Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

        



Date : 20001215


Dossier : T-1819-98

Entre :


LES VIANDES DU BRETON INC.


Demanderesse


- et -


LE MINISTÈRE DE L'AGRICULTURE ET DE L'AGROALIMENTAIRE


Défendeur


- et -


BERNARD DRAINVILLE


Défendeur


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


L'HONORABLE JUGE NADON


[1]      La demanderesse présente une demande de révision d'une décision du défendeur, le Service de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels du Ministère de l'Agriculture et de l'Agroalimentaire ( « le Ministère » ), datée du 28 août 1998 autorisant la divulgation de rapports d'inspection d'établissements alimentaires ou agro-alimentaires. La décision du Ministère a été prise en réponse à une demande d'accès à l'information adressée à l'Agence canadienne d'inspection des aliments le 11 mai 1998 par le défendeur Bernard Drainville, en vertu de l'article 4 de la Loi sur l'accès à l'information, S.R.C. 1985, c. A-1 ( « la Loi » ).

[2]      La demande de révision, déposée par la demanderesse le 17 septembre 1998, est présentée en vertu de l'article 44(1) de la Loi, qui stipule que :

44. (1) Le tiers que le responsable d'une institution fédérale est tenu, en vertu de l'alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d'aviser de la communication totale ou partielle d'un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l'avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44. (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

[3]      À l'appui de sa demande, la demanderesse soutient que le Ministère a erré en faits et en droit en décidant que les rapports d'inspection d'établissements pouvaient être divulgués à M. Drainville puisque les critères des exceptions à la divulgation de documents visées aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi n'étaient pas rencontrés. Le paragraphe 20(1) de la Loi se lit comme suit :

20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant :

a) des secrets industriels de tiers;

b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers;

c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité;

d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins.

20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains

(a) trade secrets of a third party;

(b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party;

(c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could

reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or

(d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party.

[4]      La demanderesse, qui exploite une usine d'abattage et de découpe de viande de porc, prétend que les critères d'application des exceptions aux alinéas 20(1)c) et 20(1)d) de la Loi sont rencontrés en l'espèce. Elle affirme avoir démontré que la divulgation des rapports d'inspection de son établissement lui causerait des pertes financières appréciables probables, nuirait probablement à sa compétitivité, et entraverait probablement des négociations en cours en vue de contrats.

Analyse

[5]      L'article 2 de la Loi en confirme l'objet, soit le droit du public à la communication des documents de l'administration fédérale. Cet article stipule que :

2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif.

(2) La présente loi vise à compléter les modalités d'accès aux documents de l'administration fédérale; elle ne vise pas à restreindre l'accès aux renseignements que les institutions fédérales mettent normalement à la disposition du grand public.

2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government.

(2) This Act is intended to complement and not replace existing procedures for access to government information and is not intended to limit in any way access to the type of government information that is normally available to the general public.

[6]      Il a été établi à maintes reprises que puisque la communication des documents est la règle générale, le fardeau de démontrer qu'un ou plusieurs documents ne devraient pas être divulgués repose sur celui qui s'oppose à la divulgation et qui cherche à obtenir une exemption. Le juge Jerome, dans l'affaire Cyanamid Canada Inc. c. Canada (Minister of Health and Welfare) (1992), 41 C.P.R. (3d) 512 (C.F. 1re inst.), conf. par (1992), 45 C.P.R. (3d) 390 (C.A.F.), a résumé ce principe comme suit à la page 527 :

     In a third party application under s. 44 of the Act, the party opposing disclosure bears the burden of showing that clear grounds exist to justify exempting the documents in issue from disclosure to the requester: Merck Frosst Canada Inc. v. Canada (Minister of Health and Welfare) (1988), 30 C.P.R. (3d) 473 at p. 476, 20 C.I.P.R. 302, 20 F.T.R. 73 (T.D.). The Access to Information Act codifies the public right of access and the basic premise that access to records gathered for a public purpose and at public expense ought to be available. In this light, the court will not frustrate public access to government information except under the clearest grounds and any doubt ought to be resolved in favour of disclosure: Maislin Industries Ltd. v. Canada (Minister of Industry, Trade and Commerce) (1984), 80 C.P.R. (2d) 253 at p. 256, 10 D.L.R. (4th) 417, [1984] 1 F.C. 939 (T.D.).

[7]      Par conséquent, en l'espèce, c'est à la demanderesse de démontrer que les rapports d'inspection d'établissements ne devraient pas être divulgués à M. Drainville et qu'elle peut bénéficier des exemptions permises par le paragraphe 20(1) de la Loi.

[8]      Afin de s'acquitter du fardeau qui lui est imposé et de bénéficier des exemptions prévues aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi, la demanderesse doit établir qu'elle fait face à un risque vraisemblable de préjudice probable, comme l'a indiqué la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'Agriculture), [1989] 1 C.F. 47 (C.A.), à la page 60 :

La méthode d'interprétation des lois qui consiste à examiner les termes dans leur contexte global et que cette Cour a suivie dans l'affaire Lor-Wes Contracting Ltd. c. La Reine, [1986] 1 C.F. 346; (1985), 60 N.R. 321, et Cashin c. Société Radio-Canada, [1988] 3 C.F. 494, exige que nous examinions le texte de ces alinéas dans leur contexte global, c'est-à-dire en tenant compte en l'espèce particulièrement de l'objet énoncé à l'article 2 de la Loi. Le paragraphe 2(1) énonce clairement que la Loi devrait être interprétée en tenant compte du principe que les documents de l'administration fédérale devraient être mis à la disposition du public et que les exceptions au droit d'accès du public devraient être « précises et limitées » . Avec un tel mandat, j'estime qu'on doit interpréter les exceptions au droit d'accès figurant aux alinéas c) et d) comme exigeant un risque vraisemblable de préjudice probable. [notes omises].

[9]      De plus, la demanderesse ne doit pas seulement affirmer, dans un affidavit, que la divulgation des documents lui causerait probablement un préjudice, mais elle doit présenter des éléments de preuve démontrant la probabilité de ce préjudice. Le juge MacKay a confirmé cela dans l'affaire SNC-Lavalin Inc. c. Canada (Minister of Public Works) (1994), 79 F.T.R. 113 (1re inst.), à la page 127 :

... The applicant does not demonstrate probable harm as a reasonable expectation from disclosure of the Record and the Proposal simply by affirming by affidavit that disclosure "would undoubtedly result in material financial loss and prejudice" to the applicant or would " undoubtedly interfere with contractual and other negotiations of SNC-Lavalin in future business dealings". These affirmations are the very findings the court must make if paragraphs 20(1)(c) and (d) are to apply. Without further explanation based on evidence that establishes those outcomes are reasonably probable, the court is left to speculate and has no basis to find the harm necessary to support application of these provisions.

[10]      Quant à l'exemption prévue à l'alinéa 20(1)d) de la Loi, la Cour d'appel fédérale a apporté des précisions à la notion d' « entrave aux négociations » que l'on y retrouve, dans l'affaire Saint John Shipbuilding Ltd. c. Canada (Minister of Supply and Services) (1990), 67 D.L.R. (4th) 315 (C.A.F.) à la page 316 :

As to the notion of interference, we think that in order to justify an application by a third party under s. 44 there must necessarily be an interference whose consequences will likely be damaging to that party. "Interference" is used here in its sense of "obstruct" ("entraver", in French), much as it is in sports parlance, when the player is penalized for "interference". Here again, the threshold must be that of probability and not, as the appellant would seem to want it, mere possibility or speculation. (je souligne)

[11]      Conséquemment, il n'est pas suffisant que la demanderesse fasse état d'une possibilité de préjudice ou qu'elle spécule quant à la probabilité du préjudice que la divulgation des documents lui causerait dans le cadre de négociations. Tel qu'il a été établi par la jurisprudence, la demanderesse doit démontrer clairement que la divulgation lui causera probablement un préjudice.

[12]      Dans l'affaire Canada (Commissaire à l'information) c. Canada (Premier ministre), [1993] 1 C.F. 427 (1re inst.), le juge Rothstein (maintenant juge de la Cour d'appel) a dressé une liste des principes pouvant servir à déterminer si la divulgation de documents risquerait vraisemblablement de causer un préjudice probable :

1. Les exceptions au droit d'accès doivent être justifiées par un risque vraisemblable de préjudice probable; voir Canada Packers (supra), à la page 60.
2. On doit tenir compte de l'avis mûrement réfléchi du Commissaire à l'information; voir Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement), [1989] 1 C.F. 265 (C.A.), à la page 272.
3. Il faut présumer que les renseignements demandés seront utilisés, lorsqu'il s'agit d'examiner si la divulgation risquerait vraisemblablement de causer un risque probable; voir Air Atonabee Ltd. c. Canada (Ministre du Transport) (1989), 27 C.P.R. (3d) 180 (C.F. 1re inst.), à la page 210.
4. Il convient d'examiner si les renseignements dont la communication est refusée peuvent être obtenus de sources auxquelles le public a normalement accès, ou peuvent être obtenus par observation ou par étude indépendante par un simple citoyen agissant de son propre chef; voir Air Atonabee (supra), à la page 202.
5. La couverture par la presse d'un renseignement confidentiel est un facteur à prendre en considération dans l'examen du risque de préjudice probable résultant de la divulgation; voir Canada Packers (supra), à la page 63; Ottawa Football Club c. Canada (Ministre de la condition physique et du Sport amateur), [1989] 2 C.F. 480 (1re inst.), à la page 488.
6. Est admissible la preuve relative à l'intervalle séparant la date du renseignement confidentiel et celle de sa divulgation; voir Ottawa Football Club (supra), à la page 488.
7. La preuve des conséquences susceptibles de découler de la divulgation, qui donne une description générale de ses conséquences, ne satisfait pas à la norme de preuve applicable à l'exemption de communication; voir Ottawa Football Club (supra), à la page 488; Air Atonabee (supra), à la page 211.
8. Chaque document distinct doit être considéré à part et dans le contexte de tous les documents demandés car la teneur totale d'une communication doit influer énormément sur les conséquences vraisemblables de sa divulgation; voir Canada Packers (supra), à la page 64.
9. L'article 25 de la Loi prévoit la possibilité de séparer dans un document les renseignements qui peuvent être divulgués de ceux qui sont protégés par une exception. Le prélèvement doit être raisonnable. Il ne servirait à rien de divulguer quelques lignes hors de contexte; voir Bande indienne de Montana c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord), [1988] 5 W.W.R. 151 (C.F. 1re inst.), à la page 166.
10. Le refus de communication doit être justifié au moyen de témoignages par affidavit expliquant clairement la raison de l'exemption de chaque document; voir Ternette c. Canada (Solliciteur général), [1992] 2 C.F. 75 (1re inst.), aux pages 109 et 110 et Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministère de la Santé et du Bien-être social, Division de la protection) (1988), 20 C.P.R. (3d) 177 (C.F. 1re inst.), à la page 179.

[13]      Il faut donc tenir compte de tous ces principes lors de l'évaluation de la preuve présentée par la demanderesse afin de déterminer s'il existe un risque vraisemblable de préjudice probable associé à la divulgation des rapports d'inspection d'établissements.

[14]      La Cour d'appel fédérale ainsi que cette Cour ont déjà, à quelques reprises, ordonné la divulgation de rapports d'inspection d'établissements similaires aux rapports en cause en l'espèce, et ce, dans les affaires Canada Packers, supra, Intercontinental Packers Limited c. Canada (Minister of Agriculture) (1987), 14 F.T.R. 142 (C.F. 1re inst.) et Gainers Inc. c. Canada (Minister of Agriculture) (1987), 14 F.T.R. 133 (C.F. 1re inst.), conf. par (1988), 87 N.R. 94 (C.A.F.).

[15]      De plus, la décision du Ministère dont il est question en l'espèce a déjà fait l'objet d'un litige, dans l'affaire Coopérative fédérée du Québec (f.a.s. Aliments Flamingo) c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), [2000] A.C.F. no 26 (1re inst.) (ci-après « Aliments Flamingo » ). Dans cette affaire, les demanderesses s'opposaient à la divulgation des rapports d'inspection qui touchaient leurs usines et abattoirs de poulet parmi les rapports demandés par M. Drainville. Lors de son évaluation des rapports d'inspection et de la preuve déposée, le juge Pinard, qui a rejeté la demande de révision, a fait les commentaires suivants aux paragraphes 9 à 11 :     

     Il est intéressant de constater que les documents en cause consistent en des rapports d'inspection du même type que ceux considérés par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada Packers, supra. Après examen des rapports en question, la Cour d'appel, dans cette autre affaire, a exprimé ce qui suit aux pages 64 et 65 :
En l'espèce, j'ai soigneusement examiné chaque rapport et je l'ai également fait relativement aux autres rapports demandés (je m'abstiens de faire des commentaires explicites sur leur teneur pour préserver leur caractère confidentiel pendant le délai d'appel). Je dirais brièvement que, bien qu'ils soient tous défavorables dans une certaine mesure, je suis convaincu dans chaque cas que, particulièrement maintenant, des années après leur rédaction, ils ne sont pas défavorables au point de donner lieu à une probabilité raisonnable de perte financière appréciable pour l'appelante, ou de nuire à sa compétitivité, ou d'entraver des négociations en vue de contrats ou à d'autres fins... . L'appelante ne s'est donc pas acquittée de l'obligation qui lui incombait d'établir que les rapports ne devraient pas être communiqués.
     J'estime opportun d'appliquer l'essentiel de ces propos au présent cas. En effet, parmi les quelque 24 documents en litige, le plus récent date de 1998. Les documents relatifs aux rapports d'inspection révèlent à plusieurs endroits que les demanderesses ont pris des mesures correctives. Les rapports en litige sont des rapports périodiques, datant d'un à trois ans, et concernent strictement l'état de l'établissement visité, non la qualité du produit qui s'y trouve.
     À mon sens, l'accès à l'information ne doit pas être interdit du seul fait que celle-ci puisse être défavorable aux personnes qu'elle concerne. Cela est d'autant plus vrai qu'en l'occurrence l'information a trait à l'état d'établissements résultant du fait des demanderesses qui les exploitent. Ce que ces dernières devaient établir, pour empêcher la divulgation publique de cette information en vertu des alinéas 20(1)c) et d) de la Loi, c'est que l'information est défavorable à un tel point que sa divulgation risque de donner lieu à une probabilité raisonnable de pertes financières appréciables pour elles, ou de nuire à leur compétitivité, ou d'entraver des négociations en vue de contrats ou à d'autres fins (voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (ministre de la Santé et du Bien-être social et al.) (1988), 20 F.T.R. 73, à la page 78).

[16]      À mon avis, les commentaires du juge Pinard sont, pour la plupart, applicables en l'espèce. Dans les sept affidavits qu'elle a présentés, que je n'aborderai qu'en termes généraux en raison de l'ordonnance de confidentialité à laquelle ils sont assujettis, la demanderesse décrit les conséquences qui pourraient s'ensuivre si les documents étaient divulgués. Elle affirme que la divulgation lui causerait des pertes financières, nuirait à sa compétitivité et pourrait faire échouer des négociations en cours. Elle présente, à l'appui de ses prétentions, plusieurs chiffres témoignant selon elle des pertes financières qu'elle subirait. Toutefois, les conséquences dont discute la demanderesse semblent être le fruit de spéculation plutôt que le résultat d'analyses ou d'études fondées. L'absence de discussion quant à la méthode de calcul utilisée pour en arriver à ces chiffres ou quant à la source de ces chiffres soulève des doutes au sujet de l'exactitude de ces analyses. À mon avis, ces chiffres, tels que présentés par la demanderesse, ne sont pas suffisants pour démontrer qu'il existe une probabilité de préjudice.

[17]      En ce qui concerne les rapports comme tels, il est évident à la lecture de ceux-ci qu'ils portent sur l'état de l'établissement, et non sur la qualité du produit. De plus, les rapports décrivent uniquement l'état de l'établissement à la date de l'inspection, qui a eu lieu en 1997, et ne reflètent pas nécessairement l'état de l'établissement aujourd'hui. Par conséquent, le préjudice relié à la divulgation de ces rapports est amoindri par le temps qui s'est écoulé entre l'inspection et la divulgation du rapport, ainsi que par le fait que les documents relatifs aux rapports d'inspection révèlent à plusieurs endroits que la demanderesse a pris des mesures correctives à la suite de l'inspection ou a élaboré un plan pour l'adoption de mesures correctives.

[18]      De plus, la décision du Ministère de permettre la divulgation du rapport est accompagnée d'une note explicative visant à éliminer tout doute quant à la nature des rapports en cause et indiquant l'interprétation qui devrait leur être donnée. Dans l'affaire Gainers, supra, où une note explicative faisait également partie de la décision du Ministère et où la décision avait été prise quelques années plus tôt, le juge Jerome a tenu les propos suivants à la page 137 :

I am not prepared to find that the release of these audit reports, with or without possible negative publicity, will result in the market fluctuations this applicant alleges. Consumers, trading partners and importers surely cannot be expected to ignore the positive information produced by the daily inspections, the accompanying release letter, and the high rating given these plants in the reports themselves in favour of relying on a few negative comments about relatively minor deficiencies in the applicant's physical plant. Add to that the fact that these reports are all over three years old and I must conclude that no material harm can reasonably be expected to result from their release. In the alternative, the public interest in their disclosure outweighs any risk of harm to this applicant.

[19]      En ce qui concerne plus précisément la note explicative qui figure en l'espèce dans la décision du Ministère, le juge Pinard en a discuté dans l'affaire Aliments Flamingo, supra, aux paragraphes 14 et 15. Puisqu'il s'agit de la même note explicative, je reprend ici ses commentaires :

Je ne peux d'avantage présumer de l'incapacité du grand public à bien interpréter l'information contenue dans les rapports d'inspection en cause, et ce, d'autant plus qu'Agriculture entend incorporer le paragraphe suivant dans le contenu de la lettre d'accompagnement des renseignements au défendeur Drainville :
« Les rapports de de (sic) vérification et d'inspection ont pour objet principal d'identifier les faiblesses relatives aux installations et aux opérations pour que la Direction de ces entreprises puisse y apporter les mesures correctrices appropriées. On y trouve des observations objectives quant aux conditions qui prévalaient à l'entreprise au moment de l'inspection, mais qui ne sont pas nécessairement celles qui existent à l'heure actuelle. L'usure graduelle du matériel et la détérioration normale des bâtiments nécessitent des réparations et un entretien réguliers et font qu'il est pratiquement impossible d'avoir des installations exemptes de tout problème. Les rapports ne reflètent pas l'ensemble des opérations d'une entreprise en ce qu'ils ne font pas état des conditions qui pourraient être jugées satisfaisantes. »
     Dans tout ce contexte, je ne trouve dans la preuve aucun fondement réel aux simples affirmations des demanderesses tant en ce qui concerne les conséquences financières d'une divulgation de l'information et de son impact sur leur compétitivité, qu'en ce qui concerne les conséquences de cette divulgation sur des contrats futurs. À mon sens, ce sont là de simples conjectures qui ne rencontrent pas le critère du « risque vraisemblable de préjudice probable » (voir St. John Shipbuilding Ltd., supra).

[20]      À l'instar du juge Pinard, je suis d'avis qu'en raison du manque de preuve concrète quant aux conséquences financières de la divulgation ainsi qu'en raison du fait que les rapports touchent seulement l'état physique des établissements, que les inspections ont été effectuées en 1997, que les documents indiquent que des mesures correctives ont été prises et que la décision du Ministère inclut une note explicative, la preuve soumise par la demanderesse ne me permet pas de conclure que celle-ci fait face à un risque vraisemblable de préjudice probable, soit financier ou autre, qui justifierait une exemption à la règle générale de divulgation des documents.

[21]      Enfin, il est à noter que la demanderesse a également soutenu que la probabilité de préjudice lors de la divulgation était aussi liée à la possibilité d'une couverture injuste ou incorrecte du contenu des rapports par les médias. Cette crainte semble être le véritable motif pour lequel la demanderesse s'oppose à la divulgation des rapports d'inspection de son usine d'abattage et de découpe de viande de porc. À l'appui de cette prétention, la demanderesse a fait état d'une couverture injuste de la presse ayant eu lieu en avril 1998 à la suite de la divulgation de rapports d'inspection d'une autre entreprise, Aliments Flamingo.

[22]      Dans l'affaire Aliments Flamingo, supra, les demanderesses avaient fait état de la même couverture médiatique à l'appui de leurs prétentions selon lesquelles les documents ne devraient pas être divulgués. Au sujet de l'inquiétude des demanderesses face à la couverture médiatique que pourraient recevoir les rapports lors de leur divulgation, le juge Pinard a indiqué ce qui suit aux paragraphes 12 et 13 :

     Les reportages médiatiques d'avril 1998 au sujet de l'abattoir de poulet Flamingo de Joliette ont certes été dommageables pour Aliments Flamingo mais ne sont pas reliés aux faits particuliers de la présente cause. Dans les circonstances, la Cour ne peut certes présumer d'un traitement injuste de l'information particulière qu'Agriculture se dit ici disposée à divulguer. Quoi qu'il en soit, les demanderesses n'ignorent certes pas le droit à des dommages pouvant leur résulter de toute mauvaise foi dans la diffusion de l'information, compte tenu de la responsabilité délictuelle que semblable faute entraînerait. Dans les circonstances, donc, le risque de suppression de commentaires légitimes mérite davantage d'être évité que le risque de commentaires abusifs. [...]

        

     Dans la même veine, mon collègue Monsieur le juge Noël a exprimé ce qui suit dans Matol Botanique International Ltée c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al. (1994), 84 F.T.R. 168, à la page 178 :
Malgré ceci, la requérante prête une intention malveillante aux institutions médiatiques et affirme que l'information en question sera véhiculée de façon non balancée dans le but de discréditer son entreprise. Je crois qu'il s'agit là encore une fois d'une affirmation sans fondement. Alors que je suis prêt à accepter le fait que les médias véhiculent parfois l'information de façon tendancieuse, je ne peux présumer, sans aucune preuve à l'appui, de leur mauvaise foi non plus que de leur désir de discréditer l'entreprise de la requérante.

[23]      Je suis d'avis, encore une fois, que les commentaires du juge Pinard s'appliquent en l'espèce. On ne peut présumer que la couverture médiatique sera injuste ou négative. La demanderesse dispose d'autres recours judiciaires si elle est victime d'une couverture injuste ou sans fondement. Ce n'est pas parce que la demanderesse craint une mauvaise publicité suite à la divulgation des rapports d'inspection que l'on doit empêcher la divulgation de ceux-ci.

[24]      Pour toutes les raisons susmentionnées, à mon avis, les exemptions permises par les alinéas 20(1)c) et d) de la Loi ne peuvent s'appliquer en l'espèce, comme l'indique la décision du Ministère. La demanderesse n'a pas réussi à s'acquitter de son fardeau, c'est-à-dire à établir que la divulgation des rapports d'inspection de son établissement entraînerait un risque vraisemblable de préjudice probable et que les documents en question sont couverts par les exemptions permises aux alinéas 20(1)c) et d) de la Loi.

Conclusion

[25]      Puisque les exemptions à la divulgation de documents permises par les alinéas 20(1)c) et d) de la Loi ne s'appliquent pas en l'espèce, la demande de révision de la décision du Ministère est rejetée et les rapports d'inspection d'établissements devront être divulgués.

[26]      Au cas où la demanderesse souhaiterait porter ma décision en appel, j'ordonne qu'aucun des documents demandés en vertu de la Loi ne soit pour le moment communiqué par le Ministère. J'ordonne également que tous les documents confidentiels en cause, dont le dépôt dans des enveloppes scellées a été antérieurement ordonné par cette Cour, demeurent ainsi scellés. Si aucun appel n'a été déposé à l'expiration du délai prescrit: (a) le Ministère pourra communiquer les documents demandés à M. Drainville, et; (b) les documents confidentiels seront retirés des enveloppes scellées et versés au dossier public en l'espèce.



     Marc Nadon

     Juge


OTTAWA, Ontario

le 15 décembre 2000

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.