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Date : 20020430

Dossier : T-111-00

TORONTO (ONTARIO), LE 30 AVRIL 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGEMcKEOWN

ENTRE :

                                           SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                                                                      défendeur

                                                         ORDONNANCE MODIFIÉE

(Modification de l'ordonnance du 12 avril 2002)

L'appel est accueilli. La Cour infirme la décision du registraire des marques de commerce par intérim datée du 25 novembre 1999. La Cour ordonne en outre que le registraire permette la publication de la demande no 777,875 dans le Journal des marques de commerce en vertu de l'article 37 de la Loi sur les marques de commerce. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« W. P. McKeown »

Juge           

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20020412

Dossier : T-111-00

Référence neutre : 2002 CFPI 426

ENTRE :

                                           SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

                                LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE McKEOWN

[1]         La demanderesse a interjeté appel de la décision du registraire des marques de commerce rendue le 25 novembre 1999, par laquelle il a refusé la demande d'enregistrement de la marque de commerce SUPERSHUTTLE qui se fondait sur un emploi projeté au Canada de même que sur l'emploi et l'enregistrement de cette marque à l'étranger, soit aux États-Unis, en liaison avec les services suivants : [traduction] « services de transport terrestre offerts aux passagers dans les aéroports » .


[2]         Il s'agit de savoir si le registraire a commis une erreur lorsqu'il a tiré les conclusions suivantes :

1)          la demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve que lui impose l'alinéa 14(1)b) de la Loi sur les marques de commerce,

2)          la marque de commerce ne peut être enregistrée en raison des dispositions de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce.

FAITS

[3]         La demanderesse, Supershuttle International, Inc., est l'auteur de la demande no 777,875 présentée au Canada relativement à la marque de commerce SUPERSHUTTLE. La demanderesse est une entreprise qui offre aux passagers de transporteurs aériens des services de transport terrestre pour faire l'aller-retour entre leur domicile et l'aéroport. Elle n'a aucun itinéraire ou horaire régulier. Les consommateurs qui souhaitent recourir à ses services doivent téléphoner pour réserver une place.


[4]         Le 14 mars 1995, la demanderesse a présenté au Canada une demande d'enregistrement de sa marque de commerce SUPERSHUTTLE qui se fondait sur un emploi projeté au Canada de même que sur l'emploi et l'enregistrement de cette marque à l'étranger, soit aux États-Unis, en liaison avec les services suivants : [traduction] « services de transport terrestre offerts aux passagers dans les aéroports » . L'examinateur a initialement refusé la demande en application de l'alinéa 12(1)b) de la Loi sur les marques de commerce (la Loi) au motif que le terme SUPERSHUTTLE donnait une description claire ou une description fausse ou trompeuse de la nature ou de la qualité des services de la demanderesse parce que, dans l'ensemble, la marque laisse croire à un service de navette de qualité supérieure. En réponse à d'autres arguments soulevés par la demanderesse, l'examinateur, par une lettre datée du 18 septembre 1996, a ensuite précisé que la marque n'est pas seulement une marque extravagante ou inventée, et que sa signification doit être examinée en liaison avec les services visés par la demande d'enregistrement. Il a en outre conclu que l'enregistrement aux États-Unis n'avait pas de pertinence au regard de l'alinéa 12(1)b) et réitéré que le consommateur moyen aurait l'impression que la marque concerne un service de navette de qualité supérieure.

[5]         Le 28 janvier 1997, la demanderesse a modifié sa demande de façon à se prévaloir des dispositions de l'alinéa 14(1)b) de la Loi. À l'appui de cette nouvelle revendication, la demanderesse a déposé l'affidavit de Judy Robertson daté du 16 janvier 1997. L'examinateur a étudié l'affidavit et conclu qu'il ne permettait pas à lui seul d'étayer une revendication fondée sur l'alinéa 14(1)b). Par une lettre datée du 17 avril 1997, l'examinateur a fait savoir à la demanderesse que, comme la marque n'avait pas été employée au Canada, elle devait présenter des éléments de preuve établissant l'existence, au Canada, de retombées liées à la publicité.


[6]         La demanderesse a omis de fournir cette preuve à l'examinateur. Elle a plutôt contesté la nécessité de présenter des éléments de preuve montrant l'existence de retombées attribuables à la publicité et demandé au registraire de refuser la demande de manière qu'elle puisse interjeter appel de la décision.

[7]         Le 25 novembre 1999, le registraire suppléant des marques de commerce a rendu une décision portant refus d'enregistrer la demande de marque de commerce no 777,875. Dans sa lettre, il mentionne ce qui suit relativement à l'alinéa 12(1)b) :

[traduction] Je suis d'avis que le consommateur moyen, en voyant la marque SUPERSHUTTLE employée en liaison avec des services de transport terrestre offerts aux passagers dans les aéroports et en se fiant à sa première impression, conclurait immédiatement que la demanderesse offre un service de navette de qualité supérieure.

[8]         Quant à l'alinéa 14(1)b), il ajoute :

[traduction] Comme la marque SUPERSHUTTLE n'a pas été employée au Canada et que l'affidavit [de Judy Robertson] ne fournit pas de détails sur la façon dont la publicité a circulé dans le pays, j'estime que l'information donnée dans l'affidavit n'est pas suffisante pour m'autoriser à conclure qu'il y a eu des retombées importantes liées à la publicité et une exposition appréciable des consommateurs canadiens à la marque de commerce de la demanderesse. Par conséquent, les éléments de preuve déposés en l'espèce ne permettent pas, à mon avis, d'établir que la marque visée SUPERSHUTTLE n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.

[9]         Bien qu'elle ait soutenu, dans sa lettre du 13 novembre 1997, que la preuve présentée à l'examinateur était suffisante pour étayer sa revendication fondée sur l'alinéa 14(1)b), la demanderesse a déposé une preuve par affidavit supplémentaire dans le cadre du présent appel (second affidavit de Judy Robertson daté du 18 février 2000), lequel donne des exemples de retombées liées à la publicité au Canada. La demanderesse a en outre déposé des éléments de preuve relatifs à l'état du registre, notamment en ce qui concerne les marques dont le préfixe est SUPER.


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[10]       Voici les dispositions applicables de la Loi :



2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

b) qu'elle soit sous forme graphique, écrite ou sonore, elle donne une description claire ou donne une description fausse et trompeuse, en langue française ou anglaise, de la nature ou de la qualité des marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée, ou à l'égard desquels on projette de l'employer, ou des conditions de leur production, ou des personnes qui les produisent, ou du lieu d'origine de ces marchandises ou services;

14. (1) Nonobstant l'article 12, une marque de commerce que le requérant ou son prédécesseur en titre a fait dûment déposer dans son pays d'origine, ou pour son pays d'origine, est enregistrable si, au Canada, selon le cas_:

b) si elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif, eu égard aux circonstances, y compris la durée de l'emploi qui en a été fait dans tout pays.

2. In this Act,

"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them;

12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not

(b) whether depicted, written or sounded, either clearly descriptive or deceptively misdescriptive in the English or French language of the character or quality of the wares or services in association with which it is used or proposed to be used or of the conditions of or the persons employed in their production or of their place of origin;

14. (1) Notwithstanding section 12, a trade-mark that the applicant or the applicant's predecessor in title has caused to be duly registered in or for the country of origin of the applicant is registrable if, in Canada,


ANALYSE

[11]       Il convient maintenant d'examiner la question suivante : le registraire a-t-il commis une erreur lorsqu'il a conclu que la demanderesse ne s'est pas acquittée de la charge de la preuve qui lui incombe suivant l'alinéa 14(1)b) de la Loi? Même si, dans la plupart des cas, je commence mon analyse en examinant la question liée à l'alinéa 12(1)b) par opposition à celle touchant l'alinéa 14(1)b), la jurisprudence relative à l'alinéa 12(1)b) n'est pas aussi claire que celle afférente à l'alinéa 14(1)b), compte tenu des circonstances de l'espèce. Je ne me prononce donc pas sur la question de savoir si le registraire a commis une erreur dans ses conclusions au titre de l'alinéa 12(1)b). Pour les besoins de la présente décision, je présumerai que la marque de commerce est visée par cette disposition.

[12]       Pour trancher la question soulevée par l'alinéa 14(1)b), je dois déterminer la norme de contrôle applicable en l'espèce. Dans la décisionYoung Drivers of Canada Enterprises Limited c. Chan (1999), 2 C.P.R. (4th) 329 (C.F. 1re inst.), Monsieur le juge Lutfy, maintenant juge en chef adjoint, examine la norme de contrôle aux paragraphes 18 à 20 et choisit de suivre la norme appelant un moindre degré de retenue qu'a adoptée Monsieur le juge Heald dans la décision La Brasserie Labatt Limitée c. Les Brasseries Molson, Société en nom collectif (1996), 113 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.), aux pages 43 et 44. Dans cette affaire, le juge Heald fait sienne la position adoptée par Monsieur le juge Strayer dans l'arrêt McDonald's Corporation c. Silcorp (1989), 29 F.T.R. 151, conf. par (1992) 139 N.R. 319 (C.A.F.), à la page 210 :


Il semble clair qu'en matière d'opposition, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles; voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1 à la p. 8, 1 D.L.R. (3d) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision « manifestement erronée » ou s'il avait simplement « eu tort » , il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui. Les parties admettent qu'en l'espèce, je ne disposais d'aucune preuve autre que celle dont bénéficiait la Commission des oppositions.

[13]       Or, un nouvel élément de preuve a été déposé en l'espèce relativement à l'alinéa 14(1)b). Il s'agit de l'affidavit de Judy Robertson, directrice des franchises au service de SuperShuttle Franchising Corporation et de SuperShuttle, International Inc., portant sur la question des retombées publicitaires. La norme de contrôle applicable à cette décision serait donc celle qui appelle un degré moindre de retenue judiciaire, soit la norme de la décision correcte.

[14]       Lorsqu'une marque de commerce est visée par l'alinéa 12(1)b) de la Loi, comme je le présume en l'espèce, le requérant peut invoquer l'alinéa 14(1)b) de la Loi pour obtenir l'enregistrement de la marque au Canada. Dans la présente affaire, la demanderesse s'est prévalue des dispositions de l'article 14 de la Loi et elle a déposé des copies certifiées des certificats d'enregistrement de la marque SUPERSHUTTLE ainsi qu'une preuve par affidavit établissant notamment que l'emploi de la marque SUPERSHUTTLE était généralisé et que cette marque et les services qu'elle vise sont très bien connus dans l'ensemble des États-Unis et du Canada.


[15]       Le U.S. Patent and Trademark Office a enregistré la marque de commerce SUPERSHUTTLE le 23 décembre 1986 sous le numéro 1,422,276. L'enregistrement se fonde sur le fait que cette marque est employée aux États-Unis depuis 1982. Le 23 décembre 1990, le Patent and Trademark Office a accordé à SuperShuttle deux enregistrements de marques de service supplémentaires visant le terme « SuperShuttle » et un dessin. Ces enregistrements portent les numéros 1,629,477 et 1,629,481.

[16]       Dans son affidavit initial daté du 16 janvier 1997, dont était saisi le registraire des marques de commerce, Judy Robertson mentionne que SuperShuttle exploite plus de 800 véhicules et que ses revenus annuels dépassent 80 millions de dollars. Elle signale également que SuperShuttle utilise pour ses camionnettes une combinaison des couleurs bleu et jaune qui lui est propre et que les clients peuvent facilement reconnaître comme celle de SuperShuttle. Selon elle, les clients de SuperShuttle, par définition, englobent les clients des transporteurs aériens ayant pour destination ou provenance une ville canadienne, comme Toronto et Vancouver, qui sont familiers avec le nom et la marque de service de SuperShuttle. Elle ajoute qu'aucune vente n'est faite directement au Canada, mais que certains éventuels franchisés au Canada se sont manifestés. Quant à la publicité, elle mentionne :

[traduction] SuperShuttle a annoncé et fait connaître ses services de transport au Canada et au public canadien grâce à sa publicité aux États-Unis et à celle qui circule au Canada.

Elle joint en outre des exemples d'annonces à son affidavit. Elle précise que les frais de la publicité faite aux États-Unis des marques de service SuperShuttle s'élèvent à plus de 500 000 $ par année.


[17]       Dans son affidavit subséquent, déposé pour la présente audience, mais dont le registraire n'était pas saisi, elle renvoie à des annonces diffusées à la WFAN Sports Radio par SuperShuttle en 1998, aux environs du U.S. Open Tennis Tournament. Elle fait également mention d'annonces sous forme d'encarts insérés dans divers journaux visant des foyers choisis pour des raisons d'ordre démographique, y compris le Globe and Mail. De plus, SuperShuttle aurait reçu 147 appels d'éventuels clients du Manitoba, de la Saskatchewan, de la Colombie-Britannique, de l'Ontario et du Québec et on aurait joint au téléphone environ 3 000 Canadiens, partout au Canada, de janvier 1999 à janvier 2000. Elle présente enfin la sitographie du site Web de SuperShuttle de même qu'un rapport statistique sur celui-ci.

[18]       Le défendeur n'avance aucun argument quant à la question de savoir si les nouveaux éléments de preuve produits par la demanderesse suffisent à établir que la marque SUPERSHUTTLE n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada. Il soutient toutefois qu'il aurait d'abord fallu fournir ces nouveaux éléments de preuve au registraire, comme celui-ci l'avait demandé. Je conviens que cette façon de faire aurait été la bonne, mais, compte tenu de la situation en l'espèce, je ne suis pas d'accord avec le défendeur lorsqu'il affirme que l'omission de procéder ainsi est fatale. Les parties sont maintenant avisées qu'elles doivent produire devant le registraire les éléments de preuve visant à établir que la marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada. Je suis lié à cet égard par le paragraphe 56(5) de la Loi :



Lors de l'appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi.

On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar.


[19]       De même, je ne puis me ranger à l'avis du défendeur selon lequel la demanderesseétait tenue de prouver l'existence de retombées publicitaires considérables au Canada. En effet, l'alinéa 14(1)b) de la Loi oblige uniquement la demanderesse à établir que la marque « n'est pas dépourvue de caractère distinctif » au Canada. L'existence de retombées publicitaires ne constitue qu'un des éléments susceptibles d'être mis en preuve pour montrer que la marque « n'est pas dépourvue de caractère distinctif » au Canada. Le requérant a l'obligation de fournir cette preuve devant le registraire des marques de commerce, lequel a le droit d'exiger, dans le cadre de ce processus, que les demandeurs fournissent une preuve des retombées publicitaires. L'importance que doivent avoir ces retombées peut varier d'une affaire à l'autre suivant le contexte. Par conséquent, bien qu'il puisse parfois se révéler nécessaire d'établir l'existence de retombées publicitaires appréciables, ce n'est pas le cas en l'espèce.

[20]       La norme de preuve fixée pour établir le caractère distinctif d'une marque pour les besoins de l'article 14 est passablement moins exigeante que celle requise pour l'application de l'article 12. À mon avis, lorsqu'il a ajouté les termes « n'est pas dépourvue de caractère distinctif » à l'alinéa 14(1)b), le législateur a établi une norme de preuve moins rigoureuse pour l'application de cette disposition que pour celle de l'article 12 en ce qui concerne le caractère distinctif. Dans l'arrêt W.R. Grace & Co. c. Union Carbide Corp. (1987), 14 C.P.R. (3d) 337 (C.A.F.), à la page 346, Monsieur le juge Urie a examiné le sens de l'expression « caractère distinctif » :


Le terme « distinctif » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :

« distinctive » , par rapport à une marque de commerce, désigne une marque de commerce qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.

On trouve la définition du terme « caractère » , dans son sens le plus pertinent, dans le Shorter Oxford Dictionary, 3e éd., sous la rubrique sens figuré : [traduction] 1. une particularité, caractéristique, trait; 2. caractéristique essentielle, nature, sorte.

Je pense donc qu'en rapport avec les marques de commerce, on peut dire que l'expression « caractère distinctif » désigne les marques de commerce qui ont les traits ou les caractéristiques des marques de commerce distinctives. Pour en revenir à la définition énoncée ci-dessus, les marques de commerce distinctives au Canada ont la caractéristique de distinguer véritablement les marchandises ou services de leur propriétaire des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou sont adaptées à les distinguer. En d'autres termes, si la marque, dans une certaine mesure, distingue dans les faits les marchandises ou services de son propriétaire des marchandises ou services d'autres propriétaires, la marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif. Dans le cadre de la présente affaire, comme la marque de commerce est descriptive, elle n'est sans doute pas suffisamment distinctive pour avoir acquis un sens secondaire au Canada qui lui permette de respecter la définition du mot distinctive. Néanmoins, elle pourrait avoir un certain caractère distinctif. Si tel est le cas, elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.

[21]       Cependant, le fardeau imposé au demandeur demeure lourd. En effet, le juge Urie ajoute ce qui suit à la page 347 :

Dans l'affaire Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp. et Registraire des marques de commerce (1971), 1 C.P.R. (2d) 155, [1971] C.F. 106, le juge Cattanach a décrit brièvement, à la page 172, la charge de la preuve qui incombe au requérant :

Il me reste à apprécier la force probante de ces affidavits. Ce faisant, je suis conscient que la charge de la preuve incombant à une personne qui prétend qu'une marque de commerce décrivant ou faisant l'éloge de ses marchandises est parvenue à distinguer véritablement ces marchandises est difficile et qu'elle l'est davantage du fait de l'adoption d'un mot qui, en soi, ne comporte aucun caractère distinctif.

Je reconnais que cette cause, de même que l'affaire Carling Breweries Ltd. c. Molson Cos. Ltd. et al. (1984), 1 C.P.R. (3d) 191, aux pages 196 à 198 inclusivement, portait sur la question de la distinction en soi et non sur celle du « caractère distinctif » , mais je suis d'avis que la charge de la preuve est tout aussi rigoureuse dans ce dernier cas.


[22]       Je suis convaincu en l'espèce que la demanderesse a montré que la marque de commerce n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada, eu égard à toutes les circonstances de l'affaire, y compris les vingt années pendant lesquelles la marque a été employée aux États-Unis.

[23]       La demanderesse fait valoir en l'espèce que l'article 14 n'exige pas que la marque soit employée ou connue au Canada. Je ne suis pas d'accord : outre qu'elle comporte la mention expresse « au Canada » , cette disposition énonce qu'une marque de commerce est enregistrable si, « au Canada, [...] elle n'est pas dépourvue de caractère distinctif [...] » . À mon sens, le libellé de cette disposition laisse entendre que la marque doit, à tout le moins dans une certaine mesure, être connue au Canada. Le fait que la marque soit connue ou employée exclusivement dans un autre pays ne saurait suffire.

[24]       Dans la présente affaire toutefois, la demanderesse a présenté des éléments de preuve afférents aux retombées publicitaires au Canada. Elle a donné de nombreux exemples d'annonces qui auraient été vues au Canada, notamment la publicité faite sur les vols à destination et en provenance de Vancouver, la publicité radiophonique entendue au Canada de même que les encarts insérés dans les journaux de Vancouver et de Toronto. De plus, il semble que cette publicité ait rejoint les Canadiens puisqu'ils sont nombreux à avoir adressé des demandes de renseignements à l'entreprise. À la lumière de l'ensemble de la preuve produite par la demanderesse, j'arrive à la conclusion que cette dernière s'est acquittée de son obligation d'établir que la marque n'est pas dépourvue de caractère distinctif au Canada.                        


[25]       L'appel est accueilli. La Cour infirme la décision du registraire des marques de commerce par intérim datée du 25 novembre 1999. La Cour ordonne en outre que le registraire permette la publication de la demande no 777,875 dans le Journal des marques de commerce en vertu de l'article 37 de la Loi sur les marques de commerce. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« W. P. McKeown »

Juge           

TORONTO (ONTARIO)

Le 12 avril 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                   T-111-00         

INTITULÉ :                                             SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC.

                                                                                              demanderesse

- et -

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                                                                    défendeur

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE MARDI 5 MARS 2002

LIEU DE L'AUDIENCE :                      TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      MONSIEUR LE JUGE McKEOWN

DATE DES MOTIFS :              LE VENDREDI 12 AVRIL 2002

COMPARUTIONS :

Kenneth D. McKay                                             POUR LA DEMANDERESSE

Liz Tinkler                                                             POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Sim, Hughes, Ashton & McKay LLP     POUR LA DEMANDERESSE

Avocats

330, avenue University, 6e étage

Toronto (Ontario)

M5G 1R7

Morris Rosenberg                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

            Date : 20020412

                  Dossier : T-111-00

ENTRE :

SUPERSHUTTLE INTERNATIONAL, INC.

                                          demanderesse

- et -

LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE

                                                défendeur

                                                                                         

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                                                         

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