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Date : 20020225

Dossier : IMM-229-01

Référence neutre : 2002 CFPI 187

ENTRE :

                                                           CARL ANTHONY BLAKE

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                              - et -

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 82.1 de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2, contre la décision rendue le 29 janvier 2001 par l'agente d'immigration. Dans sa décision, celle-ci a rejeté la demande par laquelle le demandeur a sollicité, en se fondant sur des considérations d'ordre humanitaire (CH), la dispense de l'exigence de demander et d'obtenir un visa d'immigrant avant de venir au Canada, exigence que prescrit le paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, précitée.

[2]                 Le demandeur sollicite une ordonnance annulant la décision de l'agente d'immigration et renvoyant l'affaire pour nouvel examen.


Les faits

[3]                 Le demandeur est un citoyen de la Jamaïque. Son arrivée au Canada et ses antécédents en matière d'immigration sont relatés ci-après en ordre chronologique. Les paragraphes entre parenthèses contiennent des renseignements dont n'était pas saisie l'agente d'immigration au moment de la décision.

·       25 avril 1997 : Le demandeur arrive au Canada sans visa d'immigrant ou de visiteur, contrairement à la Loi sur l'immigration, précitée.

·       18 janvier 1999 : Un compte bancaire conjoint appartenant au demandeur et à sa répondante est ouvert, selon une lettre de la Banque de Nouvelle-Écosse du 3 août 2000. Le compte a un solde de 154,12 $ à la date de la lettre.

·       23 avril 1999 : Le demandeur rencontre sa répondante actuelle, selon sa récente demande CH (présentée le 15 décembre 1999).

·       10 mai 1999 : Le demandeur participe à une entrevue avec un agent d'immigration antérieur relativement à une demande CH précédente relativement à son épouse de lpoque. Celle-ci accompagne le demandeur à son entrevue en tant que répondante.

·       19 juin 1999 : Le demandeur demande sa répondante actuelle en mariage.

·       21 juillet 1999 : La demande CH antérieure du demandeur est refusée.

·       29 septembre 1999 : Le demandeur divorce de lpouse qui a agi en tant que répondante dans le cadre de sa demande CH antérieure.

·       27 novembre 1999 : Le demandeur épouse sa répondante actuelle.

·       15 décembre 1999 : Le demandeur présente la récente demande CH.

·       25 mai 2000 : Une mesure d'expulsion est prise contre le demandeur, celle-ci mentionnant que ce dernier a été surpris en train de travailler sans autorisation, comme l'indique l'alinéa 27(2)b) de la Loi sur l'immigration, précitée.


·       25 mai 2000 : Le demandeur dépose une demande de statut de réfugié.

·       28 juillet 2000 : L'agente d'immigration envoie au demandeur une lettre portant cette date pour lui demander de plus amples renseignements, dont la preuve qu'il s'est véritablement marié avec sa répondante ainsi que celle de la vie commune et des fréquentations depuis novembre 1999.

·       4 août 2000 : Le représentant en immigration du demandeur informe l'agente d'immigration par lettre portant cette date que lpouse de ce dernier est enceinte. À cette lettre est jointe une note d'un médecin indiquant que la répondante est enceinte et que la date d'accouchement prévue est le 21 janvier 1900 [sic].

·       30 août 2000 : L'agente d'immigration a décidé à cette date de ne pas accorder au demandeur une dispense relative à la récente demande CH de ce dernier, selon la lettre du 29 janvier 2001 ainsi que selon les notes et l'affidavit de l'agente d'immigration.

·       (11 janvier 2001 : La répondante actuelle du demandeur donne naissance à un enfant au Canada dont le demandeur est le père, selon l'affidavit signé par celui-ci le 5 mars 2001.)

·       (29 janvier 2001 : L'agente d'immigration envoie au demandeur une lettre portant cette date et par laquelle elle rend sa décision de refuser la demande CH de ce dernier.)

·       (5 mars 2001 : Le demandeur signe sous serment un affidavit indiquant notamment qu'il connaît sa répondante actuelle depuis son enfance et qu'il l'a rencontrée de nouveau à lté 1998.)

[21]            Comme je l'ai mentionné précédemment, l'agente des visas a informé le demandeur, par lettre du 29 janvier 2001, de sa décision de refuser la demande CH de dispense de l'application de l'exigence prévue au paragraphe 9(1).


Les arguments du demandeur

[22]        Le demandeur soutient que l'agente d'immigration a contrevenu aux principes de l'équité procédurale lorsqu'elle s'est prononcée en se fondant sur une conclusion relative à la crédibilité sans avoir reçu le demandeur en entrevue.

[23]        Le demandeur invoque l'arrêt de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, à l'appui de l'argument selon lequel une obligation rigoureuse dquité procédurale s'applique en l'espèce. Le demandeur cite l'extrait suivant des motifs du juge L'Heureux Dubé :

Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses.

[24]        Le demandeur prétend que les tribunaux ont reconnu qu'on ne pouvait pas déterminer la crédibilité sur la foi d'observations écrites. Par conséquent, selon lui, la personne dont la crédibilité est mise en doute doit avoir la possibilité de témoigner devant le décideur et de dissiper les doutes de ce dernier. Le demandeur invoque à l'appui de cet argument les motifs du juge Wilson dans l'arrêt Singh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1985] 1 R.C.S. 177, ainsi que l'arrêt Baker, précité.

[25]            Le demandeur affirme avoir le droit de se marier, de fonder une famille et de profiter du caractère sacré de celle-ci conformément aux droits de la personne reconnus sur le plan international.

[26]        Il soutient qu'une conclusion relative à la crédibilité selon laquelle un mariage n'a pas été contracté de bonne foi a un effet direct et fondamental sur l'enfant né de la relation puisqu'elle entraîne la dissolution de l'unité familiale et la séparation du père et de son enfant pour une durée indéterminée. D'après le demandeur, une telle conclusion peut être permise en bout de ligne, mais pas avant qu'il y ait eu une procédure équitable et appropriée.

[27]            Le demandeur avance qu'était déraisonnable et arbitraire la conclusion de l'agente d'immigration, selon laquelle la relation qu'il avait avec son épouse n'était pas sincère. Il affirme qu'elle a agit de manière déraisonnable en fondant sa décision défavorable sur la demande antérieure qu'il avait faite et dans laquelle il sollicitait son établissement avec une autre épouse.

Les arguments du défendeur

[28]            D'après le défendeur, l'agente d'immigration s'est acquittée de son obligation d'équité et a bien exercé son pouvoir discrétionnaire en concluant que le demandeur ne méritait pas d'obtenir une dispense d'application de la condition d'établissement prévue au paragraphe 9(1) de la Loi sur l'immigration, précitée.

[29]            Le défendeur prétend qu'une révision fondée sur des considérations d'ordre humanitaire constitue un facteur spécial et additionnel permettant la dispense d'application des dispositions canadiennes en matière d'immigration, lesquelles sont autrement appliquées à tous. Ainsi, la décision d'un agent d'immigration de ne pas recommander l'octroi d'une dispense d'application en vertu du paragraphe 114(2) n'enlève aucun droit au demandeur.

[30]            Le défendeur avance que, dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada indique clairement qu'une audience n'est pas nécessaire pour l'examen d'une demande fondée sur des considérations d'ordre humanitaire.

[31]            Le défendeur affirme que l' « enfant » mentionné par le demandeur n'était qu'un foetus lorsque l'agente d'immigration a examiné la situation personnelle du demandeur au vu de sa demande et qu'elle a décidé de ne pas accorder de dispense. Le demandeur a fait valoir que l'agente d'immigration a examiné la demande le 30 août 2000 et que l'enfant devait naître en janvier 2001. De l'avis du défendeur, l'arrêt Baker, précité, n'impose pas à un agent l'exigence d'être conscient des intérêts des enfants à naître et de veiller à ces intérêts.

[32]            Le défendeur soutient que l'agente d'immigration s'est acquittée de toutes les obligations qui lui incombaient en effectuant l'évaluation.

Les dispositions législatives

[33]        Le paragraphe9(1) de la Loi sur l'immigration, précitée, prévoit :


9. (1) Sous réserve du paragraphe (1.1), sauf cas prévus par règlement, les immigrants et visiteurs doivent demander et obtenir un visa avant de se présenter à un point d'entrée.

9. (1) Except in such cases as are prescribed, and subject to subsection (1.1), every immigrant and visitor shall make an application for and obtain a visa before that person appears at a port of entry.

[34]            Le paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration, précitée, prévoit :

114.(2) Le gouverneur en conseil peut, par règlement, autoriser le ministre à accorder, pour des raisons d'ordre humanitaire, une dispense d'application d'un règlement pris aux termes du paragraphe (1) ou à faciliter l'admission de toute autre manière.

114.(2) The Governor in Council may, by regulation, authorize the Minister to exempt any person from any regulation made under subsection (1) or otherwise facilitate the admission of any person where the Minister is satisfied that the person should be exempted from that regulation or that the person's admission should be facilitated owing to the existence of compassionate or humanitarian considerations.

[35]            Les questions en litige

1.          Quelle est la norme de contrôle applicable à la présente demande?

2.          L'agente d'immigration a-t-elle rendu une décision déraisonnable?

3.          L'agente d'immigration a-t-elle contrevenu au principe de l'équité procédurale lorsqu'elle s'est prononcée en se fondant sur une conclusion relative à la crédibilité sans avoir reçu le demandeur en entrevue?


Analyse et décision

[36]            Question 1

Quelle est la norme de contrôle applicable à la présente demande?

Dans l'arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada s'est exprimée ainsi à la page 821 relativement à la norme de contrôle applicable aux décisions fondées sur des considérations d'ordre humanitaire :

Dans l'application des facteurs pertinents à la détermination de la norme de contrôle appropriée, on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. Toutefois, l'absence de clause privative, la possibilité expressément prévue d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale - Section de première instance, ainsi que la nature individuelle plutôt que polycentrique de la décision, tendent aussi à indiquer que la norme applicable ne devrait pas en être une d'une aussi grande retenue que celle du caractère « manifestement déraisonnable » . La norme de contrôle appropriée est celle de la décision raisonnable simpliciter.

Les décisions discrétionnaires d'un agent des visas fondées sur des considérations d'ordre humanitaire mettent en jeu des questions mixtes de droit et de faits, et elles doivent être contrôlées selon la norme du caractère raisonnable simpliciter. La norme de contrôle applicable aux décisions d'un agent des visas sur des questions de droit pur est celle de la décision correcte.

[37]            Question 2

L'agente d'immigration a-t-elle rendu une décision déraisonnable?


Il apparaît fort clairement du dossier et des autres documents déposés que la première demande CH du demandeur reposait sur un mariage de convenance ou sur un mariage qui n'avait pas été contracté de bonne foi, mais bien pour faciliter la demande par laquelle le demandeur a sollicité l'autorisation de demander l'établissement de l'intérieur du Canada. Cela ne met toutefois pas fin à l'affaire car le présent contrôle judiciaire porte sur une deuxième demande CH, qui repose sur son parrainage par sa seconde et son actuelle épouse et qui est fondée sur son appartenance à la catégorie de la famille.

[38]            Il faut disposer de la deuxième demande selon son propre bien-fondé. Suivant mon interprétation des motifs de l'agente d'immigration, celle-ci a accordé une importance considérable au fait que le demandeur avait fait une demande CH antérieure avec une autre épouse le parrainant. On peut tenir compte de ce facteur, mais on ne doit en tenir compte qu'avec d'autres facteurs démontrant que le deuxième mariage n'a pas été contracté de bonne foi ou qu'il n'était pas sincère. J'ai examiné le dernier paragraphe de la page un de la [Traduction] « Décision et motifs » de l'agente d'immigration, et lorsque je compare la demande et la réponse donnée par l'avocat du demandeur en date du 4 août 2000, il m'apparaît que plusieurs des renseignements demandés ont été fournis. S'il y avait eu un doute au sujet d'un renseignement, on aurait pu faire un suivi. Je ne peux trouver aucun élément de preuve appuyant la conclusion selon laquelle le deuxième mariage du demandeur n'était pas sincère, sauf le fait que son mariage antérieur n'était pas sincère et celui qu'il a présenté sa demande CH dans le mois précédant son mariage avec sa deuxième répondante. Pour ce motif, je conclus que la décision de l'agente d'immigration est déraisonnable et qu'elle doit être annulée. Je dois souligner que je ne fais aucun commentaire sur la question de savoir si le deuxième mariage a été contracté de bonne foi car il s'agit d'une question devant être tranchée par un agent d'immigration. L'affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

[39]            En raison de la façon dont je dispose de la deuxième question, il n'y a pas lieu que je me prononce sur la question 3.

[40]            Les parties ont un délai d'une semaine à compter de la date des présents motifs pour me soumettre tout projet de question grave de portée générale et un délai de trois jours pour répondre à toute question soumise, et ce, avant que je rende mon ordonnance.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                      

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 25 février 2002

Traduction certifiée conforme

Pierre St-Laurent, LL.M., Trad. a.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           IMM-229-01

INTITULÉ :                                        CARL ANTHONY BLAKE

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              Le jeudi 1er novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE O'KEEFE

EN DATE DU :                                   lundi, 25 février 2002

ONT COMPARU

M. Ronald Poulton

POUR LE DEMANDEUR

Mme Mielka Visnic

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mamann and Associates

74, rue Victoria

Suite 114

Toronto (Ontario)

M5C 2A5

POUR LE DEMANDEUR

Ministère de la Justice

2 First Canadian Place

Suite 3400, Exchange Tower, C.P. 36

Toronto (Ontario)

M5X 1K6

POUR LE DÉFENDEUR


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