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     Date : 19980715

     T-1458-95


AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur les marques de commerces,

L.R.C. (1985), ch. T-13


Et la marque de commerce 370 805 d"ATP

Entre :

AIRCRAFT TECHNICAL PUBLISHERS,

                                         demanderesse,


et


ATP AERO TRAINING PRODUCTS INC.,

                                             défenderesse.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN HARGRAVE

[1]      La demanderesse, une compagnie américaine qui utilise la marque de commerce ATP pour la production et la vente de manuels d"aéronautique, de collections et autres documents techniques d"aéronautique, demande la radiation de la marque de commerce ATP de la défenderesse dans le cadre d"une instance que la demanderesse a introduite en juillet 1995. La défenderesse a déposé une réponse en septembre 1995 mais aucun affidavit. Les procédures s"éternisent depuis lors. Les parties essaient toutefois depuis 1995 de négocier un règlement. Comme aucun règlement n"est intervenu et comme l"audition de l"affaire a depuis été reportée à une date qui reste à déterminer en septembre ou en octobre 1998, la défenderesse souhaite à la fois déposer l"affidavit de Reilly Burke et contre-interroger Caroline Daniels, témoin du requérant, sur son affidavit du 10 juillet 1995.

Analyse

Le dépôt tardif de l"affidavit de M. Burke

[2]      La présente requête a été déposée selon les Règles d"avant 1998, que je désignerai désormais sous le nom d"" anciennes règles ". Lorsque la présente requête a été entendue, les nouvelles Règles venaient d"entrer en vigueur. Bien que je me reporte aux anciennes règles, j"ai aussi appliqué la nouvelle règle 308, mais en le faisant, j"ai appliqué la procédure prescrite et je n"ai restreint aucun droit substantiel.

[3]      L"ancienne règle 1603(3) obligeait le défendeur qui voulait produire un affidavit en réponse à déposer son affidavit dans un délai de 30 jours, ce qui nous amène à la fin de l"été ou au début de l"automne 1995. Selon les anciennes règles, aucune des parties à la demande ne pouvait contre-interroger une autre partie dans une affaire de marque de commerce sans avoir d"abord obtenu la permission de la Cour (ancienne règle 704(6)). La nouvelle règle 308, qui permet de contre-interroger de plein droit dans les 20 jours suivant le dépôt de l"affidavit de la défenderesse, ne peut entrer en jeu quelque trois ans plus tard sans que la défenderesse n"obtienne d"abord l"autorisation de déposer son affidavit. Le débat tourne essentiellement autour de la question de savoir si la défenderesse doit être autorisée à déposer son affidavit en retard : en vertu de la nouvelle règle 308, elle aurait ensuite le droit de procéder à un contre-interrogatoire sans avoir à en obtenir l"autorisation.

[4]      Les délais prescrits par les règles de la Cour ne sont pas un simple objectif à atteindre : elles sont des règles à suivre, plus particulièrement lorsque l"inobservation d"un délai pourrait causer un préjudice à une ou plusieurs parties. Mais, par ailleurs, le principe primordial est que justice doit être faite.

[5]      Dans la présente demande visant à obtenir l"autorisation de déposer un affidavit tardivement, je dois examiner les raisons du retard et la valeur intrinsèque de l"affidavit : voir, par exemple, le jugement Société canadienne des parcs et de la faune c. Parc national de Banff (directeur) et al. (1994) 77 F.T.R. 218, à la page 222. Dans ce jugement, le juge Mackay a estimé que cette condition en était une de pertinence, d"admissibilité et d"utilité possible pour le tribunal.

[6]      La Cour a aussi déclaré que, dans le cas d"une demande d"autorisation de déposer un document après l"expiration d"un délai, on doit mettre en balance la gravité du retard et la valeur potentielle de l"affidavit : voir, par exemple, la décision du juge Strayer dans l"affaire Maxim"s Ltd. c. Maxim"s Bakery Ltd., (1991) 32 C.P.R. (3d) 240 à 242 (C.F. 1re inst.) :

                 Il est de jurisprudence constante que, dans le cas d"une demande de prorogation de délai présentée en vertu de la règle 704(8), le tribunal devrait tenir compte des motifs du retard et de la valeur intrinsèque des affidavits (i.e. pertinence, admissibilité et utilité éventuelle pour le tribunal). Dans certains cas, les deux facteurs doivent être comparés : voir, par exemple Mc Donald"s Corp. c. Silcorp Ltd/Silcorp Ltd. (1987), 17 C.P.R. (3d) 478 à la page 479-80, 16 (C.I.P.R. 107 (C.F. 1 re inst.) ; Joseph E. Seagram & Sons versus Canada (Registrar of Trade Marks) (1988), 23 C.P.R. (3d) 283 à p. 284, 13 A.C.W.S. (3d) 36 (C.F. 1re inst.). Admettant que cette façon de voir soit acceptable en l"espèce, je crois comprendre qu"elle signifie que l"on doive tout de même prendre en considération la gravité du retard par rapport à la valeur potentielle de l"affidavit et que l"un peu l"emporter sur l"autre.                 

[7]      Dans l"affaire Bio-Generation Laboratories Inc. c. Pantron I Corp. (1992) 48 F.T.R. 269, à la page 272, le juge Cullen a cité le jugement Maxim"s Bakery et a ensuite déclaré : " Le requérant doit démontrer qu"il existe une raison ou une excuse valable pour expliquer le retard et, en second lieu, faire la preuve de la pertinence et de l"admissibilité et démontrer que la production de l"affidavit sera dans l"intérêt de la justice ". Je constate que l"affaire Bio-Generation portait sur une demande de prorogation du délai imparti pour déposer des affidavits.

[8]      Bien que, comme je l"ai déjà dit, les délais doivent être observés, ils ne sont pas absolus : voir, par exemple, le jugement DRG Inc. c. Datafile Ltd. et registraire du droit d"auteur, (1988) 14 F.T.R. 219, à la page 224, dans lequel le juge McNair, saisi d"une demande de dépôt tardif d"un affidavit dans une affaire de brevet, a déclaré que le tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire quand les circonstances le justifient et qu"aucune injustice n"en découlera et que : " Il pourrait s"agir d"un tel cas particulier lorsque les parties elles-mêmes ont choisi, comme en l"espèce, de ne pas se conformer strictement à la règle " (à la page 224). Le juge McNair continue en déclarant : " [...] Il y a déjà longtemps qu"une partie honnête prise en défaut ne peut être écartée de la procédure tout simplement parce qu"elle a pris une mesure erronée au cours du litige " (loc. cit.).

[9]      Les retards dans cette affaire étaient jusqu"à un certain point imputables aux deux parties et je constate que diverses tentatives ont été faites pour en arriver à un règlement. La demanderesse a malgré tout pris des dispositions pour faire avancer l"affaire. Elle a déposé un dossier en juillet 1996, ce qui a suscité une autre tentative de règlement de la part de la défenderesse. La demanderesse a tenté par deux fois de faire inscrire l"affaire au rôle. C"est peut-être la tentative la plus récente de faire inscrire l"affaire au rôle qui est la principale inquiétude de la défenderesse. La demanderesse invoque le jugement Keramchemie GmbH c. Keramchemie (Canada) Ltd. , (1994) 56 C.P.R. (3d) 454, à la page 457 (C.F 1re inst.) dans lequel la défenderesse demandait l"autorisation de déposer tardivement un affidavit après qu"une demande unilatérale d"instruction eut été déposée par la demanderesse. La défenderesse avait invoqué plusieurs raisons pour justifier son omission de déposer l"affidavit dans le délai imparti. Aucune excuse n"était crédible ou pertinente. En conséquence, la demande de dépôt tardif a été rejetée. Dans la présente affaire, les tentatives faites à divers moments par la défenderesse pour en arriver à un règlement constituent une excuse, si faible soit-elle, mais tout de même une excuse que je dois prendre en considération lorsque je mets en balance d"une part le retard et, d"autre part, la valeur de l"affidavit ainsi que le préjudice causé à la demanderesse.

[10]      L"affidavit que la défenderesse demande à la Cour de l"autoriser à déposer, à savoir l"affidavit souscrit le 23 mars 1998 par M. Burke, président de la défenderesse, ATP Aero Training Products Inc. (aussi appelée la " compagnie "), relate l"historique et les activités de la défenderesse et son acquisition de la marque de commerce déposée de l"ATP en juillet 1990. La compagnie de M. Burke a été constituée en personne morale en 1980, a obtenu son nom actuel en 1998 " car en fait à cette époque elle n"était qu"une marque de commerce non enregistrée. La présente marque de commerce de la compagnie " une marque de commerce enregistrée qui a été obtenue en 1990 suivant la suppression de la marque ATP " a été utilisée par P.J. Aviation Services Ltd., qui n"existe plus depuis au moins 1982. L"affidavit relate en détail l"entreprise de distribution que la demanderesse a par la suite consentie à la compagnie. Les affaires de la compagnie seraient quelque peu différentes de celles de la demanderesse. L"affidavit porte sur une prétendue confusion. Il fait également état de la très longue période de temps que la demanderesse a laissé s"écouler avant d"utiliser la marque de commerce ATP, du délai de cinq ans qu"elle a laissé s"écouler avant de contester l"utilisation par ATP de la marque de commerce enregistrée. Par conséquent, l"affidavit de M. Burke porte notamment sur le caractère distinctif et la confusion, même s"il n"est peut-être pas aussi solide sur ces points qu"on le souhaiterait.

[11]      Le caractère distinctif est une condition indispensable à la validité d"une marque de commerce. Le caractère distinctif exige que les parties à un litige portant sur une marque de commerce associent la marque de commerce au produit, qu"elles démontrent comment cette association a été utilisée et qu"elles démontrent que cette association permet au propriétaire de la marque de commerce de distinguer son produit de celui des autres : voir, par exemple, le jugement Philip Morris Inc. c. Imperial Tobacco Ltd. (1986) 7 C.P.R. (3d) 254 à 270 (C.F. 1re inst).

[12]      Pour ce qui est de la question de la confusion entre les marques de commerce, le critère est celui de savoir si l"usage de la marque de commerce contestée est susceptible de faire conclure que les produits ou les services sont ceux de quelqu"un d"autre. M. Burke mentionne directement la question de la confusion au paragraphe 10 de son affidavit et fait indirectement allusion à cette question ailleurs dans son affidavit. Parmi les facteurs dont on doit tenir compte dans le contexte de la confusion, mentionnons la durée de l"usage des marques de commerce opposées, la nature des marchandises, des services ou de l"entreprise et la nature du commerce.

[13]      Pour ce qui est d"abord de la durée de l"utilisation, nous sommes en présence de deux marques de commerce qui ont été utilisées simultanément pendant une période de temps considérable et nous disposons, dans l"affidavit de M. Burke, d"éléments de preuve portant sur d"autres marques similaires utilisées sur le marché en question, ce qui pourrait très bien constituer une preuve solide qu"il n"y a aucune probabilité de confusion : voir, par exemple, le jugement The Oshawa Group Ltd. c. Registraire des marques de commerce , [1981] 2 C.F. 18, aux pages 19 et suivantes (C.F. 1re inst.).

[14]      En ce qui concerne le deuxième critère, à savoir la nature des marchandises, des services ou de l"entreprise, M. Reilly affirme que les marchandises que sa compagnie vend, à savoir des manuels d"instruction, des porte-blocs de navigation, des instruments de navigation et des vêtements d"aéronautique, sont différentes de celles de la demanderesse, qui concernent la production, la mise à jour et la vente de documentation technique et de collections dans le domaine de la construction, de l"entretien et de la réparation d"avions (voir par. 3 de l"affidavit souscrit par Mme Daniels le 29 juin 1995). Ce concept de la comparaison des marchandises n"est peut-être pas aussi important qu"il l"a déjà été, étant donné la façon dont le mot " confusion " est définie dans la Loi sur les marques de commerce. Toutefois, l"alinéa 6(5)c) le prévoit toujours comme un facteur dont il faut tenir compte lorsqu"on examine la confusion entre des marques de commerce.

[15]      Finalement, en ce qui concerne la nature du commerce, il y a lieu de tenir compte du chevauchement des activités de la demanderesse et de la défenderesse ainsi qu"il est mentionné aux paragraphes 4 et 5 de l"affidavit de M. Burke.

[16]      L"affidavit de M. Burke est crucial pour permettre à la défenderesse de faire une véritable opposition, car le requérant ne dispose d"aucun autre élément sauf ceux qu"il pourrait produire s"il avait l"autorisation de contre-interroger la demanderesse au sujet de son affidavit. L"affidavit de M. Burke est peut-être relativement faible, cependant c"est au juge qui entendra la demande qu"il appartient de se prononcer sur cette question. Cette faiblesse relative ne constitue pas un motif justifiant le rejet de l"affidavit à ce moment-ci.

[17]      La demanderesse affirme que la permission de déposer devrait être refusée à cause de l"importance du retard " pratiquement trois ans " elle et cite des décisions dans lesquelles la prorogation du délai imparti pour déposer un document a été refusée dans des cas de retards de quelques semaines ou de quelques mois. Dans d"autres cas, la fixation d"une période déterminée n"est habituellement pas utile parce que, généralement, chaque prorogation de délai accordée ou refusée est fonction des faits de l"espèce. Dans le cas qui nous occupe, les deux parties font allusion aux tentatives qu"elles ont faites pour résoudre le litige. Force est de reconnaître par ailleurs que, si la demanderesse l"avait voulu, elle aurait pu régler ce litige depuis longtemps.

[18]      Finalement, pour ce qui est du préjudice, il m"est impossible de conclure que la demanderesse subirait un préjudice dont elle ne pourrait être indemnisée. La demanderesse affirme qu"elle a été victime de préjudice en ce qu"elle a tenté par deux fois de régler l"affaire par une demande conjointe et par la suite par une demande unilatérale. Cet état de fait pourrait fort bien constituer une circonstance spéciale justifiant une condamnation aux dépens sous le régime des anciennes règles, en présumant que les Règles de 1998 relatives aux dépens d"une demande ne s"appliquent pas rétroactivement avant le mois d"avril de cette année.

[19]      Toute la difficulté réside dans l"omission de la demanderesse de déposer un affidavit en 1995. Cette erreur ne devrait pas pour autant empêcher le défenderesse de continuer à faire valoir son point de vue devant la Cour. J"ai donc soupesé la gravité du retard, lequel est jusqu"à un certain point imputable aux deux parties, ainsi que les raisons de ce retard, les tentatives de règlement et le manque de volonté partielle de la part de la demanderesse de faire avancer l"affaire, ainsi que la valeur intrinsèque de l"affidavit, qui est assez crucial pour la défenderesse et probablement pertinent, admissible et potentiellement utile à la Cour. Le retard de presque trois ans est-il grave, compte tenu de la décision du juge Strayer dans l"affaire Maxim"s Bakery (précité)? Je ne le crois pas, car le retard s"explique et il est jusqu"à un certain point imputable aux deux parties. En l"espèce, la valeur potentielle de l"affidavit et la raison du retard l"emportent sur le retard lui-même. L"affidavit que M. Burke a souscrit le 23 mars 1998 peut donc être déposé.

Contre-interrogatoire de Mme Daniels sur son affidavit

[20]      La règle 308, qui permet maintenant de plein droit le contre-interrogatoire sur un affidavit constitue une nouveauté par rapport à l"ancienne règle 704(6), qui a été interprétée comme exigeant que la partie à une affaire de marque de commerce qui désire contre-interroger l"autre partie démontre l"existence d"une ambiguïté ou d"une confusion pour pouvoir obtenir l"autorisation qu"elle demande. Le fait que la défenderesse n"a pas réussi à obtenir la permission de procéder à un contre-interrogatoire selon les anciennes règles ne confère, à ce moment-ci, à la demanderesse aucun droit substantiel qui lui permettrait de contester le contre-interrogatoire. Toutefois, bien que la règle 308 permette de plein droit le contre-interrogatoire, cela n"excuse en rien le manquement ou défaut précédent de contre-interroger avec diligence Caroline Daniels en 1995, alors que l"affidavit et les souvenirs étaient frais à la mémoire. Ce défaut cause un préjudice à la demanderesse, préjudice qui peut toutefois être réparé au moyen d"une condamnation aux dépens qui tiendra compte du temps consacré par l"avocat à préparer

Mme Daniels et les coûts du contre-interrogatoire lui-même qui ne peut qu"être plus long à ce moment-ci.

[21]      La règle 308 prévoit que le contre-interrogatoire sur un affidavit déposé au soutien d"une demande doit avoir lieu dans les 20 jours suivant le dépôt des affidavits de la défenderesse ou dans les 20 jours suivant l"expiration du délai prévu à cette fin. Cette règle s"appliquera à compter du dépôt de l"affidavit de M. Burke, lequel doit être fait sans délai.

Dispositif

[22]      Considérant et soupesant tous les facteurs et en dépit de l"erreur commise par la défenderesse, en l"occurrence son défaut de déposer un affidavit alors qu"elle devait le faire, la justice exige d"autoriser le dépôt de l"affidavit de M. Burke.

[23]      La défenderesse est condamnée aux dépens de la présente requête et du contre-interrogatoire, quelle que soit l"issue de la cause.

                             (signature) " John A. Hargrave "
                                 Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 15 juillet 1998.

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRIT AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1458-95
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Aircraft Technical Publishers,

     demanderesse,

                         et
                         ATP Aero Training Products Inc.,

     défenderesse.

LIEU DE L"AUDIENCE :              Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L"ORDONNANCE prononcés par le protonotaire John Hargrave le 15 juillet 1998

ONT COMPARU :

     Me Gene Fraser              pour la défenderesse
     Me Susan Beaubien              pour la demanderessse

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Gene Fraser              pour la défenderesse
     Burke Tomchenko
     Me Susan Beaubien              pour la demanderessse
     Shapiro, Cohen, Andrews, Finlayson
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