de la plaignante envers l'alcool. L'intimée n'a pas sérieusement contesté le témoignage de la plaignante sur cette question et j'incline à conclure qu'avant d'être admise au programme de formation, la plaignante avait souffert d'alcoolodépendance.

 

                La dépendance passée de la plaignante envers l'alcool a été établie, mais les éléments de preuve susceptibles d'étayer la conclusion selon laquelle la plaignante continuait à présenter une déficience liée à cette dépendance pendant la période allant du moment où elle a commencé à suivre le programme de formation jusqu'à celui où elle a été licenciée, sont rares voire inexistants. La plaignante a affirmé, dans son témoignage, qu'elle avait cessé de prendre de l'alcool un certain temps avant son opération, au mois d'avril 1988 et n'avait rien bu jusqu'à la fin de semaine précédant le 18 juillet 1988, et qu'elle n'avait consommé de l'alcool qu'une autre fois pendant sa participation au programme de formation. Rien dans la preuve n'indique que sa dépendance passée envers l'alcool ait amoindri sa capacité d'exécuter les tâches qu'elle devait accomplir dans le cadre du programme de formation. J'estime donc que la preuve existante ne permet pas de conclure que la plaignante avait, pendant la période visée par la présente plainte, une déficience découlant d'une dépendance passée envers l'alcool.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 46 et 47)

 

           Cela s'accorde avec la définition législative selon laquelle une alcoolodépendance passée est une déficience. Il était interdit à la SRC, comme à d'autres, d'exercer contre quiconque de la discrimination en matière d'emploi pour cause de déficience (à moins qu'une EPJ soit établie). C'est donc dire qu'étant donné qu'une alcoolodépendance passée est une déficience, un employeur ne peut légalement refuser d'embaucher quelqu'un ou de retenir les services de quelqu'un qui a souffert dans le passé d'une alcoolodépendance. En l'espèce, évidemment, la plaignante n'a jamais mis la SRC au courant de sa déficience, c'est-à-dire de son alcoolodépendance passée. Par conséquent, en faisant valoir son EPJ reconnue, la SRC n'exerçait pas, n'aurait pu exercer de la discrimination à l'endroit de la plaignante.

 

           Si la plaignante a dissimulé son alcoolodépendance passée, elle a réussi en même temps à faire de même avec sa présumée alcoolodépendance présente, comme la preuve en fait amplement foi. Au dire du tribunal :

 

                Lorsqu'elle a témoigné devant le Tribunal, la plaignante a déclaré qu'elle n'avait pris de l'alcool qu'à deux occasions pendant sa participation au programme de formation. Elle avait bu une première fois pendant la fin de semaine précédant le 18 juillet 1988 et elle avait dû, à cause de cela, s'absenter du programme les 18 et 19 juillet. Elle a déclaré à l'intimée qu'elle avait été malade, mais n'a fait aucune mention de sa consommation d'alcool. À la question de l'avocate de la Commission lui demandant pourquoi elle n'avait pas expliqué à l'intimée que c'est parce qu'elle avait trop bu qu'elle devait s'absenter, la plaignante a répondu (à la p. 69 de la transcription) :

 

[TRADUCTION]

R.J'avais extrêmement honte; je n'avais jamais pensé que je pourrais retomber dans l'alcoolisme et qu'il -- Je voulais tellement réussir dans cet emploi. Je pense que j'avais trop honte, tout simplement. Je me suis dit que j'irais à des réunions, que je retrouverais l'appui dont j'avais besoin et que je réglerais le problème, et qu'il n'était donc pas nécessaire de leur en parler.

 

                                                      (dossier de la requérante, vol. I, p. 47)

 

                                                                         ***     ***     ***

 

                La seconde fois qu'elle a consommé de l'alcool, c'était le samedi 27 août 1988. Le lundi suivant, soit le 29 août 1988, elle informait Mme Stambuck qu'elle avait des problèmes. Elle a expliqué à cette dernière qu'elle avait eu une [TRADUCTION] « violente dispute avec son ami », mais n'a rien dit qui puisse laisser entendre qu'elle souffrait d'une dépendance ou qu'elle avait un problème d'alcool.

 

                La plaignante n'a jamais informé ses superviseurs à la SRC qu'elle était alcoolodépendante.

 

                                                      (dossier de la requérante, vol. I, p. 48)

 

La suppression des références à la consommation d'alcool dans la plainte signée de la plaignante, la pièce HR-1, par opposition à l'ébauche de plainte datée d'août 1989, pièce R-6, a déjà été signalée plus tôt dans les présents motifs. Le texte modifié ne fait état d'aucune difficulté au travail qui soit attribuable à la consommation d'alcool.

 

           Le tribunal a tiré les conclusions suivantes :

 

                La preuve ne démontre pas que la plaignante avait « besoin » de prendre « la dose habituelle ou des doses croissantes » d'alcool « afin de prévenir l'apparition de symptômes de sevrage », au sens où ces mots sont employés dans la définition du mot « dependence (dépendance) » énoncée dans le Dorland's Illustrated Medical Dictionary.

 

 

* * * Le tribunal estime que la preuve présentée n'est pas suffisante pour étayer la conclusion voulant que la plaignante ait eu, pendant la période visée par la plainte, une déficience découlant d'une dépendance présente ou passée envers l'alcool.

 

                Il découle de cette conclusion qu'il n'y a pas eu de discrimination par suite d'un effet préjudiciable.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 49 et 50)

 

           Aucun des arguments de la Commission ne montre à la Cour, ou ne convainc cette dernière, qu'il n'existe une lacune ou autre illégalité ou erreur quelconque dans l'interprétation qu'a faite le tribunal de l'article 25 de la LCDP. En conséquence, la demande de la Commission en vue d'obtenir un recours, sur la foi de l'alinéa 3b) de son avis de requête introductif d'instance, est rejetée.

 

           Ces motifs sont devenus trop volumineux. Il suffit d'indiquer qu'après avoir longuement parcouru les documents écrits (y compris les notes sténographiques de l'audience de la Cour en l'espèce) et après réflexion, la Cour conclut que le tribunal n'a pas fait un seul faux pas, en dépit des allégations et des arguments de la Commission au sujet de l'alinéa 3c), qui porte sur l'obligation d'accommodement alléguée, et l'alinéa d), qui a trait à l'interprétation de l'article 16 de la LCDP. La demande de la Commission en vue d'obtenir des recours fondés sur ces alinéas est rejetée.

 

ALLÉGATIONS DE CONCLUSIONS DE FAITS ERRONÉES

           Au paragraphe 4 de son avis de requête introductif d'instance, la CCDP requérante allègue que les conclusions de faits erronées qui suivent ont été tirées sans tenir compte de la preuve soumise au tribunal :

 

4.i)que [la plaignante] ne souffrait pas d'une dépendance envers l'alcool au sens de l'article 25 de la LCDP;

 

Il est certain qu'après avoir conclu avec raison que la plaignante ne s'était pas acquittée du fardeau de prouver l'existence d'une telle dépendance (à l'exception d'une preuve à première vue d'une dépendance passée), le tribunal ne peut être pris en défaut à cet égard. Compte tenu de la conclusion qu'a tirée plus tôt la Cour au sujet de la conclusion exacte du tribunal concernant le fardeau de la preuve, ce motif ne justifie aucunement l'octroi d'un recours au stade du contrôle judiciaire. En conséquence, dans la mesure où elle repose sur ce motif, la demande est rejetée.

 

           La deuxième allégation de conclusion de fait erronée est la suivante :

 

 

4. ii)        que [la SRC] s'était acquittée de l'obligation d'accommodement jusqu'au point de subir une contrainte excessive.

 

Le tribunal a tiré cette conclusion à titre conditionnel seulement, au cas où la conclusion antérieure d'absence de discrimination par suite d'un effet préjudiciable était annulée à l'occasion d'un contrôle judiciaire ou en appel. Le tribunal a cité une fois de plus les propos du juge McIntyre dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, précité, à la p. 555 du recueil cette fois-ci :

 

                Si on accepte la thèse selon laquelle une obligation d'accommodement incombe à l'employeur, il devient nécessaire de la délimiter de façon réaliste. L'obligation dans le cas de la discrimination par suite d'un effet préjudiciable [...] consiste à prendre des mesures raisonnables pour s'entendre avec le plaignant, à mois que cela ne cause une contrainte excessive : en d'autres mots, il s'agit de prendre les mesures qui peuvent être raisonnables pour s'entendre sans que cela n'entrave indûment l'exploitation de l'entreprise de l'employeur et ne lui impose des frais excessifs.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 50 et 51)

 

           En analysant les divers aspects de la contrainte excessive, le tribunal a cité des passages de l'arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, aux pages 984 et 985, ainsi que 988 du recueil, de même que de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 521. Le tribunal, à la p. 52 du dossier de la requérante, a analysé l'obligation dans laquelle se trouvait la plaignante de faciliter la prise de mesures d'accommodement, et, à la p. 53 du volume I, il a examiné quelles mesures de la SRC pouvaient être considérées comme l'acquittement d'une obligation d'accommodement quelconque, de même que cinq propositions de la part de l'avocate de la Commission sur la façon dont la SRC aurait pu composer avec la plaignante, en exposant la preuve et/ou la réponse applicable à chacune d'elles. Le tribunal a décrété aussi :

 

                La seule mesure d'accommodement que l'intimée a prise après avoir appris l'admission de la plaignante à Pine Lodge a été l'invitation à l'appeler quand le traitement serait terminé, formulée par Mme Stambuck dans la lettre de licenciement, ainsi que le souhait exprimé par celle-ci de voir la plaignante. Il se peut que M. Smith et Mme Coates aient tous deux eu l'intention d'encourager la plaignante à représenter sa candidature à des programmes de formation similaires, mais cela n'a pas été exprimé explicitement dans la lettre de licenciement. La lettre n'explique pas non plus les raisons motivant le licenciement.

 

                                                      (dossier de la requérante, vol. I, p. 53)

 

Les points qui précèdent sont tous bien exacts, logiquement et en droit.

 

           Après avoir examiné les cinq propositions de la Commission, le tribunal a exposé correctement la preuve et la réponse qui se rapportaient à chacune. Ces énoncés sont tous exacts et concluants. Ensuite, à la p. 56 du vol. I, il a écrit ce qui suit :

 

                Aucune des propositions avancées par l'avocate de la Commission ne peut, selon moi, être considérée comme une « mesure raisonnable » que l'intimée aurait été tenue de prendre pour remplir son obligation d'accommodement.

 

           On trouve également une conclusion importante, bien raisonnée, à la p. 57, vol. I :

 

                Dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, le juge Wilson mentionne également le coût financier comme un facteur de contrainte excessive pouvant être pris en considération pour déterminer si un intimé a rempli son obligation d'accommodement. Il a été soutenu, au nom de la plaignante, que l'intimée, qui est une importante société d'État, disposait de ressources personnelles pour permettre à la plaignante de poursuivre le programme de formation, même si le gouvernement de la Saskatchewan ne lui octroyait pas de fonds en application de la convention de services. Dans son témoignage, toutefois, M. Smith a indiqué que, pendant cette période, l'intimée avait vu son budget se réduire considérablement et avait dû, en conséquence, mettre à pied des employés réguliers à temps plein. Je suis d'avis qu'en exigeant de l'intimée qu'elle puise dans ses propres fonds pour répondre aux besoins de la plaignante de la façon proposée, on lui aurait imposé, ainsi qu'à ses employés réguliers, une contrainte excessive.

 

           Le tribunal (toujours à la p. 57, du vol. I), a conclu que la plaignante ne s'était pas acquittée de son obligation de faciliter la prise de mesures d'accommodement (si cela s'était avéré nécessaire). Voici ce qu'on peut lire dans la décision écrite :

 

* * *  Après avoir quitté le bureau de Mme Stambuck, le 29 août 1988, la plaignante n'a jamais tenté de communiquer avec M. Smith, ni avec Mme Stambuck ou avec quelconque de ses superviseurs à la SRC pour leur faire savoir où elle se trouvait ou pour s'informer des possibilités de réintégrer le programme de formation. Elle n'a pas pris contact non plus avec Mme Coates ou avec une personne travaillant au Native Career Development Program pour leur donner ses coordonnées après le 29 août 1988. La plaignante a témoigné que la réception de la lettre de licenciement l'avait plongée dans la stupeur. Une personne qui recevrait sans s'y attendre une lettre de licenciement appellerait certainement son employeur pour lui demander des explications. La lettre invitait expressément la plaignante à appeler Mme Stambuck lorsque son traitement serait terminé, mais la plaignante ne l'a pas fait. Dans ces circonstances, l'intimée ne savait pas si la plaignante était même intéressée à réintégrer le programme.

 

                Il ne fait pas de doute que l'obligation d'accommodement d'un employeur ne peut s'accomplir sans que l'employé ne répondre à l'invitation qui lui est faite de rencontrer l'employeur et sans qu'il n'exprime un intérêt minimal à réintégrer le programme si des mesures d'accommodement sont prises.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 57 et 58)

 

           Enfin, le tribunal a de nouveau bien raison lorsqu'il arrive aux conclusions suivantes :

 

                Si j'avais conclu à l'existence de discrimination par suite d'un effet préjudiciable et d'une obligation résultante d'accommodement, j'aurais jugé que l'intimée a satisfait à cette obligation. La lettre de licenciement envoyée à la plaignante invitait cette dernière à communiquer avec l'intimée après son traitement. La plaignante n'a jamais répondu à cette invitation et n'a jamais manifesté à l'intimée le moindre intérêt à réintégrer le programme de formation. L'emploi des fonds alloués au programme était assujetti à des conditions restreignant les objets auxquels les fonds pouvaient servir et la période pendant laquelle ils étaient disponibles, et c'aurait été soumettre l'intimée et son personnel régulier à des contraintes excessives que de lui demander de financer sur ses propres deniers des mesures d'accommodement prises en relation avec un programme de formation prévoyant que le gouvernement de la Saskatchewan assumait le versement des salaires des stagiaires.

 

                                                 (dossier de la requérante, vol. I, p. 58 et 59)

 

           Aucune conclusion de fait erronée n'a été tirée, comme le soutenait la CCDP. Par conséquent, dans la mesure où elle est fondée sur l'alinéa 4.ii), la demande  est rejetée.

 

AUCUNE INDEMNISATION

           Il ressortait clairement de la preuve et des arguments que le redressement que sollicitait la plaignante par l'entremise de la CCDP était une somme d'argent. La note de service jointe au dossier, la pièce R-5 (dossier de la requérante, vol. III, p. 683), écrite par Mme Anita Thompson, une agente des droits de la personne, indique que cette dernière a téléphoné à M. Claude Mason, de la SRC, le 7 février 1992 pour lui dire, pour le compte de la plaignante, que celle-ci [TRADUCTION] « serait disposée à accepter un montant de 5 000 $ et que la SRC paie l'élément impôt, après quoi elle retirerait sa plainte ». Le tribunal a fait état d'autres demandes pécuniaires (dossier de la requérante, vol. I, p. 60 et 61). La SRC qui, même à cette époque, était aux prises avec des difficultés financières, ne pouvait se faire rembourser par le gouvernement de la Saskatchewan, et n'a pas présenté assez de preuves au tribunal, ou à la présente Cour, que le paiement de 5 000 $ ou plus aurait constitué une contrainte (notes sténographiques : p. 163 à 166). Le tribunal a conclu à l'existence d'une contrainte excessive. Toutefois, la Cour conclut que la suggestion de l'avocate de la CCDP, savoir que la plaignante se serait contentée du simple fait d'être maintenue sur la liste nominative des employés de la SRC, sans rémunération, n'a jamais été avancée sérieusement pour le compte de la plaignante, à quelque moment que ce soit durant la période en cause. Il s'agissait simplement d'une pure invention récente, ou d'une inspiration de la part de l'avocate de la Commission. L'avocate de la SRC a traité de manière efficace de cette question, entre autres aspects de l'affaire, ainsi qu'il est relaté aux pages 167 à 169 des notes sténographiques de l'audience de la Cour.

 

           La Cour a le sentiment général que le tribunal a réparé correctement et légalement la façon mesquine dont la CCDP et la plaignante ont traité la SRC dans cette affaire.

 

           En résumé, la demande de la Commission canadienne des droits de la personne en vue de faire annuler la décision du tribunal des droits de la personne (dossier no D.T. 14/94), communiquée et publiée le 15 septembre 1994, telle que présentée dans l'avis de requête introductif d'instance de la Commission daté et déposé le 14 octobre 1994, est rejetée, de même que la


demande de cette dernière en vue d'obtenir une ordonnance de renvoi consécutive.

 

 

                                               F.C. Muldoon        

                                           Juge

 

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 1996

 

 

 

Traduction certifiée conforme :                        

 

  François Blais, LL.L.


                       COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

 

              AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

No DU GREFFE :T-2503-94

 

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE - et - SOCIÉTÉ RADIO-CANADA ET AUTRE

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :OTTAWA (ONTARIO)

 

 

 

DATE DE L'AUDIENCE :15 JANVIER 1996

 

 

MOTIFS DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE MULDOON

 

 

EN DATE DU :4 OCTOBRE 1996

 

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

Me RENÉ DUVAL              POUR LA REQUÉRANTE

 

 

Me ROY HEENANPOUR L'INTIMÉE

 

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS

DE LA PERSONNE             POUR LA REQUÉRANTE

OTTAWA (ONTARIO)

 

 

HEENAN BLAIKIE

MONTRÉAL (QUÉBEC)POUR L'INTIMÉE

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