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Date : 20021024

Dossier : T-107-02

Référence neutre : 2002 CFPI 1111

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE), LE 24 OCTOBRE 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                         appelant

                                                                              - et -

                                                                        WEIMIN XU

                                                                                                                                                            intimé

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE MARTINEAU

[1]                 Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration fait appel, selon le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi) et selon l'article 21 de la Loi sur la Cour fédérale, de la décision du juge de la citoyenneté Paul Gallagher, en date du 4 décembre 2001, d'approuver, conformément au paragraphe 5(1) de la Loi, la demande de citoyenneté présentée par l'intimé.


[2]                 L'alinéa 5(1)c) de la Loi énonce trois conditions qui doivent être remplies par tous les demandeurs de la citoyenneté canadienne. Elles se lisent comme suit :

a)          admission légale au Canada à titre de résident permanent;

b)          conservation du titre de résident permanent; et

c)          accumulation d'au moins trois ans de résidence au Canada dans les quatre ans qui ont précédé la date de la demande, selon le mode de calcul indiqué dans ledit alinéa.

[3]                 Seule la troisième condition nous intéresse ici. Relativement à cette troisième condition, l'alinéa 5(1)c) de la Loi prévoit qu'un demandeur de la citoyenneté peut être absent du Canada pendant un an au cours de la période de quatre ans qui précède la date de sa demande. Le législateur a donc expressément prévu qu'un demandeur de la citoyenneté doit résider au Canada pendant au moins trois ans, soit 1 095 jours.


[4]                 L'intimé est un ressortissant chinois. Lui et sa famille ont obtenu le droit d'établissement le 21 novembre 1996. Le 25 février 2001, il a présenté une demande de citoyenneté canadienne. Au cours des quatre ans qui ont précédé sa demande, il a été physiquement présent au Canada pendant 571 jours et absent du Canada pendant 889 jours - soit l'équivalent d'environ deux ans et six mois. Même s'il manquait à l'intimé quelque 524 jours pour répondre aux exigences de résidence prévues par l'alinéa 5(1)c) de la Loi, le juge de la citoyenneté a néanmoins approuvé sa demande le 3 décembre 2001. Le ministre voudrait aujourd'hui faire annuler cette décision en affirmant que le juge de la citoyenneté a commis une erreur de fait, a tenu compte d'éléments hors de propos, a ignoré des preuves essentielles qui figuraient dans le dossier ou a d'une autre manière commis une erreur de droit en décidant que l'intimé avait rempli les conditions de résidence et pouvait obtenir la citoyenneté canadienne.

[5]                 Le mot « résidence » n'est pas expressément défini au paragraphe 2(1) de la Loi. Les juges de la Cour fédérale ont adopté des points de vue divergents sur la nécessité pour un demandeur de citoyenneté d'être présent physiquement au Canada au cours de la période considérée de quatre ans. Pour certains juges, si le législateur autorise un an d'absence au cours de la période de quatre ans, il faut nécessairement en conclure que le demandeur de la citoyenneté doit être physiquement présent au Canada au cours des trois autres années (Re Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.), Re Chou (1997), 40 Imm. L.R. (2d) 308 (C.F. 1re inst.); Re Chang, [1998] A.C.F. no 148 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Cheung (1998), 148 F.T.R. 237).


[6]                 Cependant, d'autres juges de la Cour fédérale ont exprimé l'avis qu'il faut voir davantage qu'un décompte de jours dans les conditions de résidence énoncées à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Un demandeur de la citoyenneté qui a établi son domicile au Canada ne cesse pas d'être un résident parce qu'il quitte le Canada temporairement pour un voyage d'affaires ou d'agrément, voire pour un programme d'études. Par conséquent, les absences peuvent être intégrées au total des jours nécessaires si le juge de la citoyenneté est convaincu que les raisons de telles absences sont légitimes (In re Loi sur la citoyenneté et in re Antonios E. Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (Re Papadogiorgakis) et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Liu, [1999] A.C.F. no 122).

[7]                 Plus spécialement, dans Re Koo, [1993] 1 C.F. 286, aux pages 293 et 294, le juge Reed a préféré une interprétation libérale des conditions de résidence, en affirmant que la question qu'il convenait de se poser, c'était de savoir si le Canada est l'endroit où le demandeur de la citoyenneté « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Autrement dit, a-t-il concentré son mode de vie au Canada? Le juge Reed a ensuite établi la liste suivante de questions ou de facteurs qui permettent de répondre à une telle question :

(1)            la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

(2)            où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?

(3)            la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?

(4)            quelle est l'étendue des absences physiques lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables?

(5)            l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?


(6)            quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?

[8]                 Dans l'affaire Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177, le juge Lutfy a estimé que la norme de contrôle à appliquer aux affaires de citoyenneté est assimilable à celle de la décision correcte. Lorsqu'un juge de la citoyenneté décide à juste titre, dans des motifs convaincants qui attestent une compréhension de la jurisprudence, que les faits s'accordent avec son interprétation du critère énoncé à l'alinéa 5(1)c), alors la Cour fédérale ne doit pas s'immiscer dans cette décision. En tant que juridiction du second degré en matière de citoyenneté, le juge saisi d'une demande de contrôle a pour mandat de s'assurer que le juge de la citoyenneté a bien appliqué le critère retenu par lui (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 9, et So c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1232 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 29.

[9]                 Par conséquent, bien que la liste de questions ou de facteurs apparaissant dans l'affaire Re Koo, précitée, ne soit ni impérative ni limitative, et puisqu'il avait décidé ici d'appliquer le critère Re Koo, précitée, le juge de la citoyenneté avait l'obligation d'appliquer ces facteurs correctement. J'examinerai plus particulièrement les réponses données par le juge de la citoyenneté aux questions un, quatre et cinq.

[10]            En réponse à la première question posée dans l'affaire Re Koo, précitée, c'est-à-dire la question de savoir si l'intimé avait été physiquement présent au Canada pendant une longue période avant sa première absence, le juge de la citoyenneté s'est exprimé ainsi :

[Traduction]

1996 - admis avec femme et enfant. De 1996 à aujourd'hui - pas de revenu ni d'emploi, a vécu sur ses épargnes, objectif : étudier avec ardeur afin d'obtenir les titres nécessaires pour une vie décente. A demandé la citoyenneté le 25 février 2001. Période de résidence : du 25 février 1997 au 25 février 2001. (Le calcul initial des jours d'absence a été effectué par son épouse, laquelle a fait appel à sa mémoire).

[reproduit avec erreurs ou omissions]

Cette conclusion n'aborde pas la question de savoir si l'intimé avait été physiquement présent au Canada pendant une longue période avant sa première absence, ni la question de savoir si la plupart de ses absences étaient récentes et avaient eu lieu juste avant le dépôt de sa demande de citoyenneté. D'ailleurs, à aucun moment le juge de la citoyenneté ne se demande si l'intimé avait fixé son domicile au Canada avant son premier départ ou si ses absences étaient récentes et avaient eu lieu juste avant le dépôt de la demande de citoyenneté.

[11]            Cette erreur se révèle fatale et j'en dirai davantage plus loin sur la nécessité de démontrer une résidence préalable.


[12]            En réponse à la quatrième question apparaissant dans l'affaire Re Koo, précitée, question qui concerne l'étendue des absences physiques, le juge de la citoyenneté a indiqué le nombre de jours durant lesquels l'intimé a été présent au Canada ou absent du Canada. Il dit : « absences - 889 jours. Présent (1997-2000) - 571 jours. 1996-1997 - parfois au Canada. Depuis 2001 - parfois au Canada, mais la plupart du temps en Chine » . L'étendue des absences de l'intimé est considérable. Depuis quelques années, la jurisprudence relative aux critères devant être appliqués aux conditions de résidence a tendance à privilégier une démarche conservatrice. C'est-à-dire que les juges sont plus enclins à attacher une importance accrue à l'obligation pour un demandeur de citoyenneté d'être physiquement présent au Canada (Zhang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 197 F.T.R. 225 et Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Chan, [2000] A.C.F. no 1939. Ce facteur ne doit pas être sous-estimé par le juge de la citoyenneté, surtout dans des cas, tel celui-ci, où l'on peut douter que l'intimé ait jamais établi une résidence préalable au Canada.

[13]            En réponse à la cinquième question apparaissant dans l'affaire Re Koo, précitée, c'est-à-dire la question de savoir si les absences de l'intimé étaient imputables à des situations manifestement temporaires, le juge de la citoyenneté dit simplement : « causes des absences - 1 - étude en vue des examens du GMAT, 2- s'occupait de sa fille avant qu'elle ne soit prise en charge par ses grands-parents » . Sa réponse n'aborde pas la question de savoir si les absences de l'intimé étaient le résultat de situations manifestement temporaires. De plus, l'intimé a donné une foule de raisons pour ses nombreuses et longues absences (dossier certifié, page 33) :

No

Dates des absences

Destination

Raison

1

26/11/1996-2/2/1997

Chine

Régler certaines affaires restantes en Chine.

2

11/2/1997-9/5/1997

Chine

Régler certaines affaires restantes en Chine.

3

16/5/1997-27/5/1997

Chine

Emmener ma fille Minyue au Canada.

4

4/7/1997-26/9/1997

Chine

Emmener ma fille Minyue en Chine parce que ma femme était enceinte et ne se sentait pas bien.

5

8/10/1997-6/12/1997

Chine

M'occuper de ma fille Minyue.

6

1/2/1998-1/6/1998

Chine

Emmener ma fille Jesse en Chine, puis préparer et subir le test d'anglais langue première.

7

13/6/1998-25/12/1998

Chine

Suivre un cours de formation au GMAT.

8

27/2/1999-14/3/1999

Chine

Voir ma fille Jesse.

9

16/4/1999-18/4/1999

États-Unis

Visiter l'Université de Stanford.

10

11/5/1999-7/6/1999

Chine

Subir le test d'anglais langue première.

11

16/10/1999-1/11/1999

Chine

Demander une transcription de mon bulletin universitaire ainsi que des lettres de recommandation pour ma demande d'admission à une école de commerce.

12

28/1/2000-30/1/2000

États-Unis

Passer une entrevue à l'Université de Chicago.

13

10/3/2000-23/4/2000

Chine

Ramener ma fille Jesse au Canada.

14

28/4/2000-1/5/2000

États-Unis

Visiter un ami.

15

6/5/2000-27/9/2000

Chine

Constituer mon nouveau dossier de demande pour le MBA.

16

17/10/2000-22/12/2000

Chine

Constituer mon nouveau dossier de demande pour le MBA.

17

3/2/2001-8/6/2001

Chine

Constituer mon dossier de demande en vue d'un visa d'études aux États-Unis.

18

13/6/2001-16/6/2001

États-Unis

Visiter l'Université de Chicago et demander que mon dossier de demande d'inscription y soit transféré.

19

17/6/2001-28/9/2001

Chine

M'occuper de ma famille.


[14]            Comme on peut le voir, les raisons des absences susmentionnées de l'intimé suscitent de graves doutes sur le sérieux de l'analyse et sur l'exactitude des conclusions du juge de la citoyenneté. Celui-ci semble avoir tout simplement accepté les explications de l'intimé sans chercher à en savoir davantage.

[15]            Au vu des erreurs importantes notées ci-dessus, je crois qu'il est inutile d'analyser ici les réponses données par le juge de la citoyenneté aux autres questions exposées dans l'affaire Re Koo précitée. Qu'il suffise de dire que je souscris aux conclusions exposées par l'avocate de l'appelant dans son mémoire.

[16]            Je suis également d'avis que le juge de la citoyenneté a fondé sa décision sur des considérations hors de propos. Sous la rubrique « Décision » , il s'est exprimé ainsi :

[Traduction]

« Cette demande est approuvée même si le requérant a passé en Chine et non au Canada, en tant qu'étudiant, la plus grande partie des quatre années antérieures à sa demande. La plupart de ses absences du Canada étaient nécessaires pour lui permettre de subir les examens du GMAT, lesquels lui offriraient la possibilité d'être admis dans une université canadienne ou américaine et donc d'assurer l'avenir matériel de sa famille. Il a choisi d'établir le « centre de son existence » au Canada plutôt qu'en Chine, où il aurait pu demeurer et exercer une profession intéressante. Cependant, lui et sa famille ont choisi le Canada. Il sera en mesure d'obtenir un visa pour étudier aux États-Unis - et avoir accès à un financement pour ses études - avec la citoyenneté canadienne. N.-B. : La notification initiale de seulement 442 jours d'absence est le résultat d'un calcul approximatif effectué par son épouse alors qu'il se trouvait en Chine. Les 889 jours d'absence constituent un chiffre exact et s'accordent avec les indications du passeport » .


Par ailleurs, les motifs exposés par le juge de la citoyenneté n'expliquent aucunement pourquoi l'intimé a choisi de se préparer pour le GMAT en Chine pendant des mois d'affilée plutôt qu'au Canada. De plus, ce n'est pas parce que l'intimé a renoncé à un travail intéressant en Chine qu'il a établi le centre de son existence au Canada. Ce n'est pas non plus parce que l'intimé serait en mesure, avec l'attribution de la citoyenneté canadienne, d'obtenir un visa d'études aux États-Unis et d'emprunter pour ses études que la demande de l'intimé devrait par le fait même être approuvée.

[17]            Après examen du dossier, il m'apparaît que le juge de la citoyenneté n'a pas appliqué correctement la jurisprudence. La Cour fédérale a toujours souligné la nécessité pour un demandeur de citoyenneté de justifier d'une réelle présence physique au Canada, ainsi que la nécessité pour lui, avant qu'il ne puisse acquérir la citoyenneté, de démontrer de réelles attaches avec le Canada avant de pouvoir s'absenter temporairement. Comme l'indiquait le juge Pinard dans l'affaire Re Chow, précitée, à la page 310 (C.F. 1re inst.) :

Suivant une certaine jurisprudence, il n'est pas nécessaire que la personne qui demande la citoyenneté canadienne soit physiquement présente au Canada pendant toute la durée des 1 095 jours, lorsqu'il existe des circonstances spéciales ou exceptionnelles. J'estime toutefois que des absences du Canada trop longues, bien que temporaires, au cours de cette période de temps minimale, comme c'est le cas en l'espèce, vont à l'encontre de l'objectif visé par les conditions de résidence prévues par la loi. D'ailleurs, la Loi permet déjà à une personne qui a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent de ne pas résider au Canada pendant une des quatre années qui précèdent immédiatement la date de sa demande de citoyenneté. ...


[18]            L'avocat de l'intimé affirme que le critère de l'affaire Re Koo, précitée, devrait être quelque peu assoupli en raison du fait que l'intimé est un étudiant. J'observe que l'intimé n'était pas un étudiant à temps plein et qu'il a également donné pour ses absences des raisons familiales et des raisons d'affaires.

[19]            Quoi qu'il en soit, dans l'affaire Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 376, un jugement clé dans les affaires relatives aux étudiants, le juge Pelletier s'est exprimé ainsi, aux paragraphes 9, 10, 11, 12, 13 et 16 :

[9] Pour satisfaire aux exigences de la Loi sur la citoyenneté, il faut d'abord établir la preuve de résidence et ensuite, que celle-ci a été maintenue. C'est seulement lorsque la résidence est établie qu'elle peut être maintenue. La résidence n'est pas établie par la seule arrivée au Canada. En l'espèce, la preuve de résidence n'est pas très solide. La propre déclaration assermentée de l'appelante révèle qu'à peine arrivée au Canada, elle est retournée aux États-Unis afin d'y poursuivre ses études. Pour établir la preuve de sa résidence au Canada, l'appelante s'appuie sur le fait qu'elle avait une chambre dans la maison de ses parents et sur certains indices de résidence passifs.

[10] Cette question a été examinée par le juge Cattanach dans Re Pattni, [1980] A.C.F. no 1017, où le savant juge s'exprime comme suit :

[par. 35] Pour que les absences physiques du Canada puissent quand même être assimilées à une résidence au pays, le requérant doit d'abord avoir établi une telle résidence au Canada.

[par. 36] Dans l'affaire Perviz Mitha, [1979] A.C.F. no 501, où j'ai prononcé le jugement, le 1er juin 1979, j'avais dit :

À mon sens, pour savoir si les absences physiques du Canada s'expliquent pour des fins assez temporaires pour qu'elles n'interrompent pas la continuité de la résidence, il faut d'abord établir une « résidence » , c'est-à-dire savoir dans quelle mesure la personne « s'établit ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances au lieu en question » . Il faut toutefois distinguer la « résidence » au sens courant et le « concept de séjour ou de visite » .

[11] Voir également Canada (Secrétaire d'État) c. Yu, [1995] A.C.F. 919 (1re inst.), où le juge Rothstein (tel était alors son titre) affirme que le défaut d'établir la résidence justifie le rejet de la demande de citoyenneté.


[12] La même question s'est posée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lam, [1999] A.C.F. no 651, où l'appelante était également étudiante. Cette dernière, âgée de 22 ans à l'époque, avait accompagné ses parents au Canada en vue de s'y établir puis elle était retournée aux États-Unis pour y achever ses études. Elle retournait parfois au Canada et passait ses vacances à Hong Kong. Elle a déposé une demande de citoyenneté mais elle avait accumulé beaucoup moins que les 1 095 jours de résidence exigés par la Loi. Sur la question relative à l'établissement de la résidence, le juge Simpson s'exprime comme suit :

[par. 10] Toutefois, la décision Papadogiorgakis ne permet pas de conclure qu'un étudiant peut venir au Canada pour une courte période, ne pas y établir une première résidence, puis passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur ce fondement, s'attendre à remplir les exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne. Je devrais faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels liés à la résidence (carte santé, carte d'assurance sociale, carte bancaire, déclaration d'impôts, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). À mon avis, il faut également faire des efforts pour s'intégrer et participer à la société canadienne, ce qui pourrait se faire dans un lieu de travail, dans un groupe de bénévoles, ou dans une activité sociale ou religieuse, pour ne nommer que quelques possibilités.

[13] La même question s'est posée dans Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1796. L'appelante était également étudiante au moment de son arrivée au Canada. Le juge Wetston affirme ceci, à propos de l'établissement de la résidence :

[par. 9] À mon avis, lorsque la présence physique est minimale, le facteur le plus important est la qualité des attaches du requérant avec le Canada. Il doit y avoir la preuve qui indique de véritables attaches avec le Canada. Ces attaches doivent dépasser le fait d'avoir seulement des attaches avec la famille installée au Canada, d'avoir un permis de conduire canadien ou un numéro d'assurance sociale.

[par. 10] Il existe des facteurs qui peuvent servir à mettre en lumière ces attaches. L'appelante a-t-elle réellement tenté de retourner au Canada au cours des vacances? Dans la négative, pourquoi? Par exemple, est-elle retournée au Canada au cours des vacances d'été pour obtenir un emploi d'été ou faire le travail communautaire au Canada? Au cours de ces visites, s'est-elle engagée dans des activités qui favorisent son intégration dans la société canadienne? Par exemple, s'est-elle jointe à un club social, à un club d'athlétisme, à un groupe confessionnel ou a-t-elle suivi un cours ou un programme? A-t-elle raisonnablement tenté de déterminer si d'autres programmes existaient au Canada qui pourraient répondre à ses buts d'instruction, et de s'inscrire à ces programmes?

[par. 11] En bref, l'appelante doit établir sa résidence au Canada en pensée et en fait. Elle doit avoir centralisé son mode de vie au Canada.

[...][16] Les arguments présentés par l'avocat de l'appelante concernant la décision du juge Lutfy dans la décision Lam, précitée, ne lui sont d'aucune utilité puisqu'en l'espèce, la question est non pas de savoir si l'appelante a maintenu sa résidence, mais bien si elle a oui ou non établi sa résidence. Le principe selon lequel la résidence doit être établie avant qu'elle puisse être maintenue n'est pas contesté. Il n'y a donc pas lieu de suivre un courant de jurisprudence plutôt qu'un autre puisque la jurisprudence est unanime sur la question.


[20]            J'observe aussi que, dans l'extrait tiré du jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Lam, [1999] A.C.F. no 651, cité par le juge Pelletier dans l'affaire Chan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 376 [précitée], le juge Simpson explique que l'interprétation libérale des conditions de résidence dans l'affaire Re Papadogiorgakis, précitée, vient de ce que l'antériorité de la résidence de Papadogiorgakis au Canada avait été établie avant qu'il ne quitte le pays pour étudier à l'étranger. Dans cette affaire, le demandeur avait été admis au Canada à la faveur d'un visa d'étudiant le 5 septembre 1970 et avait obtenu la résidence permanente le 13 mai 1974. Papadogiorgakis avait été présent au Canada du 5 septembre 1970 au 28 janvier 1976 avant qu'il ne parte aux États-Unis pour y étudier, c'est-à-dire pendant environ cinq ans et demi après s'être fixé au Canada. En revanche, dans la présente affaire, l'intimé n'a été présent au Canada que cinq jours avant de partir pour la Chine. Comme l'a fait observer le juge Pelletier dans l'affaire Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Ting, [2002] A.C.F. no 1161, un autre précédent touchant des étudiants, au paragraphe 11 :

Si M. Papadogiorgakis avait demandé la citoyenneté canadienne avant de commencer ses études aux États-Unis, il aurait satisfait aux conditions de résidence du fait de sa présence physique au Canada. Il s'agissait véritablement dans ce cas d'une personne profondément attachée au Canada qui avait été présente dans ce pays pendant une longue période avant d'aller étudier à l'étranger. La décision Papadogiorgakis n'était donc pas la proposition générale selon laquelle une personne est automatiquement présumée résider au Canada pendant qu'elle étudie à l'étranger.

[21]            En conclusion, je suis d'avis que les motifs exposés par le juge de la citoyenneté n'indiquent pas une bonne compréhension du critère de l'affaire Re Koo, précitée et qu'ils manquent de précision. Hormis la présence d'une partie de la famille de l'intimé au Canada au cours de la période pertinente de quatre ans, le dossier ne permet tout simplement pas de valider la décision du juge de la citoyenneté et de conclure à une résidence présumée. Cela étant, j'observe que l'épouse et la fille de l'intimé sont retournées vivre auprès de l'intimé en Chine en avril 2001, ce qui confirme que la demande de citoyenneté présentée par l'intimé est prématurée et qu'il n'a pas fixé le centre de son existence au Canada.

                                           ORDONNANCE

L'appel du ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est accueillie et la décision du juge de la citoyenneté en date du 4 décembre 2001 est annulée.

        « Luc Martineau »        

       Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                   T-107-02

INTITULÉ :                  Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Weimin Xu

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              le 16 octobre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                                     le 24 octobre 2002

COMPARUTIONS :

Mme Pauline Anthoine                                        POUR L'APPELANT

M. Warren Puddicombe                                                   POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                           POUR L'APPELANT

Sous-procureur général du Canada

Larson Boulton Sohn Stockholder                                    POUR L'INTIMÉ

Vancouver (C.-B.)


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