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Date : 20010426

Dossier : IMM-1613-00

Référence neutre :2001 CFPI 387

Ottawa (Ontario), le jeudi 26 avril 2001

EN PRÉSENCE DE Madame le juge Dawson

ENTRE :

YI AN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle une agente des visas a rejeté la demande de résidence permanente de M. An, le 18 février 2000, au consulat général du Canada à Détroit, aux États-Unis.


[2]                La question déterminante quant à la demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si l'agente des visas pouvait raisonnablement conclure, comme elle l'a fait, que M. An n'a pas répondu aux questions de façon crédible et qu'elle doutait de la fiabilité des documents de M. An. Si ces conclusions étaient raisonnables, l'agente des visas pouvait décider que M. An ne l'avait pas convaincue qu'il avait effectivement exercé les fonctions de sa profession envisagée de réviseur. Si elles n'étaient pas raisonnables, je suis convaincue que l'agente des visas a commis une erreur donnant ouverture au contrôle judiciaire en ne tenant pas compte de la preuve documentaire fournie afin d'établir l'expérience acquise par M. An.

[3]                Les notes du STIDI, appuyées par l'affidavit de l'agente des visas, font état des doutes éprouvés par l'agente des visas au moment de l'entrevue de M. An :

(i)         Monsieur An ne répond pas à la question ou ne fournit pas de réponse claire;

(ii)        Monsieur An prétend que sa connaissance du français est « bonne » dans tous les domaines, alors qu'il n'est pas capable de parler français, de lire un paragraphe en français et d'expliquer ce dont il parle, et qu'il a de la difficulté à écrire trois phrases en français;

(iii)       Monsieur An n'a pas une « bonne » connaissance de l'anglais parlé, comme il le prétend;

(iv)       Monsieur An a embelli d'autres aspects de sa demande en prétendant détenir une maîtrise et s'être vu offrir deux emplois, alors qu'il n'en est rien;


(v)        Monsieur An a nié avoir travaillé pour un autre employeur que la télévision centrale de Chine (CCTV), alors qu'en octobre 1998 il a dit à l'ambassade canadienne à Beijing, dans le cadre d'une demande de visa de visiteur, qu'il était directeur adjoint de la Tianjin East Asian Economy Technology Corporation.

[4]                L'agente des visas affirme sous serment ce qui suit dans l'affidavit déposé en l'espèce :

[TRADUCTION]

8.              J'ai fourni au demandeur la description de la profession de réviseur figurant dans la CNP et je lui ai dit qu'il devait me convaincre qu'il avait exercé les fonctions d'un réviseur. J'ai demandé au demandeur de me décrire en détail comment il déterminait si des documents pouvaient être publiés ou diffusés. Il a affirmé avoir travaillé comme reporter pour CCTV. Je lui ai demandé s'il était toujours un employé de CCTV et il a répondu oui. Je lui ai demandé de me parler du dernier travail de révision qu'il avait effectué pour CCTV. Le demandeur m'a dit avoir participé au tournage de documentaires et d'autres productions télévisuelles, mais il n'a pas pu me donner de détails concernant ce travail ou son travail de réviseur.

9.              Avant l'entrevue du demandeur, une vérification à distance auprès de notre bureau à Beijing a révélé que le demandeur avait demandé et reçu un visa de visiteur à ce bureau en 1998. Sur sa demande de visa de visiteur, le demandeur avait indiqué qu'il était directeur adjoint de la Tianjin East Asian Economic Technology Corporation.

10.            Je constate que la profession du demandeur figurant dans le passeport qui lui a été délivré en 1997 est celle de [TRADUCTION] « gestionnaire » . Or, son curriculum vitae et sa demande de résidence permanente ne font pas état du fait qu'il aurait travaillé comme gestionnaire ni qu'il aurait travaillé pour la Tianjin East Asian Economic Technical Corporation.

11.            J'ai demandé au demandeur s'il avait déjà travaillé ailleurs que pour CCTV. Il a répondu non. J'ai demandé au demandeur pourquoi son passeport disait qu'il exerçait la profession de gestionnaire. Il n'a pas répondu à cette question. Je lui ai demandé pourquoi il était venu au Canada en octobre 1998. Il a dit être venu tourner un documentaire pour CCTV. Je lui ai demandé quel lien il entretenait avec la Tianjin East Asian Economic Technical Corporation. Il m'a répondu « Qui? »


12.            J'ai informé le demandeur que des notes émanant de Beijing révélaient qu'il y avait demandé un visa de visiteur pour venir au Canada et qu'il avait alors dit exercer la profession de directeur adjoint de la Tianjin East Asian Economic Technical Corporation. Le demandeur a fourni différentes réponses. Il a d'abord dit ne pas avoir travaillé en qualité de directeur adjoint, puis affirmé ne pas avoir présenté lui-même de demande au bureau de Beijing, mais que quelqu'un d'autre l'avait fait, puis il a déclaré avoir travaillé à l'occasion pour cette société.

13.            J'ai demandé au demandeur encore une fois d'expliquer ses liens avec la Tianjin East Asian Economic Technical Corporation. Il a dit : [TRADUCTION] « En fait, cela signifie que je suis un actionnaire. » Je n'ai pas réussi à obtenir de réponse satisfaisante du demandeur concernant la raison pour laquelle son passeport révélait qu'il exerçait la profession de gestionnaire, son curriculum vitae et sa demande de résidence permanente ne mentionnaient aucunement la Economic Technical Corporation et il avait affirmé exercer la profession de gestionnaire lorsqu'il avait demandé un visa de visiteur.

14.            J'ai informé le demandeur que je ne pouvais pas conclure qu'il était crédible ou que ses documents étaient fiables. Je lui ai aussi dit que je n'étais pas convaincue qu'il avait effectivement exercé les fonctions d'un réviseur, telles que décrites dans la CNP. Je lui ai expliqué qu'il aurait trente jours pour fournir d'autres éléments à l'appui de sa demande.

15.            Le 18 février 2000, j'ai réexaminé attentivement le dossier du demandeur. Aucun nouvel élément n'y avait été versé. Je n'étais pas convaincue que le demandeur avait exercé les fonctions de réviseur et qu'il s'établirait avec succès au Canada.

[5]                L'agente des visas n'a pas été contre-interrogée relativement à son affidavit.


[6]                Monsieur An n'a pas, selon moi, contredit de façon importante la preuve offerte par l'agente des visas dans son propre affidavit. En ce qui a trait à son expérience, il a simplement déclaré sous serment que l'agente des visas ne l'a jamais informé, au cours de l'entrevue, que ses réponses ne la satisfaisaient pas relativement à son expérience et il s'est plaint de ce que l'agente des visas ne l'a pas expressément interrogé relativement à son expérience professionnelle. Monsieur An n'a pas traité du fait que son passeport et sa demande de visa précisaient qu'il exerçait la profession de gestionnaire. Quant à la Tianjin East Asia Economy Technology Corporation, M. An a souligné que lui et l'agente des visas en avaient discuté pendant environ dix minutes. Monsieur An s'est contenté d'affirmer sous serment qu'il avait essayé de donner les explications les plus claires possible à l'entrevue.

[7]                Je suis persuadée que l'agente des visas pouvait raisonnablement tirer la conclusion défavorable à laquelle elle est parvenue concernant la crédibilité. Bien que des problèmes linguistiques aient pu causer une certaine confusion quant à la prétention de M. An qu'il était titulaire d'une maîtrise, je suis convaincue qu'il n'a pas expliqué les divergences relevées dans les documents présentés aujourd'hui dans le cadre de sa demande de résidence permanente par rapport à sa demande antérieure de visa de visiteur.

[8]                Il s'ensuit que l'agente des visas pouvait n'attribuer que peu de poids, voire aucun poids à la preuve de M. An concernant son expérience et à la lettre de son employeur. La demande de contrôle judiciaire doit donc être rejetée.

[9]                Malgré cette conclusion, j'estime nécessaire de formuler certaines remarques concernant le contenu d'un autre paragraphe de l'affidavit de l'agente des visas. Voici ce paragraphe :

[TRADUCTION] 20.     Après avoir prononcé ma décision défavorable, j'ai appris que le Service de traitement centralisé de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) à Vegreville (Alberta), a reçu des renseignements confidentiels révélant que le demandeur est actuellement directeur adjoint d'une société chinoise à Tianjin. Ces renseignements révèlent de plus que la lettre de référence du demandeur émanant de CCTV est frauduleuse et que le demandeur travaille illégalement au Canada en ce moment.


[10]            Cette preuve est offerte malgré le principe général bien établi voulant qu'un tribunal saisi d'une demande de contrôle judiciaire doit tenir compte exclusivement du dossier dont disposait le décideur à l'origine. Les représentants du ministre invoquent constamment ce principe dans le cadre de demandes de contrôle judiciaire. En l'espèce, aucun argument n'a été proposé à l'appui d'une exception quelconque à ce principe général.

[11]            De plus, cette preuve contrevient à la règle 81 des Règles de la Cour fédérale (1998) selon laquelle les affidavits déposés dans les instances introduites par voie d'avis de demande, comme en l'espèce, se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle.

[12]            Il m'est difficile de qualifier le contenu du paragraphe 20 de l'affidavit de l'agente des visas autrement que comme une tentative irrégulière de renforcer les conclusions de l'agente des visas concernant la crédibilité en attaquant davantage la crédibilité de M. An par des allégations tenant du ouï-dire qui ne sont pas recevables devant la Cour. Cette conduite mine la réputation du gouvernement du Canada qui a intérêt à veiller à ce que les personnes qui demandent à être admises au Canada soient évaluées équitablement et qui doit promouvoir les valeurs canadiennes à l'étranger.


[13]            L'avocat du ministre, qui n'était pas inscrit au dossier au moment de la rédaction et du dépôt de l'affidavit, a reconnu que ce paragraphe était [TRADUCTION] « inusité » et il a affirmé qu'il ne savait pas exactement comment il avait été inclus dans l'affidavit.

[14]            J'ai examiné minutieusement les conséquences qui devraient découler de ce témoignage irrégulier.

[15]            J'ai conclu que l'énoncé de ces questions ne saurait fonder l'annulation de la décision de l'agente des visas, parce que l'agente des visas n'a pris connaissance des événements qu'il prétend décrire qu'après le prononcé de sa décision.

[16]            L'avocat de M. An m'a demandé de déduire du contenu du paragraphe 20 qu'au moment où elle a signé son affidavit, l'agente des visas a reconnu que sa décision comportait des lacunes et qu'elle devait être étayée. Je ne suis pas disposée à tirer cette conclusion.

[17]            Néanmoins, pour bien manifester la désapprobation de la Cour à l'égard de pareille conduite, je juge opportun de rejeter la demande de contrôle judiciaire avec dépens, dont le montant est fixé à 200 $ et payable immédiatement par le défendeur au demandeur. Les avocats n'ont proposé la certification d'aucune question grave.


ORDONNANCE

[18]            LA COUR ORDONNE :

1.          La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.          Le défendeur paiera immédiatement au demandeur ses dépens s'élevant à 200 $, tous débours inclus.

« Eleanor R. Dawson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                             IMM-1613-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        Yi An

et

Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           le 11 avril 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                                         MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                                                  le 26 avril 2001

ONT COMPARU

Me Joel Guberman                                                         POUR LE DEMANDEUR

Me Martin Anderson                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Me Joel Guberman                                                         POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg                                                    POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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