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Date : 19990507


Dossier : T-2035-98




     ACTION RÉELLE EN MATIÈRE D'AMIRAUTÉ CONTRE LE NAVIRE " MARIANA "

ENTRE :         

     THYSSEN CANADA LIMITED

     SECURITAS BREMER ALLGEMEINE VERS. A.G.,

     demanderesse,

     et

     MARIANA MARITIME S.A.

     SEBILAN COMPANIA NAVIERA S.A.

     SUNLIGHT COMPANIA NAVIERA S.A., ET

LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PERSONNES AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE " MARIANA ", (L'EX " ANAMELIA "), NIKOLAOS PRINIAS,

DINISIOS SKIAVOUNOS, MICHAIL DASKALAKIS, ISIDOROS KARAMOUZOS,

     défendeurs.




     MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS


[1]      Il s'agit d'un avis de demande de renvoi en arbitrage et de suspension d'instance déposé par la défenderesse Mariana Maritime S.A., en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale, des règles 324 et 359 des Règles de la Cour fédérale (1998), ainsi que des articles 2 et 5 de la Loi sur l'arbitrage commercial.

LE CONTEXTE DE L'AFFAIRE

[2]      En avril 1998, Thyssen Canada a entamé des négociations avec Ferrostaal en vue d"acheter environ 18 000 tonnes métriques de rouleaux laminés à chaud devant être fournis par des aciéries roumaines et expédiés à Windsor (Ontario) en mai 1998. Le paiement devait se faire par une lettre de crédit irrévocable consentie par une banque canadienne ou américaine de première catégorie en faveur de Ferrostaal, soit un accréditif payable sur demande.

[3]      Vers le 14 avril 1998, Thyssen Canada a convenu d'acheter à Ferrostaal 18 000 tonnes métriques de rouleaux laminés à chaud. Les conditions de paiement et de livraison étaient : " CFR Free Out Windsor (Ontario) Canada ". Le connaissement (no 1) fait à Constanza et daté du 31 mai 1998, signé par le commandant du Mariana, le capitaine Nikolaos Prinias, constatait la réception en bon état à bord du Mariana de 513 bobines de rouleaux en acier laminés à chaud, soit un poids total de 8 950,70 tonnes métriques.

[4]      Un connaissement (no 2) fait à Constanza et daté du 8 juin 1998, signé par le commandant du Mariana, le capitaine Nikolaos Prinias, constatait la livraison en bon état à bord du Mariana de 298 bobines de rouleaux en acier laminés à chaud d'un poids de 5 207,260 tonnes métriques.

[5]      Cent quatre-vingt-onze bobines arrimées dans la cale no 3 faisaient partie de la seconde cargaison chargée à bord du Mariana à Constanza les 7 et 8 juin 1998.

[6]      Le 9 juin, alors que le navire traversait le détroit du Bosphore (Turquie), un incendie se déclara dans la cale no 3. La demanderesse prétend que les rouleaux d'acier furent endommagés au cours de l'incendie et des opérations de lutte contre celui-ci.

[7]      Le 28 octobre 1998, la demanderesse déposait une déclaration faisant état des avaries subies par la cargaison.

[8]      Enfin, la défenderesse Mariana Maritime S.A. a déposé la présente demande sollicitant une ordonnance renvoyant les parties en arbitrage à Londres (Angleterre) et suspendant la présente instance.

LA THÈSE DE LA DÉFENDERESSE :

[9]      La défenderesse fait valoir qu'en vertu de l'article 3 et de l'alinéa 50(1)b) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F.-7 (modifiée), la Cour fédérale du Canada est intrinsèquement compétente pour ordonner la suspension d'une instance lorsque l'intérêt de la justice l'exige.

[10]      Aux termes des articles 5 et 6 de la Loi sur l'arbitrage commercial, L.R.C. (1985), 2e suppl., ch. 17, une demande de renvoi des parties à l'arbitrage afin de résoudre un différend doit être déposée devant la Cour par voie de demande.

[11]      Le code auquel renvoient les articles 5 et 6 est le Code d'arbitrage commercial.

[12]      En vertu de l'article 8 du Code d'arbitrage commercial, la Cour doit, sur demande, renvoyer les parties à l'arbitrage.

[13]      La défenderesse considère que le contrat intervenu entre Thyssen Canada Limited et Mariana Maritime S.A. est inscrit dans le connaissement no 2. La clause 1 de ce connaissement prévoit : [traduction] " toutes les conditions, facultés et exceptions prévues dans la charte-partie portant la date indiquée au verso, y compris la clause concernant le droit applicable et le recours à l'arbitrage, sont par la présente incorporées ". Les détails de la charte-partie n'avaient pas été portés au verso du connaissement.

[14]      Deux chartes-parties régissaient le voyage du Mariana. La première avait été conclue entre la première défenderesse et Hawknet, la seconde étant une charte auxiliaire régissant le voyage donnant lieu aux réclamations présentées en l'espèce.

[15]      Selon la défenderesse, les deux chartes-parties relevaient expressément du droit anglais et des règles d'arbitrage de Londres.

[16]      Elle fait valoir qu'en droit canadien et en droit anglais, il est clair que le porteur d'un connaissement qui incorpore expressément les clauses d'arbitrage d'une charte-partie est lié par ces clauses, même si le connaissement ne précise pas de quelle charte-partie il s'agit.

[17]      Selon elle, même si la demanderesse, Thyssen parvient à établir que les Règles de Hambourg s'appliquent en Roumanie, le point d'origine de la cargaison, le connaissement prévoit l'application des Règles de la Haye. Selon le droit canadien, les conditions inscrites au contrat l'emportent.

LA THÈSE DE LA DEMANDERESSE

[18]      Thyssen s'est vu délivrer les connaissements nos 1 et 2, respectivement en date du 31 mai 1998 et du 8 juin de la même année, dans le cadre de la transaction commerciale par laquelle Ferrostaal a été payée pour les rouleaux d'acier, conformément aux conditions inscrites dans la lettre de crédit. Thyssen a par la suite présenté les connaissements aux mandataires de Mariana afin d'obtenir livraison des marchandises à Windsor (Ontario).

[19]      En ce qui concerne le Mariana, Thyssen n'a, à aucune époque, été affréteur au voyage, affréteur à temps ou affréteur à coque nue et elle n'a conclu, avec les propriétaires du Mariana ou Hawknet, aucun accord pour le transport de l'acier.

[20]      Elle fait valoir qu'aux termes de l'article 7, il faut, avant que puisse s'appliquer l'article 8 du Code d'arbitrage commercial, rapporter la preuve de l'existence d'une convention d'arbitrage.

[21]      Elle fait valoir que les connaissements no 1 et 2 délivrés par les propriétaires du navire et signés par le capitaine Prinias, commandant du Mariana, portent respectivement les dates du 31 mai 1998 et du 8 juin 1998. Les clauses additionnelles " JE1 ", qu'invoquent les propriétaires en l'espèce, sont datées du 10 juin 1998 à Constanza, soit deux jours après l'émission du dernier connaissement. La charte-partie dont font état les propriétaires n'a rien à voir avec l'accord inscrit dans les connaissements no 1 et no 2 étant donné que la charte-partie est née deux jours après la signature, le 8 juin 1998, du connaissement no 2.

[22]      La demanderesse soutient que, la réclamation formulée à l'encontre des propriétaires du Mariana se fonde sur les obligations incombant aux propriétaires en vertu des connaissements ou, selon les règles de la responsabilité civile, en raison de la négligence des propriétaires, du commandant du navire, de leurs préposés ou de leurs mandataires. Elle affirme que sa réclamation n'est pas un différend ayant son origine dans l'affrètement au voyage dont avaient convenu Hawknet et Metalexport Import S.A.

[23]      D'après elle, il n'y a en l'espèce à soumettre à l'arbitrage, aucun accord auquel, comme le prévoit l'article 7 du Code d'arbitrage commercial, serait partie Thyssen ou les propriétaires du navire.

[24]      Elle fait valoir que ne figure au recto du connaissement aucune mention spéciale dactylographiée permettant d'identifier la charte-partie qui s'applique en l'occurrrence. Aucune charte-partie n'est même mentionnée. La seule allusion possible figure au bas du formulaire où l'on trouve effectivement imprimée la mention suivante :

                 [traduction]

                 Fret payable conformément aux conditions

                 DE LA CHARTE-PARTIE DATÉE

                 ACCOMPTE SUR LE FRET

                 Reçu en acompte du fret

                 Temps consacré au chargement

                 _________jours _________heures.


[25]      Enfin, la demanderesse fait valoir qu'elle plaide et invoque les Règles de Hambourg, légalement applicables en Roumanie, État contractant au point de chargement. Selon les clauses 21 et 22, l'affaire peut être tranchée au point de déchargement.

ANALYSE

[26]      La Cour accepte qu"en vertu des articles 7 et 8 du Code d'arbitrage commercial , la Cour fédérale doit renvoyer les parties à l'arbitrage s'il existe entre elles, Thyssen et Mariana, une convention d'arbitrage. Afin de se prononcer sur l'existence d'une telle convention, la Cour doit se prononcer sur les questions suivantes :

     1.      Les connaissements incorporent-ils une clause d'arbitrage?
    
     2.      Les connaissements renferment-ils un contrat entre Thyssen et Mariana?

[27]      Le Mariana a été affrété à Hawknet, pour une période de 60 à 65 jours, en vertu d'une charte-partie datée du 25 mai 1998 et consignée sur un formulaire du New York Produce Exchange. Vers la fin du mois de mai, le navire a reçu de Hawknet l'ordre de rallier Constanza (Roumanie) afin d'y charger des rouleaux d'acier à destination du Canada. Cela donna lieu à deux connaissements. Le premier connaissement, en date du 31 mai 1998, portait sur 513 rouleaux d'acier. Le second, en date du 8 juin 1998, portait sur 298 rouleaux d'acier. Les deux étaient consignés dans un formulaire congenbill modèle 1994.

[28]      On constate, à la lecture des connaissements, qu'ils ne comprennent aucune date ni indication définitive concernant une charte-partie donnée. Les connaissements prévoient, à la clause no 1 :

         [traduction]

         Toutes les conditions, facultés et exceptions prévues dans la charte-partie portant la date indiquée au verso, y compris la clause concernant le droit applicable et le recours à l'arbitrage, sont par la présente incorporées.

[29]      Bien que les Règles de Hambourg aient force de loi en Roumanie, l'article 22 de ces règles prévoit :

         [traduction]

         1. Sous réserve des dispositions de cet article, les parties peuvent prévoir par un accord consigné par écrit que tout différend relatif au transport de marchandises effectué dans le cadre de la présente Convention sera soumis à l'arbitrage.
         2. Lorsqu'une charte-partie prévoit que les différends pouvant survenir dans le cadre de la charte-partie seront renvoyés à l'arbitrage, et qu'un connaissement émis en vertu de cette charte-partie ne prévoit pas expressément que cette disposition s'impose au porteur du connaissement, le transporteur ne pourra pas invoquer cette disposition l'encontre du porteur ayant acquis de bonne foi le connaissement en cause.

[30]      Par conséquent, la clause no 1 inscrite dans les connaissements est concluante sur ce point, permettant d'affirmer qu'il y a effectivement accord pour renvoyer les litiges à l'arbitrage et que cet accord l'emporte sur l'application des Règles de Hambourg.

[31]      Pour dire si les connaissements renferment un contrat entre Thyssen et Mariana, on adoptera la démarche suivante.

[32]      L'absence de date dans une charte-partie n'a rien d'exceptionnel.

[33]      Ce fait ne pose pas d'obstacle à l'incorporation d'une charte-partie. L'avocat de la demanderesse soutient que si un document contient de nombreux blancs qui n'ont pas été remplis, la clause d'incorporation ne saurait s'appliquer.

[34]      Je me reporte à l'affaire San Nicholas dans le cadre de laquelle Lord Denning a estimé :

         [traduction]

         Mais il s'agit en l'espèce de l'effet de cette clause d'incorporation qui comporte plusieurs blancs qui n'ont pas été remplis. Selon M. Gilman, en raison même de ces blancs, la clause d'incorporation est nulle. Elle n'a aucune signification. Selon lui, il n'est pas possible d'incorporer une charte-partie à l'égard de laquelle le document ne comporte pas la moindre précision....
         Je ne saurais retenir cet argument. Il me paraît évident que le transport s'est effectué conformément aux conditions de la charte-partie principale. On y constate des blancs parce que, à Recife, le commandant et les autres personnes ne connaissaient ni la date de l'affrètement ni les signataires et ne pouvaient donc pas remplir les blancs. La charte-partie principale était la seule à laquelle étaient partie les propriétaires du navire et, dans le connaissement, il faut supposer qu'ils se référaient à cette charte-partie principale...
         ...
         Mais il incombe à la Cour de donner à un document commercial tel que celui-ci un sens. J'hésiterais longtemps avant de dire que le simple fait de ne pas avoir inscrit sur un connaissement, la date de la charte-partie neutralise l'intention d'incorporer dans ce connaissement les conditions figurant dans la charte-partie en question1.

[35]      La charte-partie principale et la charte-partie auxiliaire relèvent du droit anglais et des règles d'arbitrage de Londres. Les clauses additionnelles de la charte-partie, accompagnées de la mention " faites à Constanza, le 10 juin 1998 ", renvoient également aux clauses additionnelles nos 18 à 49, déposées avec une annexe à la charte-partie intervenue entre Hawknet Limited et Metalexport Import S.A., la clause no 35 étant datée du 31 mai 1998 à Constanza, et ce document ayant été déposé par la demanderesse.

[36]      Je considère que la charte-partie auxiliaire a donc été incorporée.

[37]      J'estime, vu l'affidavit de M. Jonathan Elvey, que les deux connaissements ont incorporé la clause prévoyant l'application du droit anglais et des règles d'arbitrage de Londres et qu'en cela la charte-partie a été incorporée aux connaissements.

[38]      Dans l'affaire The Annefield [1971] All E.R. à la page 406, Lord Denning M.R. s'était prononcé en ces termes :

         [traduction]

         ...Selon moi, il convient manifestement de distinguer la présente affaire car, dans les deux connaissements figurent, en plus des formules habituelles d'incorporation, la mention précise " y compris la clause d'arbitrage ". L'ajout de cette mention doit d'après moi vouloir dire que les parties au connaissement ont voulu qu'en principe les dispositions de la clause d'arbitrage de la charte-partie s'appliquent aux différends pouvant naître des connaissements; et s'il faut, comme c'est clairement le cas en l'espèce, remanier ou adapter une partie du libellé de cette clause afin de donner effet à cette intention, il me semble évident qu'il y a lieu de le faire.

[39]      J'estime que même si les chartes-parties ne sont pas mentionnées dans le connaissement, la Cour peut décider qu'elles y ont été incorporées en vertu de la clause no 1 du connaissement et qu'il y a lieu d'interpréter celui-ci comme si les chartes-parties y étaient effectivement mentionnées.

CONCLUSION

[40]      J'estime que la clause no 1 du connaissement a pour effet d'incorporer la clause d'arbitrage figurant dans les chartes-parties correspondant au connaissement. En l'espèce, il ne reste au juge aucun pouvoir discrétionnaire quant à l'application de l'article 8 du Code d'arbitrage et de la suspension de l'instance.

[41]      Il me paraît évident que le porteur d'un connaissement incorporant expressément les clauses d'arbitrage figurant dans une charte-partie est lié par cette clause d'arbitrage.

[42]      Le connaissement prévoit l'application des Règles de la Haye. Selon le droit canadien, ce sont les conditions du contrat qui l'emportent.

[43]      Par ces motifs, l'instance est suspendue en vertu de l'article 50 de la Loi sur la Cour fédérale et les parties ont loisir d'engager une procédure d'arbitrage à Londres.

[44]      Les dépens suivront l'issue de la cause.

    

                             Pierre Blais

                             Juge



OTTAWA (ONTARIO)

Le 7 mai 1999



Traduction certifiée conforme




Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



No DU GREFFE :                  T-2035-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :          THYSSEN CANADA LIMITED ET AUTRE c. MARIANA MARITIME S.A. ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :              MONTRÉAL

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 12 AVRIL 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE BLAIS

DATE :                      LE 7 MAI 1999



ONT COMPARU :


M. A. B. OLAND                          POUR LA DEMANDERESSE

M. SEAN HARRINGTON                      POUR LA DÉFENDERESSE MARIANA MARITIME S.A.


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


A. B. OLAND, VANCOUVER                  POUR LA DEMANDERESSE

McMASTER, GERVAIS, MONTRÉAL              POUR LA DÉFENDERESSE MARIANA MARITIME S.A.
__________________

1      The San Nicholas [1976] 1 Lloyd"s Rep. 8.

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