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Date : 19971229


Dossier : T-281-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 DÉCEMBRE 1997

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MULDOON

ENTRE


CON-WAY CENTRAL EXPRESS INC.,


requérante,


et


TIM ARMSTRONG, c.r. et STEPHEN AMOR,


intimés.


ORDONNANCE

     Une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 22 janvier 1997 à l'égard d'une requête préliminaire par l'intimé, M. Armstrong, dans le cadre d'un arbitrage qui a eu lieu en vertu du Code canadien du travail ayant été présentée;

     La présente affaire ayant été entendue à Toronto en présence des avocats de chaque partie, à la suite de quoi la Cour a réservé sa décision;

CETTE COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire que le requérant a présentée soit rejetée sans que des dépens soient adjugés conformément à l'article 1618 des Règles.

                                        F. C. Muldoon

                                 Juge

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.


Date : 19971229


Dossier : T-281-97

ENTRE


CON-WAY CENTRAL EXPRESS INC.,


requérante,


et


TIM ARMSTRONG, c.r. et STEPHEN AMOR,


intimés.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MULDOON

[1]      Il serait bon de mentionner comme conseil pratique que l'article 1606 des Règles de la Cour fédérale, C.R.C. 1978, chapitre 663, exige que le dossier de la demande comporte des "pages numérotées consécutivement". Cette exigence tout à fait sensée permet à tous les intéressés de consulter plus facilement les pages des dossiers de demande, ces dossiers comportant parfois plusieurs milliers de pages.

[2]      La requérante, Con-Way Central Express Inc. (Conway), présente une demande de contrôle judiciaire d'une décision que l'intimé, M. Armstrong, c.r., a rendue le 22 janvier 1997 à l'égard d'une requête préliminaire. M. Armstrong, qui avait été désigné comme arbitre par le ministre du Travail conformément au Code canadien du travail, L.R.C. (1985), ch. L-2, a décidé de procéder à l'arbitrage de la plainte de congédiement injuste déposée par M. Stephen Amor.

[3]      En premier lieu, il faut souligner que dans l'arrêt Szczecka v. M.E.I. (1993), 170 N.R. 58 (C.A.F.), la Cour d'appel fédérale a dit qu'en l'absence de circonstances spéciales, une décision interlocutoire ne devrait pas faire l'objet d'un contrôle judiciaire. La Cour d'appel fédérale a de nouveau dit la même chose dans l'arrêt Schnurer c. MRN, [1977] 2 C.F. 545 (C.A.). Voici ce que le juge en chef a dit :

         À mon avis, les articles 18, 18.1 à 18.5 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale actuellement en vigueur confirment l'opinion exprimée dans les autorités plus récentes selon laquelle la compétence de la Cour en matière de contrôle judiciaire s'étend au-delà de la révision d'une décision finale d'un office fédéral.                 
         Malgré le sens large des termes utilisés dans la rédaction de ces dispositions, la Cour doit exercer sa compétence discrétionnaire pour entendre des demandes de contrôle judiciaire en se conformant strictement à l'objet des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale. Les demandes de contrôle judiciaire ne doivent pas être accueillies pour entraver et retarder l'exercice approprié par les offices fédéraux de la compétence qui leur est conférée par la loi. Bien qu'ils soient antérieurs aux modifications apportées en 1990, les propos suivants du juge en chef Jackett dans l'arrêt In re la Loi antidumping et in re Danmor Shoe Co. Ltd. [[1974] 1 C.F. 22, à la page 34 (C.A.)], et réaffirmés par le juge MacGuigan dans Brennan c. La Reine [[1984] 2 C.F. 799 (C.A.)], résument avec justesse les considérations de principes qui entrent en jeu :                 
             À mon avis, le but des articles 18 et 28 de la Loi sur la Cour fédérale est de fournir un contrôle judiciaire rapide et efficace des travaux des offices, commissions ou autres tribunaux fédéraux avec une ingérence minimale dans ces travaux. Si, en tenant compte de ce point de vue, on applique l'article 11 de la Loi d'interprétation à la question soulevée par les demandes fondées sur l'article 28, il faut reconnaître que le fait que la Cour n'a pas le pouvoir d'examiner la position prise par un tribunal quant à sa propre compétence ou quant à des questions de procédure au tout début de l'audience peut entraîner, dans certains cas, la tenue d'auditions coûteuses qui seraient sans issue. Par contre, si une des parties, peu désireuse de voir le tribunal s'acquitter de sa tâche, avait le droit de demander à la Cour d'examiner séparément chaque position prise ou chaque décision rendue par un tribunal, lors de la conduite d'une longue audience, elle aurait en fait le droit de faire obstacle au tribunal.                         
         Ce sont ces considérations de principes qui ont amené la présente Cour, dans Szczecka c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [note de bas de page omise], à conclure qu'en l'absence de circonstances spéciales il ne doit pas y avoir d'appel ou de contrôle judiciaire immédiat d'une décision interlocutoire prise aux termes de l'article 28. La décision Szczecka s'appuyait sur l'article 28 actuel.                 

[4]      Les "circonstances spéciales" comprennent les circonstances dans lesquelles la compétence du tribunal est remise en question, comme dans l'affaire Cyanamid c. Canada (31 mai 1983), T-153-83 (C.F. 1re inst.). La demande dont la Cour est ici saisie est également visée par ces "circonstances spéciales" parce qu'elle se rapporte elle aussi à une question de compétence.

[5]      Étant donné que seule une question de compétence est en cause et que, comme nous le verrons, il s'agit d'une question qui est réglée au moyen de l'interprétation de la loi, les faits n'ont pas à être énoncés au complet. L'exposé complet figure dans la décision de l'arbitre (dossier de demande ou DD, onglet 3). Le plaignant, M. Stephen Amor, a travaillé pour la requérante de 1992 jusqu'à ce qu'il soit mis fin à son emploi en 1995. Le 13 novembre 1995, M. Ken Hartman (désigné comme étant M. Hertman dans les motifs de l'arbitre) a été mis au courant d'allégations selon lesquelles le plaignant avait eu un comportement abusif envers deux employées. Après avoir convoqué une réunion préalable à la cessation d'emploi au cours de laquelle il a reçu les déclarations écrites des deux employés avec déclarations à l'appui, M. Hartman a mis le plaignant en présence du problème. M. Amor a nié les allégations. La conférence préalable à la cessation d'emploi a repris le 15 novembre 1995. M. Amor a de nouveau nié les allégations. M. Hartman a ensuite informé le plaignant qu'à cause des plaintes et de son dossier disciplinaire, il faisait l'objet d'une cessation d'emploi motivée (DD, onglet 3 : pages 2 à 5).

[6]      Pendant la conférence, M. Pierce, directeur de la requérante au centre des services de Toronto, a produit une lettre de congédiement et une offre de transaction qui comprenait une reconnaissance et une quittance. M. Amor a alors admis les allégations (mais pas dans la mesure alléguée) et a demandé s'il était possible d'éviter la cessation d'emploi. M. Hartman a déclaré que cela n'était pas possible et a fait savoir que les conditions de la transaction étaient fixées sous réserve de la position de la requérante selon laquelle la cessation d'emploi était motivée. M. Hartman a témoigné avoir expressément dit au plaignant de "ne pas porter de jugement en toute hâte" et qu'il (le plaignant) disposait de sept jours pour examiner minutieusement les conséquences juridiques qu'entraînerait la signature de la reconnaissance et de la quittance (DD, onglet 3 : page 6). M. Amor a également été informé qu'il pouvait en appeler devant le comité de révision de la cessation d'emploi des employés (le comité de révision). C'est ce que le plaignant a fait et l'audience devant le comité de révision a été tenue le 17 novembre 1995. Le comité de révision a confirmé la cessation d'emploi et M. Pierce a informé M. Amor verbalement du résultat (DD, onglet 3 : page 7).

[7]      Le dimanche 19 novembre 1995, le plaignant s'est rendu à son ancien lieu de travail et a nettoyé son casier. M. Pierce lui a demandé s'il avait signé la quittance. Étant donné qu'il ne l'avait pas encore fait, le plaignant a commencé à signer la quittance. Selon le témoignage de M. Pierce, le plaignant a demandé ce à quoi se rapportait l'article 240 du Code. M. Pierce a témoigné qu'en réponse, il avait lu la disposition à voix haute, et qu'il avait ensuite dit ceci au plaignant : [TRADUCTION] "En signant ce document, vous vous engagez à ne pas vous en prendre à la compagnie, vous faites vos adieux pour de bon" (DD, onglet 3 : page 9). La seule autre question que le plaignant avait à poser était de savoir à quel moment il toucherait son indemnité de départ (DD, onglet 3, page 9). Le lendemain, M. Pierce a envoyé une copie de la quittance à M. Hartman par télécopieur. Le chèque de règlement a ensuite été envoyé au plaignant (DD, onglet 3 : page 7).

[8]      M. Pierce n'a jamais informé le plaignant qu'il avait le droit d'être réintégré dans son emploi en vertu du Code.

[9]      Le document intitulé : [TRADUCTION] "Reconnaissance et quittance" est ainsi libellé (DD, onglet 3 : page 3) :

         [TRADUCTION]                 
         Je, Steve Amor, m'engage à accepter les conditions de départ énoncées ci-dessus à titre de règlement final et complet de toute demande que je peux faire valoir contre Con-Way Central Express, y compris toute demande en vue de l'obtention d'un avis de cessation d'emploi et d'indemnité de départ découlant d'une loi ou de la common law. Je reconnais également et je conviens que les conditions de cessation d'emploi ci-dessus énoncées constituent un règlement complet et final de tout montant auquel j'ai droit en vertu du Code canadien du travail et constitue un compromis et une renonciation volontaires à tout droit de déposer une plainte en vertu de l'article 240 du Code canadien du travail.                 

[10]      L'arbitre a réglé la question de savoir s'il avait compétence pour entendre la plainte : [TRADUCTION] "L'employeur a soutenu, au moyen d'une requête préliminaire, que la plainte n'était pas arbitrable pour le motif que le plaignant avait conclu une transaction obligatoire et avait signé une quittance complète à l'égard de toute demande qu'il pouvait faire valoir contre l'employeur (DD, onglet 3 : page 1). L'arbitre a conclu qu'il pouvait entendre la plainte. Les passages pertinents de la décision de l'arbitre sont ainsi libellés (DD, onglet 3 : pages 17 à 19) :

         [TRADUCTION]                 
         Les droits prévus à l'article 240 du Code sont "inaliénables" pour reprendre l'expression employée par l'arbitre Beatty, à moins que la personne qui aurait censément renoncé aux droits ne reçoive un avis exprès des droits auxquels elle renonce. Dans ce cas-ci, selon le témoignage de M. Pierce, l'article 240 a été lu, mais dans la disposition elle-même, il n'est pas fait mention du pouvoir que possède l'arbitre de réintégrer l'employé dans son emploi s'il est fait droit à sa plainte. En outre, en réponse à une question précise qui lui avait été posée au sujet de la question de savoir si l'on avait parlé de la possibilité de réintégrer le plaignant dans son emploi, M. Pierce a répondu : "Je n'ai pas dit qu'il (le plaignant) avait le droit d'être réintégré dans son emploi en vertu du Code ."                 
         Lorsqu'il existe un droit reconnu par la loi auquel il est uniquement possible de renoncer dans certaines circonstances précises, il incombe à la personne qui cherche à se fonder sur la renonciation de démontrer que celle-ci est visée par l'exception prévue par la loi. Le fait qu'on a lu l'article 240 du Code au plaignant, comme on l'a fait dans ce cas-ci, ne suffit pas pour satisfaire à cette obligation. Pour que le plaignant renonce au droit qui lui est reconnu par la loi, il doit savoir non seulement qu'il existait un droit possible à la réintégration en vertu de l'article 242, mais aussi que l'article 128 [sic, 168] (dont il n'a pas été fait mention) lui permettait d'exercer son droit de déposer une plainte en vertu de l'article 240 ou d'accepter un arrangement "plus favorable" que celui qui s'appliquerait si l'on donnait suite à la plainte. Rien ne montre que le plaignant, M. Pierce, ou M. Hertman, aient été au courant des dispositions des articles 128 [sic ] et 242 ou de la nature précise du choix que la loi reconnaissait au plaignant.                 
         [...]                 
         L'absence d'une connaissance complète de l'objet précis de la renonciation est suffisant en soi pour vicier la quittance.                 
         [...]                 
         De plus, je ne dispose d'aucun élément de preuve me permettant de conclure que la transaction que l'employeur a proposée était en fait plus favorable au plaignant que les droits qu'il aurait par ailleurs pu exercer en vertu de l'article 240. Cela laisse entendre que, à part toute autre considération, une soi-disant renonciation au droit de déposer une plainte en vertu de l'article 240 ne peut pas être appréciée d'une façon appropriée dans le cadre d'une requête préliminaire sans que la personne concernée ait pleinement connaissance de la nature et de l'étendue de la présumée faute et d'autres questions de fond pertinentes, de façon à permettre une évaluation de la transaction envisagée et de l'apprécier par rapport aux chances d'un résultat supérieur, pouvant aller jusqu'à la réintégration, en vertu de la procédure de présentation des plaintes.                 
         [...]                 
         L'avocat de l'employeur m'a reporté à des décisions dans lesquelles des arbitres avaient confirmé la validité de quittances signées par des plaignants avant le dépôt d'une plainte de congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail : voir Noyle c. La Banque Canadienne Impériale de Commerce, (1985), décision inédite de l'arbitre Hinnegan, et Midland Courier v. Gomes et al. (1994), 73 F.T.R. 286, décision du juge Rouleau, de la Cour fédérale du Canada. Ni l'une ni l'autre de ces décisions ne porte sur les dispositions de l'article 168 du Code et elles ne peuvent donc pas m'aider à arriver à une décision.                 

[11]      Le fond du problème, c'est le contexte législatif qui sous-tend la plainte. Les dispositions législatives pertinentes, qui figurent toutes dans la partie III du Code, se lisent comme suit :

         168. (1) La présente partie, règlements d'application compris, l'emporte sur les règles de droit, usages, contrats ou arrangements incompatibles mais n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.                 
         240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si :                 
             a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;                         
             b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.                         
                     
         (2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.                 
         242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.                 
         (2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre :                 
             a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;                         
             b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;                         
             c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations du travail par les alinéas 16a), b) et c).                         
         (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre :                         
             a) décide si le congédiement était injuste;                         
             b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.                         
         (3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants :                 
             a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;                         
             b) la présente loi ou autre loi fédérale prévoit un autre recours.                         
         (4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur :                 
             a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;                         
             b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;                         
             c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.                         

[12]      Au départ, il faut examiner le paragraphe 243(2), qui est la clause privative prévoyant que la Cour ne peut pas empêcher ou limiter l'action d'un arbitre exercée dans le cadre de l'article 242. Toutefois, c'est une question de compétence qui est ici en cause. Par conséquent, malgré les clauses privatives, le tribunal peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire s'il a outrepassé sa compétence. (Voir par exemple ;Postes Canada c. Pollard, [1992] 2 C.F. 697). Une erreur se rapportant à la compétence du tribunal en soi est examinée d'après la norme de la décision correcte. (Voir Pezim c. Colombie-Britannique (Superintendent), [1994] 2 R.C.S. 557, à la page 590).

[13]      Le requérant soutient que l'arbitre a commis une erreur, et ce, pour quatre raisons. Premièrement, il a omis d'interpréter correctement les dispositions du Code qui lui confèrent sa compétence et la limitent, c'est-à-dire les articles 168, 240 et 242. Les trois autres erreurs alléguées sont que l'arbitre a commis une erreur de droit manifestement déraisonnable en concluant que la transaction ne faisait pas obstacle à la plainte, qu'il a tiré une conclusion de fait manifestement déraisonnable en concluant que le plaignant n'avait pas les connaissances requises pour renoncer à ses demandes et qu'il a commis une erreur manifestement déraisonnable en rendant sa décision sans tenir compte des principes énoncés dans deux décisions. Comme nous le verrons, la première question est la seule qui soit pertinente.

[14]      Dans le cadre de l'argumentation orale, l'avocat de la requérante a invoqué deux arguments pour dire que l'arbitre avait commis une erreur en interprétant la question de savoir s'il avait compétence pour entendre la plainte. Ces deux arguments sont axés sur l'interprétation de l'expression "plus favorable" figurant à l'article 168 du Code. En premier lieu, la requérante soutient que l'exigence selon laquelle l'employeur doit faire part au plaignant de la substance des articles 168 et 242 est "artificielle". L'avocat affirme que lorsqu'on offre une transaction, cela laisse implicitement entendre que l'employé doit renoncer à certains droits, à savoir le droit de déposer une plainte et le droit d'obtenir un redressement au moyen du dépôt d'une plainte. Il soutient qu'en décidant s'il doit accepter la transaction ou poursuivre sa plainte, le plaignant se demande naturellement si la transaction lui est "plus favorable".

[15]      En second lieu, la requérante conteste la conclusion de l'arbitre selon laquelle il n'existait aucun élément de preuve lui permettant de conclure que l'offre de transaction était de fait plus favorable au plaignant. En réponse, la requérante soutient que le contrat est meilleur que ce que M. Amor aurait pu obtenir en vertu du Code parce que la certitude que comporte l'acceptation d'une transaction doit être évaluée par rapport à l'incertitude que comporte le dépôt d'une plainte, procédure qui peut nécessiter beaucoup de temps et d'argent.

[16]      Avec égards, ces arguments doivent être rejetés. Dans le jugement La Banque Nationale du Canada c. l'honorable Alfonso Gagliano et autres (19 juin 1997), T-1540-96 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Rothstein a récemment expliqué l'effet qu'avait l'article 168 sur la compétence d'un arbitre désigné conformément au paragraphe 242(2) du Code. Voici ce qu'il a dit, aux pages 5 et 6 :

         Ayant décidé que la Cour peut déterminer si le ministre a la compétence pour désigner l'arbitre en l'espèce, j'aborde maintenant les dispositions législatives applicables. L'article 168 est déterminant en l'espèce. Aux termes de cet article, la partie III du Code, dont la section XIV, s'applique malgré l'existence de tout contrat. Il semble donc que les parties ne peuvent se soustraire à l'application du Code en ce qui concerne les questions dont traite la partie III. Selon l'avocat du ministre, cette entrave à la liberté contractuelle, de la part du législateur, se justifie du fait que la partie III du Code offre aux employés un filet de protection tissé d'exigences minimales. Un examen des questions sur lesquelles porte la partie III, dont certaines ont déjà été mentionnées précédemment, telles le salaire minimum et la durée maximale du travail, étaye cette opinion. Cette approche est également compatible avec le libellé de la fin du paragraphe 168(1), que je reproduis de nouveau :                 
             [...] mais n'a pas pour effet de porter atteinte aux droits ou avantages acquis par un employé sous leur régime et plus favorables que ceux que lui accorde la présente partie.                         
         En résumé, si le contrat est plus favorable à l'employé que les droits prévus à la partie III, c'est le contrat qui sera appliqué, s'il l'est moins, c'est la partie III qui le sera. Le paragraphe 168(1) prévoit donc que les parties peuvent librement conclure des contrats obligatoires régissant les conditions d'emploi et la cessation d'emploi, sous réserve des exigences minimales de la loi en faveur des employés.                 
[17]      Puis, aux pages 8 et 9, le juge Rothstein a dit ceci :                 
         À mon avis, la Banque a raison de prétendre qu'un arbitre n'a pas la compétence pour juger de la validité d'un règlement intervenu entre l'employé et l'employeur. La compétence de l'arbitre se limite à ce que prévoit la Loi et, en l'occurrence, celle-ci lui permet uniquement de déterminer si un congédiement est injuste.                 
         Cependant, la question de la validité d'un règlement n'a pas été soulevée devant l'arbitre et celui-ci n'avait pas à traiter de cette question. Aux termes du paragraphe 168(1), l'arbitre doit s'acquitter de ses fonctions, qu"une entente existe ou non entre l"employé et l"employeur. L"arbitre doit se contenter de déterminer si l"employé a été injustement congédié et, dans l"affirmative, la réparation qu"il convient d"accorder. Si l"arbitre conclut que l"employé n"a pas été injustement congédié, l"affaire s"arrête là. S"il juge au contraire qu"il l"a été, il peut enjoindre à l"employeur d"indemniser l"employé, de réintégrer celui-ci dans son emploi, ou de prendre toute autre mesure de redressement qui soit équitable.                 

[18]      Il faut donc de toute évidence se demander d'abord si c'est la transaction ou le Code qui favoriserait le moins M. Amor. Malgré l'argument de la requérante, selon lequel la décision que le plaignant a prise de renoncer à l'incertitude que comporte un litige en faveur de la certitude à laquelle l'offre de transaction donne lieu lui est à première vue "plus favorable", comme il en est fait mention dans le jugement Banque Nationale , ce n'est pas la méthode qu'il convient d'employer pour déterminer ce qui est le "plus favorable". La partie III du Code établit un ensemble d'exigences minimales, auxquelles on ne saurait se soustraire au moyen d'un contrat. L'article 240 confère l'un des droits prévus par la partie III du Code. Les parties ne peuvent donc pas renoncer au droit à l'arbitrage conféré par l'article 240 parce que pareil contrat serait ipso facto moins favorable que les dispositions de la partie III du Code. Cela est précisément ce que les parties se proposent de faire dans la transaction ici en cause. En vertu de l'article 168 du Code, la renonciation au droit à l'arbitrage est donc nulle et non avenue.

[19]      La Cour n'examinera pas la question de savoir si l'employeur était tenu de lire à l'employé les dispositions pertinentes du Code, mais l'arbitre n'a pas commis d'erreur en déterminant qu'il avait compétence pour entendre la plainte, et ce, pour les motifs énoncés dans le jugement Banque Nationale.

[20]      Il importe d'ajouter que le jugement qui, selon la requérante, est concluant à cet égard, Midland Courier v. Gomes et al. (1994), 73 F.T.R. 286, n'aide pas celle-ci. Dans cette affaire-là, on avait donné à la plaignante la possibilité d'accepter une indemnité globale de départ, auquel cas elle convenait de ne pas déposer de plainte pour congédiement injuste, ou de faire l'objet d'un renvoi motivé. La plaignante a décidé d'accepter l'indemnité globale de départ, mais elle a par la suite décidé de déposer en vertu de l'article 240 du Code une plainte fondée sur le congédiement injuste. L'arbitre a statué qu'il avait compétence pour entendre la plainte, et ce, même si la plaignante s'était engagée à ne pas déposer de plainte lorsqu'elle avait accepté l'indemnité globale de départ. L'arbitre a conclu que la renonciation était finale et obligatoire si la plaignante avait fait l'objet d'un renvoi motivé. Toutefois, il a dit que s'il était conclu que le motif était insuffisant, la plaignante aurait le droit de donner suite à sa plainte. L'employeur a demandé le contrôle judiciaire de la décision que l'arbitre avait prise de procéder à l'audition de la plainte. En faisant droit à la demande, Monsieur le juge Rouleau a dit ceci, à la page 290 :

         Il semble que l'arbitre ait fondé sa décision que l'accord était valide dans le contexte d'un renvoi motivé sur la conclusion voulant que les relations employeur-employé aient pris fin avant la signature de la renonciation. Cette conclusion n'est pas étayée par la preuve et, qui plus est, elle est en contradiction avec l'observation formulée par l'arbitre comme quoi la renonciation a été signée "dans des conditions très semblables à celles dans lesquelles les employés remettent leur démission à la demande de leur employeur". Une chose est claire : le 21 février 1992, l'employeur avait décidé qu'il n'avait plus besoin des services de Mme Gomes. Il lui a donné le choix : ou bien signer la renonciation, ou bien faire l'objet d'un congédiement motivé. Ayant pesé le pour et le contre, Mme Gomes a décidé de signer la renonciation, et c'est à ce moment que les relations employeur-employé ont pris fin. En signant, Mme Gomes a écarté la possibilité de faire l'objet d'un renvoi motivé. L'employeur, en contrepartie, se prémunissait contre tout recours en réintégration ou en dommages-intérêts qui eût pu résulter de la cessation d'emploi.                 
         [Je souligne.]                 

[21]      Il ressort de toute évidence du passage précité que Monsieur le juge Rouleau a conclu qu'une renonciation qu'un employé a signée pour éviter un renvoi motivé peut d'une façon valide et efficace être opposée à une plainte déposée en vertu de l'article 240 du Code. Toutefois, dans ses motifs, Monsieur le juge Rouleau n'a pas examiné l'article 168, étant donné que la question n'avait pas été soulevée par les parties.

[22]      L'autre décision, Noyle c. la Banque Canadienne Impériale de Commerce, (17 mars 1986), qui a été rendue par l'arbitre Hinnegan, est tout simplement erronée compte tenu de l'interprétation donnée par Monsieur le juge Rothstein dans la décision Banque nationale. Ici encore, il ne s'agit pas avant tout de savoir si le plaignant a librement et volontairement renoncé aux droits qui lui étaient reconnus par la loi. Il s'agit plutôt de savoir si c'est la transaction ou le Code qui devrait s'appliquer et si le Code confère un meilleur droit, l'arbitre a compétence. En fin de compte, le législateur voulait qu'il soit extrêmement difficile de renoncer aux garanties fondamentales contenues dans le Code. Il n'appartient pas à la Cour de dire le contraire. Comme le juge Rothstein l'a dit dans la décision Banque nationale, aux pages 12 et 13 :

         En fait, l'avocate de la Banque a soutenu que si l'on ne considérait pas que ces ententes liaient les parties et que si, même après avoir conclu de telles ententes, les employés pouvaient toujours exercer le recours prévu au Code, les employés quittant leur emploi et leurs employeurs seront peu enclins à conclure des ententes à l'amiable. Bien que je sois conscient de ce que cela implique d'un point de vue politique, d'une part, et des nombreux arguments pouvant être invoqués pour mettre en doute le bien-fondé de l'application du droit commun des contrats à des cas semblables, d'autre part, je suis lié par la volonté du législateur qui, pour le meilleur et pour le pire, a une incidence de nature interventionniste dans les relations entre employeurs et employés.                 
         Quant à la nature importune des dispositions législatives applicables, j'aimerais toutefois émettre quelques commentaires. Premièrement, les employés qui veulent déposer une plainte doivent le faire dans les quatre-vingt-dix jours suivant leur congédiement. Les employeurs ne sont donc pas susceptibles, pendant une période indéfinie, de faire l'objet de recours prévus au Code exercés par des employés mécontents. Deuxièmement, le seul fait que l'employé puisse exercer un recours aux termes de la section XIV ne signifie pas forcément qu'on demandera à l'employeur de fournir davantage que ce que prévoit l'entente qu'il a conclue avec l'employé.                 
         Troisièmement - il s'agit d'un point qui revêt une importance considérable à mon avis - le pouvoir de distinguer un arbitre, que le paragraphe 242(1) confère au ministre, est discrétionnaire. [...]                 

[23]      Ces remarques sont explicites.

[24]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                        F. C. Muldoon

                                 Juge

Ottawa (Ontario),

le 29 décembre 1997

Traduction certifiée conforme

François Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-281-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CON-WAY CENTRAL EXPRESS INC. c.
     TIM ARMSTRONG, c.r., et STEPHEN AMOR

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 25 JUILLET 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Muldoon en date du 29 décembre 1997

ONT COMPARU :

DAVID N. CORBETT

CHRISTINE M. S. CHEN      POUR LA REQUÉRANTE

BRAM A . LECKER      POUR LES INTIMÉS

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

FASKEN, CAMPBELL, GODFREY      POUR LA REQUÉRANTE

BRAM A. LECKER      POUR LES INTIMÉS

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