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Date : 19990715


Dossier : T-1484-94


OTTAWA (ONTARIO), LE 15 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE L"HONORABLE JUGE MARC NADON


ENTRE


     ERNEST CARON,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.


     JUGEMENT

     La déclaration du demandeur est rejetée.



     " MARC NADON "

     JUGE


Traduction certifiée conforme



Pierre St-Laurent, LL.M.





Date : 19990715


Dossier : T-1484-94


ENTRE

     ERNEST CARON,

     demandeur,

     et

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.


     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

[1]      Le demandeur, qui est détenu au pénitencier de Donnacona dans la province de Québec (l"institution) depuis le 2 octobre 1991, cherche à obtenir des dommages-intérêts de la part de la défenderesse au motif qu"il a été détenu illégalement. Le demandeur réclame 1 000 $ par jour de détention, ce qui fait une somme totale de 78 000 $. De plus, le demandeur allègue que les fonctionnaires de la défenderesse l"ont détenu [TRADUCTION] " au mépris de la loi, des règlements et de l"application régulière de la loi ", de sorte qu"il réclame une indemnité de 100 000 $1.

[2]      On peut résumer les faits pertinents comme suit. Le demandeur, Ernest Caron, entre en prison et en sort depuis octobre 1976. Le 2 octobre 1991, il a été admis à l"institution, qui est un établissement à sécurité maximale. Avant son transfert obligatoire, le demandeur était détenu à l"établissement Archambault à Montréal.

[3]      Le 21 janvier 1992, le demandeur a été placé en isolement préventif en application de l"alinéa 40.(1)a ) du Règlement sur le service des pénitenciers2. Le motif qui a été donné pour justifier la mise en isolement préventif du demandeur était son refus de participer aux programmes de réhabilitation de l"institution. Le 22 janvier 1992, la décision de placer le demandeur en isolement préventif a été confirmée par le directeur de l"époque, M. Yvon Deschênes.

[4]      À toutes les dates pertinentes mentionnées dans les présents motifs, l"institution était composée de deux sections, à savoir les sections 240 et 1193. Au moment de sa mise en isolement préventif, le demandeur se trouvait dans la section 240, qui comprenait trois ailes auxquelles les témoins réfèrent sous le nom de " Pavillon L ". Chaque aile comprenait quatre rangées de 20 cellules. La zone de contrôle était à l"intersection des rangées. Il y avait deux étages sur deux côtés. Dans la section 119, il y avait trois rangées de cellules régulières et deux rangées de cellules pour ceux qui étaient placés en isolement. Selon M. Deschênes, les sections 240 et 119 constituaient, à toutes fins pratiques, deux établissements distincts qui avaient leurs propres installations, notamment des ateliers de travail et des gymnases, ainsi que leur propre personnel. À l"époque pertinente, le demandeur travaillait dans la buanderie de son aile et il était considéré comme un excellent travailleur. Il était de niveau 5, soit le niveau le plus élevé.

[5]      Je dois souligner que les détenus qui étaient " incompatibles " étaient placés dans la section 119, où le nombre de programmes disponibles était moindre que dans la section 240. Je dois également souligner qu"au 21 janvier 1992, le demandeur était le seul détenu de son aile dans la section 240 qui avait été placé en isolement préventif.

[6]      Le 27 janvier 1992, un agent de cas a rencontré le demandeur afin de vérifier s"il avait changé d"idée relativement à sa participation aux programmes de réhabilitation. Le demandeur a indiqué clairement qu"il n"avait pas changé d"idée. En conséquence, une équipe de gestion de cas a décidé le 29 janvier que le demandeur serait sorti de l"isolement pour être intégré à la population générale de la section 119.

[7]      Le 30 janvier 1992, le demandeur a refusé d"être intégré dans la population générale de la section 119, insistant pour être renvoyé dans son aile, dans la section 240. Le demandeur a donc été accusé en raison de son refus, et on lui a donné un avis à cet égard. Le 10 février 1992, il a été condamné à 14 jours de détention. Le demandeur a expliqué son refus en disant que la section 119 était un " pavillon de protection ". Il s"ensuit que, selon le demandeur, celui-ci ne serait pas bien vu par les détenus de la section 240 s"il acceptait d"aller à la section 119. Étant donné que le demandeur refusait toujours d"être intégré à la population générale de la section 119 et de participer aux programmes de réhabilitation, il a été décidé le 21 février 1992 de le garder en isolement préventif.

[8]      Le 12 mars 1992, le cas du demandeur a été examiné par l"équipe de gestion de cas de son aile, qui a recommandé qu"il soit maintenu en isolement préventif. Le 16 mars, un rapport sommaire relatif au statut de détenu en isolement du demandeur a été fait. Ce rapport indique notamment que :

     Vous avez été placé en segregation [sic] administrative, le 92/01/21 pour une période de reflexion [sic] d"une semaine relative à votre refu [sic ] de participer aux programmes de 240. Apres [sic] une semaine, votre AC II4 vous a rencontré et vous avez maintenu votre refu [sic] de participer aux programmes.
     L"EGC5 recommandait donc en date du 28/01/92 un placement au Pavillon T Coté [sic] 716. 2 jours plus tard vous avez refusé d"intégré [sic ] ce coté [sic]. Un rapport d"offense a été rédigé relatif [sic ] à ce refu [sic] et vous avez obtenu le 92/02/10 14 jours de detention [sic]. Apres [sic] avoir purgé ce 14 jours vous avez réintegré [sic] la segregation [sic] administrative compte tenu qu"il n"y a aucune volonté de votre part d"integrer [sic ] le cote [sic] 71, ni de participer aux programmes. Votre AGCE est allée pour vous rencontrer le 92/03/12 et vous avez refusé de la voir. La psychologue aussi a tenté de vous rencontrer mais vous avez aussi refusé de la voir.

[9]      Le 19 mars 1992, un examen du statut de détenu en isolement du demandeur a été mené par le directeur, qui a tiré la conclusion suivante :

Etant donné votre refus de rencontrer vos intervenants du cote [sic] 240, en plus de votre refus d"integrer [sic ] la population du secteur 71 vous serez maintenu en isolement jusqu"a [sic ] nouvel ordre.

[10]      Une copie de la décision susmentionnée a été fournie au demandeur le 25 mars 1992.

[11]      Le 7 avril 1992, le demandeur a été sorti de l"isolement préventif et réintégré dans la population générale de la section 240. La libération du demandeur, comme l"indique le formulaire relatif à la sortie de l"isolement, est due à une " raison administrative ". Une brève explication de la " raison administrative " s"impose.

[12]      Le 2 février 1992, le demandeur a déposé une plainte relativement à sa détention en isolement préventif. La plainte indique :

     [TRADUCTION] Le 21 janvier, j"ai été placé en isolement (isolement obligatoire) et, le lendemain, j"ai reçu un papier qui disait, et je cite : " Non participation aux programmes ", qui a été barré et remplacé par " vous refusez de participer aux programmes de l"institution ". Or, si j"ai bien compris, à moins que je n"aie des problèmes d"audition, ce qu"on appelle les " programmes ciblés " étaient devenus une question de choix, c"est-à-dire, qu"ils étaient optionnels. Vous remarquerez qu"aucune accusation n"a été portée et que, d"ailleurs, aucun rapport n"a été fait à mon égard, même pas un rapport mineur, depuis que j"ai été transféré ici d"Archambault (transfert obligatoire) au début d"octobre [1991]. Je travaillais régulièrement et, semble-t-il, de façon satisfaisante, comme en témoigne le fait que j"étais au niveau 5, soit le plus élevé dans les établissements à sécurité maximale. Sur une population de 220 détenus, seuls deux d"entre nous ont été placés en isolement pour la raison susmentionnée. Après 9 jours, l"autre détenu a été réintégré parmi la population générale sans avoir à signer ni à promettre quoi que ce soit, à ma connaissance. Et on m"a dit que j"étais transféré à la section W-X-Y de la prison. Cela n"était pas un retour parmi la population, et j"ai refusé d"y aller. Le lendemain, j"ai reçu un rapport qui dit, et je cite : " Le détenu est rapporté pour refus d"intégrer la population normale du W-X-Y ". Maintenant, voyons à quel point la population du W-X-Y est normale. Il y a environ 35 détenus là, dont la moitié sont des fugitifs de la population - la population principale, en fait, et l"autre moitié viennent de la rue ou d"autres établissements et ne peuvent pas être intégrés à la population générale en raison de conflits ou pour d"autres motifs; à ma connaissance, il n"y a aucun détenu qui n"y est pas allé de façon obligatoire [sic ], ou qui y est détenu contre sa volonté. C"est ce qui est appelé une population " normale ". Les chiffres parlent d"eux-mêmes : 220 dans la population principale; 35 dans la W-X-Y. Le fait qu"ils aient les mêmes privilèges, quoique pas tout à fait, ne change rien au fait qu"il s"agit en réalité d"une population d"isolement où aucune activité sportive ne peut avoir lieu, par exemple, en raison du très faible nombre de détenus. Et, même en coupant les cheveux en quatre de la façon la plus jésuistique, on ne peut pas expliquer non plus pourquoi les deux populations, même si elles vivent à l"intérieur des mêmes murs, sont maintenues de façon si rigoureuse en isolement sans qu"il y ait le moindre contact entre elles. Comme vous pouvez donc le voir, je n"ai pas refusé d"intégrer une population normale; la seule population normale que je connaisse est celle dont je viens et où je vivais il y a à peine 10 jours. Par ailleurs, il est vrai que je ne parle pas aux membres du personnel, sauf dans l"atelier, naturellement, à moins que l"on ne s"adresse à moi, que l"on me donne un ordre ou pour les besoins du service. Si on m"appelle au bureau, je vais y aller et recevoir des ordres, mais rien de plus. Je n"ai jamais eu de problèmes à cause de cela depuis que j"ai commencé à faire du temps, n"ayant jamais entendu parler qu"il y avait une loi ou un règlement qui prévoyait qu"un prisonnier devait entretenir la conversation avec son geôlier. Un prisonnier ne peut pas choisir la prison où on l"envoie, et il n"y est pas de son propre gré, au départ. S"il est envoyé à une prison à sécurité maximale, comme Donnacona l"est, je crois, et que c"est la seule dans la province, comme je le crois aussi, il faut donc que cela soit à Donnacona, et on ne peut pas davantage le mettre dos au mur. Donc, qu"est-ce qu"un prisonnier qui est dans une prison à sécurité maximale peut faire? S"il ne refuse pas de travailler, s"il obéit aux ordres - qui sont appuyés par les fusils, ne l"oublions pas - et qu"il respecte les règles et les règlements, vos règles et vos règlements, ne peut-on pas permettre à cet homme de respirer et de faire son temps sans être harcelé? À quel autre endroit peut-il faire son temps? Mais, peut-être que ce n"est pas assez, peut-être que le grand Service pénal canadien a d"autres idées. Peut-être que le pendre par les pouces dans sa cellule donnerait de meilleurs résultats. Et, en bout de ligne, cela se résume à une question : Un prisonnier doit-il être amical avec ses geôliers ou, plus précisément, peut-on le forcer à être amical avec ses geôliers? Je ne le pense pas. S"il le veut, c"est très bien; il y a beaucoup d"avantages à l"être, comme tout le monde le sait, c"est-à-dire, tous ceux qui ont fait du temps.
Mais, obliger un détenu à l"être est une atteinte intolérable à son droit à la vie privée, une intrusion inacceptable dans sa liberté mentale, qui est tout ce qui lui reste après avoir perdu sa liberté, et je pense que cela peut être contesté en cour, et que ce le sera éventuellement. Je suis aussi parfaitement conscient qu"un directeur jouit d"un large pouvoir discrétionnaire dans la direction d"une prison; non seulement lui mais aussi tous les membres de son personnel, mais ce qu"il n"a pas encore - à moins que cela ne lui ait été conféré récemment sans que je ne le sache - est le droit de vie ou de mort, chose que je suis certain que plusieurs d"entre eux déplorent. Mais, il reste à voir s"ils peuvent réussir à transformer cette prison en Auschwitz-sur-le-St-Laurent. Il ne fait aucun doute qu"ils s"y emploient avec beaucoup d"énergie avec, j"en suis sûr, les meilleures intentions du monde dans plusieurs cas, mais, comme quelqu"un l"a dit : " le chemin de l"enfer est pavé de bonnes intentions ", ou quelque chose comme ça.

[13]      La plainte du demandeur a été rejetée au premier niveau d"appel. Le directeur a rendu la décision suivante :

[TRADUCTION]
Avant de répondre à votre plainte, nous aimerions d"abord clarifier certaines choses :
La réponse à votre plainte a été signée par le chef de division dans l"espace réservé à cette fin sur le formulaire jaune.
De plus, ce n"est pas M. John Rose, AS-5, qui est l"auteur de la " Stratégie correctionnelle ", sur laquelle est fondée votre mise en isolement préventif.
Relativement à votre plainte, vous dites que tout traitement devrait et doit être optionnel. Nous sommes d"accord avec vous à ce sujet et notre politique a été modifiée.
Toutefois, vous ne semblez pas comprendre que le plan de traitement correctionnel n"est pas une thérapie, mais bien un résumé de vos besoins accompagné des mesures que vous devez prendre pour pouvoir progresser et réintégrer éventuellement la société en tant que citoyen à part entière. Vous pouvez choisir entre bénéficier du plan que nous avons élaboré pour vous et recommencer et rester la même personne que lorsque vous êtes entré.
Pour que nous puissions vous offrir ce choix, il faut que vous rencontriez notre équipe de gestion de cas, notamment l"agent correctionnel responsable de votre dossier.
C"est cette démarche que vous avez refusée et qui a entraîné notre décision de vous transférer dans un pavillon dont le programme est conçu pour ceux qui désirent avoir peu ou pas de contacts avec le personnel. Vous avez refusé d"intégrer le pavillon et vous avez préféré rester en isolement.
Si, à quelque moment que ce soit, vous désirez rencontrer votre AC II pour élaborer un plan de traitement, nous serons plus que prêts à réévaluer votre statut.
Plainte rejetée.

[14]      Le 5 avril 1992, la plainte du demandeur a été accueillie au deuxième niveau. Le sous-commissaire pour la région a rendu la décision suivante :

[TRADUCTION]
Nous avons examiné votre plainte attentivement au deuxième niveau. Depuis le dépôt de votre plainte, les autorités institutionnelles à l"établissement de Donnacona ont modifié leurs pratiques à ce sujet. En conséquence, vous serez remboursé pour la perte de salaire que vous avez subie pendant cette période.
Votre plainte est accueillie.

[15]      Le 4 mai 1992, le sous-commissaire Jean-Claude Perron a envoyé la note de service suivante au directeur :

Étant donné que la question du placement en ségrégation administrative pour refus de participer aux programmes est remise en question, je vous demande de revoir la procédure existante.
De plus, vous êtes prié de revoir le dossier du détenu Caron et de le rembourser pour la perte de rémunération au cours de cette période. J"aimerais que vous confirmiez les actions prises à la directrice des Communications et des Services à la haute direction d"ici le 19 mai 1992.
Soumis pour action appropriée et merci de votre collaboration.

[16]      Le 28 mai 1992, John Rose a envoyé la note de service suivante au demandeur :

Suite à votre plainte datée du 92 .04.28, les autorités de l"Etablissement Donnacona ont décidé, après une étude attentive de votre cas, d"annuler les rapports d"infraction écopés suite à votre refus d"intégrer le pavillon " T ".
Il en est de même pour tous les documents attestant que vous avez séjourné en ségrégation administrative pour refus de participer aux programmes et pour refus d"intégrer le pavillon " T " du 92.01.24 au 92.04.09.
Une copie de la présente note de service est versée à votre dossier.

[17]      Il est maintenant nécessaire d"aborder le plan correctionnel de l"institution. Le plan correctionnel stratégique de l"institution a été mis en oeuvre à l"automne 1991. Le 26 septembre 1991, le directeur a envoyé une note de service à tous les intéressés, dont le comité des détenus, pour les informer du fait que l"institution mettait en oeuvre, à partir de cette date, le plan correctionnel stratégique à la lumière des principes énoncés par le Service correctionnel du Canada. La version finale du document, qui s"intitule " Stratégie correctionnelle - établissement Donnacona ", est datée du 26 septembre 1991.

[18]      Je reproduis les parties du document qui fournissent le contexte des événements qui ont donné lieu à la question que je dois trancher. Le préambule énonce :

Afin de respecter l"Énoncé de Mission du S.C.C. et d"actualiser la Valeur fondamentale 2 de cet Énoncé, le Service Correctionnel du Canada mettait sur pied, au début de l"année 1991, la Stratégie Correctionnelle.
Constituant ni plus ni moins la philosophie dont doivent dorénavant être imprégnés tous les programmes correctionnels offerts dans les établissements carcéraux et dans la communauté, la Stratégie Correctionnelle se veut en fait un prolongement logique de la gestion par unité. Elle permet de "boucler la boucle" du processus de gestion de la sentence d"un détenu tel qu"élaboré par les équipes de gestion de cas.
Dans un exercice au départ appelé " réalignement des programmes ", tous les établissements et les districts devaient revoir les programmes dispensés et questionner leur pertinence en relation avec le profil de la clientèle à qui ces programmes s"adressent; c"est cette approche qui constitue le coeur de la Stratégie Correctionnelle.
Le Service Correctionnel est convaincu que c"est en utilisant une telle stratégie qu"il pourra optimiser les chances de réaliser sa Mission pour ainsi aider les délinquants à devenir des citoyens respectueux des lois tout en exerçant un contrôle raisonnable, sûr, sécuritaire et humanitaire.
L"établissement Donnacona ne fait pas exception à la règle et il se doit aussi d"implanter progressivement cette nouvelle Stratégie Correctionnelle. L"implantation des nouveaux programmes pour soutenir cette stratégie doit se faire sur une période de trois ans. Dès que la philosophie de la Stratégie Correctionnelle a été connue avec un peu plus d"exactitude, l"établissement Donnacona s"est mis à l"oeuvre afin d"identifier toutes les ressources pouvant contribuer à mettre sur pied la stratégie. Il convient aussi d"ajouter que l"établissement Donnacona doit encore une fois modifier sa vocation. Ainsi en septembre l"établissement Donnacona sera un établissement consacré entièrement à recevoir des détenus nécessitant un encadrement sécuritaire maximum.

[19]      L"article 1.1, qui s"intitule " Cadre conceptuel " indique clairement que le but ultime des programmes de réhabilitation est la réinsertion sociale des détenus. Cet article prévoit :

La prestation des programmes et des services à l"établissement Donnacona doit être axée sur les besoins des détenus et les programmes doivent viser principalement à assurer le déclassement des individus et ultimement le succès de la réinsertion. Tous les programmes devront revêtir une orientation correctionnelle et des buts correctionnels devront être fixés pour chacun des programmes.
Comme Donnacona est le premier établissement à mettre en oeuvre la Stratégie Correctionnelle, il est difficile pour le moment de songer à s"aligner sur les autres établissements. Il est évident que la continuité avec les autres établissements devra être assurée afin d"implanter une stratégie globale.

[20]      L"article 1.2 définit ainsi les programmes de réhabilitation :

Les programmes correctionnels réfèrent à toute activité structurée ayant comme objectifs de base l"atteinte d"un meilleur comportement, la disparition des attitudes criminelles et le renforcement des valeurs sociales acceptables afin que les détenus puissent réintégrer la société au moment opportun et qu"ils soient capables de se comporter en des citoyens respectueux des lois.
Les programmes correctionnels englobent des programmes contextuels et des programmes ciblés, lesquels seront expliqués plus loin.

[21]      L"article 1.3 énonce les objectifs des programmes :

Les objectifs opérationnels visés par le développement des programmes correctionnels sont les suivants:
a.      Fournir aux délinquants des programmes qui les aident à répondre à leurs besoins individuels en vue d"accroître leur potentiel de réinsertion en tant que citoyens respectueux des lois.
b.      Voir à ce que les délinquants soient employés productivement et aient accès à une gamme d"emplois et de possibilités de formation répondant à leurs besoins de croissance personnelle et de développement.
c.      Mettre à la disposition des délinquants une gamme d"activités récréatives et de passe-temps les motivant à utiliser leurs temps libre de façon constructive et les aidant à acquérir des aptitudes et des capacités qui leur seront utiles lors de leur libération.
d.      Voir à ce que l"engagement des citoyen(ne)s bénévoles fasse partie intégrante de nos programmes.

[22]      L"article 1.4. énonce les principes directeurs qui régissent la mise en oeuvre des programmes. Est particulièrement pertinent pour les fins de la présente affaire le principe c., qui énonce :

c.      La participation et la non-participation aux programmes doivent être      supportées par des mesures incitatives et/ou dissuasives (voir le tableau en      page 5).

[23]      L"article 1.5 énumère un certain nombre de " mesures incitatives ". Par exemple, un détenu qui participe à son plan correctionnel a droit à un nombre d"appels téléphoniques plus élevé que les quatre appels mensuels habituels. Un autre exemple est l"augmentation du nombre de visites qu"un détenu a le droit de recevoir mensuellement s"il participe à son plan correctionnel. À la fin de l"énumération, le document indique que d"autres mesures peuvent s"ajouter à celles qui précèdent, sur recommandation de l"E.G.C. et sur acceptation de la direction de l"institution. Cet énoncé est suivi par un nota bene indiquant que l"augmentation ou la diminution des incitatifs est décidée lors d"une conférence bimensuelle de l"E.G.C. après étude de chaque cas particulier.

[24]      L"article 3.4 prévoit qu"un détenu qui arrive à l"institution est temporairement logé dans la section 119 de manière à lui permettre de recevoir la " formation " destinée aux nouveaux arrivants. Pendant cette période, l"E.G.C. de la section 119 évalue le détenu afin de déterminer ses besoins. L"E.G.C. informe le Comité des programmes et le détenu que celui-ci doit " présenter une demande d"affectation " liée à ses besoins. L"article 3.2. décrit les types d"affectation pour lesquels un détenu peut présenter une demande :

Il convient ici de noter que chacun des secteurs d"activité (cuisine, industries, école, etc...) devra prévoir des tâches qui peuvent être effectuées à temps partiel afin de faire en sorte que les affectations soient adaptées aux besoins des détenus qui auront à suivre certains programmes ciblés et/ou contextuels identifiés par le Comité des programmes. La grande majorité des affectations doit être à temps partiel. Toutefois, un département qui peut identifier et justifier une affectation devant obligatoirement être à temps plein, devra soumettre sa recommandation pour autorisation par le Comité des programmes. Les répertoires des affectations seront évalués périodiquement par le Comité des programmes à la lumière des programmes ciblés et de la formation de base qui peuvent être offerts.

[25]      L"alinéa 3.1b ) définit ainsi le terme " affectation " :

À moins d"indication contraire, le terme " affectation " signifie, aux fins de la présente politique, une occupation autorisée et rémunérée en conséquence (travail à temps partiel). Ainsi, un détenu pourra bénéficier de plus d"une affectation (ex.: un détenu peut avoir trois affectations: 30 heures à la cuisine, 26 heures à l"école et 4 heures en toxicomanie, avec comme résultat une pleine rémunération aux deux semaines).

[26]      Comme l"article 3.2 l"indique, les détenus devaient être affectés à un travail à temps partiel de manière à leur permettre de participer aux programmes de réhabilitation décrits dans cet article comme étant les " programmes ciblés et/ou contextuels " identifiés par le Comité des programmes. Comme je l"ai déjà mentionné, le demandeur a été affecté à la buanderie. L"article 3.2 donne également des exemples de ce que l"on entend par l"expression " programmes ciblés ":

Au niveau des programmes ciblés, une priorité sera accordée à toutes les questions touchant l"alphabétisation, la toxicomanie et l"acquisition des compétences psycho-sociales selon les différents programmes regroupés sous cette égide. De plus, il sera de la responsabilité de l"E.G.C. de déterminer le moment opportun de référer un détenu à un programme ciblé. Toutefois, un détenu se désistera d"un programme ciblé lorsqu"il y a aura été affecté ou prévu d"être affecté, se verra attribuer les mesures dissuasives / incitatives mentionnées au tableau de la page 5. Une participation insatisfaisante à un programme ciblé entraîne aussi ces mêmes conséquences.

[27]      L"article 3.5 prévoit qu"à la suite de son affectation initiale, un détenu est rencontré par le Comité des programmes une fois que son plan correctionnel est prêt. Lorsqu"il mentionne le plan correctionnel, le document désigne le " programme ciblé et/ou contextuel " qui a été prescrit par le Comité des programmes. L"alinéa 3.6d ) prévoit que, lorsqu"un détenu refuse de participer aux " programmes ciblés et/ou contextuels ", un rapport d"infraction pour refus de participer aux programmes est émis et le détenu est renvoyé en isolement préventif. Le document prévoit également qu"après avoir purgé sa peine, le détenu rencontre son AC II, qui s"enquiert auprès de lui de sa volonté de participer aux programmes. Si le détenu maintient son refus de participer, il est envoyé dans la section 119 (Pavillon " T ") pour une durée indéterminée. Au moment opportun, on donne au détenu la possibilité de rencontrer son E.G.C. et, à cette occasion, sa volonté de participer aux programmes ainsi que, par conséquent, sa réintégration dans la section 240 sont évaluées. Si le détenu refuse toujours de participer aux programmes, il est de nouveau placé en isolement préventif à la suite du dépôt d"un rapport d"infraction. Si, à l"expiration de sa peine, le détenu refuse encore de participer aux programmes, il peut être placé en isolement préventif régional, par suite d"une étude de son cas. Il ressort de la stratégie correctionnelle que la politique consistait à envoyer dans la section 119 les détenus qui refusaient de participer aux programmes de réhabilitation.

[28]      Je termine maintenant l"exposé des faits. Lorsque le demandeur est arrivé à l"institution en provenance de l"établissement Archambault, il a été logé dans la section 119 afin de recevoir la formation donnée aux nouveaux arrivants. Il est resté dans cette section pour une courte durée. Avant d"être placé en isolement préventif le 21 janvier 1999, il a reçu un avis de trente (30) jours selon lequel s"il continuait de refuser de participer aux programmes, il serait placé en isolement préventif.

[29]      Yvon Deschênes, qui était directeur de l"institution à l"époque, a témoigné au procès. Il a expliqué que chaque détenu était tenu de participer aux programmes de réhabilitation. Il a expliqué que l"institution avait été désignée par le Service correctionnel du Canada pour être la première à mettre en oeuvre le plan correctionnel stratégique, et ce, le plus tôt possible. Il a expliqué que cela était un projet expérimental. Il a expliqué qu"il avait considéré le refus du demandeur de participer aux programmes de réhabilitation comme un refus de travailler. Enfin, il faut que j"indique pourquoi le demandeur a refusé de participer aux programmes de réhabilitation de l"institution. Au cours de l"audition, le demandeur a indiqué clairement que son refus était fondé sur le fait que la plupart des programmes de réhabilitation ne fonctionnent pas, et il a cité à l"appui de cette opinion de nombreux articles écrits par des experts en la matière. Selon le demandeur, les programmes de réhabilitation constituaient une perte de temps et d"argent tant pour lui que pour l"État.

[30]      J"aborde maintenant les questions de droit. Le demandeur réclame des dommages-intérêts contre l"État au motif qu"il a été détenu illégalement. Pour avoir gain de cause, il doit prouver que ses dommages ont été causés par un délit civil commis par les fonctionnaires de l"État. L"alinéa 3a ) et l"article 10 de la Loi sur la responsabilité de l"État, L.R.C. (1985), ch. C-50, prévoient que :

3. The Crown is liable in tort for the damages for which, if it were a private person of full age and capacity, it would be liable

3. En matière de responsabilité civile délictuelle, l'État est assimilé à une personne physique, majeure et capable, pour_:

(a) in respect of a tort committed by a servant of the Crown; or

a) les délits civils commis par ses préposés;

(b) in respect of a breach of duty attaching to the ownership, occupation, possession or control of property.

b) les manquements aux obligations liées à la propriété, à l'occupation, à la possession ou à la garde de biens.

10. No proceedings lie against the Crown by virtue of paragraph 3(a) in respect of any act or omission of a servant of the Crown unless the act or omission would apart from the provisions of this Act have given rise to a cause of action in tort against that servant or the servant's personal representative.

10. L'État ne peut être poursuivi, sur le fondement de l'alinéa 3a), pour les actes ou omissions de ses préposés que lorsqu'il y a lieu en l'occurrence, compte non tenu de la présente loi, à une action en responsabilité civile délictuelle contre leur auteur ou ses représentants.



[31]      Dans Coumont c. Canada et autres, 77 F.T.R. 253, mon collègue le juge Denault a expliqué la nature de la preuve qu"un détenu avait à faire pour avoir gain de cause. Aux pages 262 et 263, il a dit :

     En l"espèce, le demandeur prétend qu"il y a eu négligence de la part des autorités correctionnelles. Pour tenir l"État responsable de négligence, je dois conclure qu"il y a eu manquement à un devoir de prudence et que le préjudice qui en a découlé a été causé par les actes ou omissions des responsables correctionnels. Mon collègue, le juge Cullen, a très habilement résumé les principes applicables aux rapports entre détenus et responsables correctionnels dans le jugement Abbott c. Sa Majesté la Reine (1993), 64 F.T.R. 81 (T-1788-87, aux pages 89 et 90 de la version française) :
         " La responsabilité civile pour négligence est imputée lorsqu"il y a manquement à un devoir de prudence découlant d"un risque prévisible et déraisonnable de préjudice créé par l"acte ou l"omission d"autrui. Je souscris à la thèse de l"avocat du demandeur selon laquelle les gardiens ont un devoir juridique de prudence envers les détenus. Ces derniers sont étroitement et directement touchés par les actes des gardiens; ils se trouvent sous la garde et la surveillance des gardiens pendant leur incarcération. Je ne conteste pas qu"il y a des limites à ce devoir de prudence. Cependant, le fait que ces individus soient incarcérés ne veut pas dire que ce devoir n"existe pas. En outre, les gardiens ont le pouvoir discrétionnaire d"agir dans diverses situations. Cependant, ce pouvoir discrétionnaire peut être exercé de façon négligente ou déraisonnable. Par conséquent, j"accepterais également qu"il existe un lien suffisamment rapproché et direct au point où la négligence d"un gardien, par ses actes ou omissions, causerait vraisemblablement des dommages raisonnablement prévisibles ... "
         Ayant établi l"existence d"un lien suffisant entre le demandeur et les préposés de la défenderesse, il s"agit alors de se demander s"il y a eu manquement à la norme de prudence nécessaire en l"espèce.
En outre, dans l"arrêt Timm c. La Reine, [1965] 1 R.C.É. 174, à la page 178, le juge Cattanach soutient ce qui suit :
         " Les autorités de la prison ont envers le requérant l"obligation de prendre des précautions raisonnables pour sa sécurité, à titre de personne dont elles ont la garde; c"est uniquement si les employés de la prison omettent de prendre ces précautions que la Couronne peut être tenue responsable, voir Ellis v. Home Office, [1953] 2 All E.R. 149. "
De toute évidence, les reponsables correctionnels ont un devoir de prudence envers les détenus qui, à mon avis, comprend l"obligation de prendre des mesures raisonnables de protéger un détenu contre ses compagnons de détention.

[32]      De plus, à la page 265, le juge Denault fait les observations suivantes concernant la mise du demandeur en isolement préventif en application du paragraphe 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers :

Pour ce qui a trait aux décisions de placer le demandeur en isolement préventif et de l"y garder, je ne peux conclure à aucun manquement de la part des autorités. Ici encore, les responsables correctionnels avaient le pouvoir légal de prendre ces décisions aux termes du paragraphe 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers . De plus, comme ci-dessus, on ne me demande pas de déterminer si cette décision était appropriée ni même raisonnable, mais bien s"il y a eu négligence. La décision initiale d"être placé en isolement préventif a été celle du demandeur. Il y resté parce qu"il refusait d"être placé en isolement protecteur. Je vois mal comment je pourrais conclure que les responsables correctionnels ont été négligents dans leurs efforts pour protéger le demandeur en le gardant en isolement préventif, surtout si l"on tient compte du fait que le demandeur prétend simultanément qu"ils ont été négligents en l"intégrant à la population générale et en le plaçant en isolement protecteur. Son isolement a fait l"objet d"un réexamen périodique par le comité de réexamen des cas d"isolement et je suis convaincu qu"il aurait été placé en isolement protecteur plus tôt, s"il en avait manifesté la volonté.

[33]      Je partage l"avis du juge Denault que, pour avoir gain de cause, le demandeur doit me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que la décision de le placer en détention préventive qui a été prise le 21 janvier 1992 et la décision de le détenir jusqu"au 4 avril 1992 constituent de la négligence de la part des fonctionnaires de la défenderesse. Je suis d"accord avec le juge Denault qu"il ne m"appartient pas de décider si " la décision était appropriée ". Je dois plutôt décider si, à la lumière de l"ensemble des faits, il était loisible aux autorités de l"institution de prendre ces décisions. En d"autres termes, les décisions prises par les autorités relèvent-elles du pouvoir discrétionnaire qui leur est conféré par le paragraphe 40(1) du Règlement sur le service des pénitenciers ?

[34]      J"estime que la question de savoir si la décision aurait été différente si elle avait été prise par quelqu"un d"autre n"est pas pertinente. Il faut donc trancher la question de savoir si, à la lumière de l"ensemble des faits de l"affaire, les autorités ont été négligentes parce qu"elles ont placé le demandeur en isolement le 21 janvier 1992 en raison de son refus de participer aux programmes de réhabilitation de l"institution et parce qu"elles l"ont détenu jusqu"au 4 avril 1992 en raison de son refus d"intégrer la population générale de la section 119. Pour les motifs qui suivent, je suis d"avis que les autorités n"ont pas été négligentes.

[35]      L"alinéa 40(1)a ) du Règlement sur le service des pénitenciers prévoit clairement que le chef de l"institution peut interdire à un détenu de se joindre aux autres s"il est convaincu que cela est nécessaire ou opportun pour le maintien du bon ordre dans l"institution ou que cela est dans le meilleur intérêt du détenu. Dans Brandon c. Canada (Service correctionnel du Canada), 131 D.L.R. (4th) 761, le juge Gibson a dû se prononcer sur l"action en dommages-intérêts pour détention arbitraire qu"avait intentée un détenu. L"une des questions qu"a dû trancher le juge était de savoir si la preuve appuyait la décision du directeur de l"institution de placer le détenu en isolement. Le juge Gibson a tranché ainsi cette question :

Aux termes du paragraphe 40(1) du Règlement, aucune preuve ne m"a été présentée qui me persuade que le directeur de l"établissement aurait été convaincu que, pour le maintien du bon ordre et de la discipline au sein de l"établissement, ou dans le meilleur intérêt du détenu, il était nécessaire ou opportun d"interdire au demandeur de se joindre aux autres. Si, en se fondant sur les efforts faits par le demandeur pour jouer sur la sympathie d"un membre du personnel et en se fondant sur ses antécédents d"inconduite avec un autre membre du personnel, le directeur pouvait, me semble-t-il, être raisonnablement convaincu qu"il était justifié, pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l"établissement, d"interdire au demandeur de fréquenter un ou plusieurs membres du personnel de l"établissement, il ne s"agit pas là d"un motif d"isolement disciplinaire.

Le juge Gibson a conclu qu"on ne lui avait présenté aucune preuve de nature à l"amener à conclure que le directeur de l"institution avait pu être convaincu qu"il était nécessaire ou opportun d"interdire au demandeur de se joindre aux autres pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l"institution. Dans la présente affaire, je suis d"avis qu"il y avait suffisamment d"éléments de preuve pour convaincre le directeur qu"il était nécessaire ou opportun d"interdire au demandeur de se joindre aux autres détenus.

[36]      Le demandeur a été placé en isolement préventif le 21 janvier 1992 en raison de son refus de participer aux programmes de réhabilitation. Non seulement le demandeur a-t-il refusé de participer à ces programmes, mais il a refusé de rencontrer les agents de cas qui étaient chargés de mettre en oeuvre ces programmes. Le demandeur a refusé de faire quoi que ce soit en ce qui concerne les programmes de réhabilitation. Il était prêt à faire son travail à la buanderie, mais il ne voulait pas être dérangé par autre chose. Le directeur et les personnes en situation d"autorité dans l"aile du demandeur, dans la section 240, considéraient que l"attitude de ce dernier était inacceptable, de sorte qu"ils ont pris la décision de le placer en isolement préventif le 21 janvier 1992.

[37]      Ayant refusé le 30 janvier 1992 d"intégrer la population générale de la section 119, le demandeur a été accusé et, le 10 février 1992, il a été condamné à quatorze jours de détention. À partir de ce moment, le demandeur a toujours refusé de participer aux programmes de réhabilitation et d"intégrer la population générale de la section 119. Par conséquent, il est resté en détention jusqu"au 9 avril 1992.

[38]      L"institution avait reçu mandat du Service correctionnel du Canada de mettre en oeuvre la stratégie correctionnelle dès que possible. Il ressort clairement de la lecture du document que beaucoup d"efforts avaient été consacrés pour élaborer et mettre en oeuvre une stratégie correctionnelle au Canada. Comme je l"ai mentionné précédemment, le but ultime de cette stratégie était la réinsertion sociale des détenus. Par exemple, l"article 1.6 énonce ainsi les objectifs de la stratégie :

NIVEAU 1 - CIBLES VISÉES:

A.      CHANGER LES ATTITUDES, CROYANCES ET VALEURS
     1.      Assurer le suivi psychologique
     2.      Suivre le programme " Délinquants sexuels "
     3.      Corriger les erreurs de pensées
     4.      Développer l"empathie
     5.      Développer la culpabilité
     6.      Améliorer les habiletés personnelles dans le sens du respect d"autrui
     7.      Améliorer l"image de soi
B.      ACCROÎTRE LE CONTRÔLE DE SOI ET AMÉLIORER LA GESTION DES PROBLÈMES
     8.      Gérer l"agressivité et la colère
     9.      Réduire l"impulsivité et la violence
     10.      Élargir l"éventail des moyens pour résoudre les problèmes
     11.      Planifier à moyen et à long terme
     12.      Apprendre à prévoir les conséquences de ses actes
     13.      Développer de la stabilité au niveau occupationnel, résidentiel et/ou émotif

NIVEAU 2 - CIBLES VISÉES:

C.      CONSOLIDER LES ACQUIS
     14.      Se dissocier des pairs criminels
     15.      Respecter les règles et par extension, la loi et l"autorité
     16.      Faire correspondre le comportement actuel avec le (beau) discours tenu
     17.      Persévérer dans les nouveaux acquis. Adopter un comportement institutionnel exempt de mensonge, vol, agression, exploitation, etc. . .

NIVEAU 3 - CIBLES VISÉES

D.      RENFORCER LES COMPOSANTES PRO-SOCIALES DU FONCTIONNEMENT     
     18.      Réduire la dépendance à l"égard des drogues et de l"alcool
     19.      Développer les habiletés de communication
     20.      Apprendre à établir des relations familiales et conjugales harmonieuses
     21.      Améliorer la formation générale et professionnelle
     22.      Apprendre à gérer ses temps libres de façon constructive

[39]      Lorsque les agents de cas ont tenté de rencontrer le demandeur pour aborder et mettre en oeuvre un éventuel plan correctionnel conçu en fonction de ses besoins, le demandeur n"a même pas daigné les rencontrer. À cet égard, le demandeur n"a jamais changé d"attitude. Pour les motifs susmentionnés, il n"était tout simplement pas intéressé à la réhabilitation.

[40]      Face au refus total du demandeur, les autorités ont décidé que, pour le maintien du bon ordre et de la discipline de l"institution, des mesures devaient être prises. C"est ce qu"elles ont fait en plaçant le demandeur en isolement pendant une semaine, après quoi elles ont décidé de l"intégrer dans la population générale de la section 119.

[41]      J"estime que le maintien du bon ordre et de la discipline dans l"institution comporte nécessairement la bonne administration et la mise en oeuvre du plan correctionnel stratégique. Avec égards pour l"opinion contraire, permettre à un détenu de faire ce qu"il veut n"est pas acceptable. Selon moi, le demandeur n"avait pas d"autre choix que celui de participer aux programmes de réhabilitation et, à tout le moins, de rencontrer les agents de cas pour discuter d"un programme de réhabilitation éventuel conçu en fonction de ses besoins. Que ce plan soit couronné de succès ou non n"est pas pertinent. Le demandeur devait, à tout le moins, faire une tentative, ce qu"il n"était pas prêt à faire en l"espèce. En conséquence, je suis d"avis que les autorités n"ont pas été négligentes lorsqu"elles ont pris leur décision du 21 janvier 1992.

[42]      Relativement au refus du demandeur d"intégrer la population générale de la section 119 et à la décision subséquente de le garder en isolement, je suis également d"avis que les autorités n"ont pas été négligentes. Le plan correctionnel prévoyait clairement qu"un détenu qui refusait de participer aux programmes de réhabilitation était envoyé dans la section 119. Le demandeur a témoigné qu"il ne voulait pas aller dans la section 119 parce qu"elle était un " pavillon de protection ". Si je l"ai bien compris, il voulait dire par " pavillon de protection " que la section 119 servait à garder les détenus qui avaient, par exemple, révélé des renseignements sur d"autres détenus ou qui avaient fait quelque chose qui nécessitait qu"ils soient protégés contre la population générale de la section 240. Le demandeur craignait que, s"il était envoyé dans la section 119, les détenus de la section 240 seraient méfiants à son endroit par la suite et que certains d"entre eux pourraient tenter de s"en prendre à lui, s"ils en avaient la possibilité. Bien que le demandeur ne l"ait pas expliqué de façon claire, c"est ce que j"ai compris en lisant entre les lignes. John Rose et Yvon Deschênes ont témoigné qu"il y avait trois rangées de cellules régulières dans la section 119 en plus de deux rangées de cellules pour les détenus placés en isolement, ce qui incluait les cellules des détenus qui avaient demandé d"être placés en isolement pour leur protection. J"accepte le témoignage de messieurs Rose et Deschênes sur cette question. De toute manière, le fardeau de la preuve reposait sur le demandeur et ce dernier ne l"a pas relevé. En conséquence, je suis d"avis que les autorités de l"institution n"ont pas été négligentes lorsqu"elles ont placé le demandeur en isolement préventif en raison de son refus d"intégrer la population générale de la section 119.

[43]      J"estime que le fait que la plainte du demandeur ait été accueillie n"aide pas ce dernier. Sa plainte paraît avoir été accueillie parce que des personnes en situation d"autorité, à un niveau supérieur à celui du chef de l"institution, ont décidé que le plan et la statégie correctionnelles devaient être modifiés, de sorte qu"ils ont jugé que, vu les circonstances, le demandeur avait droit au paiement du salaire perdu pendant la durée de l"isolement. On a également décidé d"annuler l"infraction dont il avait été accusé en raison de son refus d"aller dans la section 119. Toutefois, d"après la preuve dont je suis saisi, je ne peux pas conclure que le directeur et les personnes en situation d"autorité dans l"aile du demandeur, dans la section 240, ont agi de façon négligente lorsqu"ils ont pris les décisions qui font l"objet du présent litige. Je suis d"avis qu"à la lumière de la stratégie correctionnelle qui a été élaborée par le Service correctionnel du Canada et qui a été mise en oeuvre à l"institution, leur décision d"interdire au demandeur de se joindre aux autres et celle de l"envoyer dans la section 119 étaient clairement justifiées aux termes de l"alinéa 40(1)a ) du Règlement sur le service des pénitenciers. Pour ces motifs, je rejette l"action du demandeur.

[44]      Si la défenderesse désire obtenir les dépens, son avocat peut communiquer avec moi à compter de la fin d"août 1999.

Ottawa (Ontario)      " MARC NADON "

Le 15 juillet 1999                                  JUGE


Traduction certifiée conforme



Pierre St-Laurent, LL.M.






















COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-1484-94

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ERNEST CARON c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L"AUDIENCE :          QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 17 novembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT DU JUGE NADON

EN DATE DU :              25 juillet 1999


ONT COMPARU :

M. Ernest Caron (lui-même)              POUR LE DEMANDEUR

Me Louis Sébastien                      POUR LA DÉFENDERESSE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Léo Bernard                      POUR LE DEMANDEUR

Me Louis Sébastien                      POUR LA DÉFENDERESSE

Ministère de la Justice, Ottawa

__________________

1      Au début du procès, le demandeur était représenté par un avocat. Toutefois, à la fin de la journée, le demandeur a " congédié " son avocat, Me Bernard. Le demandeur s"est alors représenté lui-même pour la durée du procès.

2      Interdiction de se joindre aux autres
40(1) Si le chef de l"institution est convaincu que,
     a)      pour le maintien du bon ordre et de la discipline dans l"institution, ou      b)      dans le meilleur intérêt du détenu,
il est nécessaire ou opportun d"interdire au détenu de se joindre aux autres, il peut le lui interdire, mais le cas d"un détenu ainsi placé à l"écart doit être étudié, au moins une fois par mois, par le Comité de classement qui recommandera au chef de l"institution la levée ou le maintien de cette interdiction.
(2) Un détenu placé à l"écart n"est pas considéré comme frappé d"une peine à moins qu"il n"y ait été condamné, et il ne doit, pour autant, perdre aucun de ses privilèges et agréments, sauf ceux
     a)      dont il ne peut jouir qu"en se joignant aux autres détenus; ou      b)      qui ne peuvent pas raisonnablement être accordés, compte tenu des limitations du lieu où le détenu est ainsi placé à l"écart et de l"obligation d"administrer ce lieu de façon efficace.

3 Les sections paraissent avoir été ainsi nommées parce qu"elles contenaient 240 et 119 cellules respectivement.

4 Agent de correction de niveau II (Correctional Agent - Level II).

5 L"équipe de gestion de cas (the Case Management team).

6 Il s"agit d"une autre façon de désigner la section 119.

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