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Date : 20040216

Dossier : IMM-306-02

Référence : 2004 CF 239

OTTAWA (ONTARIO), LE 16e JOUR DE FÉVRIER 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE LUC MARTINEAU

ENTRE :

                                                            MONSIEUR WU LU

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le demandeur, un citoyen de la République Populaire de Chine, demande la révision d'une décision de Mme Jeen Kim, agente des visas, rendue le 28 décembre 2001, refusant la demande de résidence permanente du demandeur dans la catégorie des immigrants investisseurs qui entendent résider au Québec.

[2]                Ayant obtenu un certificat de sélection du Québec, le demandeur a été convoqué à une entrevue par l'agente des visas. La correspondance indiquait que le demandeur devait expliquer comment il avait démarré son entreprise et comment il avait accumulé son capital. Il devait également fournir une liste de documents originaux, dont les preuves des transactions boursières effectuées ainsi que toutes les preuves de la source de ses fonds.


[3]                L'entrevue a eu lieu le 29 novembre 2001. L'épouse du demandeur était également présente. Au cours de l'entrevue, l'agente des visas a posé plusieurs questions au demandeur concernant son historique d'emploi, ses revenus ainsi que la source et l'accumulation de ses actifs. Il est manifeste que l'agente des visas entretenait des doutes sérieux concernant l'origine des fonds. Celle-ci avait également constaté certaines contradictions relativement aux revenus d'emploi du demandeur. Le demandeur a expliqué, relevés informatiques à l'appui, qu'une grande partie de sa richesse avait été accumulée au moyen de transactions boursières. Il a, par ailleurs, fourni des explications concernant le montant élevé de ses revenus d'emploi. Malgré ces explications, à la fin de l'entrevue, l'agente des visas a fait part au demandeur de ses préoccupations et lui a demandé quelle documentation, indépendamment vérifiable, il pouvait fournir concernant l'accumulation de ses fonds. Ce dernier lui a répondu que toute la documentation avait été préparée par son avocat et qu'il ne savait pas quel genre de documents fournir. Il lui a dit qu'il pouvait seulement fournir ces documents.

[4]                Le 28 décembre 2001, l'agente des visas a révisé le formulaire de demande, la documentation au dossier ainsi que ses notes prises au cours de l'entrevue. L'agente des visas a refusé la demande de résidence permanente du demandeur parce qu'elle n'était pas convaincue que l'admission du demandeur au Canada ne contreviendrait pas à la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2 (la Loi) et au Règlement sur l'immigration de 1978, D.O.R.S./78-172 (le Règlement).

[5]                Dans un premier temps, le demandeur allègue que l'agente des visas a eu une attitude et un ton agressifs à son égard. Le demandeur suggère que les doutes de l'agente des visas relevaient d'un préjugé très répandu concernant les candidats investisseurs d'un pays comme la Chine où le degré de corruption administrative semble assez élevé.


[6]                Manifestement, le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau d'établir que l'agente des visas n'a pas respecté son obligation d'équité procédurale ou encore qu'il existe une crainte raisonnable de partialité. Les allégations de comportement inapproprié sont niées par l'agente des visas qui a également souscrit un affidavit circonstancié. Il n'y a eu aucun interrogatoire et cette Cour n'est pas en mesure d'évaluer la crédibilité des affiants. À ce sujet, la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1083 (C.F. 1re inst.) (QL) mentionne au paragraphe 24 :

À mon avis, malgré le fait que les parties ne s'entendent pas sur ce qui s'est réellement passé durant l'entrevue, il n'en demeure pas moins que dans un contrôle judiciaire, il incombe au demandeur d'établir que le tribunal n'a pas respecté son obligation d'équité procédurale ou qu'il n'a pas agi de manière équitable ou raisonnable. (Fehr c. Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles) (1995), 93 F.T.R. 161. Compte tenu de la preuve dont je suis saisie, je ne suis pas convaincue que la demanderesse a réussi à établir que l'agente d'immigration a fait naître une crainte raisonnable de partialité.

[7]                Ceci étant dit, même en présumant que l'agente des visas ait pu avoir un ton agressif, « une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique » (Committee for Justice and Liberty et al. c. Canada (Office national de l'énergie), [1978] 1 R.C.S. 369 aux pages 394 et 395), conclurait que dans les circonstances présentes un tel comportement ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité (Moneim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1977 au para. 12 (C.F. 1re inst.) (QL); et P. Garant,Droit administratif, 4e éd., vol. 2, Cowansville (Qc), Éditions Yvon Blais, 1996 à la p. 393).


[8]                Le demandeur allège également que l'énumération rapide et générale par l'agente des visas des points douteux et son omission de préciser les documents requis pour éclaircir ces points constitue un bris d'équité procédurale. Le demandeur allègue aussi que l'agente des visas lui aurait refusé le droit de consulter sa documentation pour répondre à ses questions. Ces reproches sont également non fondés. L'agente des visas a bel et bien souligné au demandeur les lacunes dans son dossier. D'autre part, les notes inscrites au système de traitement informatisé des dossiers d'immigration (STIDI) indiquent clairement que le demandeur a effectivement consulté sa documentation au cours de l'entrevue. Enfin, il n'appartenait pas à l'agente des visas d'indiquer au demandeur quels autres documents auraient dû être fournis.

[9]                En vertu de la Loi, il incombe à la personne qui cherche à s'établir au Canada de prouver que son admission ne contreviendrait pas à la Loi ou à ses règlements. C'est l'agent des visas qui délivre les visas dans la mesure où il est convaincu que l'établissement du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la Loi et à ses règlements. Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes :


8 (1) Charge de la preuve - Il incombe à quiconque cherche à entrer au Canada de prouver qu'il en a le droit ou que le fait d'y être admis ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

9(3) Obligations - Toute personne doit répondre franchement aux questions de l'agent des visas et produire toutes les pièces qu'exige celui-ci pour établir que son admission ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements.

9(4) Délivrance de visas - Sous réserve du paragraphe (5), l'agent des visas qui est convaincu que l'établissement ou le séjour au Canada du demandeur et des personnes à sa charge ne contreviendrait pas à la présente loi ni à ses règlements peut délivrer à ce dernier et aux personnes à charge qui l'accompagnent un visa précisant leur qualité d'immigrant ou de visiteur et attestant qu'à son avis, ils satisfont aux exigences de la présente loi et de ses règlements.

8(1) Burden of proof - Where a person seeks to come into Canada, the burden of providing that that person has a right to come into Canada or that his admission would not be contrary to this Act or the regulations rests upon that person.

9(3) Duty to answer questions - Every person shall answer truthfully all questions put to that person by a visa officer and shall produce such documentation as may be required by the visa officer for the purpose of establishing that his admission would not be contrary to this Act or the regulations.

9(4) Issuance of visa - subject to subsection (5), where a visa officer is satisfied that it would not be contrary to this Act or the regulations to grant landing or entry, as the case may be, to a person who has made an application pursuant to subsection (1) and to the person's dependants, the visa office may issue a visa to that person and to each of that Person's accompanying dependants for purpose of identifying the holder thereof as an immigrant or a visitor, as the case may be, who, in the opinion of the visa officer, meets the requirements of this Act and the regulations.



[10]            En l'espèce, le demandeur devait fournir à l'agente des visas toute la preuve nécessaire afin de démontrer qu'il n'était pas inadmissible au Canada (Madan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 1198 (C.F. 1re inst.) (QL), au para. 6). Par ailleurs, il est reconnu qu'un agent des visas n'a pas l'obligation de confronter un demandeur de visa avec ses préoccupations (Naghashian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 654 (C.F. 1re inst.) (QL); et Oei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 600 au para. 37 (C.F. 1re inst.) (QL)). Nonobstant cette observation générale, les notes au dossier démontrent que le demandeur a été confronté aux préoccupations de l'agente des visas à maintes reprises. Il était donc loisible au demandeur de présenter toute preuve documentaire additionnelle avant que celle-ci ne rende sa décision. Or, le demandeur n'a jamais demandé à l'agente des visas un délai pour fournir des documents supplémentaires. L'agente des visas n'a pas donc agi de façon déraisonnable.


[11]            Dans un deuxième temps, le demandeur soumet que l'agente des visas a tiré des conclusions de fait erronées et que sa décision est « déraisonnable » car le demandeur a fourni toute la documentation disponible et a donné des explications raisonnables sur ses revenus antérieurs et la source de ses fonds. À cet égard, je note que des juges de cette Cour ont appliqué la norme de la décision raisonnable simpliciter dont le juge O'Keefe dans l'affaire Yin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 985 au para. 20 (C.F. 1re inst.) (QL), tandis que d'autres dont le juge MacKay dans l'affaire Kalia c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 998 (C.F. 1re inst.) (QL) ont appliqué la norme de la décision manifestement déraisonnable. Même en appliquant la norme la plus exigeante, je suis d'avis que la décision de l'agente des visas est étayée par des motifs capables de résister à un examen assez poussé; en tout état de cause la décision de l'agente des visas n'est donc pas déraisonnable.

[12]            Clarifions d'emblée la question de compétence. Comme il a été souligné plus tôt, le demandeur a obtenu son certificat de sélection du Québec après avoir fourni divers documents établissant la provenance de ses actifs, ceux-là mêmes qui ont été jugés insatisfaisants par l'agente des visas. Ceci étant dit, il a été clairement établi dans l'affaire Biao c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 338 (C.A.F.) (QL) que l'agent des visas a toujours compétence pour requérir d'un demandeur de visa qu'il fournisse des preuves concernant la source de ses fonds. En effet, l'agent des visas doit être en mesure de déterminer si un demandeur de visa est effectivement admissible en vertu de la Loi, et ce nonobstant l'Accord Canada-Québec.

[13]            Dans l'affaire Martirossian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1538 (C.F. 1re inst.) (QL), le juge Blais a rejeté une demande de contrôle judiciaire visant l'annulation d'une décision d'un agent des visas ayant refusé une demande de résidence permanente en raison du fait que le demandeur en question n'avait pas fait la preuve qu'il n'appartenait pas à une catégorie inadmissible (tel qu'énoncé à l'article 19 de la Loi notamment). Le juge Blais indique comme suit aux paragraphes 35-39 :


L'agent des visas n'a jamais fait croire que le demandeur était impliqué dans des activités illégales. Mais, pour pouvoir éliminer cette possibilité, elle désirait que le demandeur fasse preuve de toute absence d'activité illicite. Voici pourquoi l'origine des fonds du demandeur était un élément extrêmement pertinent eu égard à son admissibilité, laquelle relevait de la compétence de l'agent des visas. En effet, sans accuser le demandeur de quoi que ce soit, il est raisonnable de croire, en absence de preuve contraire, que les importantes sommes acquises par le demandeur pourraient provenir d'activités illégales visées par l'article 19 de la Loi tel que, par exemple, le blanchiment d'argent, la fraude, le crime organisé ou des transactions sur le marché noir.

L'agent des visas était insatisfaite par la preuve, car lors de son entrevue, le demandeur n'a produit que des états bancaires. Le demandeur ignorait et ignore toujours le fait qu'un état bancaire fait preuve uniquement de la possession de ressources financières et non de sa provenance. Il dit dans son affidavit en date du 17 novembre 2000 :

En effet, j'ai produit diverses attestations bancaires, produites au soutient de mon affidit [sic] commme [sic] Pièce A-6; de plus, l'agent des visas avait à son dossier divers contrats et reçus, établisasnt [sic] mes relations d'affaires durant les années 1996 et 1997 qui ont été à l'origine des fonds dont je disposais, les dits documents sont produits comme Pièce A-7 au soutien du présent affidavit.

La pièce A-7 contient quelques contrats simples et sept (7) documents intitulés "ACCEPTANCE CERTIFICATS" qui font référence aux montants des transactions. Ces documents ne démontrent pas comment le demandeur a gagné ces sommes d'argent.

Le demandeur n'a pas fait preuve qu'il n'appartient pas à une catégorie inadmissible et donc, l'agent des visas a rejeté sa demande.

En conclusion, je suis d'avis que la demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée.

(mon soulignement)

[14]            En l'espèce, l'agente de visas n'a pas été convaincue que le demandeur était admissible au Canada. Ici, la décision de refuser la demande de résidence permanente est fondée sur plusieurs contradictions, invraisemblances et lacunes notées dans la preuve du demandeur concernant l'accumulation de sa fortune dont notamment :

a)          Les contradictions concernant les revenus et bonus gagnés chez Guangdong Province Foreign Trading Base Co.;

b)          Les contradictions et omissions concernant l'emploi et les revenus d'emploi chez Hai Nan H.K. Macau International Trust & Investment Co. Ltd.;


c)         L'incapacité du demandeur de fournir des preuves indépendantes de ses revenus chez Hai Nan H.K. Macau International Trust & Investment Co. Ltd., telles que des reçus d'impôt payé sur les revenus ainsi gagnés;

d)          Les réponses vagues du demandeur concernant les investissements boursiers qu'il aurait effectués, incluant son incapacité de pouvoir nommer aucune des trois compagnies dans lesquelles il a investi toutes ses économies en 1991 et qui ont fait passer son capital de 120 000rmb à 800 000rmb en environ un an et demi;

e)          L'incapacité du demandeur de fournir d'autres preuves que les relevés informatiques pour attester de ses transactions boursières, comme par exemple des reçus originaux de ses ventes et acquisitions d'actions.

[15]            Ayant examiné toutes les preuves au dossier, je suis d'avis que la décision de l'agente des visas est raisonnable dans les circonstances. Ceci étant dit, j'ai considéré l'affidavit de Me Pierre Saint-Louis, daté du 30 octobre 2002. Cependant, je note que ce dernier exprime son opinion sur plusieurs sujets et que celui-ci fait état d'informations qui n'ont pas été fournies à l'agente des visas. Or, la jurisprudence est constante à l'effet que lors d'une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit déterminer si la décision était raisonnable compte tenu de la preuve qui était devant le décideur. Ainsi, la seule preuve pertinente est celle qui était devant l'agente des visas (Kim c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 1103 (C.F. 1re inst.) (QL)).

[16]            En l'espèce, les inférences et les conclusions de faits tirées par l'agente des visas ne sont pas capricieuses ou arbitraires et son raisonnement peut se justifier dans les circonstances. En conséquence, il n'appartient pas à cette Cour de substituer son opinion personnelle à celle de l'agente des visas (Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. no 13 au para. 1 (C.F. 1re inst.) (QL); et Chu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1152 au para. 2 (C.F. 1re inst.) (QL)). Il n'existe donc aucun motif permettant à la Cour de réviser la décision de l'agente des visas.

[17]            En conclusion, la présente demande doit être rejetée. Par ailleurs, la présente affaire ne soulève aucune question d'importance générale.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d'importance générale ne sera certifiée.

                                      ___________________________________

                                                                                                     Juge                                


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-306-02

INTITULÉ :               MONSIEUR WU LU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                        MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 5 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 16 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

ME MAURICE MOUSSEAU                         POUR LE DEMANDEUR

ME SÉBASTIEN DASYLVA                          POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ME MAURICE MOUSSEAU                          POUR LE DEMANDEUR

MONTRÉAL (QUÉBEC)

MORRIS ROSENBERG                                  POUR LE DÉFENDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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