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Date : 20040623

Dossier : DES-3-03

Référence : 2004 CF 900

Ottawa, Ontario, ce 23ième jour de juin 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                             DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi

sur l'immigration et la protection des réfugiés,

L.C. 2001, ch. 27 (la « L.I.P.R. » );

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt

de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en

vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et

80 de la L.I.P.R.;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour

l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle

des motifs justifiant le maintien en détention en vertu

des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT une demande de provision

pour frais par M. Adil Charkaoui

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Adil Charkaoui


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande pour provision pour frais d'une somme monétaire ayant comme but de payer les honoraires et déboursés au montant de 19 250 00 $ plus TPS et TVQ qui devront être encourus pour préparer, rédiger et présenter une requête visant l'obtention:

-           d'un jugement déclaratoire constatant l'abus de procédure et la violation des droits constitutionnels de M. Adil Charkaoui ( « M. Charkaoui » ) par le Ministre lors du traitement de sa demande de protection et ce, étant donné que depuis le 21 août 2003, les Ministres ont eu en leur possession le rapport d'examen de risques avant renvoi ("ERAR") qu'ils n'ont communiqué à M. Charkaoui que le 2 avril 2004 et l'abus de procédure à ne pas avoir traité de la demande de protection dans un délai raisonnable. Ledit rapport en date du 23 août 2003 concluant qu'il existe une probabilité de torture, de menaces à la vie, d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités s'il retourne au Maroc;

-           d'un jugement remédiant au préjudice subi par M. Charkaoui et déclarant sa demande de protection acceptée selon le rapport d'ERAR daté du 21 août 2003 et concluant à l'existence d'une probabilité de torture, de menaces à la vie, d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités si M. Charkaoui retournait au Maroc;


-           d'un jugement réservant les autres recours de M. Charkaoui et de manière subsidiaire, l'obtention:

-           d'un jugement déclarant inconstitutionnel et inopérant les dispositions des articles 95(1) in fine, 112(3)d), 113b) c) et d) et 115(2) de la L.I.P.R. en lien avec les articles 77(2), 101(1)f) et 104 de la L.I.P.R. ainsi que les dispositions réglementaires 167 à 172 du règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (R.I..P.R.); et

-            d'un jugement déclarant M. Charkaoui « personne protégée » selon l'article 96 et 97 de la L.I.P.R. et selon l'évaluation ERAR en date du 21 août 2003 et « personne protégée » de refoulement vers un pays où il risque la torture selon l'article 115(1) de la L.I.P.R., le tout avec dépens sur une base avocat-client quelque soit le résultat de la requête.

[2]              Pour les raisons ci-après explicitées, la demande de provision pour frais est refusée car M. Charkaoui n'a pas réussi à démontrer qu'il rencontrait les exigences de ce type de demande tel qu'établies par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c.Bande Indienne Okanagan [2003] 3 R.S.C. 371 (ci-après « Bande Indienne

Okanagan » ).


SURVOL DU DOSSIER

[3]                Afin de remettre les faits de ce dossier dans leur contexte, je reprends brièvement son historique. Le 16 mai 2003, les Ministres ont signé un certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la L.I.P.R. informant que M. Charkaoui est une personne visée aux alinéas 34(1)c), 34c), d) et 34(i)f) de la L.I.P.R. et ledit certificat a été déposé le 21 mai 2003. Un mandat d'arrestation fut donc émis et exécuté contre M. Charkaoui ce qui a résulté dans sa détention depuis le 21 mai 2003. Les Ministres sont d'opinion que M. Charkaoui est un danger à la sécurité nationale notamment pour les raisons suivantes:

-           il est membre du réseau Al-Quaïda et il a suivi un entraînement dans un camp de ce réseau;

-           il est considéré comme étant un agent dormant du réseau Ben Laden;

-           les Ministres associent ses activités à la violence et au terrorisme en précisant qu'il est un adepte de karaté ainsi que d'arts martiaux;


[4]                Depuis le début des procédures, M. Charkaoui est représenté par deux avocats (Me Johanne Doyon et Me Julius Grey, "ci-après « les avocats » ) et jusqu'à présent le soussigné a signé plus de neuf jugements, ordonnances ou directives relevant de cette affaire. Par exemple, cette Cour a décidé du contrôle et du maintien en détention de M. Charkaoui tel que prévu à l'article 83 de la L.I.P.R. à deux reprises, soit la décision du 15 juillet 2003, Charkaoui [2003] C.F. 882 (ci-après « décision du 15 juillet 2003 » ) et celle du 23 janvier 2004, Charkaoui [2004] C.F. 107 (ci-après décision du 23 janvier). Cette Cour a aussi jugé le 5 décembre 2003 dans Charkaoui [2003] C.F. 1419 (ci-après décision du « 5 décembre 2003 » ) de la remise en question de la validité constitutionnelle de plusieurs dispositions législatives de la L.I.P.R. qui établissent une procédure dont le but est de déterminer si un résident permanent est un danger pour la sécurité du Canada ou pour celle d'autrui.

[5]                Bien que le coeur de la procédure prévue aux articles 76 et suivants de la L.I.P.R. est l'analyse du caractère raisonnable du certificat (voir article 80(1) de la L.I.P.R.), le soussigné n'a toujours pas été en mesure de le faire car, à la demande des avocats de M. Charkaoui en février 2004 de suspendre l'affaire pour raison de demande de protection, le dossier est suspendu à cet égard, tel que l'oblige l'article 79(1) de la L.I.P.R.


[6]                En effet, à la fin mai 2003, les Ministres ont fait signifier un avis d'ERAR à M. Charkaoui auquel celui-ci a répondu à la fin juillet. Le 21 août 2003 un agent a conclu son évaluation en indiquant qu'il y avait probabilité de torture, de menaces à la vie, d'être soumis à des traitements ou peines cruels et inusités si M. Charkaoui retournait au Maroc. Ce document a été acheminé à M. Charkaoui plus de sept mois plus tard accompagné de deux autres évaluations (examen de restrictions en vertu de l'alinéa 112(3) de la L.I.P.R. et évaluation de restrictions en vertu de l'alinéa 113d)(ii) de la L.I.P.R.) qui concluaient que M. Charkaoui constituait un danger à la sécurité du Canada. Ces documents seront soumis au délégué du Ministre pour une décision quant à la possibilité de retour de M. Charkaoui au Maroc.


LES SOUMISSIONS

[7]                M. Charkaoui allègue que le délai de plus de sept mois à lui faire parvenir le rapport du 21 août 2003 constitue un abus de procédure qui lui a créé préjudice l'incitant à demander à la Cour qu'un jugement soit rendu déclarant sa demande de protection acceptée. De plus, il allègue abus de procédure pour ne pas avoir traité de la demande de protection dans un délai raisonnable. Subsidiairement, il demande à la Cour de déclarer inconstitutionnel et inopérant les dispositions concernant l'ERAR, c'est-à-dire les articles 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b), c) et d) et 115(2) de la L.I.P.R. ainsi que les articles 167 à 172 de la R.I.P.R.

[8]                En planifiant la plaidoirie d'une telle requête, les avocats de M. Charkaoui évaluent leurs honoraires et déboursés à 19 250 00 $ et en conséquence, demandent une provision pour frais. Ils soutiennent qu'une telle demande est raisonnable en l'espèce surtout lorsqu'on tient compte des particularités du dossier et du fait que les conditions établies par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan sont rencontrées.


[9]                Dans son dossier de requête, M. Charkaoui informe la Cour qu'il n'a pas de revenu, que son épouse reçoit de l'aide sociale et qu'il est éligible au programme d'aide juridique de la Province de Québec. Toutefois, il ajoute que l'aide juridique n'octroie pas d'avances d'honoraires, ni de provision pour frais. De plus, il précise que ses avocats n'accepteraient pas de mandat d'aide juridique étant donné que de tel mandat ne prévoit pas d'avance pour frais et qu'en l'espèce les barèmes d'honoraires sont insuffisants. Il mentionne que sans ses avocats, il ne peut pas agir en justice.

[10]            En contrepartie, les Ministres s'objectent à une telle demande car ils soutiennent que les dépens sont alloués à la partie victorieuse et qu'à ce moment-ci, il est difficile de prédire le résultat ultime d'une demande d'abus de procédures et de déclaration à l'effet que M. Charkaoui est une personne protégée. Par ailleurs, les Ministres considèrent que selon les faits du présent litige les trois conditions mises de l'avant dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan ne sont pas rencontrées.

LA QUESTION EN LITIGE

[11]            Est-ce que M. Charkaoui a le droit d'obtenir une provision pour frais à titre de dépens afin de permettre à ses avocats de présenter une requête contestant l'abus de procédures dans le traitement de la demande ERAR et en conséquence, une déclaration à l'effet que M. Charkaoui est une « personne protégée » selon les articles 112 et suivants de la L.I.P.R. ou subsidiairement, que les articles 95(1)c) in fine 112(3)d), 113b) c) et d) et 115(2) de la L.I.P.R. et les articles 167 à 172 du R.I.P.R. sont inconstitutionnelles et en conséquence, qu'il est une « personne        protégée » ?


LE DROIT ET LA JURISPRUDENCE

[12]            Selon l'article 4 de la Loi sur les Cours fédérales 2002, c.8, SS 13-58 ( « Loi » ) la Cour fédérale est un tribunal d'equity et l'articulation de son pouvoir concernant l'octroi de dépens se retrouve à l'article 400 des Règles de la Cour fédérale (1998) ( « Règles » ):

[13]            L'article 4 de la Loi stipule:


4. La section de la Cour fédérale du Canada, appelée la Section de première instance de la Cour fédérale, est maintenue et dénommée « _Cour fédérale_ » en français et « _Federal Court_ » en anglais. Elle est maintenue à titre de tribunal additionnel de droit, d'equity et d'amirauté du Canada, propre à améliorer l'application du droit canadien, et continue d'être une cour supérieure d'archives ayant compétence en matière civile et pénale.

4. The division of the Federal Court of Canada called the Federal Court - Trial Division is continued under the name "Federal Court" in English and "Cour fédérale" in French. It is continued as an additional court of law, equity and admiralty in and for Canada, for the better administration of the laws of Canada and as a superior court of record having civil and criminal jurisdiction.


[14]            L'article 400 des Règles stipule :



400. (1) La Cour a entière discrétion pour déterminer le montant des dépens, les répartir et désigner les personnes qui doivent les payer.

(2) Les dépens peuvent être adjugés à la Couronne ou contre elle.

(3) Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l'un ou l'autre des facteurs suivants :

a) le résultat de l'instance;

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

c) l'importance et la complexité des questions en litige;

d) le partage de la responsabilité;

e) toute offre écrite de règlement;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

g) la charge de travail;

h) le fait que l'intérêt public dans la résolution judiciaire de l'instance justifie une adjudication particulière des dépens;i) la conduite d'une partie qui a eu pour effet d'abréger ou de prolonger inutilement la durée de l'instance;

j) le défaut de la part d'une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l'instance, selon le cas :

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

l) la question de savoir si plus d'un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l'application des règles 292 à 299;

o) toute autre question qu'elle juge pertinente.

(4) La Cour peut fixer tout ou partie des dépens en se reportant au tarif B et adjuger une somme globale au lieu ou en sus des dépens taxés.

(5) Dans le cas où la Cour ordonne que les dépens soient taxés conformément au tarif B, elle peut donner des directives prescrivant que la taxation soit faite selon une colonne déterminée ou une combinaison de colonnes du tableau de ce tarif.

Autres pouvoirs discrétionnaires de la Cour

(6) Malgré toute autre disposition des présentes règles, la Cour peut :

a) adjuger ou refuser d'adjuger les dépens à l'égard d'une question litigieuse ou d'une procédure particulières;

b) adjuger l'ensemble ou un pourcentage des dépens taxés, jusqu'à une étape précise de l'instance;

c) adjuger tout ou partie des dépens sur une base avocat-client;

d) condamner aux dépens la partie qui obtient gain de cause.

Adjudication et paiement des dépens

(7) Les dépens sont adjugés à la partie qui y a droit et non à son avocat, mais ils peuvent être payés en fiducie à celui-ci.

400. (1) The Court shall have full discretionary power over the amount and allocation of costs and the determination of by whom they are to be paid.

(2) Costs may be awarded to or against the Crown.

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

(a) the result of the proceeding;

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

(c) the importance and complexity of the issues;

(d) the apportionment of liability;

(e) any written offer to settle;

(f) any offer to contribute made under rule 421;

(g) the amount of work;

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

(k) whether any step in the proceeding was

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299; and

(o) any other matter that it considers relevant.

(4) The Court may fix all or part of any costs by reference to Tariff B and may award a lump sum in lieu of, or in addition to, any assessed costs.

(5) Where the Court orders that costs be assessed in accordance with Tariff B, the Court may direct that the assessment be performed under a specific column or combination of columns of the table to that Tariff.

(6) Notwithstanding any other provision of these Rules, the Court may

(a) award or refuse costs in respect of a particular issue or step in a proceeding;

(b) award assessed costs or a percentage of assessed costs up to and including a specified step in a proceeding;

(c) award all or part of costs on a solicitor-and-client basis; or

(d) award costs against a successful party.

(7) Costs shall be awarded to the party who is entitled to receive the costs and not to the party's solicitor, but they may be paid to the party's solicitor in trust.


[15]            Le pouvoir discrétionnaire de la Cour fédérale d'accorder des dépens prend sa source dans la notion d'equity et est formalisé par les Règles de la Cour qui laissent à la Cour entière discrétion pour accorder ou non des dépens (voir Bande Indienne Okanagan au paragraphe 19).

[16]            Les dépens sont normalement accordés à la partie victorieuse et ce, à la fin du prononcé du jugement. Dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan au paragraphe 20, la Cour suprême cite avec approbation, un extrait de l'arrêt: Re Régional Municipality of Hamilton-Wentworth and Hamilton-Wentworth Save the Valley Committee, Inc. [1985] 51 O.R. (2d) 23. Cette dernière décision indique le moment que les dépens sont accordés ainsi que les facteurs qui doivent être pris en considération lors de l'octroi des dépens:

"[TRADUCTION]

(1) Les dépens sont alloués à la partie victorieuse ou méritoire et sont payables par la partie qui succombe.

(2) Par la force des choses, les dépens ne sont accordés qu'à la fin de l'instance étant donné qu'on ne peut savoir d'avance qui aura gain de cause.

(3) Ils sont payables à titre d'indemnité pour le dépenses et les services admissibles afférents à l'instance.

(4) Ils ne sont pas versés dans le but de garantir la participation à l'instance. (En italique dans l'original)

[17]            Si une Cour entend déroger aux facteurs ci-haut mentionnés, elle doit le faire avec prudence. À cet effet, le juge LeBel, pour la majorité, dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan, écrivait au paragraphe 22:


Le pouvoir d'adjudication de dépens demeure discrétionnaire, mais c'est un pouvoir discrétionnaire qui doit être exercé de façon judiciaire et il faut donc suivre les règles ordinaires relatives à cette question à moins que les circonstances ne justifient une approche différente.

[18]            Lorsqu'on considère une situation hypothétique de dérogation de l'approche conventionnelle dans l'adjudication des dépens, le juge LeBel dans La Bande Indienne Okanagan au paragraphe 40, met de l'avant trois conditions qui doivent toutes être rencontrées afin que la Cour puisse accorder une provision pour frais:

Compte tenu de ces considérations, je résumerais ainsi les conditions qui doivent être réunies pour que l'octroi de provisions pour frais dans ce genre de cause soit justifié:

(1)           La partie qui demande une provision pour frais n'a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d'aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal - bref, elle serait incapable d'agir en justice sans l'ordonnance.

(2)           La demande vaut prima facie d'être instruite, c'est-à-dire qu'elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu'il n'en a pas les moyens financiers.

(3)           Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n'ont pas encore été tranchées.

Une fois toutes ces conditions rencontrées, la Cour de par son pouvoir discrétionnaire, préserve le choix ultime de la détermination soit l'octroi ou non d'une provision pour frais.

CERTAINES CONSTATATIONS D'INTÉRÊT

[19]            La présente demande de provision pour frais est plus qu'une simple demande de dépens. Le montant de plus de 19 250 00 $ reflète les honoraires des avocats et est associé à une demande de dépens sur une base d'avocat-client.


[20]            Dans la présente affaire M. Charkaoui a déposé une attestation d'aide juridique de la Province de Québec qui démontre que celui-ci a le droit d'avoir recours à ce programme afin d'assurer sa représentation juridique. La situation de faits en l'espèce se distingue donc de celle qui régnait dans l'affaire Bande Indienne Okanagan où aucune preuve d'accès à l'aide juridique avait été déposée et de toute évidence ne semble pas avoir été disponible au demandeur (voir pour fins de comparaison les faits soulevés dans l'arrêt British Columbia (Minister of Forests) v. Okanagan Indian Band [2001] B.C.J. no. 2279, paragraphe 6).

[21]            M. Charkaoui n'a pas informé la Cour de la disponibilité ou non d'un avocat de l'aide juridique ou d'un avocat de la pratique privée acceptant les mandats de l'aide juridique. Cependant M. Charkaoui veut être représenté par les avocats Doyon et Grey qui, de leur part, exigent une rémunération pour avances et un taux horaire supérieur à celui payé par l'aide juridique.


[22]            Quoiqu'il s'agisse de procédures distinctes de celles traitées en l'espèce, je note pour fins de comparaison, que dans le cadre de la procédure en droit d'immigration, telles les demandes d'autorisation, de contrôle judiciaire ou d'appel découlant de telles demandes sous l'égide de la L.I.P.R., la règle stipule qu'il n'y a pas de dépens sauf par ordonnance pour raisons spéciales (voir article 22 des Règles de la Cour fédérale en matière d'immigration et de protection des réfugiés DORS/93-22). Ayant fait ces observations, je procède dans les paragraphes à suivre à l'analyse et à la détermination.

TEST DE L'ARRÊT LA BANDE INDIENNE OKANAGAN

[23]            J'effectuerai l'analyse des faits en l'espèce en me référant aux trois conditions énumérées par le juge LeBel dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan précité.

A)        La partie demandant la provision pour frais n'a véritablement pas les moyens de payer les frais occasionnés par le litige et ne dispose réalistement d'aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal bref, elle serait incapable d'agir en justice sans l'ordonnance.


[24]            Bien que la preuve concernant les moyens de payer les frais occasionnés est succincte, peu élaborée et se distingue de celle faite dans l'arrêt La Bande Indienne Okanagan, je constate que M. Charkaoui et son épouse ont très peu de revenu à leur disposition qui leur permettrait d'assumer les coûts d'un tel litige.    Par ailleurs, je n'ai aucune preuve pouvant expliquer de quelle façon M. Charkaoui a pu assumer ses obligations envers ses avocats depuis un an. Bien que ce genre de preuve ne soit pas essentiel, il demeure important que la preuve faite dans un tel dossier comprenne un tableau financier le plus complet possible démontrant non seulement la situation financière de la personne concernée, mais aussi celle de son épouse et sa famille. S'il n'y a aucune possibilité de recours à d'autres moyens, ni d'accès à d'autres sources financiers, il est important de le mentionner car c'est la personne concernée qui a le fardeau de la preuve dans le cadre d'une telle requête. Ayant dit ceci, M. Charkaoui dans son affidavit, précise au paragraphe 19 « en effet, je suis détenu depuis plus d'un an, n'ai aucun revenu, aucune économie et plus aucune ressources financières » .

[25]            Toutefois, cette première condition ne se limite pas à une simple constatation que la personne concernée n'a pas les moyens de payer les frais car le juge LeBel ajoute que celle-ci ne doit pas avoir aucune autre source de financement lui permettant de soumettre les questions en cause au tribunal. En l'espèce, la preuve est à l'effet que M. Charkaoui est admissible pour l'obtention de l'aide juridique (selon l' affidavit de M. Charkaoui daté le 20 mai 2004, paragraphe 19). Toutefois, l'aide juridique ne fournit pas d'avances d'honoraires et paye les avocats selon un tarif inférieur à celui des avocats qui le représentent. Donc, il y a, pour M. Charkaoui, une source de financement mais que ses avocats ne peuvent accepter pour les deux raisons mentionnées ci-haut (selon l'affidavit de M. Charkaoui, paragraphes 20, 21 et 22).

[26]            M. Charkaoui n'a pas déposé de preuve à l'effet que, bien qu'il soit admissible à l'aide juridique, aucun avocat provenant de l'organisme ou de la pratique privée si nécessaire, est disponible pour assumer le mandat pour présenter les questions en cause au tribunal. La Cour, de par sa connaissance générale, est au courant qu'il y a dans le Barreau de Montréal, Section d'immigration, d'excellents avocats y incluant des avocats permanents de l'aide juridique.


[27]            À moins de preuve contraire, je suis d'avis que M. Charkaoui peut avoir recours au programme d'aide juridique de la Province du Québec pour se faire représenter dans le cadre de la requête pour abus de procédures. Bien qu'il s'agisse d'une décision dans le contexte du droit criminel, les propos de la Cour d'appel de la Province de Québec concernant le droit constitutionnel d'être représenté par un avocat dans l'arrêt Québec (Procureur-général) c. R.C. (C.A.) [2003] R.J.Q. 2027, me semblent néanmoins pertinents pour ce qui est de l'analyse du programme d'aide juridique Québécois,:

Avant d'invoquer son droit constitutionnel d'être représenté par un avocat pour lui assurer un procès équitable, le prévenu admissible à l'aide juridique doit épuiser les recours prévus à la LAJ. Dans cette perspective, il doit recourir aux services d'un avocat permanent de l'aide juridique lorsqu'il ne peut retenir les services d'un avocat de pratique privée. Par ailleurs, dans l'éventualité où aucun avocat permanent de l'aide juridique ne peut agir et aucun avocat de pratique privée n'accepte de représenter le prévenu au tarif prévu par le Règlement sur le tarif, il appartiendra à ce dernier de s'adresser au tribunal qui décidera s'il y a violation de son droit constitutionnel.


[28]            Dans son mémoire, M. Charkaoui argumente implicitement qu'il a un droit non seulement à la représentation, mais également aux avocats de son choix. À mon avis, il ne s'agit pas d'un droit constitutionnel absolu et général mais plutôt d'un droit limité qui a comme but d'assurer un procès équitable et qui doit être analysé selon les particularités du dossier. Dans le présent cas, étant donné la situation financière de M. Charkaoui et son épouse, le système juridique provincial lui offre une source de financement par l'entremise du programme d'aide juridique.

[29]            À la lumière de la preuve telle que présentée, je suis d'avis que la première condition n'est pas rencontrée. Étant donné que les trois conditions élaborées par le juge LeBel dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan sont cumulatives et qu'il est donc essentiel qu'elles soient toutes rencontrées pour que la provision pour frais soit justifiée, ma conclusion concernant la première condition serait suffisante pour décider de la présente requête. Cependant, dans le but de satisfaire pleinement les attentes des parties, j'entends traiter sommairement des autres conditions notant toutefois que si jamais le programme d'aide juridique ne permet pas à M. Charkaoui d'obtenir les services d'un avocat permanent de l'aide juridique ou de la pratique privée qui accepte le tarif, à ce moment-là, la question pourrait être réétudiée en tenant compte des 3 conditions de l'arrêt Bande Indienne Okanagan.

B)        La demande vaut prima facie d'être instruite, c'est-à-dire, qu'elle paraît au moins suffisamment valable et, de ce fait, il serait contraire aux intérêts de la justice que le plaideur renonce à agir en justice parce qu'il n'en a pas les moyens financiers.


[30]            Cette condition soulève deux volets. Le premier concerne le niveau d'intérêt à porter aux questions soulevées par la requête et le deuxième, l'intérêt de la justice à s'assurer que s'il y a intérêt à présenter la requête, que celle-ci doit être présentée et ce, malgré la situation financière de M. Charkaoui.

[31]            Je n'ai aucune hésitation à conclure que la requête pour abus de procédures soulève prima facie, des questions suffisamment valables pour qu'elle soit présentée. En contrepartie, et ce pour les raisons mentionnées lors de l'analyse de la première condition, à moins d'avis contraire, le programme d'aide juridique est à la disposition de M. Charkaoui et la requête pour abus de procédures peut-être présentée et ce, dans l'intérêt de la justice. Je suis donc d'avis que la deuxième condition n'est pas rencontrée.

C)        Les questions soulevées dépassent le cadre des intérêts du plaideur, revêtent une importance pour le public et n'ont pas encore été tranchées.

[32]            Cette troisième condition a trois volets : les questions dépassent le cadre des intérêts des plaideurs, elles ont une importance pour le public et elles n'ont pas encore été tranchées.

[33]            Pour le juge LeBel dans l'arrêt Bande Indienne Okanagan (paragraphe 38), cette condition exige que les questions servent l'intérêt public:


"Dans les causes de ce genre, comme je l'ai mentionné précédemment, des objectifs de politique juridique différents, notamment celui de garantir que les citoyens ordinaires auront accès aux tribunaux afin de faire préciser leurs droits constitutionnels et faire trancher d'autres questions sociales de portée générale, l'emportent souvent sur les objectifs traditionnel de l'attribution des dépens. De plus, de par leur nature, les causes de ce type soulèvent des questions importantes non seulement pour les parties au litige mais aussi pour la collectivité en général, de sorte que leur règlement adéquat sert l'intérêt public."

[34]            Je rappelle que la requête pour abus de procédures est basée sur le fait que l'analyse ERAR en date du 21 août 2003 a été communiquée plus de 7 mois plus tard, soit le 2 avril 2004 et que le temps à décider de la demande de protection est aussi un abus de procédure et demande en conséquence que M. Charkaoui soit déclaré une « personne protégée » et subsidiairement que les articles 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b), c) et d) et 115(2) de la L.I.P.R. et les articles 167 à 172 de la R.I.P.R. soient déclarés inconstitutionnels et en conséquence que M. Charkaoui soit déclaré « personne protégée » .


[35]            Les avocats de M. Charkaoui n'ont pas explicité les arguments de la requête sauf pour faire ces énoncés généraux. Par ailleurs, je note que dans un arrêt concernant un certificat émis sous l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985 ch. I-2, impliquant M. Mahamoud Jaballah [2003] C.F.P.I. 640, le juge MacKay avait traité d'une situation qui pouvait s'apparenter à la présente. Dans cet arrêt le Ministre tardait sans explication à communiquer une décision finale concernant la demande ERAR (plus de dix mois depuis la demande initiale). La Cour a conclu à un abus de procédures et a condamné aux dépens le Ministre sur une base avocat-client. Dans notre cas, le retard à communiquer n'est pas la décision du Ministre mais plutôt l'analyse de l'ERAR et les recours recherchés ne sont pas les mêmes. De plus, je suis d'avis que la revendication constitutionnelle concernant les alinéas 95(1)c) in fine, 112(3)d), 113b), c) et d) et 115(2) de la L.I.P.R. et les articles 167 à 172 de la R.I.P.R. n'a pas été traitée par un tribunal en date de ce jour.

[36]            Dans l'arrêt La Bande Indienne Okanagan au paragraphe 46, le juge LeBel décrit la situation de faits qui était particulière à la Bande et précise que lorsqu'il est question de trancher une question d'octroi de dépens, il faut que les circonstances soient exceptionnelles:

"Les questions que l'on cherche à soulever au procès sont d'une importance cruciale pour la population de la Colombie-Britannique, tant autochtone que non autochtone, et une décision à leur égard constituerait un pas majeur vers le règlement des nombreux problèmes en suspens entre la Couronne et les Autochtones dans cette province. Bref, les circonstances de l'espèce sont effectivement particulières, voire exceptionnelles."

[37]            Bien que les arguments à la base de la requête pour abus de procédures se limitent qu'à des énoncés généraux, je considère que les questions soulevées sont importantes. Cependant, telles que sommairement décrites, je suis également d'avis qu'elles ne sont pas particulières, ni exceptionnelles. De plus, je ne crois pas qu'il existe des circonstances suffisamment spéciales dans ce dossier pour me convaincre que les questions soulevées appartiennent « [...] à cette catégorie restreinte de causes justifiant l'exercice exceptionnel [des] pouvoirs » (voir arrêt Bande Indienne Okanagan, paragraphe 36). L'exigence que les questions soulevées par la requête soient exceptionnelles place la barre très haute et bien que les faits du présent dossier soulèvent un intérêt marqué, ils ne sont pas pour autant exceptionnels.


[38]            Avant de terminer, je mentionne que de traiter d'une demande pour provision pour frais à la lumière de l'arrêt Bande Indienne Okanagan n'est pas un exercice facile surtout lorsqu'on considère qu'il s'agit de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qui implique entre autres facteurs, un pré-jugement des questions soulevées. Certes, la demande est faite de procéder avec « une prudence particulière » , mais cela demeure un exercice qui place le tribunal dans une situation difficile et inhabituelle. Ayant dit ceci, j'ai assumé cette délicate tâche ayant à l'esprit l'intérêt des parties et celui de la saine administration de la justice.

                                        ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS :

-           La demande est rejetée.

                  "Simon Noël"                  

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                DES-3-03

INTITULÉ :               MCI c. ADIL CHARKAOUI

LIEU DE L'AUDIENCE :                              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                            1er juin 2004

MOTIFS :                  L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   23 juin 2004

COMPARUTIONS :

                                   Me Johanne Doyon

Me Julius Grey

POUR LE DEMANDEUR

Me Luc Cadieux

Me Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon, Morin

Montréal (Québec)

Me Julius Grey

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario


POUR LE DÉFENDEUR


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