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Date : 19990326


Dossier : T-2509-90

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 MARS 1999

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE LUTFY

ENTRE

DIXIE LEE MCLEAN,


demanderesse,

et


SA MAJESTÉ LA REINE,


défenderesse.


ORDONNANCE

     La défenderesse ayant présenté une requête le 5 février 1999 en vue d"obtenir un jugement sommaire;

     Les prétentions écrites des parties ayant été examinées, l"audience ayant eu lieu à Vancouver (Colombie-Britannique) le 26 février 1999 et les prétentions supplémentaires écrites des parties ayant été examinées;

     CETTE COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.      L"action sera traitée comme s"il s"agissait d"une demande de contrôle judiciaire conformément aux conditions de la présente ordonnance.

2.      La demanderesse pourra signifier et déposer, dans les 30 jours qui suivront la date de la présente ordonnance, un acte introductif d"instance sous la forme d"un avis de demande de contrôle judiciaire conformément à l"alinéa 300a ) et aux dispositions suivantes des Règles de la Cour fédérale (1998) à l"égard de la décision qui lui a été communiquée le 18 septembre 1990, rejetant la demande qu"elle avait faite en vue de faire proroger le délai de présentation du grief se rapportant à son renvoi, par mesure administrative, pour motif d"invalidité physique.

3.      L"avis de demande de contrôle judiciaire mentionné au premier paragraphe de la présente ordonnance sera déposé devant la Section de première instance de la Cour fédérale sous réserve du droit des parties de demander à la Section de première instance, si elles le jugent opportun, de rendre une ordonnance portant que l"instance doit être transférée à la Cour d"appel conformément à l"article 49 des Règles.

4.      Si l"avis de demande de contrôle judiciaire mentionné au premier paragraphe de la présente ordonnance est déposé dans les 30 jours de la date de la présente ordonnance, la requête que la défenderesse a présentée en vue d"obtenir un jugement sommaire sera réputée être rejetée. Autrement, ladite requête sera accueillie et l"action de la demanderesse sera rejetée.

5.      Aucune ordonnance ne sera rendue à l"égard des dépens.

                             " Allan Lutfy "

                         _________________________

                             J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.


Date : 19990326


Dossier : T-2509-90

ENTRE

DIXIE LEE MCLEAN,


demanderesse,

et


SA MAJESTÉ LA REINE,


défenderesse.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Au moyen d"une requête visant à l"obtention d"un jugement sommaire, la défenderesse sollicite le rejet de l"action pour renvoi injustifié de la demanderesse. La demanderesse a intenté son action après avoir été renvoyée, en raison d"une invalidité physique, de la Gendarmerie royale du Canada. La défenderesse soulève trois motifs à l"appui du rejet sommaire de l"action :

a)      l"État n"est pas susceptible de poursuites pour toute perte " notamment blessures ou dommages " ouvrant droit au paiement d"une pension ou indemnité conformément à l"article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l"État et le contentieux administratif1;
b)      nulle procédure n"est recevable contre Sa Majesté relativement à une blessure ayant entraîné une invalidité si une pension est accordée en vertu de cette loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité, conformément à l"article 111 de la Loi sur les pensions2;
c)      subsidiairement, la procédure applicable aux griefs concernant le renvoi, par mesure administrative, de la demanderesse, prévue par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada3 empêche l"introduction d"une action pour renvoi injustifié contre Sa Majesté et limite le recours que la demanderesse peut exercer à une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de la Loi sur la Cour fédérale4.

Les faits

[2]      Le 20 avril 1990, la demanderesse a été informée par le sous-commissaire et par le commandant de la division " E " de la GRC qu"elle faisait l"objet d"un renvoi, par mesure administrative, en raison d"une présumée invalidité physique, conformément à l"alinéa 19a ) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988)5. Dans la même lettre, la demanderesse était informée qu"elle pouvait présenter un grief à l"encontre de cette décision, en vertu des dispositions de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , dans les trente jours de la réception de la lettre. Autrement, le renvoi devait prendre effet le 2 juin 1990.

[3]      Par une note de service datée du 30 avril 1990, la demanderesse a fait part de son intention de présenter un grief à l"encontre de la décision relative à son renvoi, par mesure administrative, et a demandé des renseignements supplémentaires destinés à l"aider à poursuivre le grief. Le 1er août 1990, environ trois mois plus tard, la demanderesse a reçu signification des réponses aux renseignements qu"elle avait demandés et elle a été avisée qu"elle pouvait présenter son grief dans les 24 jours suivant la date de la signification. Le 29 août 1990, soit environ quatre jours après l"expiration du délai mentionné dans l"avis du 1er août 1990, la demanderesse a présenté un grief qu"elle avait apparemment signé le 15 juin 1990.

[4]      En août 1990, il y a eu plusieurs communications entre la demanderesse et des représentants de la GRC au sujet de la possibilité de tenir une autre audience à l"égard de l"état de santé de la demanderesse, de la disponibilité des avocats et de la demande que la demanderesse avait faite en vue de faire proroger jusqu"au 4 septembre 1990 le délai dans lequel elle pouvait présenter son grief. Pendant ces discussions, la demanderesse a été informée verbalement que son grief devait être présenté au plus tard le 25 août 1990.

[5]      Le 29 août 1990, le commandant de la division " E " a remarqué que la demanderesse n"avait pas présenté de grief formel et il a donc ordonné son renvoi, celui-ci devant prendre effet le 21 septembre 1990. Le 7 septembre 1990, la demanderesse a présenté un grief dans lequel elle contestait le refus d"accorder une prorogation de délai après le 25 août 1990. Le 18 septembre 1990, la demanderesse a reçu la note de service dans laquelle on lui faisait part du rejet du grief du 7 septembre 1990. Dans sa déclaration, la demanderesse allègue que le grief a été rejeté [TRADUCTION] " pour le motif qu"il n"était pas fondé ".

[6]      Le 28 septembre 1990, la demanderesse a déposé sa déclaration, dans laquelle le renvoi injustifié était allégué.

[7]      Au moment du renvoi, la demanderesse a touché une indemnité de départ nette de 9 024 $ et elle touche depuis lors une annuité mensuelle d"environ 989 $, somme qui représente la valeur de l"annuité en décembre 1992, conformément à l"alinéa 11(2)b ) de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada6.

La Loi sur la responsabilité civile de l"État et le contentieux administratif fait-elle obstacle à l"action pour renvoi injustifié de la demanderesse?

[8]      La partie I de la Loi sur la responsabilité civile de l"État et le contentieux administratif est intitulée " Responsabilité civile " (Liability ). La responsabilité civile délictuelle de l"État est énoncée sous le premier sous-titre, " Délits civils et sauvetages civils " (Tort and Civil Salvage ). L"article 9, qui figure sous le deuxième sous-titre " Dispositions spéciales concernant la responsabilité " (Special Provisions respecting Liability ) est ainsi formulé :


9. No proceedings lie against the Crown or a servant of the Crown in respect of a claim if a pension or compensation has been paid or is payable out of the Consolidated Revenue Fund or out of any funds administered by an agency of the Crown in respect of the death, injury, damage or loss in respect of which the claim is made.

9. Ni l'État ni ses préposés ne sont susceptibles de poursuites pour toute perte " notamment décès, blessures ou dommages " ouvrant droit au paiement d'une pension ou indemnité sur le Trésor ou sur des fonds gérés par un organisme mandataire de l'État.

[9]      La demanderesse reconnaît que l"action pour renvoi injustifié qu"elle a intentée est fondée sur la responsabilité civile contractuelle. Ni l"une ni l"autre des parties ne conteste qu"en vertu du droit commun, l"État a une responsabilité civile contractuelle. Il s"agit de savoir si l"empêchement prévu à l"article 9 s"étend aux actions en responsabilité contractuelle.

[10]      L"article 9 est réputé empêcher les " poursuites pour toute perte " (" proceedings ... in respect of the claim " dans la version anglaise) lorsque le demandeur a reçu une pension ou une indemnité à l"égard de la même blessure. Toutefois, la portée étendue de ces mots semble être limitée par le contexte de la disposition. En 1953, la Loi sur la responsabilité de la Couronne7 a établi des dispositions générales enlevant à la Couronne fédérale l"immunité dont elle bénéficiait dans les actions en responsabilité délictuelle. Les intertitres de la loi de 1953 et le libellé de la version initiale de l"article 9 n"ont pas été modifiés. Il a été soutenu que la partie I de la Loi sur la responsabilité civile de l"État et le contentieux administratif traite uniquement des actions en responsabilité délictuelle8. Si l"on examine la partie I, il est difficile d"envisager qu"une question se rapportant à un contrat soit visée par le libellé de l"une quelconque des dispositions de cette partie. L"avocat de la défenderesse reconnaît que dans chacune des décisions sur lesquelles il s"est fondé et dans lesquelles l"article 9 avait été invoqué avec succès, la demande était de nature délictuelle. Ni l"une ni l"autre des parties n"a cité un arrêt dans lequel l"article 9 avait fait obstacle à une action en responsabilité civile contractuelle.

[11]      Même si l"annuité et l"indemnité de départ que la demanderesse a touchées sont une " pension ou indemnité "9 au sens de l"article 9, je doute sérieusement que cette disposition soit suffisamment claire pour faire obstacle à l"action en responsabilité contractuelle de la demanderesse. Je ne suis pas prêt à envisager de rejeter l"action en responsabilité contractuelle de la demanderesse en me fondant sur l"article 9.

La Loi sur les pensions fait-elle obstacle à l"action pour renvoi injustifié?

[12]      Il est en outre soutenu que l"article 111 de la Loi sur les pensions fait obstacle à l"action de la demanderesse :

No action or other proceeding lies against Her Majesty or against any officer, servant or agent of Her Majesty in respect of any injury or disease or aggravation thereof resulting in disability or death in any case where a pension is or may be awarded under this Act or any other Act in respect of the disability or death.

Nulle action ou autre procédure n'est recevable contre Sa Majesté ni contre un fonctionnaire, préposé ou mandataire de Sa Majesté relativement à une blessure ou une maladie ou à son aggravation ayant entraîné une invalidité ou le décès dans tous cas où une pension est ou peut être accordée en vertu de la présente loi ou de toute autre loi, relativement à cette invalidité ou à ce décès.

Plus particulièrement, la défenderesse soutient que la demanderesse touche une pension accordée en vertu de " toute autre loi " au sens de l"article 111 et qu"elle ne peut pas intenter d"action contre l"État.

[13]      Le paragraphe 3(1) de la Loi sur les pensions définit le mot " pension " :

"pension" means a pension payable under this Act on account of the death or disability of a member of the forces, including a final payment referred to in Schedule I;

"pension" Pension payable en vertu de la présente loi en raison du décès ou de l'invalidité d'un membre des forces, y compris un paiement définitif visé à l'annexe I.

L"expression " membre des forces " y est également définie :

"member of the force" means a person who has served in the Canadian Forces or in the naval, army or air forces of Canada or Newfoundland since the commencement of World War I;

"membre des forces" Personne qui a servi dans les Forces canadiennes ou dans les forces navales, les forces de l'armée ou les forces aériennes du Canada ou de Terre-Neuve depuis le commencement de la Première Guerre mondiale.

Le titre intégral de cette loi est " Loi prévoyant des pensions et d"autres avantages pour certains membres des Forces canadiennes ou des forces navales, des forces de l"armée et des forces aériennes du Canada ou à l"égard de ces membres ". Les définitions de " pension " et de " membre des forces " ne visent pas les membres de la Gendarmerie royale du Canada. En l"absence d"une disposition qui, expressément ou en incorporant une autre disposition figurant dans une autre loi, désigne les membres de la Gendarmerie royale du Canada, l"article 111 de la Loi sur les pensions ne s"applique pas à ceux-ci.

[14]      L"article 111 pourrait s"appliquer à un membre de la GRC s"il touchait une pension en vertu de la Loi sur les pensions ou de " toute autre loi ". En vertu de la partie II de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada , l"article 32 prévoit le paiement d"une concession de pension conforme à la Loi sur les pensions lorsque la blessure " était consécutive ou se rattachait directement à son service dans la Gendarmerie ". La demanderesse n"a pas affirmé avoir droit à une pension en vertu du paragraphe 32(1). La défenderesse reconnaît que l"annuité de la demanderesse est payée conformément à l"alinéa 11(2)b ) de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada10. Il n"existe aucun lien entre l"annuité versée à la demanderesse conformément à l"alinéa 11(2)b ) et une pension versée en vertu de la Loi sur les pensions. Ni les définitions de " pension " ou de " membre des forces " figurant dans la Loi sur les pensions ni le libellé de l"alinéa 11(2)b ) n"ont pour effet d"assujettir la demanderesse et son action à l"empêchement prévu à l"article 11111. La requête que la défenderesse a présentée en vue d"obtenir un jugement sommaire ne peut pas être accueillie pour ce motif.

La procédure applicable aux griefs prévue par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada fait-elle obstacle à l"action pour renvoi injustifié de la demanderesse?

[15]      Le commissaire de la Gendarmerie royale du Canada nomme les membres qui ne sont pas officiers conformément à l"alinéa 7(1)a ) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada. La loi ne renferme aucune autre disposition concernant les modalités de nomination d"un membre. Les fonctionnaires publics nommés en vertu d"un texte législatif sont réputés avoir été nommés à titre amovible seulement12. En droit commun, les préposés de l"État étaient nommés à titre amovible et il pouvait être mis fin à leur emploi sans préavis13. Toutefois, le droit de congédier sans préavis des employés du gouvernement nommés à titre amovible peut être limité au moyen d"une loi ou d"une convention collective. Le législateur a limité le pouvoir de congédier les membres de la Gendarmerie royale du Canada, qui sont par ailleurs nommés à titre amovible, au moyen de l"adoption du paragraphe 12(2) de la Loi :

No member other than an officer may be dismissed or discharged from the Force except as provided in this Act, the regulations or the Commissioner's standing orders.

Le membre qui n'est pas officier ne peut être congédié ni renvoyé de la Gendarmerie si ce n'est dans les conditions prévues par la présente loi, ses règlements ou les consignes du commissaire.

[16]      Le grief que le membre présente à la suite d"un renvoi, par mesure administrative, fondé sur une invalidité physique est d"abord renvoyé au niveau I de la procédure applicable aux griefs, qui est constitué par un commissaire adjoint désigné par le commissaire14. Le dernier niveau de la procédure applicable aux griefs est le niveau II, qui est constitué par le commissaire15. Toutefois, avant de procéder à un examen au niveau II, le commissaire renvoie le grief devant le Comité externe d"examen de la Gendarmerie royale du Canada16. Les articles 33 à 35 de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada énoncent les procédures que le Comité doit suivre, y compris la remise d"un rapport au commissaire au sujet de la décision relative au grief. Dans la décision définitive rendue au niveau II, le commissaire doit motiver son rejet des recommandations du Comité, le cas échéant17. Enfin, le paragraphe 32(1) de la Loi renferme une clause privative qui, telle qu"elle était en vigueur lorsque la présente instance a pris naissance en 1990, prévoyait que : " [...] [la] décision [du commissaire] est définitive et exécutoire et, sous réserve de l"article 28 de la Loi sur la Cour fédérale , n"est pas susceptible d"appel ou de révision en justice "18.

[17]      Dans l"arrêt Gingras c. Canada19, la Cour d"appel examinait la question de savoir si un membre de la Gendarmerie royale du Canada était admissible au régime de prime au bilinguisme instauré à l"égard des employés de la fonction publique fédérale. En examinant les questions propres à cette affaire, le juge Décary a fait les remarques suivantes au sujet du statut d"un membre de la Gendarmerie royale du Canada :

     Un membre de la GRC, du fait qu"il est nommé par le Commissaire plutôt que par la Commission de la Fonction publique, n"est pas un employé au sens de la Loi sur l"emploi dans la Fonction publique, mais le législateur a spécialement permis, du fait justement qu"il est un employé de la fonction publique, qu"il puisse en participant aux concours de la Commission, quitter la GRC sans pénalité et devenir un employé de la fonction publique au sens de cette Loi. [...]         
     [...]         
     Bien qu"il soit possible que certaines des distinctions soient devenues désuètes au fil des ans, il n"en reste pas moins qu"on peut comprendre que le Parlement, compte tenu du statut particulier et ambigu des membres de la GRC en droit commun, prenne le soin, à l"occasion et pour des fins particulières qui débordent généralement le champ de l"administration interne de l"État, de préciser que les membres de la GRC sont, ou ne sont pas, des "préposés" ou des "employés" de la Couronne.20         

[18]      Dans la présente action pour renvoi injustifié, rien ne laisse entendre que des conditions de travail spéciales rendraient inapplicable la procédure applicable aux griefs énoncée dans la loi, dans les règlements et dans les consignes. Rien ne montre non plus que la demanderesse soit régie par une convention collective. La demanderesse avait été nommée à titre amovible, mais son renvoi était assujetti aux dispositions de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, à son règlement d"application et aux consignes du commissaire, supra , paragraphe 14.

[19]      Plusieurs décisions ont limité les recours que peuvent exercer les fonctionnaires qui sont congédiés pendant qu"ils exercent leurs fonctions à titre amovible aux recours prévus dans les textes législatifs ou réglementaires ou dans les conventions collectives. En pareil cas, le fonctionnaire ne pourrait pas engager de poursuites fondées sur un renvoi injustifié. Dans l"affaire McNaughton c. Nova Scotia (Attorney General)21, le fonctionnaire en cause n"était pas régi par les dispositions d"une convention collective; la Cour d"appel de la Nouvelle-Écosse a conclu que les conditions de travail étaient prévues par la législation pertinente et par son règlement d"application :

     [TRADUCTION]         
     Le fonctionnaire qui n"est pas régi par une convention collective ou par un autre accord contractuel exprès doit se fonder sur la Loi et sur le règlement à l"égard de ses conditions de travail. Ces dispositions constituent le régime global applicable à l"emploi. Cette législation est validement édictée par la province agissant dans les limites de ses pouvoirs constitutionnels et régit à tous les égards l"emploi de pareils fonctionnaires. Rien ne permet de dire qu"il y a également entre eux un contrat de travail implicite.         

[20]      Dans deux autres décisions, cette cour a statué que les membres de la Gendarmerie royale du Canada ne pouvaient pas avoir gain de cause dans une action pour renvoi injustifié22. Toutefois, dans les deux cas, la disposition législative concernant le renvoi de membres de la GRC était fort différente de la version actuelle du paragraphe 12(2), supra, paragraphe 15. Dans sa version antérieure, qui a été abrogée en 198623, la disposition se lisait comme suit :

Unless appointed for temporary duty, every member other than an officer shall upon appointment sign articles of engagement for a term of service not exceeding five years, but any such member may be dismissed or discharged by the Commissioner at any time before the expiration of his term of engagement.

Sauf s"il est nommé pour une fonction temporaire, chaque membre autre qu"un officier doit, lors de sa nomination, signer un acte d"engagement pour une période n"excédant pas cinq ans, mais un tel membre peut être congédié ou renvoyé par le Commissaire en tout temps avant l"expiration de la durée de son engagement.

[21]      Dans la décision Evans c. Canada24, le juge Strayer a conclu qu"un emploi dans la fonction publique, exercé à titre amovible, fait obstacle à une cause d"action en responsabilité contractuelle. Voici ce qu"il a dit :

     [...] le demandeur a reconnu à l"audience qu"il ne disposait d"aucun recours contractuel en l"espèce. Cette conclusion repose sur le principe bien établi suivant lequel, en common law, l"emploi dans la Fonction publique est soumis au pouvoir discrétionnaire de la Couronne et sur le fait que, bien que ce principe ait été modifié de plusieurs façons par voie législative, les recours que le fonctionnaire peut exercer à l"encontre de son employeur au sujet de ses conditions d"emploi se limitent à ceux que prévoit la loi.

Une décision similaire a été rendue dans l"affaire Shiloff c. Canada25, où le juge Rothstein s"est fondé sur le jugement Evans pour conclure qu"un fonctionnaire ne pouvait pas intenter une action en dommages-intérêts devant la Cour fédérale, même si l"institution gouvernementale n"avait pas évalué son rendement d"une façon équitable en sa qualité de boursière postdoctorale. Comme l"a dit le juge Rothstein :

     [...] la demanderesse s'estime lésée par suite d'un fait portant atteinte à ses conditions d'emploi, savoir l'iniquité qui s'est traduite par le refus de lui attribuer la cote "Entièrement satisfaisant" lors de son évaluation, ce qui lui a coûté le poste de DS. Que le recours ouvert à la demanderesse soit celui prévu à l'article 91 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et non pas une action en dommages-intérêts pour rupture de contrat, est la conséquence inéluctable de la règle de common law que le fonctionnaire est nommé à titre amovible, laquelle règle est maintenant codifiée par l'article 24 de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-33 [...]

[22]      En résumé, une action pour renvoi injustifié peut être intentée lorsque l"employeur ne donne pas un avis de cessation d"emploi raisonnable. Ce principe ne s"applique pas à un membre de la Gendarmerie royale du Canada qui est nommé à titre amovible. Aucune condition de travail spéciale n"a été alléguée ou établie en l"espèce. Le régime légal et réglementaire concernant le grief présenté par un membre qui a fait l"objet d"un renvoi, par mesure administrative, en raison d"une invalidité physique est l"unique recours dont dispose la demanderesse. En vertu du paragraphe 12(2) de la Loi, la demanderesse ne pouvait pas faire l"objet d"un renvoi, par mesure administrative, sauf de la façon prévue par la loi, par les règlements ou par les consignes du commissaire. Aucune disposition n"exige que le commissaire donne au membre un préavis raisonnable. Dans ce cas-ci, le recours approprié consistait à se plaindre du refus de la Gendarmerie d"accueillir la demande de prorogation du délai dans lequel la demanderesse pouvait présenter son grief au niveau II de la procédure applicable aux griefs ou, si la demanderesse le jugeait opportun, à demander immédiatement le contrôle judiciaire. Cela est conforme à la clause privative figurant au paragraphe 32(2) de la Loi. La procédure applicable aux griefs prévue par la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada en ce qui concerne le renvoi, par mesure administrative, fondé sur une invalidité physique fait obstacle à l"action pour renvoi injustifié que la demanderesse a intentée.

Règlement de la requête présentée par la demanderesse en vue de l"obtention d"un jugement sommaire

[23]      Comme j"en ai convenu à l"égard du troisième motif de la requête que la défenderesse a présentée en vue d"obtenir un jugement sommaire, cette action serait normalement rejetée. En affirmant que les dispositions législatives et réglementaires prévues à l"égard de la procédure applicable aux griefs dans le cas d"un renvoi par mesure administrative faisaient obstacle à l"action de la demanderesse, l"avocat de la défenderesse a reconnu dans les prétentions écrites que le recours que la demanderesse peut exercer [TRADUCTION] " [...] est une demande de contrôle judiciaire devant la Cour d"appel fédérale conformément à l"article 28 de la Loi sur la Cour fédérale ". Il a été fait mention de l"article 28 parce que l"instance a été introduite en 1990. En fin de compte, on demande à la Cour de rejeter l"action de la demanderesse parce qu"en 1990, le recours approprié aurait été une demande de contrôle judiciaire.

[24]      L"article 57 des Règles de la Cour fédérale (1998) est ainsi libellé :

An originating document shall not be set aside only on the ground that a different originating document should have been used.

La Cour n"annule pas un acte introductif d"instance au seul motif que l"instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d"instance.

Les anciennes règles ne renfermaient aucune disposition similaire. En vertu des dispositions transitoires, les nouvelles Règles s"appliquent aux instances introduites en vertu des anciennes règles.

[25]      Le 18 septembre 1990, la demanderesse a appris que le grief qu"elle avait présenté à l"encontre de la décision par laquelle on avait refusé de proroger le délai dans lequel elle pourrait présenter une plainte au fond avait été rejeté. Dix jours plus tard, la demanderesse a intenté une action dans laquelle elle sollicitait : a) une ordonnance en vue de l"exécution en nature enjoignant à la défenderesse d"employer la demanderesse à titre d"agent dans la GRC; b) subsidiairement, des dommages-intérêts généraux fondés sur le congédiement injuste ou sur le congédiement implicite; et c) d"autres dommages-intérêts.

[26]      Habituellement, dans les actions pour renvoi injustifié, on ne sollicite pas la réintégration au moyen de l"exécution en nature. Toutefois, la demanderesse ici en cause avait demandé une prorogation du délai dans lequel elle pourrait présenter son grief principal. Ce faisant, elle contestait en fait le renvoi par mesure administrative qui était envisagé et cherchait à continuer à exercer son emploi à titre d"agent de la GRC. Dans ce sens, la demande visant à sa réintégration est du même genre que la demande qu"elle aurait faite s"il avait été donné suite au grief.

[27]      J"ai examiné les prétentions écrites supplémentaires des parties et j"ai conclu qu"il faut donner effet à l"article 57 des Règles, même si l"action a été intentée il y a plus de huit ans. La défenderesse n"a pas réussi à faire rejeter l"action au moyen de l"article 9 de la Loi sur la responsabilité civile de l"État et le contentieux administratif ou de l"article 111 de la Loi sur les pensions. À mon avis, en ce qui concerne le troisième motif invoqué dans la requête visant à l"obtention d"un jugement sommaire, la défenderesse a raison de dire que le recours approprié consistait à présenter une demande de contrôle judiciaire. Bien sûr, en tirant cette conclusion, je ne me prononce pas sur le bien-fondé du recours exercé par la demanderesse si elle décidait d"y donner suite. Les deux parties sont responsables du fait qu"il s"est écoulé environ huit ans depuis l"introduction de l"action; dans ces conditions, le facteur temps ne devrait pas empêcher l"application de l"article 57 des Règles.

[28]      L"action de la demanderesse a été intentée dans le délai de dix jours prévu dans la version de 1990 de l"article 28 de la Loi sur la Cour fédérale aux fins du dépôt d"une demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, il ne serait pas nécessaire d"accorder une prorogation de délai si la demanderesse décidait de transformer la présente action en une demande de contrôle judiciaire.

[29]      En 1990, le contrôle judiciaire des décisions d"un office fédéral qui n"avait pas observé un principe de justice naturelle, ou qui avait rendu une décision entachée d"une erreur de droit ou fondée sur une conclusion de fait erronée relevait de la compétence de la Cour d"appel. Depuis 1992, la décision d"un officier de la Gendarmerie royale du Canada de ne pas proroger le délai dans lequel le demandeur peut présenter un grief au fond est assujettie au contrôle judiciaire de la Section de première instance.

[30]      Par conséquent, la demanderesse disposera d"un délai de 30 jours pour déposer un avis de requête introductive d"instance conformément à l"alinéa 300a ) des Règles de la Cour fédérale (1998). Compte tenu des circonstances exceptionnelles de l"espèce, l"ordonnance prévoit le dépôt de l"avis de demande devant la Section de première instance, sous réserve du droit des parties, si elles le jugent opportun, de solliciter une ordonnance transférant à la Cour d"appel la nouvelle procédure engagée par la demanderesse conformément à l"article 49 des Règles.26

[31]      Si la demanderesse décide de ne pas donner suite au recours dont elle dispose au moyen d"une demande de contrôle judiciaire dans un délai de 30 jours, la requête que la défenderesse a présentée en vue d"obtenir un jugement sommaire sera accueillie et l"action sera rejetée.

[32]      Aucune ordonnance ne sera rendue à l"égard des dépens.

                                        " Allan Lutfy "

                             ________________________

                                 J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

Le 26 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :      T-2509-90

INTITULÉ DE LA CAUSE :      DIXIE LEE MCLEAN c. SA MAJESTÉ LA REINE
    
LIEU DE L'AUDIENCE :      VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :      LE 26 FÉVRIER 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge Lutfy en date du 26 mars 1999

ONT COMPARU :

William T. Clarke      POUR LA DEMANDERESSE
Robert E. Groves      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Martin Johnson      POUR LA DEMANDERESSE

Kelowna (Colombie-Britannique)

Weddell, Horn & Company      POUR LA DÉFENDERESSE

Kelowna (Colombie-Britannique)


__________________

1      L.R.C. (1985), ch. C-50.

2      L.R.C. (1985), ch. P-6.

3      L.R.C. (1985), ch. R-10.

4      L.R.C. (1985), ch. F-7.

5      DORS/88-361.

6      L.R.C. (1985), ch. R-11.

7      S.C. (1952-53), ch. 30.

8      D. Sgayias, c.r. et al , The Annotated Crown Liability and Proceedings Act 1995 (Toronto: Carswell, 1994) à la p. 1.

9      La demanderesse continue à toucher une annuité conformément à l"alinéa 11(2)b ) de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada, supra, note 6, qui prévoit ce qui suit :

2) A contributor who is compulsorily retired from the Force by reason of having become disabled is entitled to a benefit determined as follows:...(b) if he has to his credit ten or more years of pensionable service, he is entitled to an immediate annuity. (2) Un contributeur qui est obligatoirement retraité de la Gendarmerie du fait qu'il est devenu invalide a droit à une prestation déterminée comme suit :[...]b) s'il compte à son crédit dix ans ou plus de service ouvrant droit à pension, il a droit à une annuité immédiate.
La définition d"" invalide " au paragraphe 3(1) de la Loi se rapporte à tout état rendant le membre incapable de s"acquitter de ses fonctions comme membre de la Gendarmerie.

10      Ibid.

11      Au paragraphe 3(1) de la Loi sur la pension de retraite de la Gendarmerie royale du Canada , supra, note 6, l"expression " force régulière " est définie comme étant la force régulière des Forces canadiennes. Cette définition ne semble pas s"appliquer aux circonstances de l"espèce. Une pension accordée en vertu de l"article 32 de cette loi est " étudiée et jugée de la même manière que les réclamations sous le régime de la Loi sur les pensions ", même si le membre de la GRC ne touche pas une " pension " au sens de la Loi sur les pensions , supra, paragraphe 13. Ici encore, cette question de droit précise ne s"applique pas en l"espèce parce que la demanderesse ne recevait pas de paiements en vertu de l"article 32.

12      Loi d"interprétation, L.R.C. (1985) ch. I-21, paragraphe 23(1).

13      Flieger c. Nouveau-Brunswick, [1993] 2 R.C.S. 651 à la p. 669.

14      Paragraphes 31(1) et (2) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , supra, note 3; alinéa 3b) desConsignes de 1990 du commissaire (griefs), DORS/90-117; et alinéa 19a) du Règlement de la Gendarmerie royale du Canada (1988), DORS/88-361.

15      Paragraphe 32(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , supra, note 3, et article 2 des Consignes de 1990 du commissaire (griefs), supra, note 14.

16      Paragraphe 33(1) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada , supra, note 3

17      Paragraphe 32(2) de la Loi sur la gendarmerie royale du Canada , supra, note 3.

18      La version actuelle du paragraphe 32(1) est à peu près semblable à la version précédente, mais il y est tenu compte des modifications apportées en 1992 à la Loi sur la Cour fédérale , supra, note 4, et la mention de l"article 28 de cette loi est supprimée.

19      [1994] 2 C.F. 734 (C.A.).

20      Ibid, aux p. 755 et 757.

21      (1993), 103 D.L.R. (4th) 227 (C.A. N.-E.), à la p. 233.

22      Kedward c. La Reine, [1976] 1 C.F. 57 (C.A.), conf. [1973] C.F. 1142 (1re inst.); et Clark c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada, [1994], 3 C.F. 323 (1re inst.), aux p. 343-344, où le juge Dubé s"est fondé sur la décision rendue par la Cour d"appel dans Gingras , supra, note 19.

23      L.C. 1986, ch. 11, art. 6.

24      (1986), 4 F.T.R. 247.

25      (1994), 83 F.T.R. 244.

26      L"ordonnance de bene esse que je me propose de signer n"est pas incompatible avec l"esprit de l"alinéa 44c ) de la Loi d"interprétation, supra, note 12, même si en fait aucune instance n"a été introduite en vertu de la version de 1990 de l"article 28 de la Loi sur la Cour fédérale , supra, note 4.

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