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     Date : 19980408

     Dossier : T-228-98

ENTRE :

     LAURA-LEE BROWN,

     requérante,

     et

     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

M. JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]      Par avis de requête introductif d'instance, le lieutenant Brown, navigatrice aérienne, diplômée du Collège militaire royal de Kingston, demande le contrôle judiciaire d'une décision prise par le colonel G. W. Nordick, directeur des carrières militaires, l'obligeant à accomplir sa période de service obligatoire telle que l'entendent les Forces canadiennes et ce jusqu'à expiration de cette période en novembre 1999. Plutôt que de se conformer à cette politique de libération restreinte, le lieutenant Brown souhaite mettre immédiatement fin à sa carrière militaire pour occuper un poste à l'Association mondiale des éclaireuses et des Girl Scouts, en Suisse.

[2]      La présente requête de la Couronne vise à radier la procédure engagée par le lieutenant Brown au motif que celle-ci doit épuiser en premier lieu toutes les voies de recours et de redressement prévues dans la procédure de grief militaire, avant d'adresser à la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire.

PROCÉDURE DE GRIEF

[3]      Avant d'aborder les faits de l'espèce, il serait bon d'exposer la procédure de grief qui devrait, d'après la Couronne, être suivie. Cette procédure est prescrite à l'article 29 de la Loi sur la Défense nationale qui, à part quelques exceptions, dispose comme suit :

         "... l'officier ou le militaire du rang qui s'estime lésé d'une manière ou d'une autre peut, de droit, en demander réparation auprès des autorités supérieures désignées par règlement du gouverneur en conseil, selon les modalités qui y sont fixées."                 

[4]      Les règlements dont il s'agit sont les Ordonnances et règlements royaux applicables aux Forces canadiennes (ORFC), notamment le paragraphe 19.26(1) aux termes duquel l'autorité de redressement s'entend "... d'un commandant, d'un officier commandant, d'une formation ou un commandement, du chef d'état-major de la défense et du ministre". Le paragraphe 19.26(2) prescrit qu'une plainte soit acheminée par la chaîne de commandement. Conformément au paragraphe 19.26(3) une autorité de redressement doit agir aussi promptement que possible.

[5]      Toutes les fois qu'un militaire estime qu'il n'a pas été convenablement statué sur sa plainte, il peut s'adresser à l'autorité de redressement supérieure dans la chaîne de commandement. Les paragraphes 19.26(10), (11) et (12) comprennent d'autres dispositions touchant la procédure et les délais :

         (10)      Toute autorité de redressement qui reçoit une plainte écrite doit :                 
         a)      lorsqu'elle a le pouvoir d'accorder le redressement demandé :                 
             (i)      soit prendre les mesures nécessaires, si elle est personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte,                 
             (ii)      soit retourner la plainte au militaire et l'informer que l'autorité de redressement n'y a pas fait droit parce qu'elle n'est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte;                 
         b)      lorsqu'elle n'a pas le pouvoir d'accorder le redressement demandé :                 
             (i)      soit acheminer la plainte à l'autorité de redressement supérieure dans la chaîne de commandement, si elle est personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte,                 
             (ii)      soit retourner la plainte au militaire et l'informer que l'autorité de redressement n'y a pas fait droit parce qu'elle n'a pas le pouvoir d'accorder le redressement demandé et qu'elle n'est pas personnellement convaincue du bien-fondé de la plainte.                 
         (11)      Une autorité de redressement est tenue de prendre les mesures visées par l'alinéa (10) à l'intérieur des délais prescrits ci-dessous :                 
         a)      s'il s'agit d'un commandement, dans les 30 jours suivant la réception de la plainte par celui-ci;                 
         b)      s'il s'agit d'un officier commandant une formation, dans les 90 jours suivant la réception de la plainte par celui-ci;                 
         c)      s'il s'agit d'un officier commandant un commandement, dans les six mois suivant la réception de la plainte par celui-ci.                 
         (12)      Si une autorité de redressement visée à l'alinéa (11) ne prend pas de décision à l'égard d'une plainte d'un officier ou miliaire du rang au cours de la période visée par cet alinéa, le militaire peut présenter une plainte écrite directement à l'autorité de redressement supérieure dans la chaîne de commandement.                 

Le paragraphe 19.26(13) fixe à un an le délai de présentation d'une plainte sous réserve cependant, qu'un commandant peut, en vertu du paragraphe (15) et eu égard aux circonstances, décider de se saisir d'une plainte présentée après l'expiration d'une période prescrite s'il estime qu'il serait dans l'intérêt de la justice de le faire.

[6]      L'article 19.27 des ORFC énonce la procédure régissant la présentation d'une plainte laquelle devra être faite par écrit et comprendre les renseignements suivants :

         "a)      une déclaration des faits qui ont donné naissance à la plainte;                 
         b)      un énoncé du redressement demandé;                 
         c)      une déclaration écrite de toute personne sur laquelle le militaire s'appuie pour établir le bien-fondé de sa plainte;                 
         d)      une copie de tout document sur lequel le militaire s'appuie pour établir le bien-fondé de sa plainte."                 

[7]      Pris conjointement, les articles 19.26 et 19.27 des ORFC ont pour effet d'établir une procédure simple et directe assortie, à tout le moins aux paliers initiaux de la chaîne de commandement, de délais de réponse impératifs et raisonnables par l'autorité de redressement.

[8]      Plusieurs dispositions des Ordonnances administratives des Forces canadiennes sont pertinentes en l'espèce, mais j'en traiterai dans le contexte approprié à chacune d'elles.

EXPOSÉ DES FAITS

[9]      Le lieutenant Brown, initialement affectée au poste d'ingénieur militaire des communications et de l'électronique, s'est enrôlée le 4 juillet 1989 dans le Programme de formation des officiers de la Force régulière (P.F.O.F.R.) au terme duquel elle a obtenu, en mai 1994, un baccalauréat en génie chimique. Elle savait qu'en contrepartie d'une éducation universitaire, elle serait appelée à servir dans les Forces canadiennes pour une période additionnelle de cinq ans, soit jusqu'à mai 1999, mais qu'elle aurait le droit de demander une libération volontaire, en vertu du paragraphe 15.7-5 des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) qui dispose que :

         [TRADUCTION]                 
         "un militaire effectuant une période de service obligatoire qui demande sa libération volontaire avant l'expiration de cette période n'obtiendra pas l'approbation de sa demande sauf si des circonstances exceptionnelles et imprévues le justifient et les exigences du service le permettent."                 

Pour se prévaloir de cette disposition, le lieutenant Brown doit démontrer que les circonstances exceptionnelles et imprévues en question [TRADUCTION] "sont de nature contraignante, uniques ou particulières au militaire intéressé" (ORFC, 15.7-2) et rembourser aux autorités militaires les dépenses engagées pour son éducation universitaire.

[10]      Le lieutenant Brown ne s'entend pas avec les Forces canadiennes sur la durée de son service obligatoire. Les Forces canadiennes affirment que le lieutenant Brown ayant été mutée au poste de navigatrice aérienne militaire après s'y être qualifiée en novembre 1995, doit compléter une autre période de service obligatoire de quatre ans prenant fin en novembre 1999. Le lieutenant Brown juge que cette attitude est discriminatoire, car, d'après elle, d'autres militaires ont obtenu, dans les mêmes circonstances qu'elle, la libération volontaire qu'elle réclame aujourd'hui.

[11]      Ce qui nous amène à la demande de libération volontaire que le lieutenant Brown a présentée en février 1997. On l'a promptement informée par écrit, le 27 février 1997, que sa période de service obligatoire courait jusqu'au 16 novembre 1999 et que sa demande était refusée. Environ quatre mois plus tard et après une nouvelle demande dans le même sens, le Conseil de révision des carrières (le Conseil) qui en a été saisi, a rendu le 12 décembre 1997, une décision communiquée au lieutenant Brown le 14 janvier 1998, confirmant la date de sa libération fixée au 16 novembre 1999.

[12]      Entre-temps, le lieutenant Brown a retenu les services d'un avocat qui, le 24 septembre 1997, s'est adressé par écrit au colonel G. W. Nordick, directeur ces carrières militaires, à Ottawa. C'est lui qui prend les décisions relatives aux libérations volontaires. Il a répondu, le 30 septembre 1997, qu'il examinerait la demande une fois que le Conseil aura tranché le cas.

[13]      La décision du Conseil a été revue par le colonel Nordick qui, en décembre 1997, a informé le lieutenant Brown par écrit que sa demande de libération volontaire était rejetée; c'est pourquoi le lieutenant Brown demande le contrôle judiciaire de la décision du colonel Nordick.

[14]      Elle signale que les Forces canadiennes ont connu quelques difficultés au regard du programme de libération volontaire, citant à ce propos une note de service du mois d'octobre 1997 où il était question d'un manque de communication et de compréhension touchant cette politique. Elle-même avait apparemment de fausses idées là-dessus. Elle ne réalisait pas, ni n'avait été avisée comme l'exige le paragraphe 15.7(12) des Ordonnances administratives des Forces canadiennes (OAFC) qu'en demandant et acceptant sa formation en qualité de navigatrice aérienne, elle assumait de nouvelles obligations de service.

[15]      Voyons maintenant un aspect plus pertinent au sujet de la présente requête. Le lieutenant Brown allègue que le recours à l'actuelle procédure de grief militaire exigerait beaucoup de temps, d'autant plus qu'il lui faudra passer par toute la chaîne de commandement à commencer par son propre commandant. Vu les délais propres au système, il faudrait plus de dix mois pour que la plainte atteigne le chef d'état-major de la défense à Ottawa. De plus, étant donné que le colonel Nordick, qui a effectivement pris la décision, est attaché au quartier général de la Défense nationale à Ottawa, l'avocat du lieutenant Brown soutient que tout examen véritable de la décision incriminée devrait être effectué par le chef d'état-major de la défense qui n'est assujetti à aucune limite de temps pour statuer. Si le lieutenant Brown devait passer à l'étape suivante, celle de l'étude par le ministre de la Défense nationale, beaucoup de temps s'écoulerait avant que soit épuisée la procédure de redressement en vigueur dans les Forces canadiennes. Le lieutenant Brown est d'avis qu'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale serait un moyen de redressement plus rapide et plus approprié. La Couronne estime par contre que la procédure d'examen appliquée par les Forces canadiennes constitue effectivement un moyen de réparation plus adéquat et peut-être même meilleur, parce qu'elle est relativement plus rapide et nettement moins coûteuse.

ANALYSE

[16]      Bien que le lieutenant Brown invoque en fait la Charte et doute que la procédure militaire d'examen ait une utilité quelconque parce qu'elle estime que l'autorité militaire a erronément statué sur l'aspect légal du service obligatoire additionnel, sa principale raison de s'adresser à la Cour est sa conviction que le contrôle judiciaire serait une voie de recours plus expéditive. Même si l'on ne peut comparer entre eux et en termes absolus les délais relatifs à la procédure de grief et au contrôle judiciaire, il est probable que celui-ci serait plus rapide. Il est concevable qu'une demande de contrôle judiciaire puisse déboucher sur une décision en l'espace de six mois plus ou moins, selon que les parties ont épuisé ou non les délais relatifs aux diverses étapes de la procédure et pourvu qu'une date soit libre pour instruire l'affaire. Advenant que le lieutenant Brown choisisse la voie du redressement militaire, sans oublier toutefois que le paragraphe 19.26(3) des ORFC dispose que "... l'autorité de redressement doit mener une enquête aussi promptement que possible", cette procédure pourrait, si chaque étape est effectuée dans un délai raisonnable, prendre environ un an.

Radiation d'une demande :

[17]      L'écart entre les délais nécessaires pour obtenir des redressements n'est qu'un élément parmi d'autres servant à déterminer s'il y a lieu de radier la présente action. Mais il s'agit de savoir tout d'abord si une partie intimée peut faire radier une demande de contrôle judiciaire engagée par un avis de requête introductif d'instance. La Cour d'appel fédérale a, pour la première fois, examiné ce point dans l'affaire David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc. (1994) 176 N.R. 48, bien qu'elle n'ait pas décidé si un tel avis de requête pouvait faire l'objet d'une radiation fondée sur la règle 4, dite règle des lacunes, et la règle 419 régissant la radiation des plaidoiries. Selon la Cour d'appel, les Règles de la Cour fédérale ne présentent pas nécessairement une lacune car "... le moyen direct et approprié par lequel [une] une partie intimée devrait contester un avis de requête introductif d'instance qu'elle estime sans fondement consiste à comparaître et à faire valoir ses prétentions à l'audition de la requête même." (p. 52). Plus loin, M. le juge Strayer qui a prononcé au nom de la Cour d'appel, a laissé la porte ouverte à la radiation possible d'un avis de requête introductif d'instance dans le cas exceptionnel où celui-ci était manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli.

         "Nous n'affirmons pas que la Cour n'a aucune compétence soit de façon inhérente, soit par analogie avec d'autres règles en vertu de la règle 5, pour rejeter sommairement un avis de requête qui est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli. (Voir, p. ex., Cynamid Agricultural de Puerto Rico Inc. c. Commissaire des brevets (1983), 74 C.P.R. (2d) 133 (C.F. 1re inst.); et l'analyse figurant dans la discussion Vancouver Island Peace Society et al. c. Canada (ministre de la Défense nationale) et al., [1994] 1 C.F. 102; 64 F.T.R. 127, pages 120 et 121 C.F. (1re inst.)). Ces cas doivent demeurer très exceptionnels et ne peuvent inclure des situations comme celle dont nous sommes saisis où la seule question en litige porte simplement sur la pertinence des allégations de l'avis de requête." (p. 54 et 55).                 

Plus tard, la Cour d'appel a, par une décision du 23 avril 1997 non publiée, concernant l'affaire Canadian Pasta Manufacturers' Association c. Aurora Importing & Distributing Ltd., radié une demande de contrôle judiciaire qui, à son avis, n'avait aucune chance d'être accueillie.

[18]      Ce serait un gaspillage de temps et de ressources si les requêtes interlocutoires deviennent une pratique courante pour radier des procédures de contrôle judiciaire. Par ailleurs, on gaspillerait aussi sans raison du temps et des ressources en permettant qu'une demande de contrôle judiciaire inutile qui n'aboutirait à aucun résultat pratique, progresse au-delà d'une requête en radiation. C'est peut-être bien pour ces motifs que la Cour d'appel n'a pas écarté dans la cause David Bull Laboratories, la possibilité qu'une requête soit radiée en application de la règle 419, mais a établi un critère rigoureux en vertu duquel un avis de requête introductif d'instance doit être "... manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli". J'en arrive maintenant à la question de savoir si le moyen de redressement interne offert au lieutenant Brown, c'est-à-dire la procédure de grief prévue par la Loi sur la défense nationale et les articles 19.26 et 19.27 des OAFC est appropriée.

Caractère approprié du redressement

[19]      Le lieutenant Brown soutient, en l'espèce, qu'on devrait l'autoriser à demander un redressement par voie de contrôle judiciaire parce que son cas pourrait être tranché plus rapidement que si elle suivait la procédure militaire de grief tout au long de la chaîne de commandement. Toutefois, la commodité et la rapidité ne constituent pas nécessairement le critère voulu, pas plus qu'il ne s'agit de savoir si une tribune est meilleure qu'une autre. Je dois me demander si une tribune quelconque de la chaîne de commandement jusqu'au palier du chef d'état-major de la défense puis du ministre de la Défense, est tout d'abord une tribune appropriée pour statuer sur le cas du lieutenant Brown : voir, par exemple, Canadian Pacific Ltd. c. Matsqui Indian Band (1995) 26 Admin. L.R. (2d) 1, page 29 (C.S.C.).

[20]      Je reconnais également que l'existence d'un autre recours approprié ne peut pas automatiquement faire obstacle à un contrôle judiciaire, car c'est la Cour qui a discrétion pour entendre ou non pareille cause : voir Harelkin c. Université de Regina (1979) 2 R.C.S. 561. Pour déterminer s'il y a un autre recours approprié ou un recours même meilleur que celui qu'offre la Cour, il faut tenir compte de plusieurs facteurs et notamment de la procédure, de l'autorité de décision, de ses pouvoirs et de la façon dont ils seraient vraisemblablement exercés, du fardeau d'une conclusion antérieure, de la célérité et des frais (Harelkin, p. 588).

[21]      Les facteurs cités dans Harelkin faisaient partie de ce que la Cour d'appel a examiné dans la cause Anderson c. Canada (1997) 141 D.L.R. (4th) 54. Là, le sous-officier de la marine Anderson, objet d'une mesure de mise en garde et de surveillance, a entamé une procédure de redressement en vue de faire retirer de son dossier toute pièce relative à l'affaire. La demande de redressement a été traitée par le commandant de la Force maritime du Pacifique qui a fait part de son manque d'appui à ce grief. Le sous-officier a alors engagé une procédure de contrôle judiciaire. À l'étape du procès, le juge a refusé de radier l'avis de requête introductif d'instance. En appel, la Couronne a allégué qu'il fallait radier l'affaire du fait que le sous-officier Anderson disposait d'un autre recours approprié, parmi plusieurs autres, qu'il n'avait pas choisi d'épuiser. La Cour d'appel s'est reportée à l'arrêt Harelkin, ci-dessus, en disant que "le contrôle judiciaire ne sera pas accordé s'il existe un autre recours approprié qui n'a pas été épuisé". (Anderson , p. 57). La Cour s'est ensuite penchée sur les éléments en rapport avec le caractère approprié de l'autre recours, en examinant, pour commencer, la hiérarchie de l'autorité de redressement telle qu'établie au paragraphe 19.26(1) des Ordonnance et règlements royaux applicables aux Forces armées canadiennes (ORFC), à savoir : "... un commandant, un officier commandant une formation ou un commandement, le chef d'état-major de la défense et le ministre". Le paragraphe 19.26(2) dispose qu'une plainte ou un grief sera acheminé par la chaîne de commandement, et le paragraphe 19.26(3) prescrit "d'enquêter sur la plainte aussi promptement que possible".

[22]      Dans la cause Anderson, le juge du procès a estimé que la procédure de grief militaire était inappropriée en raison du temps qu'il fallait consacrer pour acheminer la plainte dans la chaîne de commandement ce qui, de surcroît, serait coûteux et source de tension.

[23]      Dans l'arrêt Anderson, la Cour d'appel a reconnu que le contrôle judiciaire prendrait peut-être moins de temps qu'il en faudrait pour porter la plainte aux échelons supérieurs successifs de la chaîne de commandement, chaque échelon ayant compétence pour accorder un redressement (sans garantie pour autant d'une issue favorable). La Cour d'appel a traité brièvement ensuite de l'élément de délai, mais n'a pas jugé qu'il justifiait, comme tel, son intervention pas plus que les éléments de coût et de tension ne légitimaient, pour leur part, l'ingérence dans la procédure de grief militaire qu'elle a qualifiée de procédure simple et directe. Pour tout résultat, la Cour a jugé que la procédure de grief peut constituer une autre voie de recours appropriée et qu'il faudrait, par conséquent, radier la demande de contrôle judiciaire (ibid., p. 62).

[24]      Il peut sembler que l'affaire Anderson réponde pleinement à la question du contrôle judiciaire demandée par le lieutenant Brown. Cependant, pour former sa décision dans Anderson, la Cour d'appel a jugé nécessaire de se reporter à celle de M. le juge MacKay, de la Section de première instance, dans la cause Gayler c. Directeur du personnel, Administration des carrières, Personnel non officier, Quartier général de la Défense (1995) 88 F.T.R. 241. Dans cette affaire, qui se distingue de l'espèce, le requérant a demandé un contrôle judiciaire d'une décision initialement prise par le directeur du personnel, Administration des carrières, Gradés et soldats, au nom du chef d'état-major de la défense. Du fait que la chaîne de commandement comprenait l'officier commandant de la formation, l'officier commandant le commandement, le chef d'état-major de la défense, le ministre de la Défense et le gouverneur en conseil, la procédure de grief n'aurait aucune utilité tant que la requérante n'a pas franchi les échelons de la chaîne de commandement jusqu'à celui du chef d'état-major de la défense, car lui seul est habilité à infirmer la décision prise en son nom. Les officiers de rangs inférieurs dans la chaîne de commandement pouvaient simplement lui adresser des recommandations. S'étant apparemment fondé sur le fait que la procédure de grief n'aurait aucun sens jusqu'à ce que le chef d'état-major soit saisi de la plainte, le juge MacKay a conclu que rien n'empêchait la requérante de demander immédiatement un contrôle judiciaire. La décision objet d'examen a donc été annulée pour manquement à l'équité d'ordre procédural.

[25]      L'aspect pertinent de la décision Gayler en l'espèce, c'est que la lenteur propre à une série d'appels inutiles portés d'un échelon à l'autre de la chaîne de commandement peut suffire à inciter la Cour à entendre discrétionnairement une demande, même si elle court-circuitait, ce faisant, la procédure de grief prescrite aux articles 19.26 et 19.27 des ORFC.

[26]      En l'espèce, le lieutenant Brown a en main une décision du directeur des carrières militaires au Quartier général de la Défense à Ottawa. Toutefois, la situation diffère ici de celle de Gayler en ce sens que, dans ce cas-ci, c'est ce directeur qui a, à première vue, tranché la question de son propre chef et non pas au nom du chef d'état-major de la défense. Dans l'affaire Gayler, le commandant de la formation et l'officier commandant le commandement pouvaient simplement, comme je l'ai dit, formuler des recommandations. Je ne considère pas que le directeur des carrières militaires fasse partie de la chaîne de commandement. Ainsi, le lieutenant Brown dispose d'un autre recours en deçà du ministre de la Défense, car le directeur des carrières militaires, qui ne fait pas partie de la chaîne de commandement et prend ses propres décisions, n'a pas mis les officiers de cette chaîne, de rang inférieur au chef d'état-major de la défense, dans la situation de formuler simplement des recommandations. Du fait que toute la chaîne de commandement est investie du pouvoir de redressement, il ne serait pas inutile que le lieutenant présente sa plainte à son commandant. Rien ne garantit, bien sûr, que celui-ci accorderait le redressement demandé, mais rien ne permet de dire non plus qu'il le refuserait.

[27]      Je m'inquiète de ce que les autorités militaires aient mis des mois pour procéder à l'examen de la décision par une commission puis par le directeur des carrières militaires, qu'elles aient égaré le résultat de cet examen pour en informer finalement le lieutenant Brown. Cela ne veut pas dire que la procédure de grief qui est assortie de délais précis, prendrait autant de temps pour aboutir au ministre de la Défense si le lieutenant Brown choisissait ou avait besoin d'aller jusque-là. Bien sûr, le lieutenant Brown soutient que le temps est un élément essentiel, car l'emploi qui lui est offert ne le sera pas indéfiniment. Elle n'a toutefois pas poursuivi avec diligence ses démarches pour obtenir redressement, et je signalerai ici le décalage entre la date du 27 février 1997 où elle a reçu du colonel Cottingham l'avis de rejet initial de sa demande de libération du service obligatoire, et celle du 7 juillet 1997 où elle a présenté une nouvelle note visant à obtenir cette libération volontaire.

[28]      Comme l'a signalé la Cour d'appel dans la décision Anderson (supra, p. 62), la procédure est simple et directe. Elle comporte simplement une plainte fondée sur un exposé écrit des faits et du redressement demandé, une déclaration rédigée par une personne fiable à l'appui de la plainte et des copies de documents. Même si le lieutenant Brown retenait les services d'un avocat pour l'aider à constituer le dossier, je doute qu'il lui en coûterait autant qu'un contrôle judiciaire. Les coûts, dont je dois quand même tenir compte, ne sont pas un élément déterminant en l'espèce.

[29]      L'avocat de la Couronne m'a signalé une décision plus récente, mais non publiée, du juge Nadon dans l'affaire Couture c. Procureur général du Canada, du 10 octobre 1997, dossier T-2530-96 où le requérant, qui avait suivi les cours du Collège militaire royal à Kingston et obtenu une maîtrise de l'Université Queen's, aux frais des Forces militaires canadiennes, demandait une libération volontaire. Il a présenté des demandes qu'il a acheminées par la chaîne de commandement sans toutefois envoyer une demande de redressement au chef d'état-major de la défense. Le juge Nadon a examiné en détail l'affaire Anderson (supra) et les faits de l'espèce. Il n'a pas réussi à établir une distinction avec les faits relatés dans Anderson et a estimé que la procédure prévue par la Loi sur la Défense nationale et les articles 19.26 et 19.27 des ORFC offraient une autre voie de recours appropriée et qu'il fallait accueillir la demande de la Couronne a l'effet de rejeter la demande.

[30]      En guise de nouvelle attaque contre le caractère insuffisant de la procédure de grief, l'avocat du lieutenant Brown soutient que l'établissement d'une politique au travers de la procédure de grief qui, d'après ce que je déduis de l'argumentation, inclut le droit de l'énoncer, diffère beaucoup du règlement d'un grief par les voies judiciaires. Dans ces arguments qu'il a versés au dossier de la requérante, l'avocat cite un paragraphe à la page 8 d'un document intitulé "Programme de formation régulier pour officier (PRFO), [TRADUCTION] Résumé des règlements et conditions de service pertinents". Ce document établit tout d'abord une période de service obligatoire de cinq ans, quelle que soit l'occupation, une fois obtenu un diplôme d'un collège militaire ou d'une université, et conclut ensuite (par le commentaire suivant : [TRADUCTION] "un navigateur aérien est tenu de servir un minimum de quatre ans quelle que soit sa période de subvention". L'avocat signale que ce passage énonce clairement que l'obligation initiale, une fois le diplôme obtenu d'un collège militaire, est fixée à cinq ans [TRADUCTION] "quelle que soit l'occupation". Il poursuit en disant que si l'on avait eu l'intention de ne pas inclure la période minimum de quatre ans de service exigée d'un navigateur aérien dans celle de cinq ans de service obligatoire découlant du financement des études, il aurait fallu le dire clairement. D'après l'avocat, on n'a pas énoncé explicitement, comme il l'aurait fallu, que selon l'interprétation des autorités militaires, la période de service obligatoire faisant suite au programme d'étude de la navigation aérienne commençait seulement après l'attribution du diplôme pertinent.

[31]      Aucun des avocats n'a abordé la disposition 15-7 (11) des OAFC qui exigerait apparemment que les services obligatoires de cinq ans et de quatre ans soient effectués consécutivement et non concurremment une fois les études et la formation achevées. Tout cela, y compris les conditions de service figurant au P.F.O.F.R. ainsi qu'à l'article 15-7 des OAFC peut bien avoir pour résultat que la procédure de grief se trouve aux prises avec des questions juridiques. Dans l'affaire Gallant c. La Reine (1979) 91 D.L.R. (3d) 695, instruite par M. le juge Marceau (tel était alors son titre), il s'agissait d'une décision d'un commandant, prise en vertu de l'article 19-20 des OAFC et que l'on jugeait arbitraire, illégale et injuste. M. le juge Marceau observe que la vie militaire est soumise à une réglementation précise et bien que le sort des membres des Forces armées ne soit pas laissé au caprice d'officiers supérieurs, les militaires ne peuvent obtenir réparation qu'au moyen de la procédure d'appel interne que les tribunaux n'ont aucun pouvoir de surveiller ni de contrôler :

         La loi, (Loi sur la Défense nationale, S.R.C. 1970 ch. N-4) s'emploie avec soin à définir le statut, les droits fondamentaux et les prérogatives des membres des Forces armées; des règlements complètent la loi et régissent les relations des militaires les uns à l'égard des autres, en fonction des politiques d'organisation interne et des structures d'autorité; des directives administratives, comme celle dont il est question dans la présente action, cherchent, de façon encore plus détaillée et concrète, à ordonner et à régulariser la mise en oeuvre des dispositions de la loi et des règlements. La vie militaire et spécialement l'exercice de l'autorité à l'intérieur des cadres de l'armée, sont soumis à une réglementation précise. Une décision comme celle dont se plaint ici le demandeur n'est certes pas laissée au caprice d'officiers supérieurs. Mais seules les instances d'appel internes formellement prévues auxquelles peut avoir recours celui qui se croit lésé (Queen's Regulations and Orders for the Canadian Forces vol. 1 (Administration) art. 19.26 adopté pour donner effet à l'article 29 de la Loi sur la Défense nationale) peuvent en vérifier la régularité et le fondement. Les tribunaux civils sont dénués à cet égard de tout pouvoir de surveillance et de contrôle.                 

Affirmer que la procédure de grief militaire ne peut porter que sur des questions de procédure touchant une politique et non sur des questions de fond d'ordre juridique, réduirait à néant le système de grief visé à l'article 29 de la Loi sur la défense nationale. Par voie de conséquence, les tribunaux militaires de la chaîne de commandement doivent nécessairement être habilités, en matière de grief, à traiter de questions de droit essentielles. Je ne vois pas pourquoi les officiers qui instruisent un grief ne seraient pas aptes à interpréter des directives, des ordonnances et des règlements qui énoncent les droits et obligations des Forces canadiennes et de leurs membres, et à en déterminer les effets.

[32]      L'avocat du lieutenant Brown est d'avis que je devrais également tenir compte du fait que le paragraphe 19.26 (16) des ORFC envisage l'intervention de la Cour en contrôle judiciaire. Les paragraphes 19.26 (16) et (17) ci-après sont pertinents à cet égard :

         (16)      Une autorité de redressement qui a reçu une plainte d'un officier ou militaire du rang en vertu du présent article est tenue de suspendre toute mesure prise à l'égard de la plainte dès que le militaire prend un recours, présente une réclamation ou une plainte en vertu de la loi fédérale, autre que la Loi sur la Défense nationale, relativement à une question qui a donné naissance à la plainte du militaire en vertu du présent article.                 
         (17)      Une autorité de redressement qui a suspendu les mesures prises à l'égard d'une plainte visée par l'alinéa (16) doit reprendre toute mesure aux termes du présent article concernant cette plainte dès que l'autre recours, réclamation ou plainte a été résolu.                 

Au soutien de son argument, l'avocat de la Couronne m'a signalé l'affaire Hutton c. Forces armées canadiennes (chef d'état-major de la Défense) (1998) 135 F.T.R. 123, instruite par M. le juge Rothstein, où le requérant en contrôle judiciaire avait également déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne. M. le juge Rothstein a relevé qu'en vertu des paragraphes 19.26 (16) et (17) des ORFC, tant qu'une plainte présentée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne n'était pas résolue, l'autorité militaire, dans ce cas le ministre de la Défense, ne pouvait prendre aucune mesure concernant une plainte. Mais il ne faut pas en déduire que la Cour devrait automatiquement procéder au contrôle judiciaire. M. le juge Rothstein s'inquiétait de ce que le requérant puisse manipuler la procédure de façon à contourner le principe énoncé dans l'arrêt Anderson, ci-dessus, mais en l'absence d'une demande de suspension des procédures à la Cour fédérale, il a statué sur la requête en contrôle judiciaire, estimant que la situation de M. Hutton différait du cas Anderson par le fait que M. Hutton avait déposé une réclamation devant la Commission canadienne des droits de la personne au sujet d'une décision du chef d'état-major de la défense.

[33]      En l'occurrence, le lieutenant Brown n'a pas cherché, comme M. Hutton, à manipuler le système en saisissant la Commission canadienne des droits de la personne de sa plainte en discrimination; la procédure de grief constitue donc une autre voie de recours encore accessible.

[34]      L'avocat du lieutenant Brown fait valoir que les paragraphes 15(1) et 24(1) de la Charte s'appliquent en l'espèce du fait que sa cliente est victime de discrimination et que les préposés à la procédure de grief n'ont pas qualité pour examiner des arguments fondés sur la Charte. La Charte n'intervient pas en l'espèce. Dans l'affaire La Reine c. Généreux [1992] 1 R.C.S. 259, le juge en chef Lamer a traité d'une affaire de stupéfiants et de désertion qui avait valu à l'intimé une condamnation par le Tribunal militaire général. L'intimé, dans sa plaidoirie, a invoqué sans succès l'article 15 de la Charte, alléguant qu'il faisait partie d'une minorité discrète et isolée. Le juge en chef Lamer s'est gardé de dire que les militaires ne pouvaient jamais être désavantagés ou victimes de traitement discriminatoire au sens de l'art. 15 de la Charte, mais a jugé cependant que l'intimé n'appartenait pas à la catégorie des personnes visée par l'article 15 (voir p. 310 et 311).

[35]      Pour expliquer davantage mon point de vue que la Charte n'est pas en jeu ici, je signale que le lieutenant Brown ne conteste pas une loi jugée discriminatoire, mais plutôt une décision du directeur des carrières militaires rejetant une demande de libération volontaire, ce qui est incompatible avec les droits protégés par l'article 15, c'est-à-dire par un texte de loi, et non par une décision peut-être discriminatoire d'un tribunal : voir, par exemple, la décision du juge en chef Dickson dans R. c. S. (S.) [1990] 2 R.C.S. 254. Il s'agissait en l'occurrence d'un jeune contrevenant accusé de recel de marchandises. Son avocat a soutenu que la province de l'Ontario avait failli à l'obligation d'établir des programmes de protection de rechange dans le cadre de la Loi sur les jeunes contrevenants de l'Ontario, violant ainsi le droit de l'intimé à l'égalité devant la loi garanti par l'article 15 de la Charte. Le juge en chef Dickson dit clairement que les droits protégés par le paragraphe 15(1) sont déterminés par la loi, à savoir les droits à l'égalité, à la protection et au bénéfice de la loi et que l'omission par le procureur général d'établir, à sa discrétion, des programmes ne peut être contestée sur le plan constitutionnel. S'il en allait autrement, tout exercice d'autorité légitime pourrait éventuellement faire l'objet d'examen au seul motif que des individus ont été inégalement traités : R. c. S. (S.), p. 284 à 286. En tirant cette conclusion, le juge en chef Dickson a cité et fait sienne une partie des motifs dissidents figurant dans l'arrêt de la Cour d'appel de l'Ontario en rapport avec l'article 4 de la Loi sur les jeunes contrevenants, et à l'article 15 de la Charte :

         À mon avis, du moment qu'on accepte que l'art. 4 de la Loi n'impose pas à la province une obligation impérative d'établir des mesures de rechange, la décision du procureur général de l'Ontario de ne pas autoriser de tels programmes en vertu de l'art. 4 ne peut porter atteinte aux droits à l'égalité reconnus à l'intimé par le par. 15(1) de la Charte. Sa décision a été prise en conformité avec les termes de l'art. 4 exprimant une faculté. C'est cet article, et non la détermination discrétionnaire faite par le procureur général en application de ses dispositions, qui constitue "la loi" aux fins d'une contestation fondée sur l'art. 15. Si l'égalité est refusée aux présumés jeunes contrevenants en Ontario, cela ne résulte ni de la décision du procureur général ni, comme le prétend l'intervenant et comme l'a statué le juge du procès, de l'omission du procureur général "de suivre la volonté du Parlement", mais bien de la loi qu'a adoptée le Parlement dans l'exercice de sa compétence législative en matière de droit criminel, qui autorise le procureur général à procéder exactement de la manière qu'il l'a fait. Bref, la décision du procureur général de l'Ontario n'est pas "la loi" et cette décision ne peut par elle-même constituer une violation de l'art. 15. (Ibid., p. 285; non souligné dans le texte).                 

En l'espèce, le directeur des carrières militaires ne constitue pas la loi ni ne peut violer, comme tel, les dispositions de la Charte.

[36]      En supposant même pour l'instant que la politique restrictive de libération établie par les Forces armées canadiennes soit discriminatoire, le lieutenant Brown n'a pas allégué, ni dans sa requête ni dans ses documents, une discrimination portant sur ses signes particuliers. La politique restrictive de libération ayant, à première vue, un caractère neutre, le lieutenant Brown doit démontrer que cette politique se reflète sur elle différemment que sur les autres au regard du bénéfice ou de la protection de la loi dont ils jouissent. L'inégalité doit porter sur des questions de fond et non simplement de procédure, ce qui découle évidemment des effets de la loi : voir les motifs dissidents de M. le juge McIntyre, approuvés par la majorité, sur la façon dont la Charte devrait être interprétée et appliquée, p. 299 à 305 dans Andrews v. Law Society of British Columbia [1989] 2 W.W.R. 289 (C.S.C.). Pour paraphraser les propos tenus sur ce point par M. le juge Mason, du Banc de la Reine en Alberta, dans l'affaire Carroll v. Canada [1995] 3 W.W.R. 264, p. 272, le lieutenant Brown n'a prouvé aucune attitude discriminatoire concernant ses signes particuliers aux termes de l'article 15 de la Charte, ou fondée sur des motifs analogues à ceux dont fait état l'article 15, qui la désavantage sur le plan social, politique et juridique, car elle doit non seulement prouver qu'elle est inégalement traitée au regard et en vertu de la loi, ou que celle-ci produit des effets différents à son endroit, mais aussi qu'elle en est victime de discrimination. En somme, elle ne se dit pas victime de discrimination en rapport avec ses signes particuliers énoncés à l'article 15 de la Charte ou pour des motifs semblables. Ainsi, et comme le souligne la décision Carroll (supra), p. 272 à 274, la Charte n'entre pas en jeu.

CONCLUSION

[37]      Voici un cas où la radiation de l'avis de requête introductif d'instance est appropriée. Il ne faut pas en déduire que le lieutenant Brown ne justifie pas d'un droit ou qu'elle ne dispose d'aucune voie de recours. Elle peut, dépendant de l'issue de la procédure militaire de grief, faire valoir une cause d'action en contrôle judiciaire par la Cour, ce qui est prématuré à l'heure actuelle. La Loi sur la Défense nationale et les Ordonnances et règlements royaux établissent plutôt une procédure simple, directe et relativement peu coûteuse confiée à une formation appropriée et experte en matière de grief militaire laquelle, comme l'a constaté la Cour d'appel dans l'affaire Anderson (supra), est en mesure d'offrir une autre voie de recours appropriée. En raison de quoi, la présente demande de contrôle judiciaire est, en ce moment-ci, manifestement irrégulière au point de n'avoir aucune chance d'être accueillie. La demande du lieutenant Brown est par conséquent rejetée.

[38]      Je remercie les avocats pour la documentation complète et les exposés de jurisprudence qu'ils ont fournis et les bons arguments qu'ils ont fait valoir.

                             (signé) John A. Hargrave

                             Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 8 avril 1998

Traduction certifiée conforme

C. Delon, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE - SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

DATE :                  8 avril 1998

No DU GREFFE :              T-228-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LAURA-LEE BROWN

                     c.

                     PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR M. JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE,

EN DATE DU              8 avril 1998

ONT COMPARU :

     Mel Hunt,                      pour la requérante

     Paul Partridge,                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Mel Hunt                      pour la requérante

     M.R. Hunt & Associates

     George Thomson                  pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada



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