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Date : 20041026

Dossier : T-1916-03

Référence : 2004 CF 1502

                            ACTION IN REM CONTRE LE NAVIRE « SEA TIGER »

ENTRE :

                                                  ARROW CORPORATION INC.,

                           WHIZDOM INTERNATIONAL FREIGHT SERVICES INC.

                                              et CIA MOLINERA EL GLOBO S.A.

                                                                                                                             Demanderesses

                                                                            et

                                                        LCL NAVIGATION LTD.,

CROWLEY AMERICAN TRANSPORT LINE INC.,

ULF RITSCHER GMBH & CO. REEDEREI KG,

LE NAVIRE « SEA TIGER » ,

SES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES LES AUTRES PARTIES INTÉRESSÉES

AU « SEA TIGER »

              défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]                 Par la présente requête, les demanderesses sollicitent une ordonnance de prorogation du délai imparti pour signifier leur déclaration à LCL Navigation Ltd. (LCL) de Toronto.


CONTEXTE

[2]                 Pour nous situer dans le contexte, les demanderesses - respectivement un vendeur, un transitaire et l'acheteur d'un appareil de minoterie - ont conclu un contrat avec LCL au moyen d'une lettre de voiture maritime non négociable en vue du transport d'un appareil de minoterie de Winnipeg au Chili. Le conteneur et l'appareil de minoterie ont été endommagés. Pour éviter la prescription de leur recours pendant les négociations, les demanderesses ont poursuivi LCL ainsi que Crowley American Transport Line Inc., la société qui a délivré le connaissement de transport maritime, et Ulf Ritscher GmbH & Co. Reederei KG, le propriétaire du navire Sea Tiger.


[3]                 La présente action a été intentée en temps opportun, à l'approche du délai de prescription, le 16 octobre 2003. La société LCL, avec laquelle les demanderesses avaient apparemment négocié, a reçu la déclaration le jour de son dépôt. Le lendemain, le 17 octobre 2003, LCL a écrit à l'avocat des demanderesses. Dans sa lettre, la société accuse réception de la déclaration, mentionne un bordereau de débarquement du Chili sans réserves et fait allusion à une prescription de trois jours et de neuf mois. En cela LCL était en partie dans l'erreur car le reçu du port chilien paraissait bien faire état de dommages au conteneur et le bulletin d'expédition chilien indiquait que la caisse contenant l'appareil de minoterie avait été retirée des locaux de l'administration portuaire en mauvais état. Aussi, le 3 décembre 2003, l'avocat des demanderesses écrivait aux dirigeants de la société LCL en temps opportun pour lui demander s'ils avaient instructions d'accepter la signification. Aucun avis de la sorte n'a été transmis à l'avocat des demanderesses et celui-ci a donc signifié la déclaration à LCL le 23 décembre 2003, le délai de prescription étant alors expiré depuis huit jours. Les procureurs de LCL ont été incapables d'obtenir des directives pour consentir à la

prorogation du délai de signification, cette position ayant été prise le 28 janvier 2004.         

[4]                 L'avocat des demanderesses avait l'intention de présenter la requête en prorogation le lundi 8 mars 2004 à Vancouver. Cependant, ce n'est que le 14 septembre 2004 que la requête a été déposée et signifiée.

EXAMEN

[5]                 Auparavant, le critère utilisé pour accorder une prorogation du délai imparti pour la signification d'un acte introductif d'instance consistait à déterminer s'il y avait une raison suffisante. Mais, comme l'a fait observer la Cour d'appel dans May & Baker Canada Ltd. c. The "Oak", [1979] 1 C.F. 401 (C.A.F.), à la page 404, il était presque impossible de satisfaire à ce critère dans le cas d'un défendeur en mesure de recevoir signification qui n'avait pas induit le demandeur en erreur. Cependant, les Règles de 1998 ont tout changé : le critère utilisé désormais exige d'examiner les circonstances particulières de l'espèce et de déterminer s'il y a toujours eu intention de poursuivre l'action, s'il existe un dossier défendable et si une éventuelle prorogation risque de porter préjudice au défendeur nommé : voir Gross c. Ministre du Revenu national (1998), 155 F.T.R. 91 (C.F. 1re inst.), à la page 95.

[6]                 Dans Registered Public Accountants Association of Alberta c. Société des comptables professionnels du Canada (2000), 5 C.P.R. (4e) 527 (C.F. 1re inst.) à la page 534, le juge MacKay a noté que les conditions de prorogation du délai étaient maintenant bien établies, renvoyant à Gross, précité, à Alcorn c. Canada (Commissaire du Service correctionnel du Canada) (1998), 149 F.T.R. (C.F 1re inst.), à la page 314, et à Aircraft Technical Publishers c. ATP Aero Training Products Inc. (1998), 82 C.P.R. (3e) (C.F. 1re inst.), à la page 352, en précisant que la cour doit considérer si une prorogation de délai est essentielle pour garantir que la justice soit rendue entre les parties :

[17]       Les conditions de prorogation du délai de signification de la déclaration sont maintenant bien établies. Le requérant doit faire la preuve qu'il n'a cessé d'avoir l'intention de poursuivre son action, qu'il justifie d'un dossier défendable, et que la prorogation ne causerait aucun préjudice au défendeur nommé (voir Gross c. Ministre du Revenu national (Douanes et Accise) (1998) 155 F.T.R. 91, page 95). La considération primordiale se réduit à la question de savoir si une prorogation de délai est essentielle pour garantir que justice soit rendue entre les parties (voir Alcorn c. Canada (Commissaire du Service correctionnel), dossier no T-1945-97, 3 juin 1998 (1re inst.), Aircraft Technical Publishers c. ATP Aero Training Products Inc., dossier no T-1458-95, 15 juillet 1998 (1re inst.)).[publié à 82 C.P.R. (3e) 352]

[7]                 La position défendue par LCL est d'affirmer que les documents des demanderesses ne témoignent pas d'une intention constante de poursuivre l'action contre elle. L'écart noté dans l'intention constante va du 12 février 2004, lorsque l'avocat des demanderesses a fait part de l'intention de présenter la requête en prorogation du délai de signification, ou peut-être du 8 mars 2004, première date à laquelle l'avocat des demanderesses a avisé qu'il était en mesure de présenter la requête, au 14 septembre 2004, moment où la présente requête en prorogation a été signifiée et déposée, soit un écart de six ou sept mois environ.

[8]                 L'avocat des demanderesses tente de justifier le délai en faisant valoir que, s'il exerce à Vancouver, il dirige également un cabinet à Kelowna les lundis et qu'il ne pouvait donc se trouver à Vancouver un lundi pour l'audition régulière des requêtes à la Cour fédérale. Aussi, il a décidé de présenter sa demande de prorogation par écrit. Cette explication, fournie sous la forme d'une réplique écrite, m'apparaît faible. Je lui accorde peu de poids.

[9]                 Pour parvenir à une décision, je dois également considérer les circonstances globales dans l'optique d'assurer la justice entre les parties. Le fait que LCL ait reçu la déclaration et en ait accusé réception immédiatement après sa délivrance par la Cour me préoccupe. C'est une avenue intéressante à explorer, même si je reconnais que la requête vise à faire prolonger le délai de signification, et non à faire déclarer que la signification a déjà été faite, ou encore à obtenir une dispense de signification ou à valider une signification conformément à l'article 147 des Règles de la Cour fédérale. Cette analyse sert néanmoins les fins de la justice entre les parties.


[10]            La signification ne consiste pas seulement à déterminer si on peut s'attendre à ce que le défendeur ait d'une certaine façon entendu parler de la réclamation : elle est constitutive de compétence, laquelle est fondée sur l'aspect adéquat de la signification : voir, par exemple, Canada c. Spelrem (2001), 211 F.T.R. 274 (C.F. 1re inst.), pages 275 et 276. Dans cette affaire, la signification n'avait pas été faite au défendeur, mais plutôt à l'épouse de M. Spelrem, alors que rien n'autorisait à présumer que M. et Mme Spelrem vivaient ensemble, ce qui mettait en cause le caractère adéquat de la signification. Le juge Pelletier a estimé qu'il n'y avait pas de preuve valable de signification. On trouve cependant des décisions qui vont dans le sens contraire, comme l'arrêt Ralux N.V./S.A. c. Spencer Mason, The Times, 18 mai 1989 (C.A.), où le lord-juge O'Connor conclut ainsi :

[TRADUCTION] Pour ma part, je conclurais que si une partie peut prouver qu'une copie lisible du document qui, autrement, satisferait aux règles, est entre les mains du défendeur, la signification est bonne.

Cette déclaration a été approuvée par la Cour d'appel (Chambre civile) dans Hastie & Jenkerson c. McMahon, [1990] 1 WLR 1575, à la page 1580, où le lord-juge Woolf, qui avait alors ce titre, a reconnu qu'il pouvait surgir des circonstances dans lesquelles un certain protocole devait être suivi. Mais, a-t-il dit, dans le cas où il y a eu signification d'une copie visible d'un document par télécopieur, il ne pouvait [traduction] « voir aucune raison pour laquelle un protocole s'imposerait. L'exigence est qu'une copie lisible du document soit en la possession de la partie devant faire l'objet de la signification » (page 1579).

[11]            Je me permets de faire observer ici que l'article 147 des Règles de la Cour fédérale, qui porte sur la validation des significations, est relativement large, le critère consistant à déterminer si le destinataire du document à être signifié en a pris connaissance. Dans la présente affaire, LCL a manifestement pris connaissance de la déclaration, puisqu'elle a reconnu l'avoir reçue et a ensuite fait des commentaires au sujet de la réclamation.

[12]            La décision du protonotaire Funduk, Hvozdanski Estate c. Gasland Oil Ltd. (1999), 258 A.R. 358 (C.B.R. Alta.),est intéressante à cet égard. Dans cette affaire, la déclaration avait été remise au défendeur par une tierce partie. La question était de savoir s'il y avait lieu de considérer la signification comme bonne et adéquate. Le protonotaire Funduk a fait remarquer que la Cour était toujours maître de la procédure et que les règles étaient « les servantes de la Cour, et non l'inverse » . Il a enchaîné ainsi :

16.        [TRADUCTION] Les avocats et les juges, ainsi que les protonotaires, savent que le mot « signification » n'est qu'un synonyme de l'acte par lequel on remet un document à quelqu'un. Signifier une déclaration à un défendeur équivaut à la lui remettre. La terminologie utilisée pour décrire l'acte n'est pas importante. Ce qui importe, c'est l'acte en soi.

Ce commentaire pragmatique a été cité et approuvépar la juge Acton, lors de l'appel de cette décision devant la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, (2000) 263 A.R. 399.

[13]            Bien que cette digression, en ce qui concerne la présente requête, ne se rapporte pas au fait d'avoir à juger s'il y a eu signification, elle est pertinente aux fins de garantir que justice soit rendue entre les parties. Je reviens à la décision Registered Public Accountants, précitée, à la page 534, où le juge MacKay souligne que la considération primordiale est de savoir si la prorogation de délai est essentielle pour assurer la justice entre les parties, et à l'affaire sous-tendant cette notion, Grewal c. Canada (MEI), [1985] 2 C.F. 263 (C.A.F.). À la page 271, le juge en chef Thurlow a dit ceci :

[...] on doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties.


Dans Grewal, le juge en chef était préoccupé par le fait que l'absence d'une intention constante de poursuivre l'action durant la période d'appel nuisait considérablement aux chances d'obtenir la prorogation. De fait, dans Grewal, l'intention de poursuivre, qui nécessitait une requête en prorogation, avait été formée longtemps après l'expiration du délai (page 278).

[14]            En l'espèce, l'explication avancée pour obtenir un délai est faible. La preuve d'une intention constante laisse également à désirer. Les demanderesses ont assurément un dossier défendable, et aucun préjudice n'est causé à LCL. Toutefois, le facteur le plus important à considérer reste que, d'ignorer les faits, à savoir que LCL a reconnu avoir reçu la déclaration un jour après sa délivrance pour ensuite s'insurger contre une signification initiale à bref délai puis contre le temps mis à demander la prorogration du délai de signification, constituerait clairement une injustice.

[15]            Les demanderesses ont 14 jours pour signifier leur déclaration à LCL Navigation Ltd.


[16]            Les dépens suivront l'issue de l'instance.

« John A. Hargrave »

                                                                                          Protonotaire

Vancouver, Colombie-Britannique

Le 26 octobre 2004

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                             AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER EN L'ABSENCE DES PARTIES

DOSSIER :                                       T-1916-03

INTITULÉ:                                       Arrow Corporation Inc. et al. c. LCL Navigation Ltd. et al.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : Le protonotaire Hargrave

EN DATE DU :                               26 octobre 2004

OBSERVATIONS ÉCRITES :    

A. Barry Oland

David K. Jones

POUR LES Demanderesses

                                 

POUR LE DÉFENDEUR LCL Navigation Ltd.

                                      

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Oland & Co.

Vancouver (Colombie-Britannique)                          

Bernard & Partners

Vancouver (Colombie-Britannique)                          

POUR LES Demanderesses

                                

                                

POUR LE DÉFENDEUR LCL Navigation Ltd.

                                


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