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Date : 20030902

Dossier : IMM-3838-02

Référence : 2003 CF 1017

Ottawa (Ontario), le 2 septembre 2003

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JAMES RUSSELL

ENTRE :

                                                       FAWZI ABDULRAHM JASIM

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire visant la décision du 30 juillet 2002 (la décision) par laquelle l'agente d'immigration Julie Bacon (l'agente) a établi qu'il n'y avait pas de circonstances d'ordre humanitaire suffisantes pour qu'il soit justifié de prendre une décision favorable en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2002, ch. 27 (la LIPR). Le demandeur sollicite l'annulation de la décision de l'agente et le renvoi de l'affaire à la Section du statut de réfugié pour nouvelle décision par un agent différent.


CONTEXTE

[2]                 Le demandeur est un citoyen de Bahreïn d'ascendance perse qui est venu au Canada en 1997 et y a revendiqué le statut de réfugié. En novembre 1998, la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Section du statut de réfugié) a statué que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur a sollicité l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision. La Cour a rejeté cette demande en avril 1999.

[3]                 Le demandeur est né au sein d'une famille musulmane. De 1988 à 1991, il a étudié en Angleterre et il a commencé à s'y intéresser au christianisme. De retour à Bahreïn, il s'est lié d'amitié avec un collègue de travail chrétien avec lequel il a eu des discussions sur le christianisme. Par la suite, le demandeur a travaillé comme agent de bord et il s'est rendu dans de nombreux pays européens, où il a pu visiter des églises. À une occasion où il a rendu visite à un ami à l'hôpital, il a lu la Bible et son intérêt pour le christianisme s'est renforcé. En 1995, des membres des forces de sécurité de Bahreïn l'ont interrogé sur ses activités en Angleterre, par suite de quoi il a reçu des appels anonymes à sa maison, l'automobile de son père a été volée et il a de nouveau été interrogé par les forces de sécurité. Le demandeur s'est vu refuser un emploi au ministère du Travail de Bahreïn parce qu'il était considéré suspect au plan politique.


[4]                 Le demandeur a quitté Bahreïn par crainte de la réaction de sa famille à son désir de se convertir au christianisme. Il a pratiqué le christianisme au Canada et a été baptisé. Il a déclaré sous serment, dans l'affidavit relatif à sa demande pour circonstances d'ordre humanitaire, qu'il a reçu des menaces de sa famille du fait de sa conversion et qu'il serait exposé à un risque s'il devait retourner à Bahreïn, non en raison d'agissements de l'État, mais parce que des membres de sa famille et des connaissances exécuteraient un fatwah contre lui. Le demandeur fait du bénévolat pour la Christian Aid et prend part aux activités de l'Église Chrétienne. Il déclare avoir fait l'objet d'avertissements au Canada par suite de sa conversion.

[5]                 En mars 1999, on a statué que le demandeur ne pouvait être admis dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (CDNRSRC) parce qu'il n'avait pas présenté d'observations à cette fin dans les délais prescrits.

[6]                 Le demandeur a demandé la résidence permanente au Canada pour des considérations humanitaires (la demande), demande qui a été rejetée par lettre datée du 30 juillet 2002.

LA DÉCISION SOUS EXAMEN


[7]                 Dans la demande, le demandeur faisait valoir : (1) qu'il est installé au Canada, et (2) que les membres de sa famille et d'autres musulmans l'exposeraient à un risque, vu sa conversion au christianisme, s'il devait retourner à Bahreïn. Le demandeur ayant fait état du risque comme motif de sa demande, l'agente a transmis ses observations à un agent de révision des revendications refusées (ARRR). L'ARRR a conclu que le demandeur « [traduction] ne serait pas exposé à un risque objectivement identifiable de menace à sa vie, de traitement inhumain ou de sanctions excessives [...] » s'il devait retourner à Bahreïn.

[8]                 On a fourni au demandeur l'occasion de répondre à l'avis de l'ARRR. Son avocate a présenté des observations en son nom, en date du 6 mai 2002. L'ARRR a examiné les nouvelles observations soumises et il a conclu comme suit :

[traduction]

[...] Il n'est pas contesté dans les observations soumises que le gouvernement de Bahreïn garantit la liberté de religion. Les Églises catholique et protestante sont présentes à Bahreïn, de même qu'une petite communauté juive. L'information disponible laisse croire que M. Jasmin ne serait exposé à aucune menace s'il évite le prosélytisme et pratique sa religion en privé.

[9]                 Le 30 juillet 2002, l'agente a passé en revue l'ensemble de la preuve produite par le demandeur au soutien de sa demande. Cela fait, elle a établi qu'il n'y avait pas de circonstances d'ordre humanitaire impérieuses suffisantes pour que soit justifié le traitement de la demande en application du paragraphe 25(1) de la LIPR.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES


[10]            Le paragraphe 11(1) de la LIPR prescrit que, sauf dans les cas prévus, tout étranger désirant être admis au Canada doit, avant de se présenter à un point d'entrée, obtenir un visa d'immigrant ou tout autre document requis. En vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR, toutefois, le ministre peut dispenser un étranger de cette exigence s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire le justifient.

[11]            Un examen relatif à des circonstances d'ordre humanitaire permet à l'intéressé de disposer d'un examen spécial et additionnel en vue de le dispenser de l'application, sinon universelle, des lois sur l'immigration canadiennes. Le processus a un caractère fortement discrétionnaire et, à ce titre, c'est au demandeur qu'il incombe de convaincre l'agent concerné que des circonstances d'ordre humanitaire suffisantes justifient la prise d'une décision favorable. De plus, la décision d'un agent de ne pas accorder de dispense en vertu du paragraphe 25(1) ne prive d'aucun droit le demandeur, qui peut toujours présenter à l'étranger une demande du droit d'établissement; c'est d'ailleurs là l'exigence habituelle prévue par les lois en matière d'immigration canadiennes.

QUESTIONS EN LITIGE

[12]            Le demandeur énonce comme suit les questions en litige :

L'agente a-t-elle commis une erreur en omettant de motiver son rejet de la demande d'examen pour des circonstances d'ordre humanitaire?

L'agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les personnes converties au christianisme ne risquent pas d'être persécutées à Bahreïn?


NORME DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[13]            Les deux avocats sont d'avis que la norme de contrôle applicable en l'espèce est celle de la décision raisonnable simpliciter. Je partage cet avis.

ANALYSE

L'agente a-t-elle commis une erreur en omettant de motiver son rejet de la demande d'examen pour des circonstances d'ordre humanitaire?

[14]            Tant le demandeur que le défendeur ont mentionné la décision Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817 de la Cour suprême du Canada comme constituant l'arrêt-clé quant à la question des motifs à donner en contexte administratif. Baker prévoit qu' « une forme quelconque de motifs écrits est requise » en certaines circonstances, en fonction des facteurs applicables, comme l'importance de la décision pour l'intéressé. Tel que le défendeur le signale, le demandeur peut toujours présenter à l'étranger une demande du droit d'établissement, ce qui constitue l'exigence habituelle des lois en matière d'immigration. Je ferai toutefois remarquer que, si je prête foi à la prétention du demandeur selon laquelle il serait exposé à un risque sérieux s'il devait retourner à Bahreïn, la décision est capitale pour le demandeur et des explications devraient lui être fournies quant à la manière dont on en est arrivé à celle-ci.


[15]            L'obligation relative à l'équité procédurale met en opposition deux facteurs principaux qui entrent en jeu en l'espèce : d'un côté l'efficacité administrative, de l'autre le droit du demandeur de voir examinées avec soin les questions pertinentes et prise de façon appropriée la décision.

[16]            Après examen des « notes versées au dossier » de l'agente, il me semble clair qu'elles ne renferment aucune analyse qu'on pourrait raisonnablement considérer être des « motifs » . Ces notes renvoient à l' « avis défavorable sur l'exigence d'un risque » de l'agent d'ERAR. Le demandeur a obtenu l'accès à cet avis, sur lequel l'agente s'est fondée dans une certaine mesure pour en arriver à sa décision. Bien qu'on énumère clairement dans la décision les facteurs pris en compte par l'agente, on ne dit pas toutefois en quoi ces facteurs justifient d'en arriver à une conclusion défavorable.

[17]            Le demandeur cite la décision postérieure à Baker rendue par le juge Gibson dans Navaratnam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] A.C.F. n ° 1870, qui traite du caractère suffisant de motifs donnés dans le cadre d'une demande mettant en jeu l'intérêt supérieur d'un enfant :

8 Les notes de l'entrevue ne révèlent absolument aucune analyse des documents dont l'agent d'immigration disposait ni les résultats de l'entrevue. Aucun affidavit n'a été déposé par l'agent d'immigration dans la présente demande de contrôle judiciaire, qui aurait pu dévoiler le cheminement de l'analyse qui a été suivi pour parvenir à la décision de rejet de la demande d'établissement présentée au Canada.

[18]            Dans Adjibi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. n ° 680, le juge Dawson a traité comme suit, au paragraphe 33, de l'absence de motifs suffisants :

Pour que les motifs soient valables, il faut qu'un revendicateur et une cour de révision reçoivent une explication suffisamment intelligible des raisons pour lesquelles des actes de persécution ne constituent pas des raisons impérieuses [...]

[19]            Je partage l'avis du demandeur selon lequel une liste de facteurs pris en compte ne constitue pas en l'espèce une analyse suffisante, et le défaut de l'agente de donner des motifs était une erreur révisable.

L'agente a-t-elle commis une erreur en concluant que les personnes converties au christianisme ne risquent pas d'être persécutées à Bahreïn?

[20]            Je conclus que l'agente et l'ARRR ont bel et bien commis erreur à cet égard. L'information examinée par l'ARRR révélait clairement que les musulmans convertis à une autre religion courent des risques à Bahreïn. Il n'était pas approprié pour l'ARRR de suggérer que le demandeur « [traduction] évite le prosélytisme et pratique sa religion en privé » . Bien sûr, si le demandeur cachait sa foi aux autres membres de la société et prétendait être ce qu'il n'est pas, il pourrait éviter les problèmes. Ce n'est toutefois pas là un choix que quiconque devrait avoir à faire. Tel que le demandeur l'a soutenu, il découle de sa conversion une menace existante et inévitable pour sa sécurité de la part des autres membres de la société, y compris les membres de sa famille.

[21]            Cette question doit faire l'objet d'une nouvelle décision sur le fond. L'agente a fait sien l'avis de l'ARRR. Ni l'un ni l'autre n'a examiné ni abordé valablement, dans le cadre de la demande, la question fondamentale de la conversion et des risques qu'elle fait courir au demandeur. C'était là une erreur révisable.

                                           ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision du 30 juillet 2002 est annulée et l'affaire est renvoyée à un agent d'immigration différent pour nouvel examen.

2.         Aucune question n'est certifiée.

                                                                                       « James Russell »              

                                                                                                             Juge                         

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :              IMM-3838-02

INTITULÉ :              FAWZI ABDULRAHM JASIM

                                                                                                  demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                    défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                              LE MARDI 22 JUILLET 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                      LE JUGE RUSSELL

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                                  LE 2 SEPTEMBRE 2003

COMPARUTIONS :

Mme Maureen Silcoff                                             Pour le demandeur

Mme Pamela Larmondin                                                    Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Maureen Silcoff                                             Pour le demandeur

Avocate

281, avenue Eglinton Est

Toronto (Ontario) M4P 1L3

Morris Rosenberg                                                 Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                   Date : 20030902

Dossier : IMM-3838-02

ENTRE :

FAWZI ABDULRAHM JASIM

                                             demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                              défendeur

                                                                        

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

                                                                       


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