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Date : 20040109

Dossier : T-923-99

Référence : 2004 CF 29

OTTAWA (ONTARIO), LE 9e JOUR DE JANVIER 2004

PRÉSENT :     L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                            JEAN-MICHEL TESSIER

                                                                                                                                                    Demandeur

                                                                              - et -

                                               SOCIÉTÉ CANADIENNE DES PORTS

                                                                                   

                                                                                                                                               Défenderesse

                                            MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                 Le demandeur réclame 366 243,12 $ de la défenderesse plus les intérêts et les frais.

[2]                 Le demandeur a été à l'emploi du Canadien Pacifique Limitée (CP) du 15 juin 1959 au 4 février 1974 et du 9 septembre 1974 au 26 février 1977. Par la suite, il travailla pour la défenderesse du 19 mars 1977 jusqu'au 19 février 1996. Plus particulièrement, le demandeur a été président de la défenderesse du 27 juillet 1987 au 19 février 1996.

[3]                 En 1977, le demandeur a commencé à contribuer au fonds de pension des fonctionnaires fédéraux. À cette époque, le demandeur ne pouvait transférer audit fonds de pension les contributions accumulées dans son fonds de pension chez CP. Aussi, transféra-t-il ces dernières dans un régime enregistré d'épargne-retraite (REER). Néanmoins, il a toujours été loisible au demandeur de « racheter » , aux conditions prévues dans la Loi sur la pension de la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-36 (LPFP), toute période de service ouvrant droit à pension chez un employeur antérieur (articles 6, 7 et 8 de la LPFP).


[4]                 Ceci étant dit, selon la preuve au dossier, le rachat par la défenderesse à l'acquit d'un employé ou d'un officier d'années de service chez un employeur antérieur pour fins de bonification de sa pension n'a jamais fait partie des conditions générales d'emploi, de rémunération ou des avantages accordés aux employés et officiers de la défenderesse, incluant son président. Or, le ou vers le 31 mai 1995, à l'instigation de l'ancien vice-président exécutif, J. Ansary (lequel fut subséquemment congédié en raison d'actes frauduleux), le président par intérim du conseil d'administration de la défenderesse, James B. Powers, qui se trouvait alors à Terre-Neuve, aurait apparemment apposé sa signature sur le document P-9 qui se lit comme suit :

WHEREAS the President and Chief Executive Officer of Canada Ports Corporation, Jean Michel Tessier, became an employee of the Corporation on February 26, 1977;

AND WHEREAS BETWEEN June 1, 1966 and February 26, 1977 he had been employed at CP Rail which did not have a reciprocal transfer agreement with Treasury Board at the time of his transfer to the Corporation, his pension contribution was directed to an RRSP and he lost entitlement to a pension benefit from CP Rail for that period;

AND WHEREAS the said President and Chief Executive Officer has faithfully and diligently served the Corporation since February 26, 1977 and proposes to continue his public service to age sixty;

AND WHEREAS the Corporation wishes to assist Jean Michel Tessier in ensuring that his public service superannuation benefit be calculated on his total years of service including CP Rail service as if he had been a contributor to PSSA from June 1, 1966 to his retirement;

AND WHEREAS the Corporation, through the services of William M. Mercer Limited and MLH & A Inc., secured proposals both in 1994 and in 1995;

AND WHEREAS the Board of Directors of Canada Ports Corporation has authorized the Acting Chairman to make appropriate recommendations as evidenced by its resolution passed on March 21, 1995;

AND WHEREAS the Corporation, after consulting its auditors, has now set aside the amount necessary for its contribution to the said Plan in its annual budget;

NOW THEREFORE IT IS AUTHORIZED THAT

the Corporation pay out its contribution as set out in the attached Schedule A which coupled with Mr. Tessier's transfer of registered funds to the PSSA will enable the purchase of 13.75 years of service to allow him to draw a pension at age sixty in an amount equivalent to a full contribution.


[5]                 Messieurs Powers et Ansary n'ont pas témoigné à l'audience, tandis que le demandeur admet ne pas avoir été présent lors de la signature du document P-9 dont l'authenticité a été mise en doute par la défenderesse. Quoi qu'il en soit, c'est apparemment sur la base du document P-9, que l'ancien contrôleur de la défenderesse, G. Petrellis (qui a également été ultérieurement remercié de ses services), requiert le 5 juin 1995 de Marie-Michèle Robichaud, alors directrice du personnel de la défenderesse, qu'elle procède au paiement d'un montant de 366 243,12 $ au Receveur général du Canada. Il s'agit là du prix de rachat au comptant fourni par la Direction des pensions de retraite, Approvisionnement et Services Canada (la Direction des pensions), dans un estimé daté du 31 mai 1995. Cette somme doit alors permettre le rachat des quelques 13.75 années de service du demandeur chez CP.

[6]                 De fait, le ou vers le 7 juin 1995, le demandeur exerce son droit d'option en vertu de la LPFP en complétant le formulaire requis. Y est également joint un chèque de 366 243,12 $ tiré du compte de banque de la défenderesse (la somme en cause). Du même coup, au cours de l'été 1995, la défenderesse verse au Receveur général du Canada à l'acquit de Messieurs Petrellis et Ansary, des montants respectifs de 199 520,75 $ et 41 381,74 $ afin de leur permettre également de racheter des années de service passées auprès d'employeurs antérieurs (les autres sommes).


[7]                 Or, en septembre 1995, la défenderesse demande à la Direction des pensions de « geler » la somme en cause et les autres sommes. La défenderesse prétend alors que les paiements en question ont été effectués sans les autorisations préalables nécessaires. Des demandes formelles de retour de ces sommes sont par la suite adressées au cours de l'été 1996 par la défenderesse à la Direction des pensions. Préalablement, une mise en demeure demandant la coopération du demandeur pour obtenir le retour de la somme en cause est d'ailleurs adressée à l'ancien procureur du demandeur en février 1996; celle-ci demeure sans réponse. Effectivement, le ou vers le 1er novembre 1996, Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, retourne à la défenderesse toutes les sommes susmentionnées en contre partie d'un engagement de sa part de prendre fait et cause et de tenir Sa Majesté indemne advenant une poursuite ou une condamnation contre cette dernière.

[8]                 La façon de procéder de la défenderesse pour obtenir unilatéralement le retour des sommes susmentionnées, - lesquelles avaient été déjà versées au compte de pension de retraite des fonctionnaires fédéraux qui, selon le paragraphe 4(2) de la LPFP, faisait à l'époque partie du Fonds du revenu consolidé -, soulève diverses questions d'ordre juridique. Toutefois, les parties conviennent qu'il s'agit d'un aspect purement accessoire, et d'ailleurs, la Cour note que Sa Majesté n'est pas défenderesse à la présente action. Aussi, il s'agit donc essentiellement de se demander à quelles conditions la défenderesse pouvait légalement verser la somme en cause à l'acquit du demandeur; la défenderesse prétendant à cet égard que les autorisations préalables nécessaires n'ont pas été obtenues, ce qui est contesté par le demandeur qui prétend que le versement de la somme en cause a été autorisé par le conseil d'administration de la défenderesse, ce qui est suffisant en l'espèce.


[9]                 Tel qu'il a déjà été souligné, au moment où la somme en cause a été versée au Receveur général du Canada, le demandeur était président de la défenderesse. Rappelons ici qu'en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur la Société canadienne des ports, L.R.C. (1985), ch. C-9 (LSCP), le président de la défenderesse est nommé à titre amovible par le gouverneur en conseil pour le mandat qu'il estime indiqué. D'autre part, la défenderesse constitue une société d'État mère à laquelle s'appliquent la partie X de la Loi sur la gestion des finances publiques, L.R.C. (1985), ch. F-11 (LGFP) ainsi que le Règlement général de 1995 sur les sociétés d'État, DORS/95-226 (RGSE). Or, aux termes de l'article 108 de la LGFP, toute « rémunération » accordée au président et au premier dirigeant d'une société d'État mère doit être fixée par le gouverneur en conseil, tandis que les « autres avantages » que celui-ci reçoit doivent être fixés par le conseil d'administration de la société d'État mère.

[10]            L'article 108 de la LGFP prescrit :


108. (1) Le barème de rémunération des administrateurs, du président et du premier dirigeant d'une société d'État mère, au titre de ces fonctions et, dans le cas du président ou du premier dirigeant, d'autres fonctions auprès de la société ou d'une personne morale du même groupe, est fixé par le gouverneur en conseil.

(2) Les autres avantages que reçoivent les administrateurs, le président et le premier dirigeant d'une société d'État mère, au titre de ces fonctions et, dans le cas du président ou du premier dirigeant, d'autres fonctions auprès de la société ou d'une personne morale du même groupe, sont fixés par le conseil d'administration de la société en conformité avec les règlements.

(...)

(3) Pour l'application du présent article, le gouverneur en conseil peut prendre des règlements_:

a) pour définir « rémunération » ;

b) concernant les autres avantages qui peuvent être attribués aux administrateurs, au président ou au premier dirigeant ou à leur profit.

[mon soulignement]

108. (1) The rate of any remuneration paid to a director, chairman or chief executive officer of a parent Crown corporation for his services in respect of that office and, in the case of a chairman or chief executive officer, any other office of the corporation or an affiliate thereof shall be fixed by the Governor in Council.

(2) Any benefits, other than remuneration, provided to a director, chairman or chief executive officer of a parent Crown corporation for his services in respect of that office and, in the case of a chairman or chief executive officer, any other office of the corporation or an affiliate thereof shall be fixed by the board of directors of the corporation in accordance with the regulations.

(...)

(3) For the purposes of this section, the Governor in Council may make regulations

(a) defining the term "remuneration"; and

(b) respecting the provision and fixing of benefits, other than remuneration, to or for any director, chairman or chief executive officer.



[11]            Par ailleurs, l'article 7 du RGSE précise :


7. Pour l'application de l'article 108 de la loi,                  « rémunération » s'entend du traitement, des honoraires, des indemnités ou de toute autre forme de rétribution pécuniaire, qu'ils soient payables à la date à laquelle le destinataire y a droit ou à une date ultérieure.

[mon soulignement]

7. For the purposes of section 108 of the Act, "remuneration" means a salary, fee, allowance or any other form of monetary compensation, whether payable at the time of entitlement or at a later date.



[12]            En l'espèce, la somme en cause correspond à près de trois années de salaire du demandeur. En effet, le barème de la rémunération du demandeur, tel que fixé par le gouverneur en conseil, se situait entre 106 900 $ et 125 900 $. Le demandeur justifie ici le versement à son bénéfice d'une somme d'argent aussi importante par le fait que le conseil d'administration de la défenderesse désirait le « récompenser » pour l' « excellent travail » qu'il avait accompli depuis qu'il était président. Clairement, de l'avis de la Cour, le versement de la somme en cause à l'acquit du demandeur constitue une « forme de rétribution pécuniaire » selon l'article 7 du RGSE. On peut facilement assimiler un tel avantage pécuniaire au bonus qu'un employeur peut verser à un employé pour sa bonne performance en cours d'emploi, ou encore à l'indemnité de cessation d'emploi qu'il peut lui accorder à la fin de son emploi. Qu'il ait été plus avantageux sur le plan fiscal pour le demandeur que la défenderesse verse plutôt à un tiers (en l'occurrence au Receveur général du Canada) la somme en cause, ne change rien à la nature fondamentale du paiement effectué en juin 1995. La défenderesse ne devait aucune somme d'argent à Sa Majesté et ne tirait aucun avantage pécuniaire de l'exercice par le demandeur de l'option prévue dans la LPFP. Or, il est clair en vertu du paragraphe 108(1) de la LGFP que le versement de la somme en cause devait être préalablement autorisé par le gouverneur en conseil; cette autorisation n'ayant pas été donnée, le demandeur n'a donc aucun droit d'action contre la défenderesse.

[13]            Ceci étant dit, même s'il fallait considérer, en vertu du paragraphe 108(2) de la LGFP, le versement de la somme en cause comme l'un des « autres avantages que reçoivent les administrateurs, le président et le premier dirigeant d'une société d'État même, au titre de ces fonctions » , encore faudrait-il que l'octroi au demandeur d'un tel avantage ait été préalablement approuvé par le conseil d'administration de la défenderesse, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.

[14]            Or, en vertu du paragraphe 19(1) de la LSCP, c'est le conseil d'administration qui assure la direction et la gestion des affaires de la défenderesse, et ce, sous réserve des pouvoirs et fonctions que celui-ci peut déléguer au comité de direction. La résolution du conseil d'administration datée du 21 mars 1995 (pièce D-2, onglet 38 et pièce D-14), (celle-là même auquel réfère le document P-9), se lit comme suit :

The Acting Chairman be authorized to pursue the overall compensation of the Canada Ports Corporation president and Chief Executive Officer and make appropriate recommendations for subsequent approval by Privy Council Office.


[15]            Comme on peut le constater, le texte de la résolution du 21 mars 1995 est clair. À cet égard, le témoignage de Madame Roza Aronovitch, qui agissait à l'époque comme « Vice-President Legal and Realty Services, General Counsel and Corporate Secretary » , est probant et confirme l'authenticité de cette résolution du conseil d'administration. Ainsi, aucune décision finale n'est prise par le conseil d'administration. Il est clair que le montant et les modalités particulières de versement au demandeur d'une « indemnité globale » ( « overall compensation » ) restent à déterminer. Par ailleurs, la décision « finale » devra être prise par le Bureau du Conseil privé (donc le gouverneur en conseil). À cet égard, la résolution du 21 mars 1995 ne confère au président intérimaire du conseil d'administration, James B. Powers, qu'un pouvoir très limité de recommandation.

[16]            D'autre part, il est clair selon la preuve au dossier et les témoignages concordants de Madame Roza Aronovitch et Madame Nicole Sauvé (qui a succédé à cette dernière comme secrétaire de la défenderesse) que le document P-9 ne constitue ni une résolution du conseil d'administration, ni une résolution du comité exécutif de la défenderesse. De plus, le document P-9 est contraire au texte clair de la résolution du 21 mars 1995 du conseil d'administration. Donc, l'autorisation contenue au document P-9 est ultra vires des pouvoirs qui ont été délégués par le conseil d'administration au président par intérim du conseil d'administration et est donc inopposable à la défenderesse.

[17]            En conclusion, pour les raisons exposées plus haut, le demandeur n'a aucun droit d'action contre la défenderesse. Par conséquent, il n'est pas nécessaire de traiter des moyens de défense plaidés subsidiairement par la défenderesse, ni de s'attarder ici sur les conséquences de la décision ultérieure du 6 juin 1997 de la Direction des pensions de ne reconnaître que la dernière période d'emploi chez CP comme période ouvrant droit à pension aux fins de l'option exercée par le demandeur.


                                              JUGEMENT

Pour les motifs mentionnés précédemment, la Cour rejette l'action du demandeur, le tout avec dépens en faveur de la défenderesse.

                                       ___________________________________

                                                                                                             Juge                                  


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-923-99

INTITULÉ :              JEAN-MICHEL TESSIER c. SOCIÉTÉ CANADIENNE DES PORTS

LIEU DE L'AUDIENCE :                         QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                       8 DÉCEMBRE 2003

MOTIFS DE JUGEMENT

ET JUGEMENT :    L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                               9 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Me Louis Masson                                           POUR LE DEMANDEUR

Me Marie-Claude Martel

Me Bernard Letarte                                       POUR LA DÉFENDERESSE

Me Patrick Vézina                                       

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joli-Coeur, Lacasse, Geoffrion, Jetté, St-Pierre POUR LE DEMANDEUR

Québec (Québec)

Morris Rosenberg                                           POUR LA DÉFENDERESSE

Ottawa (Ontario)                                           


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