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     T-2770-96

Ottawa (Ontario), le 30 octobre 1996

En présence de : Monsieur le juge Wetston

ENTRE :

     GESCO INDUSTRIES INC.

     appelante,

     - et -

     SIM & McBURNEY et LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     intimés.

    

     ORDONNANCE

     L'appel est accueilli. La marque de commerce "STAINSHIELD", portant le numéro 368,209, doit être réinscrite au registre. Avec dépens en faveur de l"appelante.

                                 Howard I. Wetston

                                     Juge

Traduction certifiée conforme                 

                                 C. Bélanger, LL.L.

     T-2770-96

ENTRE :

     GESCO INDUSTRIES INC.

     appelante,

     - et -

     SIM & McBURNEY et LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     intimés.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE WETSTON     

     Le présent appel est interjeté par Gesco Industries Inc. (Gesco) en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. (1985), ch. T-13. L"appelante sollicite une ordonnance annulant la décision qu"a rendue le registraire des marques de commerce conformément à l"article 45 de la Loi. Ce dernier a radié l"enregistrement numéro 368,209 de la marque de commerce "STAINSHIELD" pour emploi en liaison avec les services de traitement antitache pour carpettes et tapis.

     Le registraire a estimé que l"appelante n"avait soumis aucune preuve d"emploi de la marque de commerce au Canada. Bien que Gesco ait démontré son emploi de la marque de commerce, le registraire a conclu que cet emploi n'était pas lié à la prestation de services au public, comme cela était spécifié dans l'enregistrement, mais au contraire en liaison avec des marchandises, à savoir les carpettes et les tapis distribués par l'appelante. À ce titre, l'appelant n'avait pas fait la preuve de l'emploi de sa marque au Canada pendant la période pertinente.

     L'appelante soutient que le registraire a excédé la compétence que lui confère l'art. 45 en concluant que l'emploi de la marque de commerce était en liaison avec des marchandises et non avec des services, au lieu de simplement conclure qu'il y avait "une preuve d'emploi" de la marque de commerce au Canada par l'appelante.

     Gesco fait valoir que l'article 45 n'autorise le registraire qu'à se prononcer sur la question de savoir s'il existe une preuve indiquant que la marque de commerce était "employée" au Canada par l'appelante, au cours de la période précédente de trois ans. En d'autres termes, elle soutient que cela est conforme à l'objet de l'art. 45, savoir débarrasser le registre du "bois mort", et non déterminer la validité de la marque de commerce elle-même.

     L'intimée soutient que, sous le régime de l'art. 45, l'appelante assume un lourd fardeau, soit celui de d'établir que la marque de commerce est employée en liaison avec chacun des services ou chacune des marchandises que spécifie l'enregistrement, et que l'appelante a fait défaut de fournir au registraire une preuve de son emploi de la marque en liaison avec "les services de traitement antitaches pour carpettes et tapis". En conséquence, le registraire était justifié d'exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'art. 45 de radier la marque de commerce de l'appelante du registre.

     Aux termes de l'art. 56 de la Loi, appel de toute décision rendue par le registraire peut être interjeté à la Cour fédérale. Le paragraphe 56(5) prévoit qu'"il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi." Étant donné la nature spécialisée des fonctions du registraire (Saks & Co. c. Canada (Registraire des marques de commerce ) (1989), 24 C.P.R. (3d) 49, aux pp. 51 et 52 (C.F. 1re inst.); Choice Hotels International Inc. c. Hotels Confortel Inc. (1996), 67 C.P.R. (3d) 340 (C.F. 1re inst.)), la Cour est justifiée d"intervenir si l"appelant établit que le registraire a commis une erreur de droit ou s"est trompé dans l"appréciation des faits de la cause: McDonald"s Corp. c. Silcorp. Ltd. (1992), 41 C.P.R. (3d); 54 F.T.R. 80n (C.A.); Choice Hotels, précité, à la p. 344. De plus, le par. 56(5) de la Loi donne au propriétaire inscrit une deuxième chance d"établir son emploi de la marque, lui permettant ainsi de combler les lacunes apparaissant dans la preuve fournie au registraire: Keepsake Inc. c. Prestons Ltd. [1983] 2 C.F. 489, aux pp. 498 et 499 (1re inst.).

     L"appelante a présenté une preuve additionnelle en vertu du par. 56(5) afin d"étayer sa prétention qu"elle a employé la marque de commerce en liaison avec le service d"application d"un traitement antitache aux carpettes et tapis, et non en liaison avec les carpettes et tapis eux-mêmes. Cette preuve additionnelle consiste en un affidavit ainsi qu"en des copies certifiées d"une récente demande de marque de commerce et d"enregistrements d"autres marques. J"ai pris en considération l"affidavit, mais j"ai exclu les copies certifiées du dossier parce qu"elles n"ont pas été produites avec conformité avec la règle 704 des Règles de la Cour fédérale .

     La preuve additionnelle établit un certain emploi et est suffisante pour justifier l"audition de novo du présent appel.

     Les dispositions pertinentes de l"article 45 sont les suivantes:

     45. (1) Le registraire peut, et doit sur demande écrite présentée après trois années à compter de la date de l'enregistrement d'une marque de commerce, par une personne qui verse les droits prescrits, à moins qu'il ne voie une raison valable à l'effet contraire, donner au propriétaire inscrit un avis lui enjoignant de fournir, dans les trois mois, un affidavit ou une déclaration solennelle indiquant, à l'égard de chacune des marchandises ou de chacun des services que spécifie l'enregistrement, si la marque de commerce a été employée au Canada à un moment quelconque au cours des trois ans précédant la date de l'avis et, dans la négative, la date où elle a été ainsi employée en dernier lieu et la raison de son défaut d'emploi depuis cette date.         

     [...]

     (3) Lorsqu'il apparaît au registraire, en raison de la preuve qui lui est fournie ou du défaut de fournir une telle preuve, que la marque de commerce, soit à l'égard de la totalité des marchandises ou services spécifiés dans l'enregistrement, soit à l'égard de l'une de ces marchandises ou de l'un de ces services, n'a été employée au Canada à aucun moment au cours des trois ans précédant la date de l'avis et que le défaut d'emploi n'a pas été attribuable à des circonstances spéciales qui le justifient, l'enregistrement de cette marque de commerce est susceptible de radiation ou de modification en conséquence.         

     L"interprétation traditionnelle de l"art. 45 a été formulée dans les termes suivants par le président Jacket dans Broderick & Bascom Co. c. Registraire des marques de commerce (1970), 62 C.P.R. 268 (C. É.):

     [TRADUCTION] L"article 44 [maintenant l"art. 45] de la présente Loi établit un code de procédure investissant le registraire du pouvoir de radier du registre les marques non employées ou d"en restreindre l"effet aux marchandises ou services en liaison avec lesquels elles sont employées. L"article ne permet pas de statuer sur la question de l"abandon; il s"agit simplement d"une procédure sommaire par laquelle le propriétaire inscrit de la marque est requis de fournir une preuve d"emploi au Canada ou, à défaut, une preuve des circonstances spéciales justifiant l"absence d"emploi. [...] La seule question que le registraire devait trancher était celle de savoir si le propriétaire inscrit a fait valoir l"emploi au Canada ou des circonstances justifiant le défaut d"emploi.         

    

     Plus récemment, dans l"arrêt Meredith & Finlayson c. Canada (Registraire des marques de commerce) (1991), 40 C.P.R. (3d) 409, à la page 412, la Cour d'appel fédérale a dit ceci:

     L'article 45 prévoit une méthode simple et rapide de radier du registre les marques tombées en désuétude. Il n'est pas censé prévoir un moyen supplémentaire de contester une marque de commerce, autre que la procédure litigieuse courante visée par l'article 57. Le fait que l'auteur d'une demande fondée sur l'article 45 ne soit même pas tenu d'avoir un intérêt dans l'affaire [...] en dit long sur la nature publique des intérêts que l'article vise à protéger.[...] Cette disposition ne vise manifestement pas la tenue d'une instruction qui porterait sur une question de faits contestée mais, plus simplement, à donner au propriétaire inscrit l'occasion d'établir, s'il le peut, que sa marque est employée, ou bien d'établir les raisons pour lesquelles elle ne l'est pas, le cas échéant.         

    

     L"objet de la procédure visée à l"art. 45 est de débarrasser le registre des inscriptions de marques de commerce qui ne sont pas revendiquées bona fide par leurs propriétaires comme marques de commerce en usage: Plough (Canada) Ltd. c. Aerosol Fillers Inc. (1980), 53 C.P.R. (2d) 62, à la p. 65 (C.A.F.). Les parties adverses ne peuvent y recourir pour résoudre des questions de fait et de droit concernant leurs prétentions commerciales conflictuelles à l"emploi d"une marque: Moosehead Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al. (1985) 11 C.P.R. (3d) 208, à la p. 211 (C.A.F.); Effem Foods Ltd. c. Sears Canada Inc. (1987), 16 C.P.R. (3d) 23, à la p. 24 (C.F. 1re inst.); Value Village Markers (1990) Ltd. c. Canada (Reg. M.C.) (1995), 60 C.P.R. (3d) 502, à la p. 509 (C.F. 1re inst.); International Board of Standards and Practices for Certified Financial Planners Inc. c. Canadian Institute of Financial Planning (91993), 48 C.P.R. (3d) 134, à la p. 148 (C.F. 1re inst.).

     L"intimée soutient que le fardeau de prouver l"emploi au Canada au cours de la période pertinente impose à l"inscrit une charge exigeante. Je ne suis pas d"accord: Value Village , précité, à la p. 509. En effet, tout ce que le registraire doit prendre en considération, c"est si l"appelant a fourni certains éléments de preuve de l"emploi de sa marque de commerce au cours de la période pertinente: Central Transport, Inc. c. Martha & Associés/Associates (1995), 64 C.P.R. (3d) 354 (C.A.F.); Plough, précité. Ainsi, la preuve présentée au registraire doit établir les faits "à partir desquels on peut déduire logiquement qu"il y a eu "emploi" ou "emploi dans le cours normal du commerce"": Keepsake , précité.

     En somme, l"article 45 est conçu pour forcer le propriétaire inscrit à établir, par la présentation de certains éléments de preuve, qu"il a un intérêt substantiel et continu dans la marque de commerce: Keepsake , précité. En l"espèce, la preuve fournie par l"appelante établit manifestement que celle-ci avait un intérêt dans l"emploi de la marque au Canada pendant la période pertinente. En allant au-delà de la question de savoir si l"appelante avait fourni des éléments de preuve de son emploi de la marque "STAINSHIELD", le registraire a outrepassé sa compétence sous le régime de l"article 45, commettant ainsi une erreur de droit.

     L"appelante a présenté une preuve indiquant qu"elle avait largement employé la marque de commerce en conjonction avec ses campagnes publicitaires au cours de la période pertinente. Aux termes du par. 4(2) de la Loi, une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services: Goodman & Carr c. Royal Lepage Real Estate Services (1988), 20 C.P.R. (3d) 459, à la p. 461 (Reg. M.C.). Par conséquent, la preuve soumise par l"appelante satisfait à l"exigence de l"art. 45.

     Ayant accepté la preuve d"emploi de l"appelante, le registraire n"aurait pas dû aller plus loin et se demander si l"emploi décrit était en liaison avec le service d"application d"un traitement antitache des carpettes et tapis plutôt qu"en liaison avec des carpettes et tapis comme marchandises. Ce faisant, le registraire s"est engagé dans l"examen de la validité de la marque, et des droits de l"appelante sur cette marque, telle que spécifiée au registre, ce qui excède la portée de l"art. 45: Rogers , précité, aux p. 263 à 265; Roebuck et al. c. Canada (Reg. M.C.) (1987), 13 C.I.P.R. 75, à la p. 80 (C.F. 1re inst.); Effem Foods Ltd. c. Sears Canada Inc. (1987), 16 C.P.R. (3d) 23, à la p. 24 (C.F. 1re inst.). Un tel examen relève du par. 57(1) de la Loi, lequel confère à la Cour une compétence initiale exclusive pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque.

     L"intimée allègue, subsidiairement, que la marque de commerce n"étant pas employée par l"appelante à titre d"usager inscrit, elle doit être radiée. Elle soutient que la preuve établit que la marque de commerce est employée par une entité autre que l"appelante, savoir Richmond Carpets. Cet argument n"a pas été invoqué devant le registraire, mais la présente Cour siégeant de novo en appel peut le prendre en considération: Plough, précité. La preuve soumise suffit à établir que l"appelante, à titre de propriétaire inscrit, emploie ses marques de commerce, dont "Richmond", "Vantage" et "STAINSHIELD" dans ses activités de vente de carpettes et de tapis.

     En conséquence, l"appel est accueilli. La marque de commerce "STAINSHIELD", portant le numéro 368,209, doit être réinscrite au registre. Les dépens sont adjugés à l"appelante.

                                 Howard I. Wetston

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 30 octobre 1997

Traduction certifiée conforme                 

                                 C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-2770-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :          Gesco Industries Inc. c.
                         Sim & McBurney et al.
LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :              Le 23 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE WETSTON

DATE DES MOTIFS :              Le 30 octobre 1997

ONT COMPARU :

Marylin Field-Marsham              Pour l'appelante

Sarah Gagan

Frank Zaid

Kenneth McKay                  Pour l"intimée

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Osler, Hoskin & Harcourt              Pour l'appelante

Ottawa (Ontario)

Sim, Hughes, Ashton & McKay          Pour l"intimée

Toronto (Ontario)


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