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Date : 20000616 Dossier : T-2131-99

Ottawa (Ontario), le 16 juin 2000

EN PRÉSENCE DE: MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE:

HALTERM LIMITED

demanderesse

- et -

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HALIFAX

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O' KEEFE

[1]         Il s'agit d'une requête présentée par l'Administration portuaire de Halifax (l'Administration portuaire) en vue d'obtenir le rejet de la demande de contrôle judiciaire déposée par Halterm Limited (la demanderesse ou Halterm) le 7 décembre 1999. Les moyens invoqués à l'appui de la requête en rejet sont les suivants : [TRADUCTION] « la Cour fédérale n'a pas compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire pour les motifs suivants

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1.              L'administration portuaire de Halifax n'est pas un « office fédéral » au sens des articles 2 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

2.              La lettre rédigée par l'Administration portuaire de Halifax en date du 9 novembre 1999 ne constitue pas une « décision » au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

3.              Subsidiairement, la demande de contrôle judiciaire présentée par la demanderesse est tardive. »

[2]            De plus, Halterm a présenté une requête sollicitant l'autorisation de modifier son

avis de requête introductive d'instance.

[3]           L'Administration portuaire de Halifax était régie par la Loi sur la Société canadienne des ports. L'Administration portuaire a été constituée sous le régime de la Loi maritime du Canada, L. C. 1998, ch. 10. Les dispositions de la Loi maritime du Canada (la Loi) prorogeant l'Administration portuaire comme société remplaçante de la Société du port de Halifax sont entrées en vigueur le 1" mars 1999.

[4]         Halterm est une personne morale résultant de la fusion de Halterm Acquisition Corp. et de Halterm Holdings Inc., effectuée sous le régime des lois du Canada le 14 mai 1997, et l'ayant cause de Halterm Limited, une personne morale constituée sous le régime des lois de la Nouvelle-Écosse le 14 avril 1969, en ce qui concerne la totalité de ses biens, activités et entreprises.

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[5]         Halterm est un exploitant de terminal au Port de Halifax et fournit des services de débardage aux navires porte-conteneurs qui utilisent le terminal. Halterm fournit le matériel utilisé pour charger les conteneurs dans les aires d'entreposage, sur les rails et sur les installations de transport ou les enlever de ces aires, rails ou installations.

[6]         La seule entreprise de Halterm consiste à exploiter un terminal portuaire à conteneurs à des endroits qu'elle détient à bail dans le Port de Halifax. Halterm ne peut exploiter son entreprise à partir d'aucun autre lieu et dépend des baux que lui consent le Port pour poursuivre ses activités. Halterm est en concurrence avec d'autres exploitants au Port de Halifax.

[7]         L'Administration portuaire et Halterm ont conclu quatre baux visant des terrains et des bâtiments. Ces baux expirent le 18 décembre 2000.

[8]         La clause 12 de chacun de ces baux prévoit que le bail [TRADUCTION] « prend fin et se termine inconditionnellement, sans exercice du droit de rentrée ni accomplissement d'un autre acte et notamment sans que soit engagée aucune procédure judiciaire... »

[9]         Le 28 janvier 1997, Halterm a demandé un droit de renouvellement de son principal bail en vigueur,

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[10]       Dans une lettre en date du 12 mars 1997, la Société du Port de Halifax a convenu

d'accorder à Halterm un droit de renouvellement de son bail aux conditions suivantes

[TRADUCTION] Il me fait plaisir de vous informer que le Conseil d'administration a accepté d'accorder à Halterm Limited un droit de renouvellement de son bail avec la Société du Port de Halifax pour une période additionnelle de 10 ans, sous réserve de la renégociation satisfaisante du bail.

Étant donné que votre bail actuel expire le 18 décembre 2000, l'exercice de ce droit reporterait l'expiration du bail au 18 décembre 2010.

[l 1 ]      Après le mois d'août 1999, les parties ont tenté sans succès de renégocier le

nouveau bail.

[12]       Le 6 octobre 1999, l'Administration portuaire a avisé Halterm que toute renégociation des baux devrait être conclue au plus tard le 17 novembre 1999, de façon que la requérante puisse envisager d'autres solutions, tel le lancement d'une demande de propositions, si les négociations avec Halterm venaient à échouer.

[13]       Selon Halterm, l'Administration portuaire a, dans une lettre en date du 9 novembre 1999, réduit l'augmentation de loyer projetée, la faisant passer de 900 % à 700 %.

[14]       Le 7 décembre 1999, Halterm a déposé une demande de contrôle judiciaire dont l'Administration portuaire souhaite maintenant obtenir la radiation au moyen de la présente requête préliminaire.

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[15]       Avant d'examiner les questions soulevées par la demande, je trancherai la requête

présentée par Halterm en vue de modifier sa demande de contrôle judiciaire pour y ajouter

les réparations additionnelles décrites dans les paragraphes 6, 7, 8 et 9 de l'avis de requête

modifié. L'Administration portuaire n'a pas contesté énergiquement cette demande. Voici

les réparations que Halterm souhaite ajouter

[TRADUCTION]

6.              Un jugement déclaratoire portant que l'APH a manqué aux obligations qui lui incombent en vertu de la loi et de la common law en tentant d'obtenir, pour le renouvellement du bail, des paiements de loyer injustes et déraisonnables qui comportent une distinction injustifiée au sens de la Loi maritime du Canada.

7.              Une ordonnance de mandamus enjoignant à l'APH de fixer, pour le renouvellement du bail, un loyer juste et raisonnable qui ne comporte pas de distinction injustifiée et qui est par ailleurs conforme à la Loi maritime du Canada et à ses obligations envers la demanderesse.

8.              Une ordonnance de mandamus enjoignant à l'APH d'agir de bonne foi et en conformité avec ses devoirs et obligations en concluant le renouvellement du bail de la demanderesse.

9.              Une injonction permanente interdisant à l'APH d'accepter toute soumission ou offre et de signer un bail, un permis ou une autre convention relativement aux lieux actuellement cédés à bail qui emporte ou risque d'emporter des conséquences défavorables à la demanderesse.

[16]       Le paragraphe 75(1) des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit

Amendments with leave                                                              Modifications avec autorisation

75. (1) Subject to subsection (2) and rule 76, the                           75. (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de la règle

Court may, on motion, at any time, allow a party to                                       76, la Cour peut à tout moment, sur requête,

amend a document, on such terms as will protect                                           autoriser une partie à modifier un document, aux

the rights of all parties.                                                                    conditions qui permettent de protéger les droits de toutes les parties.

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[17]       J'ai examiné les observations présentées par Halterm et je suis d'avis de permettre, en conséquence, la modification demandée par Halterm, sous réserve du droit de l'Administration portuaire de faire valoir son point de vue sur ces nouveaux moyens, et notamment tout argument à l'appui d'une requête en radiation.

Les questions en litige

[18]       La requête soulève trois questions

1.          L'Administration portuaire est-elle un « office fédéral » au sens des articles 2 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale?

2.          La lettre rédigée par l'Administration portuaire en date du 9 novembre 1999 constitue-t-elle une « décision » au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale?

3.          Subsidiairement, la demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est­elle tardive?

Lz droit

[19]       Le paragraphe 2(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, dispose

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"federal board, commission or other tribunal" means any body or any person or persons having, exercising or purporting to exercise jurisdiction or powers conferred by or under an Act of Parliament or by or under an order made pursuant to a prerogative of the Crown, other than any such body constituted or established by or under a law of a province or any such person or persons appointed under or in accordance with a law of a province or under section 96 of the Constitution Act, 1867;

« office fédéral » Conseil, bureau, commission ou autre organisme, ou personne ou groupe de personnes, ayant, exerçant ou censé exercer une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale ou par une ordonnance prise en vertu d'une prérogative royale, à l'exclusion d'un organisme constitué sous le régime d'une loi provinciale ou d'une personne ou d'un groupe de personnes nommées aux termes d'une loi provinciale ou de l'article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867

[20]       La Lot maritime du Canada, L. C. 1998, ch. 10, prévoit notamment

44. (1) For the purposes of the Federal Real Property Act, the Minister has the administration of the federal real property of a port in respect of which letters patent have been issued to the port authority, other than federal real property the administration of which is under any other member of the Queen's Privy Council for Canada.

44. (1) Pour l'application de la Loi sur les immeubles fédéraux, le ministre a la gestion des immeubles fédéraux qui se trouvent dans le port qu'une administration portuaire exploite en vertu de ses lettres patentes, à l'exception de ceux dont la gestion est confiée à un autre membre du Conseil privé de la Reine pour le Canada.

(2) The Minister may, in the letters patent, give to a port authority the management of any federal real property that is administered by

(a) the Minister under subsection (1); or

(b) any other member of the Queens Privy Council for Canada, if the Minister has the consent of that other member.

(2) Le ministre peut, par lettres patentes, confier à l'administration portuaire la gestion d'un immeuble fédéral soit qui est géré par lui au titre du paragraphe (1), soit qui est géré par un membre du Conseil privé de la Reine pour 1e Canada, s'il a le consentement de ce membre.

(3) Where the Minister gives the management of federal real property to a port authority, the Federal Real Property Act, other than sections 12 to 14 and paragraphs 16(l)(a), (g) and (i) and (2)(g), does not apply to that property.

(3) Lorsque le ministre confie la gestion d'un immeuble fédéral à une administration portuaire, la Loi sur les immeubles fédéraux, à l'exception des articles 12 à 14 et des alinéas 16(l )a), g) et i) et (2)g), ne s'applique plus à cet immeuble.

(4) The Surplus Crown Assets Act does not apply to a port authority.

(4) La Loi sur les biens de surplus de la Couronne ne s'applique pas à l'administration portuaire.

(5) Where a port authority is of the opinion that certain real property is no longer required for port purposes, it shall so inform the Minister.

(5) L'administration portuaire informe le ministre dans le cas où elle est d'avis que certains immeubles ne sont plus nécessaires à l'exploitation du port.

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(6) A port authority may manage, occupy or hold only the real property set out in its letters patent.

(6) Une administration portuaire ne peut gérer, occuper et détenir que les immeubles qui sont mentionnés dans ses lettres patentes.

45. (1) Where the Minister has given the management of federal real property to a port authority, the port authority

45. (1) Lorsque le ministre a confié la gestion d'immeubles fédéraux à l'administration portuaire, celle-ci

(a) need not pay compensation for the use of that property;

a) n'est pas tenue de payer pour leur utilisation;

(b) may retain and use the revenue received in respect of that property for the purpose of operating the port;

b) peut conserver et utiliser les recettes qu'ils génèrent pour l'exploitation du port;

(c) shall undertake and defend any legal proceedings with respect to that property, and

c) est tenue d'intenter les actions en justice qui s'y rapportent et de répondre à celles qui sont intentées contre elle;

(d) shall discharge all obligations and liabilities with respect to that property.

cr7 est tenue d'exécuter toutes les obligations qui s'y rattachent.

(3) A port authority may, for the purpose of operating the port, lease or license any federal real property that it manages, subject to the limits in the port authority's letters patent on its authority to contract as agent for Her Majesty in right of Canada. The term of the lease or licence may not be more than the maximum term that the letters patent set out for such a lease or licence.

(3) Une administration portuaire peut, pour l'exploitation du port, louer les immeubles fédéraux qu'elle gère ou octroyer des permis à leur égard, sous réserve des limites, précisées dans les lettres patentes, quant à son pouvoir de contracter à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada et à la durée maximale de ces baux et pennis.

(3.1) The port authority may exercise the powers under subsection (3) to the same extent as Her Majesty could exercise those powers and may, instead of Her Majesty, execute and deliver the documents required for that purpose.

(3.1) L'administration portuaire exerce les pouvoirs visés au paragraphe (3) au même titre que Sa Majesté et, à cette fin, peut établir et délivrer, au lieu de Sa Majesté, les documents requis.

(4) A lease or licence of federal real property may be effected by any instrument by which real property may be leased or a licence may be granted by a private person in respect of real property under the laws in force in the province in which the property is situated.

(4) L'octroi d'un permis ou la location d'un immeuble fédéral peuvent s'et%ctuer par un acte qui, en vertu des lois de la province de situation de l'immeuble, peut servir à en opérer l'octroi ou la location entre sujets de droit privé.

46. (1) Subject to subsection 45(3), a port authority may not dispose of any federal real property that it manages but it may

46. (1) Sous réserve du paragraphe 45(3), une administration portuaire ne peut aliéner les immeubles fédéraux dont la gestion lui est confiée; elle peut toutefois

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(a) without the issuance of supplementary letters patent, grant road allowances or easements, rights of way or licences for utilities, services or access; and

a) sans que des lettres patentes supplémentaires ne soient délivrées, consentir à leur égard des emprises routières ou des servitudes ou permis pour des droits de passage ou d'accès ou des services publics;

(b) to the extent authorized in the letters patent,

b) dans la mesure où ses lettres patentes l'y autorisent

(i) exchange federal real property for other real property of comparable market value subject to the issuance of supplementary letters patent that describe the other real property as federal real property, and

(i) les échanger contre des immeubles de valeur marchande comparable à la condition que des lettres patentes supplémentaires soient délivrées et que celles-ci fassent mention que ces derniers deviennent des immeubles fédéraux,

(ii) dispose of fixtures on federal real property.

(1.1) The port authority may exercise the powers under paragraph (1)(a) or (b) to the same extent as Her Majesty could exercise those powers and may, instead of Her Majesty, execute and deliver the documents required for that purpose.

(ü) aliéner les accessoires fixés à demeure sur ces immeubles.

(1.1) L'administration portuaire exerce les pouvoirs visés aux alinéas (1)a) et b) au même titre que Sa Majesté et, à cette fin, peut établir et délivrer, au lieu de Sa Majesté, les documents requis.

Analyse et décision

Première question

[21]       L'Administration portuaire est-elle un « office fédéral » au sens des articles 2 et 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale?

L'Administration portuaire a plaidé qu'elle n'était pas un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale et que, par conséquent, la Cour n'a pas compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire, de sorte que la demande doit être radiée dans le cadre de la présente requête préliminaire. Dans l'arrêt David Bull Laboratories (Can.) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C. A.), portant sur une demande de

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radiation d'un avis de requête introductive d'instance en prohibition, la Cour d'appel a

écrit, à la page 600

Pour ces motifs, nous sommes convaincus que le juge de première instance a eu raison de refuser de prononcer une ordonnance de radiation sous le régime de la Règle 419 ou de la règle des lacunes, comme il l'aurait fait dans le cadre d'une action. Nous n'affamons pas que la Cour n'a aucune compétence, soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis, où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête.

[22]       Dans la décision Garcia c. Canada (Procureur général) (1997), 129 F.T.R. 174

(CT. 1` inst.), le juge Teitelbaum a tenu les propos suivants, à la page 178

[141          Il est donc manifeste qu'une requête en radiation ne saurait être présentée pour faire radier un avis de requête introductive d'instance, à moins que la Cour, soit par l'exercice de sa compétence inhérente, « soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la Règle 5, [ne rejette] sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » .

[151          À mon sens, un déclinatoire de compétence est une demande de ce genre, c'est-à-dire une demande dont l'issue trancherait de façon sommaire la cause tout entière.

[23]       Il semble ressortir de la jurisprudence de la Cour que, si l'Administration portuaire

n'est pas un « office fédéral » , la Cour n'a pas compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire.

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[24]         Il faut donc déterminer si l'Administration portuaire constitue ou non un « office fédéral » dans les circonstances, c'est-à-dire, lorsqu'elle négocie avec Halterm un bail visant des terres fédérales.

[25]       L'Administration portuaire a soutenu devant moi ne pas être un « office fédéral » , parce qu'elle a simplement exercé les activités d'une société lorsqu'elle a négocié un bail pour la location de terres fédérales à Halterm. Elle a porté à mon attention les décisions Cairns c. Farm Credit Corp. [1992] 2 C.F. 115 (C.F. l' inst.) et Thomas W. Wilcox c. Société Radio-Canada, [1980] 1 C.F. 326 (C.F. 1`e inst.). Ces causes appuient l'hypothèse selon laquelle une société créée en vertu d'une loi fédérale n'est pas un « office fédéral » lorsqu'elle exerce ses pouvoirs particuliers qui sont des éléments accessoires de sa personnalité juridique ou de son entreprise autorisée. L'entreprise en cause dans l'affaire Wilcox, précitée, touchait la transférabilité du service ouvrant droit à pension d'un employé et, dans l'affaire Cairns, précitée, des décisions concernant le meilleur concordat sur le plan commercial à conclure avec un emprunteur en défaut.

[26]       En l'espèce, l'Administration portuaire tente de négocier avec Halterm un bail visant des immeubles fédéraux. Traditionnellement, une société n'a pas, accessoirement à ses activités régulières, le pouvoir de louer des immeubles fédéraux. En fait, une telle opération est impossible en l'absence d'un pouvoir exprès. C'est en vertu du pouvoir

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combiné attribué par l'alinéa 8(2)d),les paragraphes 44(2) et (3) et le paragraphe 45(3) de la Loi et par les lettres patentes de l'Administration portuaire que celle-ci a le droit de céder à bail des immeubles fédéraux. Je pourrais préciser que je me reporte aux lettres patentes parce que celles-ci énumèrent les immeubles fédéraux dont la gestion a été confiée à l'Administration portuaire.

[27]    Il faut se demander si, lorsqu'elle cède à bail un immeuble fédéral, l'Administration portuaire « [exerce] une compétence ou des pouvoirs prévus par une loi fédérale » , ce qui en ferait un « office fédéral » et l'assujettirait donc au pouvoir de contrôle judiciaire de la Cour fédérale.

[28]    Dans l'arrêt Gestion Complexe Cousineau (1989) Inc. c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux), [1995] 2 C.F. 684 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a examiné le sens des mots « pouvoirs prévus par une loi fédérale » . Cette affaire portait sur la demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre d'attribuer un marché à un soumissionnaire autre que la demanderesse. Le processus d'appel d'offres était en cause. Le ministre a fait valoir que la Cour n'avait pas compétence pour entendre la demande parce que l'appel d'offres comportait l'exercice par le ministre de son pouvoir inhérent de conclure des contrats et non pas un « pouvoir prévu par une loi fédérale » . La Cour d'appel ne partageait pas l'opinion du ministre et a écrit, aux pages 700 et 701

L'expression « pouvoirs prévus par une loi fédérale » ( « powers conferred by or under an Act of Parliament » ) qu'on retrouve dans la définition d' « office fédéral » est particulièrement englobante et ne permet pas la restriction qu'y suggère le ministre. Je n'ai pas en l'espèce à me demander si le ministre est un fonctionnaire de Sa Majesté, ou si le geste qu'il a posé a lié Sa Majesté. Je n'ai pas non plus à me demander si le ministre fait partie de l'Administration fédérale selon l'entendement courant de cette expression, ni si le geste posé relève de la compétence du Parlement du Canada par opposition à celle des législatures provinciales. Ce sont là choses acquises. Je n'ai pas non plus à me lancer dans une exégèse constitutionnelle de la notion de « pouvoir inhérent de gestion de la Couronne » , puisque le pouvoir du ministre de procéder à l'acquisition d'un immeuble par bail ne peut plus être qualifié de pouvoir inhérent à compter du moment où le gouverneur en conseil, autorisé par législation, a jugé opportun de le codifier en des termes qui ne portent pas à équivoque: « un ministre peut procéder à une acquisition » . Il se peut, et c'est ce que soutiennent les intimés, que cette habilitation par voie combinée de loi et de règlement n'ait pas été nécessaire, mais j'en suis à me demander strictement s'il y a

« pouvoir prévu par une loi fédérale » au sens de la définition d' « office fédéral » et je ne puis que constater que si.

Il s'agit en l'espèce, ne l'oublions pas, de déterminer le droit d'accès d'un justiciable au contrôle judiciaire de cette Cour dans le contexte d'une disposition législative

« l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale » par laquelle le Parlement a voulu assujettir l'Administration fédérale au pouvoir de surveillance de cette Cour. Il n'est pas indiqué, me semble-t-il, de chercher à dénaturer le sens usuel des mots ou encore de s'employer à les vider de tout sens pratique en recourant à des nuances propres au langage constitutionnel qui produiraient des effets stérilisants contraires à l'intention du législateur.

Elle a ajouté, à la page 705

Le Parlement a fait des efforts considérables, ces dernières années, pour adapter la compétence de cette Cour aux réalités contemporaines et pour éliminer les problèmes de compétence qui avaient considérablement terni l'image de la Cour. Entre une interprétation qui favorise l'accès au contrôle judiciaire et assoit la compétence de la Cour sur une base ferme et uniforme, et une interprétation qui restreint l'accès au contrôle judiciaire, segmente la compétence de la Cour en fonction de critères incertains et impraticables et amène inéluctablement une avalanche de débats liminaires, le choix s'impose de lui-même. Je ne puis supposer que le Parlement ait voulu jouer d'astuce avec les administrés.

J'en arrive ainsi à la conclusion que ce serait aller à l'encontre de la lettre et de l'esprit de l'alinéa 18(1)a) que de dire qu'un ministre expressément habilité par un règlement pris en vertu de l'alinéa 16(2)b) de la Loi sur les immeubles fédéraux à procéder à la location d'un immeuble, n'exerce pas, lorsqu'il procède à un appel d'offres menant à la conclusion d'un bail, un pouvoir « prévu par une loi fédérale » .

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[29]    En l'espèce, lorsque l'Administration portuaire cède à bail un immeuble fédéral ou négocie un tel bail en faveur de Halterm, elle exerce les pouvoirs qui lui sont attribués par la Loi maritime du Canada. Elle n'exerce pas les pouvoirs particuliers dont est investie une société au sens où ces termes sont utilisés dans la décision Cairns, précitée. Elle exerce les pouvoirs qui lui sont expressément conférés par la Loi maritime du Canada et elle constitue donc un « office fédéral » au sens de la Loi sur la Cour fédérale lorsqu'elle négocie des baux. Par conséquent, la Cour a compétence pour connaître de la demande de contrôle judiciaire déposée par Halterm. Ce moyen invoqué à l'appui de la requête est donc rejeté.

Deuxième question

[30]       La lettre rédigée par l'Administration portuaire en date du 9 novembre 1999 ne constitue pas une « décision » au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

J'ai examiné la lettre rédigée par l'Administration portuaire en date du 9 novembre 1999 et je suis d'avis que cette lettre ne constitue pas une décision au sens de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Il est évident, à la lecture du contenu de cette lettre, que

rien n'est conclu définitivement, car les parties continuent de faire des propositions. Cette lettre ne constitue pas une « décision » , et encore moins une « décision définitive » visée

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par la loi. Par conséquent, il n'existe aucune décision pouvant faire l'objet d'une demande de réparation sous le régime de l'article 18.1 de la Loi.

[31]       Toutefois, compte tenu de la décision rendue dans l'affaire Krause et autres c. Canada (1999), 236 N.R. 317 (C.A.F.), cette constatation ne règle la question qu'en ce qui concerne le contrôle d'une décision ou ordonnance particulière. Il demeure possible de demander réparation par voie de contrôle judiciaire relativement à une conduite qui serait alors « l'objet de la demande » au sens de l'article 18.1.

[32]       La seule réparation demandée qui est fondée sur une « décision » dans la demande de contrôle judiciaire du 7 décembre 1999 est celle décrite dans les paragraphes 1 et 2

[TRADUCTION] Un jugement déclaratoire portant que la décision est invalide et illégale.

Une ordonnance annulant ou écartant la décision et renvoyant l'affaire à l'Administration portuaire de Halifax pour qu'elle la traite en conformité avec les directives que la Cour jugera appropriées.

[33]          Comme j'ai décidé que la lettre du 9 novembre 1999 ne constitue pas une décision, je radierais la réparation demandée dans les paragraphes 1 et 2 de la demande de contrôle judiciaire du 7 décembre 1999. Je m'appuie à cet égard sur le fait que la demande de réparation énoncée dans les paragraphes 1 et 2 « n'a aucune chance d'être accueillie » (voir David Bull Laboratories (Can.) Inc. c. Pharmacia Inc.. précité).

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Troisième question

[34]       La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est-elle tardive?

L'Administration portuaire fait valoir, subsidiairement, que la demande est tardive parce qu'elle n'a pas été présentée dans les 30 jours suivant la décision. Elle soutient que la lettre du 9 novembre 1999 était essentiellement identique à une autre, rédigée en date

du 25 août 1999, et que la demande aurait donc dû être présentée dans les 30 jours suivant le 25 août 1999, alors qu'elle ne l'a été que le 7 décembre 1999. Je ne puis retenir cet argument, car j'estime que la lettre du 9 novembre 1999, si elle constituait une décision, contrairement à la conclusion que j'ai déjà tirée, n'est pas identique à celle du 25 août 1999. La lettre du 9 novembre 1999 est différente et indépendante. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire n'est pas tardive.

[35]       Les parties peuvent faire valoir leur point de vue sur les dépens, le cas échéant.

ORDONNANCE

[36]       LA COUR STATUE que l'Administration portuaire est un « office fédéral » au sens de l'article 2 de la Loi sur la Cour fédérale et que la Section de première instance de la Cour, fédérale a compétence pour entendre la demande.

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[37] LA COUR STATUE EN OUTRE que la lettre du 9 novembre 1999 ne constitue pas une décision et que, par conséquent, les paragraphes 1 et 2 de la réparation demandée dans la demande de contrôle judiciaire du 7 décembre 1999 seront radiés.

[38] LA COUR STATUE EN OUTRE que la demande de contrôle judiciaire n'est pas tardive.

[39] LA COUR STATUE EN OUTRE que la requête en modification de la demande de contrôle judiciaire est accueillie, sous réserve des conditions énoncées dans la décision.

[40] LA COUR STATUE EN OUTRE que les parties peuvent faire valoir leur point de vue sur les dépens, le cas échéant.

John A. O'Keefe

J. C. F. C.

Ottawa (Ontario) 16 juin 2000

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20000616 Dossier : T-2131-99

ENTRE:

HALTERM LIMITED

demanderesse

-et­

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HALIFAX

défenderesse

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER:                                  T-2131-99

INTITULÉ DE LA CAUSE:            HALTERM LIMITED -et­

ADMINISTRATION PORTUAIRE DE HALIFAX

LIEU DE L'AUDIENCE:                HALIFAX (NOUVELLE-ÉCOSSE)

DATE DE L'AUDIENCE:               LE MARDI 8 FÉVRIER 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE O'KEEFE EN DATE DU:      VENDREDI 16 JUIN 2000

ONT COMPARU

Me Michael Phelan                    POUR LA DEMANDERESSE Me William Hesler

MQ Wylie Spicer                          POUR LA DÉFENDERESSE M'Jane O'neill

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Ogilvy Renault                             POUR LA DEMANDERESSE Ottawa (Ontario)

McInnes Cooper                           POUR LA DÉFENDERESSE Halifax (Nouvelle-Écosse)

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