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Recueil des arrêts de la Cour fédérale
Johns Manville International, Inc. c. Sous-ministre M.R.N., Douanes et accise (1re inst.) [1999] 3 C.F. 95

     Date : 19990318

     Dossier : T-2688-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de

     la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (modifiée)

ENTRE :

     JOHNS MANVILLE INTERNATIONAL, INC.,

     demanderesse,

     - et -

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE EVANS

A.      INTRODUCTION

[1]      Par voie de demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 [modifiée], Johns Manville International Inc. (la demanderesse) demande le contrôle judiciaire de la décision en date du 2 décembre 1997 par laquelle un fonctionnaire de Revenu Canada, M. St. Arnaud, a refusé de lui communiquer certains renseignements sur les droits antidumping imposés sur des marchandises qu'elle avait exportées au Canada.

[2]      La demanderesse affirme entre autres que ce refus viole l'obligation d'équité que le sous-ministre du Revenu national (le défendeur) a envers elle. La réparation demandée comprend le prononcé d'une ordonnance rendant obligatoire la communication de toutes les impositions pertinentes, d'une ordonnance annulant les impositions qui ont été faites sans la communication des renseignements auxquels la demanderesse a droit et d'une ordonnance prescrivant le remboursement des droits antidumping qui ont été payés à l'égard des marchandises visées par des impositions sans effet.

B.      GENÈSE DE L'INSTANCE ET VUE D'ENSEMBLE

[3]      La demanderesse fabrique aux États-Unis et exporte au Canada des panneaux isolants de polyiso dont l'utilisation est très répandue dans l'industrie de la construction pour l'isolation des toits et des murs. Le défendeur a mené une enquête après qu'un fabricant canadien eut déposé une plainte concernant le dumping au Canada de panneaux de polyiso fabriqués aux États-Unis. Dans une décision préliminaire en date du 12 décembre 1996, le défendeur a déclaré que des panneaux isolants de polyiso originaires des États-Unis avaient fait l'objet d'un dumping au Canada et qu'il existait des motifs raisonnables de croire que ce dumping causait un dommage à l'industrie canadienne. Des droits provisoires ont été imposés en conformité avec le paragraphe 38(1) de la Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15 [modifiée] (LMSI).

[4]      Conformément à l'alinéa 41(1)a) de la LMSI, le sous-ministre a rendu une décision définitive de dumping de panneaux isolants de polyiso en mars 1997. L'affaire a été renvoyée au Tribunal canadien du commerce extérieur (le TCCE) pour qu'il décide si ce dumping causait ou menaçait de causer un dommage à la production au Canada de marchandises similaires. Dans une décision rendue publique le 28 avril 1997, le TCCE a conclu que le dumping de panneaux de polyiso avait causé un dommage important aux producteurs canadiens de marchandises similaires, sauf en Colombie-Britannique.

[5]      Lorsque le TCCE arrive à la conclusion qu'un dommage important a été causé, le défendeur est tenu par l'article 55 de la LMSI de faire déterminer par un fonctionnaire, dans les six mois suivant la date de la décision du TCCE, la " valeur normale " et le " prix à l'exportation " des marchandises en question afin de calculer les droits antidumping payables par les importateurs ou devant leur être restitués. En gros, des marchandises font l'objet d'un dumping lorsque la valeur de marchandises similaires sur le marché d'origine (la " valeur normale ") est supérieure au prix auquel les marchandises sont vendues à un importateur au Canada (le " prix à l'exportation "). Les exportateurs sont invités à fournir des renseignements dans des questionnaires que leur envoie le défendeur dans le but de calculer les droits antidumping payables par les importateurs ou, si les droits provisoires étaient trop élevés, devant leur être restitués.

[6]      Dans une lettre en date du 10 octobre 1997, le défendeur a avisé la demanderesse que le Ministère avait clos la reprise d'enquête sur la " valeur normale " et le " prix à l'exportation " des panneaux de polyiso prévue à l'article 55 de la LMSI. Il a avisé la demanderesse des " valeurs normales " attribuées aux panneaux de polyiso qu'elle avait exportés durant la période provisoire et après le 10 octobre 1997, et de la méthodologie utilisée à cette fin. La demanderesse a donc été avisée que des impositions avaient été faites, mais elle n'a pas été avisée du montant imposé à l'égard des centaines d'importations de panneaux provenant de ses quatre usines situées aux États-Unis. De plus, elle n'a pas obtenu les renseignements contenus dans le Relevé détaillé de réajustement (le RDR) et les feuilles de travail connexes, qui renferment les données à partir desquelles le défendeur fait ses calculs. La demanderesse n'a pas été informée du taux de change que le défendeur a utilisé pour convertir les prix exprimés en dollars américains en devise canadienne.

[7]      La demanderesse adopte le point de vue que si le défendeur ne l'avise pas des résultats des impositions et ne lui communique les renseignements à partir desquels les impositions sont faites, elle est, dans les faits, dans l'impossibilité d'exercer les droits que lui accorde la loi de demander une révision au défendeur en vertu du paragraphe 56(1.1) de la LMSI et de contester les impositions devant le TCCE ou, puisque les exportations proviennent des États-Unis, devant un groupe spécial bilatéral constitué en vertu de l'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). La demanderesse soutient donc qu'en refusant de communiquer les renseignements demandés, le défendeur a commis un manquement à l'obligation que lui impose l'équité.

[8]      La thèse du défendeur comporte deux éléments principaux. Premièrement, l'interdiction de communiquer les renseignements demandés par la demanderesse est prévue à l'article 107 de la Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. C-1 (2e suppl.) [modifiée], et ces renseignements ne relèvent pas des exceptions prévues à l'article 108 de la Loi. Deuxièmement, si la communication des renseignements n'est pas visée par l'interdiction prévue à l'article 107, le défendeur n'est pas tenu par l'équité de communiquer ces renseignements parce que la demanderesse est en mesure d'obtenir tous les renseignements dont elle a besoin pour contester une imposition en s'adressant aux importateurs de ses marchandises, lesquels sont redevables des droits antidumping imposés sur les marchandises importées.

C.      LE CADRE LÉGISLATIF

[9]      Loi sur les douanes, L.R.C. (1985), ch. C-1 (2e suppl.) [modifiée]

107. (1) Except as authorized by section 108, no official or authorized person shall

(a) knowingly communicate or knowingly allow to be communicated to any person any information obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act or the Customs Tariff or by an authorized person for the purpose of carrying out an agreement made under subsection 147.1(3)

107. (1) Sauf dans les cas prévus à l'article 108, il est interdit aux fonctionnaires et aux personnes autorisées :

a) de communiquer ou laisser communiquer sciemment à quiconque des renseignements obtenus soit par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes, soit par une personne autorisée en vue de la mise en oeuvre d'un accord conclu en vertu du paragraphe 147.1(3);


108. (1) An officer may communicate or allow to be communicated information obtained under this Act or the Customs Tariff, or allow inspection of or access to any book, record, writing or other document obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act or the Customs Tariff, to or by

...

(c) any person otherwise legally entitled thereto.

108. (3) An officer may show any book, record, writing or other document obtained for the purposes of this Act or the Customs Tariff, or permit a copy thereof to be given, to the person by or on behalf of whom the book, record, writing or other document was provided, or to any person authorized to transact business under this Act or the Customs Tariff as that person's agent, at the request of any such person and on receipt of such fee, if any, as is prescribed.

108. (1) L'agent peut communiquer ou laisser communiquer des renseignements obtenus en vertu de la présente loi ou du Tarif des douanes aux personnes suivantes, ou laisser celles-ci examiner les livres, dossiers, écrits ou autres documents obtenus par le ministre ou en son nom pour l'application de ces lois, ou y avoir accès :

[...]

c) les personnes ayant, d'une façon générale, légalement qualité à cet égard.

108. (3) L'agent peut présenter tout livre, dossier, écrit ou autre document obtenu pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes, ou permettre d'en donner copie, soit à la personne par qui ou au nom de qui le document a été fourni, soit au mandataire autorisé par elle à accomplir les opérations visées par ces lois, à condition que l'intéressé en fasse la demande et acquitte les frais éventuellement fixés par règlement.

     Loi sur les mesures spéciales d'importation, L.R.C. (1985), ch. S-15 [modifiée]

55. (1) Where the Deputy Minister

(a) has made a final determination of dumping or subsidizing under subsection 41(1) with respect to any goods, and

(b) has, where applicable, received from the Tribunal an order or finding described in any of sections 4 to 6 with respect to the goods to which the final determination applies,

the Deputy Minister shall cause a designated officer to determine, not later than six months after the date of the order or finding,

(c) in respect of any goods referred to in subsection (2), whether the goods are in fact goods of the same description as goods described in the order or finding,

(d) the normal value and export price of or the amount of subsidy on the goods so released, and

(e) where section 6 or 10 applies in respect of the goods, the amount of the export subsidy on the goods.

55. (1) Après avoir :

a) rendu la décision définitive de dumping ou de subventionnement prévue au paragraphe 41(1);

b) reçu, le cas échéant, l'ordonnance ou les conclusions du Tribunal visées à l'un des articles 4 à 6 au sujet des marchandises objet de la décision définitive,

le sous-ministre fait déterminer par un agent désigné, dans les six mois suivant la date de l'ordonnance ou des conclusions :

c) la question de savoir si les marchandises visées au paragraphe (2) sont en fait de même description que celles désignées dans l'ordonnance ou les conclusions;

d) la valeur normale et le prix à l'exportation de ces marchandises ou le montant de subvention octroyée pour elles;

e) si les articles 6 ou 10 s'appliquent aux marchandises, le montant de la subvention à l'exportation octroyée pour elles.


56. (1) Where, subsequent to the making of an order or finding of the Tribunal or an order of the Governor in Council imposing a countervailing duty under section 7, any goods are imported into Canada, a determination by a customs officer

(a) as to whether the imported goods are goods of the same description as goods to which the order or finding of the Tribunal or the order of the Governor in Council applies,

(b) of the normal value of or the amount, if any, of the subsidy on any imported goods that are of the same description as goods to which the order or finding of the Tribunal or the order of the Governor in Council applies, and

(c) of the export price of or the amount, if any, of the export subsidy on any imported goods that are of the same description as goods to which the order or finding of the Tribunal applies,

made within thirty days after they were accounted for under subsection 32(1), (3) or (5) of the Customs Act is final and conclusive unless the importer, after having paid all duties owing on the imported goods, makes, within ninety days from the making of the determination, a written request in the prescribed form to a Dominion customs appraiser for a re-determination of that determination.

56. (1) Lorsque des marchandises sont importées après la date de l'ordonnance ou des conclusions du Tribunal ou celle du décret imposant des droits compensateurs, prévu à l'article 7, est définitive une décision rendue par un agent des douanes dans les trente jours après déclaration en détail des marchandises aux termes des paragraphes 32(1), (3) ou (5) de la Loi sur les douanes et qui détermine :

a) la question de savoir si les marchandises sont de même description que des marchandises auxquelles s'applique l'ordonnance ou les conclusions, ou le décret;

b) la valeur normale des marchandises de même description que des marchandises qui font l'objet de l'ordonnance ou des conclusions, ou du décret, ou le montant de l'éventuelle subvention qui est octroyée pour elles;

c) le prix à l'exportation des marchandises de même description que des marchandises qui font l'objet de l'ordonnance ou des conclusions ou le montant de l'éventuelle subvention à l'exportation, sauf si l'importateur, après avoir payé les droits exigibles sur ces marchandises, demande, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de cette décision, à un appréciateur fédéral des douanes, par écrit et en la forme prescrite par le sous-ministre, de réviser sa décision.


(1.01) Notwithstanding subsection (1),

(a) where a determination referred to in that subsection is made in respect of any goods, including goods of a NAFTA country, the importer of the goods may, within ninety days after the making of the determination, make a written request in the prescribed form and manner and accompanied by the prescribed information to a designated officer for a re-determination, if the importer has paid all duties owing on the goods; and

(b) where a determination referred to in that subsection is made in respect of goods of a NAFTA country, the government of that NAFTA country or, if they are of that NAFTA country, the producer, manufacturer or exporter of the goods may make a request as described in paragraph (a), whether or not the importer of the goods has paid all duties owing on the goods.

(1.01) Par dérogation au paragraphe (1), l'importateur de marchandises visées par la décision peut, après avoir payé les droits exigibles sur celles-ci et dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la décision, demander à un agent désigné, par écrit et selon les modalités de forme prescrites par le sous-ministre et les autres modalités réglementaires " relatives notamment aux renseignements à fournir ", de réviser celle-ci. Dans le cas de marchandises d'un pays ALÉNA, la demande peut être faite, sans égard à ce paiement, par le gouvernement du pays ALÉNA ou, s'ils sont du pays ALÉNA, le producteur, le fabricant ou l'exportateur des marchandises.


(1.1) Notwithstanding subsection (1),

(a) where a determination referred to in that subsection is made in respect of any goods, including goods of the United States, the importer of the goods may, within ninety days after the making of the determination, make a written request in the prescribed form and manner and accompanied by the prescribed information to a designated officer for a re-determination, if the importer has paid all duties owing on the goods; and

(b) where a determination referred to in that subsection is made in respect of goods of the United States, the United States government or the producer, manufacturer or exporter of the goods may make a request as described in paragraph (a), whether or not the importer of the goods has paid all duties owing on the goods.

(1.1) Par dérogation au paragraphe (1),l'importateur de marchandises visées par la décision peut, après avoir payé les droits exigibles sur celles-ci et dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de la décision, demander à un agent désigné, par écrit et selon les modalités de forme prescrites par le sous-ministre et les autres modalités réglementaires " relatives notamment aux renseignements à fournir ", de réviser celle-ci. Dans le cas de marchandises des États-Unis, la demande peut être faite, sans égard à ce paiement, par le gouvernement des États-Unis ou le producteur, le fabricant ou l'exportateur des marchandises.

D.      LES QUESTIONS EN LITIGE

[10]      Dans son mémoire et dans sa plaidoirie, l'avocat de la demanderesse, Me Kubrick, a contesté non seulement le refus du défendeur de fournir les renseignements sur lesquels les impositions reposaient, mais aussi le défaut du défendeur d'aviser la demanderesse que des décisions fondées sur l'article 55 avaient été rendues. L'avocate du défendeur, Me Turley, a soutenu que, puisque la décision à l'étude dans l'affaire qui nous occupe est le refus d'un fonctionnaire du défendeur, tel qu'il est exprimé dans la lettre en date du 2 décembre 1997, de communiquer le RDR et les feuilles de travail connexes, la Cour n'a pas compétence pour examiner la prétention de la demanderesse qu'elle n'a pas été avisée des décisions.

QUESTION 1 :      L'objet de la présente demande de contrôle judiciaire se limite-t-il au refus du défendeur de communiquer les renseignements demandés par la demanderesse, c'est-à-dire le RDR et les feuilles de travail connexes, ou s'il comprend le défaut du défendeur d'aviser la demanderesse que des décisions fondées sur l'article 55 avaient été rendues à l'égard de marchandises qu'elle avait exportées au Canada?

[11]      La question suivante se rapporte à l'applicabilité de l'article 107 de la Loi sur les douanes aux renseignements contenus dans le RDR.

QUESTION 2 :      Les renseignements demandés par la demanderesse sont-ils des " renseignements obtenus soit par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes " au sens de l'alinéa 107(1)a ) de la Loi sur les douanes, de sorte que leur communication est interdite?

[12]      Si la réponse à la deuxième question est favorable au défendeur, les questions suivantes consistent à savoir si les renseignements peuvent être communiqués en vertu de l'article 108 de la Loi sur les douanes et, dans l'affirmative, si le pouvoir discrétionnaire de communication prévu par la loi a été exercé légalement par M. St. Arnaud.

QUESTION 3 :      Les renseignements contenus dans le RDR qui provenaient initialement de la demanderesse ont-ils été " fournis par " la demanderesse pour l'application du paragraphe 108(3)?
QUESTION 4 :      La demanderesse avait-elle " légalement qualité " pour obtenir les renseignements contenus dans le RDR pour l'application du paragraphe 108(1)?
QUESTION 5 :      Si le défendeur avait le pouvoir discrétionnaire de communiquer à la demanderesse les renseignements qu'elle demandait, ce pouvoir a-t-il été exercé légalement par M. St. Arnaud au nom du défendeur?

[13]      Si la communication des renseignements n'est pas interdite par l'article 107 ou si les renseignements peuvent être communiqués en vertu de l'article 108 de la Loi sur les douanes, la dernière question est de savoir si l'obligation imposée par l'équité fait en sorte que le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 108 doit être exercé en faveur de la demanderesse.

QUESTION 6 :      Le refus du défendeur de fournir à la demanderesse des copies du RDR et des feuilles de travail a-t-il privé celle-ci de l'équité en matière de procédure en l'empêchant, dans les faits, d'exercer le droit que lui accorde la loi d'interjeter appel de la décision rendue par le défendeur en vertu de l'article 55?

E.      ANALYSE

Question 1

[14]      Me Turley a invoqué l'arrêt bien connu Tétreault-Gadoury c. Canada (Commission de l'emploi et de l'immigration), [1991] 2 R.C.S. 22, au soutien de la prétention que la Cour n'a pas compétence pour statuer sur des questions qui n'ont pas été soumises au décideur dont la décision est visée par la demande de contrôle judiciaire. Bien que cet arrêt et les autres affaires invoquées se rapportent à des décisions rendues par des tribunaux administratifs décisionnels, ils sont, à mon avis, également pertinents dans un contexte décisionnel dans lequel des décisions sont prises sans la tenue d'une audience par des fonctionnaires dont on ne saurait dire qu'ils exercent une compétence. Une demande de contrôle judiciaire est normalement une mesure de dernier recours, et l'intervention des tribunaux dans le fonctionnement de l'administration devrait se borner aux situations dans lesquelles la mesure administrative contestée est manifestement erronée en droit.

[15]      Par conséquent, je dois être convaincu que, selon une interprétation juste, la décision contenue dans la lettre en date du 2 décembre 1997 dont la demanderesse demande le contrôle dans le cas qui nous occupe ne constitue pas un refus par le défendeur d'aviser la demanderesse des impositions faites en vertu de l'article 55 à l'égard des marchandises qu'elle a exportées au Canada. Sinon, la question de savoir si le défendeur est tenu par la loi de le faire ne m'a pas été régulièrement soumise.

[16]      Me Turley a invoqué l'avant-dernier paragraphe de cette lettre au soutien de sa prétention. Dans ce paragraphe, M. St. Arnaud a écrit :

     [traduction] [...] sachez que le Ministère n'est pas disposé à fournir des copies, sous forme électronique ou sur support papier, des relevés détaillés de réajustement délivrés aux importateurs de Johns Manville concernant le produit de polyiso importé durant la période provisoire. Par conséquent, et comme nous vous en avons déjà avisé, si votre client désire présenter une demande de révision et a besoin d'un complément d'information à cette fin, il devrait communiquer directement avec l'importateur.         

[17]      Selon Me Turley, ce paragraphe n'exprime pas le refus du défendeur d'aviser la demanderesse d'une décision de dumping qu'il a rendue. De fait, ainsi que la lettre en date du 10 octobre 1997 le montre clairement, le défendeur a avisé la demanderesse que les enquêtes prévues à l'article 55 concernant les panneaux de polyiso importés étaient closes.

[18]      En revanche, Me Kubrick a soutenu au nom de la demanderesse que cette lettre devrait recevoir une interprétation plus large et être considérée comme un refus de communiquer non seulement le RDR, mais aussi les décisions proprement dites. En effet, M. St. Arnaud déclare dans le premier paragraphe de la lettre en date du 2 décembre 1997 qu'il répond à une lettre dans laquelle Me Kubrick affirme que la demanderesse [traduction] " s'est vu refuser l'accès aux résultats de l'examen effectué par le Ministère en vertu de l'article 55 relativement aux panneaux isolants de polyiso importés par des clients de Johns Manville durant la période provisoire [...] ". M. St. Arnaud ajoute qu'il a traité quelques-unes de ces questions dans une [traduction ] " lettre précédente ". Cette lettre serait également datée du 2 décembre 1997, ce qui semble être une erreur puisqu'il s'agit de la date de la lettre à l'étude dans la présente demande. Toutefois, dans la lettre visée par l'espèce, M. St. Arnaud propose de [traduction ] " réitérer la position du Ministère sur ces questions et de préciser d'autres points soulevés dans votre lettre ".

[19]      Cette lettre ne constitue pas un refus exprès d'aviser la demanderesse des décisions qui ont été rendues et, partant, je ne suis pas convaincu que la question de savoir si le défendeur doit toujours donner un avis est régulièrement soulevée dans la présente espèce. Toutefois, au cas où je ferais erreur sur cette question, et vu les arguments invoqués par les avocats à cet égard, je l'examinerai dans les présents motifs.

[20]      Comme c'est l'importateur, et non l'exportateur, qui est redevable des droits antidumping, il ne me paraît pas évident que l'équité oblige le défendeur à aviser automatiquement les exportateurs des résultats des enquêtes menées sous le régime de l'article 55. En l'espèce, la demanderesse a été avisée que les reprises d'enquête étaient closes, et si les importateurs de son produit ne l'ont pas informée promptement que des droits avaient été imposés, elle aurait pu se renseigner auprès d'eux.

[21]      Vu le mécanisme général mis en place par la législation et son mode de fonctionnement, on ne saurait inférer du droit qu'a la demanderesse, en tant qu'exportateur de marchandises qui ont fait l'objet d'un dumping au Canada, de demander la révision d'une imposition faite en vertu de l'article 55 qu'elle a automatiquement le droit d'être informée par le défendeur des résultats des impositions. Bien qu'ils ne soient pas toujours compatibles, les intérêts de l'exportateur et de ses clients, c'est-à-dire les importateurs, sont assez proches pour que, dans la plupart des cas, l'importateur avise l'exportateur ou l'exportateur demande lui-même à l'importateur quels droits ont été imposés sur des marchandises importées. Comme les droits antidumping sont payables par l'importateur, c'est lui qui interjette appel en temps normal.

[22]      L'avocat de la demanderesse a prétendu que ce n'était pas nécessairement suffisant pour permettre à l'exportateur d'exercer le droit que lui accorde la loi de demander la révision d'une imposition, parce que cette demande doit être présentée dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date de l'imposition (paragraphe 56(1.01) de la LMSI). À moins que le défendeur ne soit automatiquement tenu d'aviser les exportateurs d'une imposition, il se peut que ceux-ci n'en apprennent pas l'existence avant l'expiration du délai de prescription de quatre-vingt-dix jours.

[23]      En l'espèce, toutefois, le défendeur a informé la demanderesse que des droits avaient été imposés sur les panneaux de polyiso qu'elle avait exportés, mais il ne l'a pas avisée des résultats. La demanderesse a donc reçu un préavis suffisant pour être en mesure de demander à ses clients de lui fournir les renseignements dont elle avait besoin pour demander une révision.

[24]      L'avocate du défendeur a également appelé mon attention sur l'alinéa 59(1)e) de la LMSI, qui accorde au défendeur le pouvoir discrétionnaire étendu de réviser une décision rendue en vertu de l'article 56 dans les deux ans suivant la date de la décision rendue en vertu de l'article 55. La Cour qualifierait sans doute de déraisonnable le refus du défendeur d'exercer ce pouvoir discrétionnaire dans des circonstances où, malgré sa diligence, l'exportateur n'a pas été en mesure de découvrir dans le délai de quatre-vingt-dix jours qu'une imposition a été faite en vertu de l'article 55.

[25]      L'avocat de la demanderesse a également indiqué qu'il pourrait y avoir des circonstances dans lesquelles un exportateur ne serait pas avisé par un importateur des résultats d'une décision rendue en vertu de l'article 55, et pourrait même ignorer l'existence d'une imposition. Dans un cas pareil, il se peut que, si l'exportateur a demandé au défendeur si une décision a été rendue, le défendeur doive fournir à l'importateur les renseignements dont il a besoin pour exercer son droit d'appel, à condition, du moins, que la communication des renseignements ne soit pas interdite par la loi.

[26]      À mon avis, donc, le défendeur n'était pas automatiquement tenu par la loi d'informer la demanderesse du résultat des impositions faites en vertu de l'article 55. Par ailleurs, la demanderesse n'a pas prétendu qu'elle était incapable d'obtenir des importateurs des renseignements sur les droits antidumping imposés sur les panneaux de polyiso, encore qu'elle ait affirmé qu'elle ne pouvait pas toujours être absolument certaine de l'identité des clients visés par une imposition. Par conséquent, je ne pense pas que la question de savoir si la loi oblige le défendeur à fournir ces renseignements, et dans quelles circonstances, m'a été régulièrement soumise dans l'affaire qui nous occupe.

Question 2

[27]      Dans sa lettre en date du 2 décembre 1997, M. St. Arnaud refuse clairement de communiquer à la demanderesse le RDR dont elle avait besoin pour décider si une erreur avait été commise dans le calcul des droits antidumping imposés sur les marchandises qu'elle avait exportées, et ainsi décider s'il convenait de demander la révision de ces droits.

[28]      La thèse du défendeur est que l'article 107 de la Loi sur les douanes interdit la communication de ces renseignements. L'avocate du défendeur a invoqué la disposition suivante de la Loi sur les douanes :

107. (1) Except as authorized by section 108, no official or authorized person shall

(a) knowingly communicate or knowingly allow to be communicated to any person any information obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act or the Customs Tariff or by an authorized person for the purpose of carrying out an agreement made under subsection 147.1(3)

107. (1) Sauf dans les cas prévus à l'article 108, il est interdit aux fonctionnaires et aux personnes autorisées :

a) de communiquer ou laisser communiquer sciemment à quiconque des renseignements obtenus soit par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes, soit par une personne autorisée en vue de la mise en oeuvre d'un accord conclu en vertu du paragraphe 147.1(3);

Aux termes de l'article 160 de la Loi sur les douanes, commet une infraction toute personne qui communique ou laisse communiquer des renseignements en contravention du paragraphe 107(1).

[29]      L'avocat de la demanderesse a invoqué deux moyens au soutien de l'affirmation que les RDR n'étaient pas des " renseignements obtenus soit par le ministre ou en son nom pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes ". Premièrement, les RDR n'auraient pas été " obtenus par le ministre "; il s'agirait plutôt de documents établis par des fonctionnaires du défendeur.

[30]      Cependant, je souscris à l'affirmation de Me Turley selon laquelle il est suffisant, pour l'application de cette disposition, que les documents établis par le défendeur contiennent des renseignements fournis par un importateur ou provenant d'une autre source. Les remarques suivantes faites par le juge Décary dans l'arrêt Diversified Holdings Ltd. c. Canada, [1991] 1 C.F. 595, aux p. 598 et 599 (C.A.F.), sur le paragraphe 241(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.C. 1970-71-72, ch. 63 [modifiée], semblent trancher cette question :

     [...] ne peut être " obtenu " au sens du paragraphe 241(1) qu'un document qui est en la possession de quelqu'un d'autre que le ministre ou que ses collaborateurs, ou un document établi par le ministre ou ses collaborateurs à partir de renseignements confidentiels dont ils ont eu communication . (Non souligné dans l'original.)         

Les mots en italiques sembleraient s'appliquer précisément aux faits de l'espèce.

[31]      Le deuxième argument invoqué par l'avocat de la demanderesse est que les renseignements contenus dans le RDR ont été obtenus dans le but d'imposer des droits antidumping en vertu de la LMSI, et non en vertu de la Loi sur les douanes ou du Tarif des douanes ainsi que le prévoit l'alinéa 107(1)a) de la Loi sur les douanes. Bien que les renseignements contenus dans le RDR proviennent habituellement des formulaires de douane qui sont remplis lorsque des marchandises passent la frontière, ce fait pris isolément ne saurait modifier le but dans lequel le défendeur a obtenu ces renseignements.

[32]      En réponse à cet argument, Me Turley a déclaré que les importateurs avaient fournis ces renseignements au défendeur dans l'accomplissement de l'obligation que leur impose le paragraphe 32(1) de la Loi sur les douanes de faire une déclaration en détail des marchandises qu'ils introduisent au Canada. Le fait que ces renseignements ont par la suite été copiés sur d'autres formulaires pour l'application de la LMSI n'a pas modifié le but premier dans lequel ils ont été fournis au défendeur. Par conséquent, ces renseignements étaient visés par l'interdiction de communication prévue à l'alinéa 107(1)a).

[33]      À mon avis, l'argument du défendeur est fondé. L'alinéa 107(1)a) vise à faciliter l'application de la Loi sur les douanes en encourageant les importateurs à fournir des renseignements sur une base volontaire, forts de l'assurance que ces renseignements ne seront pas communiqués à un tiers, et vise à garantir l'équité aux personnes qui sont légalement tenues de fournir des renseignements confidentiels au gouvernement. Ces objectifs seraient sapés si ces renseignements cessaient d'être confidentiels du fait de leur transcription sur un formulaire utilisé pour l'application d'une loi autre la Loi sur les douanes.

[34]      Me Kubrick a également fait remarquer que, puisque la plupart des renseignements fournis par les importateurs et copiés sur le RDR provenaient de la demanderesse en tant qu'exportateur des marchandises, il ne semblait pas très utile d'en interdire la communication à la demanderesse.

[35]      Toutefois, même des renseignements fournis par la personne qui demande leur communication sont protégés par l'alinéa 107(1)a). C'est ce que révèle clairement le fait que de tels renseignements appartiennent à l'une des catégories de renseignements qui peuvent être communiqués à la discrétion d'un fonctionnaire du défendeur. Si ces renseignements n'étaient pas visés par l'alinéa 107(1)a), il n'aurait pas été nécessaire d'autoriser des fonctionnaires à les communiquer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que leur confère le paragraphe 108(3).

108. (3) An officer may show any book, record, writing or other document obtained for the purposes of this Act or the Customs Tariff, or permit a copy thereof to be given, to the person by or on behalf of whom the book, record, writing or other document was provided, or to any person authorized to transact business under this Act or the Customs Tariff as that person's agent, at the request of any such person and on receipt of such fee, if any, as is prescribed.

108. (3) L'agent peut présenter tout livre, dossier, écrit ou autre document obtenu pour l'application de la présente loi ou du Tarif des douanes, ou permettre d'en donner copie, soit à la personne par qui ou au nom de qui le document a été fourni, soit au mandataire autorisé par elle à accomplir les opérations visées par ces lois, à condition que l'intéressé en fasse la demande et acquitte les frais éventuellement fixés par règlement.

Question 3

[36]      Cette question concerne l'étendue du paragraphe 108(3). Elle consiste plus particulièrement à savoir si la demanderesse a " fourni " au défendeur les renseignements dont elle demande la communication, de sorte qu'elle a le droit d'exiger d'un fonctionnaire du défendeur qu'il examine l'opportunité de les lui communiquer dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par cette disposition.

[37]      Me Kubrick a prétendu que le verbe " fournir " devrait s'appliquer non seulement à la personne qui a fourni les renseignements au défendeur, mais aussi au tiers qui a fourni les renseignements à cette personne. En d'autres termes, les renseignements contenus dans le RDR ont été " fournis " à la fois par l'importateur et par la demanderesse en tant qu'exportateur des panneaux de polyiso visés par le RDR. Pour sa part, Me Turley a soutenu que le verbe " fournir " devrait recevoir une interprétation étroite et ne devrait s'appliquer qu'à l'importateur qui était tenu par la loi de fournir les renseignements au défendeur.

[38]      Le point de vue de la demanderesse semble plus convaincant : à quelle fin d'intérêt public le refus invariable de communiquer des renseignements à la personne qui les a initialement fournis permet-il d'arriver? Me Turley a répondu à cette question qu'obliger le défendeur à se renseigner sur la source de renseignements qui lui ont indubitablement été " fournis " par l'importateur compliquerait indûment la mise en application du système législatif. On pourrait ne pas toujours très bien savoir quels renseignements fournis par l'importateur émanaient de l'exportateur. Une diminution du degré de confidentialité garanti par l'article 107 aux importateurs en tant que personnes redevables des droits antidumping ne pourrait qu'accroître leur hésitation à fournir de bon gré les renseignements dont le défendeur a besoin pour s'acquitter efficacement de ses obligations d'origine législative.

[39]      Malgré les argument invoqués par Me Turley, il n'existe, selon moi, aucun motif valable de restreindre l'identité de la personne qui a " fourni " les renseignements au défendeur à la personne qui les lui a directement fournis. La justification qui permet de communiquer des renseignements à la personne qui a directement fournis ces renseignements au défendeur s'applique également au tiers qui a fourni ces mêmes renseignements à cette personne. Cette conclusion vient d'ailleurs renforcer le point de vue selon lequel l'alinéa 107(1)a ) s'applique à des renseignements provenant de la personne qui a demandé leur communication.

[40]      Comme le défendeur a adopté le point de vue que le paragraphe 108(3) ne l'obligeait pas à examiner la question de la communication à la demanderesse des renseignements contenus dans le RDR, aucun pouvoir discrétionnaire n'a été exercé à cet égard. J'examinerai les conséquences de cette conclusion plus loin dans les présents motifs.

Question 4

[41]      Les parties ont invoqué des moyens sur l'interprétation d'une autre exception à l'article 107 de la Loi sur les douanes qui est prévue à l'article 108.

108. (1) An officer may communicate or allow to be communicated information obtained under this Act or the Customs Tariff, or allow inspection of or access to any book, record, writing or other document obtained by or on behalf of the Minister for the purposes of this Act or the Customs Tariff, to or by

...

(c) any person otherwise legally entitled thereto.

108. (1) L'agent peut communiquer ou laisser communiquer des renseignements obtenus en vertu de la présente loi ou du Tarif des douanes aux personnes suivantes, ou laisser celles-ci examiner les livres, dossiers, écrits ou autres documents obtenus par le ministre ou en son nom pour l'application de ces lois, ou y avoir accès :

[...]

c) les personnes ayant, d'une façon générale, légalement qualité à cet égard.

[42]      Me Kubrick a soutenu que la demanderesse avait " légalement qualité " à l'égard des renseignements contenus dans le RDR en raison de l'obligation que l'équité impose au défendeur, à savoir communiquer à la demanderesse les renseignements dont elle a besoin pour être en mesure d'exercer les droits d'origine législative de révision et de réexamen de l'imposition faite en vertu de l'article 55.

[43]      Pour sa part, Me Turley a rappelé que les mots " les personnes ayant, d'une façon générale, légalement qualité à cet égard " sont également employés dans la Loi de l'impôt sur le revenu et ont été interprétés de manière restrictive par les tribunaux. Par conséquent, on pouvait, selon elle, valablement présumer que le législateur entendait que ces mots, tels qu'ils sont employés dans la Loi sur les douanes, aient le même sens que celui que les tribunaux leur ont attribué pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui vise également à protéger la confidentialité des renseignements que des personnes sont légalement tenues de fournir au gouvernement.

[44]      L'arrêt de principe sur l'interprétation des mots " ayant légalement qualité " employés dans la Loi de l'impôt sur le revenu est Glover c. Canada (Ministre du Revenu national) (1980), 29 O.R. (2d) 392 (C.A. Ont.), conf. par [1981] 2 R.C.S. 561. Dans cette affaire, il a été statué que ni une femme qui a reçu la garde de ses enfants ni un juge de la Cour suprême de l'Ontario n'avaient " légalement qualité " pour obtenir des renseignements en la possession de Revenu Canada qui leur auraient permis de trouver un père qui avait enlevé ses enfants en violation d'une ordonnance de garde.

[45]      Dans l'arrêt Glover, la Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que, envisagée dans le contexte des autres dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'expression " ayant légalement qualité " devrait recevoir une interprétation restrictive et ne se rapporter qu'aux dispositions de certaines lois, comme la Loi sur la statistique et le Régime de pensions du Canada, qui autorisent des ministères à obtenir les renseignements dont ils ont besoin pour appliquer les textes de loi dont ils sont responsables.

[46]      Toutefois, il convient également de faire remarquer que la demande de communication dans l'affaire Glover était différente de celle que la demanderesse a faite en l'espèce. De plus, la Loi de l'impôt sur le revenu contenait aussi une disposition qui interdisait expressément à Revenu Canada de communiquer, en vue de l'introduction d'une poursuite au civil, des renseignements fournis par des contribuables.

[47]      Malgré tout, je conclus que l'exception prévue à l'alinéa 108(1)c) de la Loi sur les douanes devrait recevoir une interprétation restrictive, comme dans l'affaire Glover, en raison des similitudes entre le libellé des exceptions à l'interdiction de communication qui sont prévues dans la Loi de l'impôt sur le revenu et dans la Loi sur les douanes, et de l'importance du principe voulant que le gouvernement protège la confidentialité des renseignements en sa possession qu'il aurait légalement pu obliger une personne à fournir.

[48]      Par conséquent, le droit que la demanderesse peut avoir, en raison de l'obligation imposée par l'équité, d'obtenir le RDR et les feuilles de travail connexes que le défendeur a en sa possession ne fait pas en sorte que la demanderesse a " légalement qualité " à cet égard pour l'application de l'alinéa 108(1)c ). Cette expression devrait être limitée de la même façon que la disposition analogue de la Loi de l'impôt sur le revenu, et ne s'appliquer qu'aux pouvoirs conférés par les lois fédérales qui autorisent des ministères ou des fonctionnaires précis à obtenir des renseignements à des fins administratives.

Question 5

[49]      Le défendeur a-t-il exercé en conformité avec la loi le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 108 de communiquer les renseignements demandés par la demanderesse?

[50]      J'ai statué que le pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 108(3) confère à un fonctionnaire de communiquer des renseignements à la personne qui les a fournis est suffisamment vaste pour viser un exportateur, comme la demanderesse, qui est la source primaire des renseignements fournis au défendeur par les importateurs, quoique sous une forme différente. J'ai déduit de l'argument de Me Turley selon lequel le paragraphe 108(3) s'appliquait uniquement à l'importateur que le défendeur et ses fonctionnaires ont adopté le point de vue qu'ils n'avaient pas le pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements contenus dans le RDR à la demanderesse.

[51]      Un fonctionnaire s'abstient illégalement d'exercer un pouvoir discrétionnaire conféré par la loi s'il conclut, en raison d'une interprétation erronée de l'étendue de ce pouvoir, qu'aucun pouvoir discrétionnaire ne peut être exercé dans une situation donnée. C'est ce qui s'est produit en l'espèce. Sous réserve de la question d'équité que j'examinerai plus loin, la réparation appropriée dans les circonstances est le prononcé d'une ordonnance enjoignant de prendre en considération, en conformité avec la loi, l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'origine législative, et non le prononcé d'une ordonnance judiciaire qui usurpe le pouvoir discrétionnaire que le législateur a conféré non pas à la Cour, mais au défendeur ou à un délégué.

[52]      La demanderesse a également soulevé la question de savoir si M. St. Arnaud était la personne compétente pour rendre des décisions discrétionnaires en vertu de l'article 108 de la Loi sur les douanes. Ni M. St. Arnaud ni le poste qu'il occupait n'apparaissent sur la liste des personnes auxquelles le ministre a délégué le pouvoir d'exprimer un avis sur la communication de renseignements en vertu de l'article 108.

[53]      L'avocate du défendeur n'a pas contesté vigoureusement cet argument et, à mon avis, la demanderesse a tout à fait raison. Par conséquent, la prise en considération de l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 108 qui sera effectuée en conséquence des présents motifs devrait être confiée à un fonctionnaire auquel le pouvoir discrétionnaire a été délégué par le ministre.

Question 6

[54]      L'obligation imposée par l'équité fait-elle en sorte que le défendeur doit communiquer le RDR et les feuilles de travail connexes à la demanderesse?

[55]      Lorsque le législateur confère un pouvoir discrétionnaire à un fonctionnaire, on présume normalement que ce fonctionnaire n'est pas de ce fait habilité à exercer ce pouvoir discrétionnaire en violation de l'obligation imposée par l'équité. Si cette présomption s'applique dans le cas qui nous occupe, elle peut alors, dans les faits, exiger du défendeur qu'il communique la plupart des renseignements contenus dans le RDR que la demanderesse a initialement fournis à l'importateur, de sorte que ces renseignements ne sont pas visés par l'interdiction prévue à l'article 107 de la Loi sur les douanes.

[56]      L'exportateur est touché moins directement par l'imposition de droits antidumping que l'importateur, qui est redevable de ces droits. De plus, l'exportateur aura normalement accès aux renseignements soit en consultant ses propres dossiers, soit en s'adressant à l'importateur. Par conséquent, le défendeur n'est pas tenu d'exercer le pouvoir discrétionnaire de communiquer les renseignements à moins que la demanderesse ne soit en mesure de prouver qu'elle est incapable d'obtenir ces renseignements par d'autres moyens, et qu'elle serait de ce fait privée de la possibilité d'exercer les droits de révision et d'appel prévus par la loi.

[57]      Comme la demanderesse n'a pas prétendu que le défaut du défendeur de communiquer les renseignements en question lui avait causé un dommage dans la présente espèce, je conclus que l'obligation imposée par l'équité n'exigeait pas du défendeur qu'il communique les renseignements en question.

F.      CONCLUSIONS

[58]      Pour les motifs qui précèdent, je fais droit à la demande de contrôle judiciaire dans la mesure indiquée, et j'ordonne au défendeur de prendre en considération l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 108(3) de la Loi sur les douanes, ce qu'il peut évidemment faire par l'entremise d'un fonctionnaire autre que M. St. Arnaud, à qui le pouvoir de rendre des décisions discrétionnaires semblables a été légalement délégué.

[59]      Me Turley a demandé que la demanderesse soit condamnée aux dépens de la présente demande de contrôle judiciaire au motif que, dans une lettre en date du 6 janvier 1999, elle a invité la demanderesse à abandonner la demande en contrepartie du renvoi par le défendeur de l'affaire à un fonctionnaire autorisé à exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 108 au nom du défendeur. La demanderesse a rejeté cette offre de règlement.

[60]      La Cour a entière discrétion pour attribuer les dépens d'une demande de contrôle judiciaire : paragraphe 400(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-100. L'un des facteurs à prendre en considération est l'existence d'une offre écrite de règlement : alinéa 400(3)e). Le fait que la réparation accordée par la Cour n'est pas plus favorable à la demanderesse que celle offerte par le défendeur pour tenter de régler le litige peut donc justifier l'attribution des dépens au défendeur, même si la demande est accueillie.

[61]      Toutefois, dans les circonstances de l'espèce, j'ai décidé qu'il ne serait pas opportun d'adjuger les dépens au défendeur. La demanderesse a soulevé des questions de droit importantes au sujet de la mise en oeuvre de ce système législatif. De plus, j'ai fait droit à la demande de la demanderesse non seulement parce que le pouvoir légal d'exercer le pouvoir discrétionnaire prévu à l'article 108 n'avait pas été délégué à M. St. Arnaud, mais aussi parce que j'ai accepté la prétention de la demanderesse sur la question de la personne qui a " fourni " des renseignements au défendeur pour l'application du paragraphe 108(3) de la Loi sur les douanes .

[62]      Par conséquent, je rends une ordonnance déclaratoire portant que des renseignements sont " fournis " au défendeur pour l'application du paragraphe 108(3) de la Loi sur les douanes non seulement par la personne qui les fournit au défendeur, mais aussi par le fabricant ou l'exportateur qui est la source primaire de ces renseignements.

                                 " John M. Evans "

                                         J.C.F.C.

TORONTO (ONTARIO)

Le 18 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Noms des avocats et avocats inscrits au dossier

NUMÉRO DU GREFFE :                  T-2688-97

INTITULÉ :                          JOHNS MANVILLE INTERNATIONAL, INC.

                             - et -

                             LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL
DATE DE L'AUDIENCE :                  LE MARDI 5 JANVIER 1999
LIEU DE L'AUDIENCE :                  OTTAWA (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Evans le jeudi 18 mars 1999

COMPARUTIONS :                  Geoffrey Kubrick

                                 Pour la demanderesse
                             Anne Turley
                                 Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :          Flavelle Kubrick & Lalonde

                             Avocats
                             1700-280, rue Slater
                             Ottawa (Ontario)
                             K1P 1C2
                                 Pour la demanderesse
                             Morris Rosenberg
                             Sous-procureur général du Canada
                                 Pour le défendeur

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date : 19990318

     Dossier : T-2688-97

     AFFAIRE INTÉRESSANT une demande présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (modifiée)

ENTRE :

     JOHNS MANVILLE INTERNATIONAL, INC.,

     demanderesse,

     - et -

     LE SOUS-MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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