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     T-1819-96

Ottawa (Ontario) le lundi 15 septembre 1997

En présence de M. le juge Gibson

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications;         
     ET une décision d'un arbitre aux termes du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et modifications.         

Entre

     LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE,

                                             requérante

     et

     MAHAVIR MATHUR,

                                             intimé

     ORDONNANCE

         La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                             FREDERICK E. GIBSON
                                     Juge
Traduction certifiée conforme :     
                             François Blais, LL.L.

     T-1819-96

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, et modifications;         
     ET une décision d'un arbitre aux termes du Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, et modifications.         

Entre

     LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE,

                                             requérante

     et

     MAHAVIR MATHUR,

                                             intimé

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Les présents motifs découlent d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision d'un arbitre rendue aux termes du Code canadien du travail1 (le Code) en date de juillet 1996 dans laquelle l'arbitre a conclu que le requérant avait été congédié injustement contrairement à l'article 242 du Code.

     L'intimé (M. Mathur) a été employé de la requérante (la banque) de 1980 jusqu'à son licenciement le 14 août 1994. Au moment du licenciement, M. Mathur était gestionnaire de projet dans le département des services immobiliers de la banque. Selon la structure organisationnelle en place à la banque jusqu'en août 1994, M. Mathur et deux autres gestionnaires de projet étaient comptables envers des gestionnaires principaux de projet.

     Une réorganisation de la structure du département des services immobiliers de la banque a eu lieu en août 1994. La réorganisation avait expressément pour but d'améliorer le rendement médiocre notoire du département des services immobiliers. Les trois postes de gestionnaires de projet, dont celui de M. Mathur, ont été éliminés et trois postes supplémentaires de gestionnaires principaux de projet, pour un total de six, ont été créés. Le poste de gestionnaire principal de projet a été modifié et élevé dans le système de classification de la banque. Une nouvelle description du poste de gestionnaire principal de projet a également été rédigé en août 1994.

     Les trois gestionnaires de projet, dont M. Mathur, ont été licenciés. M. Mathur a refusé une prime de départ de douze mois de salaire et d'avantages sociaux qui lui avait été offerte. M. Mathur a déposé une plainte concernant son licenciement et l'affaire a été renvoyée à un arbitre aux termes du Code. Comme je l'ai indiqué précédemment, l'arbitre a déterminé que M. Mathur avait été congédié injustement contrairement à l'article 242 du Code.

     Trois questions ressortent de l'exposé des faits du droit présenté par la banque en l'espèce. Les questions sont les suivantes :

     [TRADUCTION]
     1.      Quelle est le critère d'examen de la [décision] d'un arbitre aux termes du paragraphe 242(3.1) du Code?         
     2.      L'arbitre a-t-il commis une erreur en matière de compétence lorsqu'il n'a pas appliqué à bon droit le critère de licenciement énoncé dans l'arrêt de la Cour suprême du Canada Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651?         
     3.      L'arbitre a-t-il commis une erreur en matière de compétence lorsqu'il a tenu compte d'éléments non pertinents et lorsqu'il a omis de tenir compte d'éléments pertinents pour déterminer qu'il n'y avait pas eu "suppression d'un poste" au sens du Code?         

     Les dispositions pertinentes du Code, aux termes de la rubrique "section XIX - congédiement injuste" sont les suivantes :

     240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) e 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :         
         a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;                 
         b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.                 
     ...
     241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.         
     (2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.         
     (3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas :         
         a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;                 
         b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.                 
     242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.         
     ...
     (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :         
         a)      décide si le congédiement était injuste;                 
         b)      transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.                 
     (3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :         
         a)      le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;                 
         b)      la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.                 
                             [Non souligné dans l'original.]

     Il n'est pas contesté que M. Mathur est une personne visée par le paragraphe 240(1).

     La principale question soulevée devant l'arbitre en l'espèce était de savoir s'il était compétent pour examiner la plainte de M. Mathur parce que, la banque étant fermement de cet avis, aux termes du paragraphe 242(3.1), M. Mathur avait été congédié en raison de la suppression d'un poste. C'est en raison de cet aspect de la plainte présentée devant l'arbitre que les questions 2 et 3 portent sur des erreurs "en matière de compétence".

     La première question, relative à la norme de contrôle d'une décision d'un arbitre, qui se rapporte à la question de la compétence aux termes du paragraphe 242(3.1), du Code est facilement réglée. Dans l'arrêt Byers Transport Ltd. and Kosanovich2, le juge Strayer a écrit pour le compte de la majorité d'une formation de trois membres :

         Lorsqu'il a examiné la conclusion de l'arbitre selon laquelle l'alinéa 242(3.1)a) n'avait pas pour effet de lui retirer sa compétence au sujet de la plainte, le juge de première instance a appliqué le critère du caractère manifestement déraisonnable et a conclu que la décision de l'arbitre n'était pas manifestement déraisonnable. Selon l'appelante, la conclusion de l'arbitre concernait une question de compétence et le critère d'examen à appliquer en pareil cas est celui de l'absence d'erreur. Je suis d'accord. Dans l'arrêt Pollard, la Cour d'appel fédérale a eu l'occasion d'examiner le critère d'examen relatif à l'application du paragraphe 242(3.1). Elle a conclu que la décision portant sur la question de savoir si cette disposition empêche un arbitre d'examiner la plainte de congédiement injuste d'une personne est une conclusion relative à la compétence et que la norme de contrôle judiciaire applicable est celle de l'absence d'erreur, et ce, malgré la clause privative, dont le libellé est le suivant :         
     243.(1) Les ordonnances de l'arbitre désigné en vertu du paragraphe 24291) sont définitives et non susceptibles de recours judiciaires.         
     (2) Il n'est admis aucun recours ou décision judiciaire -- notamment par voie d'injonction, de certiorari, de prohibition ou de quo warranto -- visant à contester, réviser, empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242.         
     L'affaire Pollard n'a été tranchée que quelques mois avant la décision du juge de première instance en l'espèce et rien n'indique qu'elle a été portée à l'attention de celui-ci. Toutefois, il semble que la question soit maintenant réglée et que le critère d'examen soit celui de l'absence d'erreur.         

     L'avocat de la banque a souligné que l'extrait qui précède tiré de l'arrêt Byers Transport tranche la question de la norme de contrôle en l'espèce. Bien que l'avocat de M. Mathur ait adopté une position différente dans son exposé des faits du droit, il n'a pas contesté la question qui m'a été présentée. Je suis d'accord avec la position de l'avocat de la banque selon laquelle l'extrait qui précède tiré de l'arrêt Byers Transport règle la question. Par conséquent, le critère d'examen de la décision de l'arbitre en ce qui concerne la compétence est l'"absence d'erreur"3.

     En matière d'interprétation du critère d'absence d'erreur dans des circonstances comme l'espèce, je suis guidé par le renvoi 11 dans les motifs de M. le juge Strayer dans Byers Transport et par l'analyse qu'il a faite de cette question dans Sedpex Inc. c. Canada (arbitre nommé aux termes du Code canadien du travail4 cités dans ce renvoi.

     Dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick5, M. le juge Cory rédigeant au nom de la majorité de six membres d'une formation de sept membres de la Cour suprême, a écrit :

         Comment alors devrait-on définir l'expression "suppression d'une fonction"? Le mot "suppression" indique manifestement la fin de quelque chose qui est appelé une fonction. Une "fonction" doit être le "poste", c'est-à-dire l'ensemble de responsabilités, de tâches et d'activités dont s'acquitte un employé en particulier ou un groupe donné d'employés.         
         Par conséquent, il y a "suppression d'une fonction" lorsque cet ensemble d'activités qui constitue un poste n'est plus exécuté par suite de la décision arrêtée de bonne foi par l'employeur. Par exemple, si un ensemble donné d'activités est tout simplement confié intégralement à une autre personne, ou si l'activité ou la tâche reçoit simplement un titre nouveau et différent de façon à pouvoir figurer dans une autre description de poste, alors on ne pourrait parler de la "suppression d'une fonction". En revanche, si les activités qui font partie de l'ensemble ou du groupe d'activités sont réparties entre d'autres personnes, comme ce fut le cas dans Mudarth , précité, il y aurait "suppression d'une fonction". Il y aurait également "suppression d'une fonction" si les responsabilités sont décentralisées, comme ce fut le cas dans Coulombe , précité.         

     En examinant la question de savoir si, d'après la preuve qui lui était présentée, il y avait eu suppression du poste de M. Mathur avant son congédiement de manière qu'il ne serait pas compétent pour examiner la plainte de M. Mathur, l'arbitre a soulevé deux questions : premièrement, [TRADUCTION] "... le caractère actuel du poste de M. Mathur" ou, en d'autres termes, quelles étaient exactement les activités exercées par M. Mathur immédiatement avant la réorganisation; et, deuxièmement, les fonctions attribuées à la nouvelle description de poste de gestionnaire principal de projet étaient-elles en pratique différentes des fonctions exercées par M. Mathur immédiatement avant la réorganisation.

     À la première question, l'arbitre a répondu :

     [TRADUCTION]         
     D'après mes conclusions, M. Mathur en fait exerçait les fonctions de gestionnaire principal de projet [telles que définies avant la réorganisation] à l'égard du territoire de la banque visant les Prairies.         

     À la deuxième question de savoir si en pratique des nouvelles fonctions avaient été attribuées au poste de gestionnaire principal de projet par suite de la réorganisation, l'arbitre a conclu :

     [TRADUCTION]         
     Finalement, je ne peux conclure que la banque a démontré sur le fondement de la preuve que la fonction de gestionnaire principal de projet selon la description de poste a été révisée, modifiée de façon importante par rapport au poste précédent.         

En conséquence, l'arbitre a conclu que la fonction de gestion de projet exercée par M. Mathur à titre de gestionnaire de projet n'avait pas été supprimée. En outre, l'arbitre conclut que M. Mathur, en fait, agissait à titre de gestionnaire principal de projet à l'égard du "territoire de la banque visant les Prairies", un territoire qui a été reconnu à titre de "région" distincte par suite de la réorganisation.

     Je suis convaincu que, selon un critère d'examen fondé sur l'absence d'erreur, la décision de l'arbitre en l'espèce selon laquelle il était compétent pour examiner la plainte de M. Mathur était raisonnable parce que ce dernier n'avait pas été congédié "... en raison de la suppression d'un poste", c'est-à-dire, que le poste qu'il occupait immédiatement avant la réorganisation n'avait pas été supprimé. Pour arriver à ces conclusions, l'arbitre s'est livré à une analyse longue et ardue des éléments de preuve qui lui avaient été présentés, dont la grande partie avait été fournie par des témoins présentés par la banque elle-même.

     Je conclus que l'arbitre n'a pas commis d'erreur en matière de compétence parce qu'il n'a pas appliqué correctement le critère de la suppression d'un poste énoncé dans l'arrêt Flieger c. Nouveau-Brunswick, supra. Qui plus est, dans sa décision, l'arbitre a correctement appliqué le critère pour déterminer s'il y avait eu suppression d'un poste tel qu'énoncé dans cet arrêt.

     En outre, je ne peux souscrire à la position de l'avocat de la banque selon laquelle l'arbitre a tenu compte d'éléments non pertinents ou a omis de tenir compte d'éléments pertinents pour déterminer qu'il n'y avait pas eu suppression d'un poste. Je suis plutôt convaincu que l'arbitre a en fait tenu compte de tous les éléments de preuve qui avaient, à bon droit, étaient présentés devant lui et il ne s'est fondé sur aucun élément non pertinent.

     En conséquence, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. Je conclus qu'il n'y a aucun motif spécial qui pourrait justifier une adjudication des dépens en l'espèce.

                             FREDERICK E. GIBSON
                                     Juge

Ottawa (Ontario)

15 septembre 1997

Traduction certifiée conforme :     
                             François Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1819-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :          LA BANQUE DE NOUVELLE-ÉCOSSE c.
                         MAHAVIR MATHUR
LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :          2 SEPTEMBRE 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE GIBSON EN DATE DU 15 SEPTEMBRE 1997

ONT COMPARU :

CHRISTOPHER G. RIGGS                      POUR LA REQUÉRANTE
DAVID HARRIS                              POUR L'INTIMÉ

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

HICKS MORLEY HAMILTON STEWART STORIE

TORONTO (ONTARIO)                          POUR LA REQUÉRANTE

KURETZKY VASSOS

TORONTO (ONTARIO)                          POUR L'INTIMÉ
__________________

     1      L.R.C. (1985), ch. C-2 et modifications.

     2      [1995] 3 C.F. 354 (C.A.) Autorisation d'appel refusée, [1995] S.C.C.A. no 444 (QL).

     3      Pour une décision plus récente à cet égard, voir Dean, Davis et Carew c. Beothuk Data Systems Limited, Seawatch Division , (28 août 1997), A-757-95; A-758-95; A-759-95, [non publié], (C.A.F.), n'a pas été cité devant moi.

     4      [1989] 2 C.F. 289 (C.F. 1re inst.)

     5      ]1993] 2 R.C.S. 651 à la p. 664.

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