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     Date: 19980130

     Dossier: T-491-97

ENTRE


LA BRITISH COLUMBIA NATIVE WOMEN SOCIETY,

TERESSA NAHANEE et JANE GOTTFRIEDSON,


demanderesses intimées,


et


SA MAJESTÉ LA REINE,


défenderesse,


et


LA NATION SQUAMISH, en sa qualité de partie à la

Convention cadre sur la gestion des terres des premières nations,

et pour le compte de TOUTES LES AUTRES PREMIÈRES NATIONS

QUI SONT PARTIES à ladite convention,


requérantes.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE WESTSON :

[1]      Par une requête datée du 24 juillet 1997, les requérantes, la nation Squamish, ont demandé à être constituées parties défenderesses dans une action entre la British Columbia Native Women's Society, Teressa Nahanee et Jane Gottfriedson (les demanderesses) et Sa Majesté la Reine (la défenderesse) en vertu de l'alinéa 1716(2)b) des Règles de la Cour fédérale (les Règles). Les requérantes ont également modifié l'avis de requête afin de faire radier certains paragraphes de la déclaration à condition d'être constituées parties défenderesses. Toutefois, pour les motifs que j'ai énoncés à l'audience, j'ai décidé qu'il n'était pas approprié d'examiner la requête en radiation à ce stade de l'instance.

[2]      Dans leur déclaration, datée du 19 mars 1997, les demanderesses ont allégué que la défenderesse avait manqué au devoir de fiduciaire qu'elle avait envers tous les Indiens, au sens de la Loi sur les Indiens, et notamment envers les demanderesses, Mmes Nahanee et Gottfriedson. Il est allégué que la défenderesse a manqué à son devoir en omettant de modifier le système des titres fonciers prévu par la Loi de façon à prévoir un processus protégeant les Indiennes mariées qui habitent dans des réserves en ce qui concerne le partage et l'occupation du foyer conjugal en cas de rupture du mariage.

[3]      Les demanderesses ont également allégué qu'en omettant d'assurer pareille protection dans la Loi, la défenderesse enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). En outre, il est allégué que l'omission d'assurer pareille protection contribue à l'existence de circonstances par suite desquelles les droits des Indiennes mariées, dans les réserves, sont violés en vertu de l'article 7 de la Charte puisque les décisions rendues par les tribunaux provinciaux en matière matrimoniale ne sont pas uniformes. En outre, les demanderesses ont allégué que la défenderesse avait manqué à ses devoirs de fiduciaire et avait enfreint le paragraphe 15(1) de la Charte en négociant la Convention cadre sur la gestion des terres des premières nations (la convention) qu'elle avait conclue avec certaines premières nations, et en prenant des mesures en vue de l'appliquer sans assurer la protection des biens matrimoniaux des femmes indiennes mariées, dans les réserves. La convention visait à établir un cadre permettant au gouvernement fédéral de confier la gestion des terres de réserves aux premières nations, une fois que ces dernières auraient élaboré un code foncier satisfaisant.

[4]      Les requérantes soutiennent qu'elles devraient être constituées parties défenderesses dans l'action que les demanderesses ont intentée contre Sa Majesté, étant donné que l'issue de l'action influera directement sur leurs droits et intérêts, en leur qualité de signataires de la convention. Elles soutiennent que, dans la mesure où elle a compétence pour entendre l'affaire, la Cour a compétence, en vertu de l'alinéa 1716(2)b) des Règles, pour déterminer s'il est opportun de constituer une personne partie défenderesse. Il est soutenu que la Cour a compétence pour examiner cette question en vertu du paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale et que, partant, elle devrait exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 1716(2)b) en vue de constituer les requérantes parties défenderesses. Elle devrait le faire parce que l'issue de l'action pourrait influer sur les droits que possèdent les requérantes à l'égard de la convention, et parce que les requérantes doivent comparaître devant la Cour en vue de s'assurer que toutes les questions litigieuses, en particulier celles qui se rapportent au jugement déclaratoire demandé par les demanderesses à l'égard de la convention, puissent être tranchées d'une façon efficace et exhaustive.

[5]      Les requérantes soutiennent également que la Cour peut, de sa propre initiative, conclure qu'elle n'a pas compétence pour entendre l'action que les demanderesses ont intentée contre la défenderesse, ou du moins certaines parties de l'action, indépendamment de la question de savoir si elles sont constituées parties défenderesses. Il est soutenu que les demanderesses n'ont pas qualité pour poursuivre leurs demandes, et que les demandes qu'elles ont présentées à l'égard de la convention sont prématurées et conjecturales.

[6]      Pour que les requérantes puissent être constituées parties défenderesses dans la présente action, elles doivent démontrer qu'il existe entre les demanderesses et elles une cause d'action qui relève de la compétence de cette cour. En d'autres termes, afin de déterminer si une personne doit être constituée partie dans une action existante, la Cour doit se demander si les demandes présentées contre la défenderesse existante pourraient être maintenues isolément à l'encontre de la défenderesse éventuelle, parce que la Cour a la compétence voulue pour les examiner. Si aucune des demandes existantes ne peut être maintenue isolément à l'encontre de la partie éventuelle, cette dernière ne peut pas être constituée partie à l'action : Desbiens c. La Reine, [1974] 2 C.F. 20 (C.F. 1re inst.) à la p. 23; Waterside Cargo Cooperative v. National Harbours Board (1979), 107 D.L.R. (3d) 576 (C.F. 1re inst.); La Nation dénée c. La Reine, [1983] 1 F.C. 146 (C.F. 1re inst.) aux pages 148 et 150.

[7]      Contrairement aux affirmations des requérantes, cette approche ne devrait pas être interprétée comme constituant un "critère additionnel" permettant de déterminer si une personne doit être constituée partie à une instance. Cette analyse vise plutôt simplement à répondre à la première partie du critère à trois volets permettant de déterminer si la Cour fédérale a compétence pour entendre l'affaire, lequel a été énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Miida Electronics Inc. c. Mitsui O.S.K. Lines Ltd. et ITO-International Terminal Operators Ltd., [1986] 1 R.C.S. 752, à la page 766, à savoir qu'il doit y avoir une attribution de compétence par une loi du Parlement fédéral; Powderface v. Baptiste (1996), 119 F.T.R. 258; Westerlee Development Ltd. v. Canada (1996), 116 F.T.R. 57 (protonotaire). Quant aux deux autres exigences, il doit exister un ensemble de règles de droit fédérales essentiel à la solution du litige et qui constitue le fondement de l'attribution légale de compétence et la loi invoquée dans l'affaire doit être une "loi du Canada" au sens où l'expression est employée à l'article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 .

[8]      Lorsque des requêtes en vue de la constitution de parties sont examinées, la Cour doit se demander, pour déterminer si le Parlement fédéral lui a attribué la compétence voulue, s'il existe une demande entre les parties éventuelles et, dans l'affirmative, sur quelle attribution légale la demande peut être fondée.

[9]      J'estime qu'on n'a identifié aucune demande susceptible de fonder une action entre les demanderesses et les requérantes. Il n'y a pas de litige entre les parties à l'égard d'un bien-fonds, contrairement à ce qui se passait dans les affaires Paul c. la bande indienne de Kingsclear (T-2078-96, 28 mai 1997, C.F. 1re inst.), ou Succession Jones c. Louis (T-1687-93, 23 février 1996, C.F. 1re inst.); il n'a pas été soutenu non plus que les requérantes ont agi à titre de mandataires de la défenderesse : Cooper v. Tsarlip Indian Band (Council) (1994), 88 F.T.R. 21; infirmé sur un autre point dans (1996), 199 N.R. 126 (C.A.F.). Les demanderesses s'en prennent strictement à Sa Majesté. Les requérantes ont clairement un intérêt important, dans les demandes, mais rien ne permet de fonder une action entre elles.

[10]      Les requérantes soutiennent que le paragraphe 17(4) de la Loi sur la Cour fédérale confère à cette cour la compétence voulue pour qu'elles soient constituées parties défenderesses dans l'action en vertu de l'alinéa 1716(2)b) des Règles. Elles disent que si toutes les exigences de la disposition sont satisfaites, la Cour a compétence pour régler l'affaire à l'égard de toutes les défenderesses en cause (existantes ou éventuelles). Ces exigences sont les suivantes : (1) une procédure, (2) visant à régler un différend, (3) à propos d'une obligation réelle ou éventuelle, (4) pouvant faire l'objet de demandes contradictoires : Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322. Il est soutenu qu'il n'est pas nécessaire de déterminer si une action peut être maintenue isolément entre la demanderesse et la défenderesse éventuelle.

[11]      Je ne puis retenir l'argument des requérantes. Le paragraphe 17(4) de la Loi prévoit que la Cour a compétence concurrente en première instance, en vue de régler les différends mettant en cause la Couronne à propos d'une obligation réelle ou éventuelle pouvant faire l'objet de demandes contradictoires. C'est le cas, par exemple, des interplaideries (régies par l'article 604 des Règles de la Cour fédérale), ou des actions existant entre deux parties lorsque la Couronne détient un bien : Roberts, précité, Paul, précité, et Succession Jones, précité. Ce n'est pas ici le cas. Il n'existe aucune demande identifiable entre les demanderesses et les requérantes. Cela étant, il ne peut pas y avoir de "procédure" à laquelle il est possible d'appliquer l'analyse effectuée dans l'arrêt Roberts : Powderface , précité, aux pages 266-267.

[12]      Les requérantes ont également soutenu que cette cour peut, de sa propre initiative, déterminer si les demanderesses ont qualité pour intenter, l'action qu'elles ont intentée contre la défenderesse, et si la Cour a compétence pour entendre cette action. En général, en tant qu'organisme créé par la loi, la Cour peut uniquement agir en vertu du pouvoir qui lui est conféré par la Loi sur la Cour fédérale ou par les Règles sur la Cour fédérale, ou encore par une autre loi : Roberts, précité, Union Oil Co. of Can. Inc. c. La Reine, [1974] 2 C.F. 452 (1re inst.); confirmé [1976] 1 C.F. 74 (C.A.); confirmé (1975), 72 D.L.R. (3d) 82n (C.S.C.).

[13]      Si la Cour a une compétence intrinsèque lui permettant de radier une déclaration, en totalité ou en partie, j'estime qu'il ne serait pas approprié en l'espèce d'exercer ce pouvoir. Étant donné que j'ai décidé de ne pas constituer les requérantes à titre de parties, je ne crois pas qu'il soit approprié pour cette cour d'entendre les plaidoiries concernant la question de savoir si une partie a qualité pour intenter cette action contre la Couronne. Il incombe à la défenderesse de soulever pareil argument; or, l'avocate de la défenderesse n'a présenté aucune observation à l'égard de la présente requête.

[14]      La question de savoir si les requérantes doivent être constituées parties à l'action, à titre d'intervenantes, a été soulevée à l'audience. Toutefois, les requérantes ont clairement fait savoir qu'elles ne voulaient pas être constituées parties intervenantes. En outre, elles ont soutenu que la Cour ne pourrait pas ordonner qu'elles soient constituées parties intervenantes sans leur consentement : Chitty c. CRTC [1978] 1 C.F. 830 (1re inst.), aux pages 834-835.

[15]      Par conséquent, la requête est rejetée. Les demanderesses intimées auront droit à leurs frais dans la présente requête.

     "Howard I. Wetston"

    

     Juge

Toronto (Ontario),

le 30 janvier 1998.

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Avocats et procureurs inscrits au dossier

DOSSIER :      T-491-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LA BRITISH COLUMBIA NATIVE WOMEN'S SOCIETY, TERESSA NAHANEE et JANE GOTTFRIEDSON
     et
     SA MAJESTÉ LA REINE
     et
     LA NATION SQUAMISH, en sa qualité de partie à la Convention cadre sur la gestion des terres des premières nations, et pour le compte de TOUTES LES AUTRES PREMIÈRES NATIONS QUI SONT PARTIES à ladite convention

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 4 DÉCEMBRE 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

MOTIFS DU JUGEMENT DU      JUGE WETSTON
     EN DATE DU 30 JANVIER 1998

ONT COMPARU :

     Barbara Findlay

         pour les demanderesses intimées

     Darlene Prosser

     Heather Frankson

         pour la défenderesse

     William B. Henderson

         pour les requérantes

     Harry Slade

         Agents aux fins de la signification aux requérantes

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Barbara Findlay

     Dahl Findlay Connors & Evans

     620 - 1033, rue Davie

     Vancouver (Colombie-Britannique)

     V6E 1M7

         pour les demanderesses intimées

     Darlene Prosser

     Heather Frankson

     Ministère de la Justice

     Bureau régional de Vancouver

     Bureau 900

     840, rue Howe

     Vancouver (Colombie-Britannique)

     V6Z 2S9

         pour la défenderesse

     Wiliam B. Henderson

     Avocat

     Bureau 2010

     88, rue Bloor est

     Toronto (Ontario)

     M4W 3G9

         pour les requérantes

     Harry Slade

     Ratcliff & Company

     Avocats

     500 -221, West Esplanade

     North Vancouver (Colombie-Britannique)

     V7M 3J3

         Agents aux fins de la signification aux requérantes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Date: 19980130

     Dossier: T-491-97

ENTRE

LA BRITISH COLUMBIA NATIVE WOMEN'S SOCIETY, TERESSA NAHANEE et JANE GOTTFRIEDSON,

     demanderesses intimées,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse,

et

LA NATION SQUAMISH, en sa qualité de partie à la Convention cadre sur la gestion des terres des premières nations, et pour le compte de TOUTES LES AUTRES PREMIÈRES NATIONS QUI SONT PARTIES à ladite convention,


requérantes.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

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