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Date : 20020115

Dossier : T-842-99

Référence neutre : 2002 CFPI 44

ENTRE :

                                                    FIDDLER ENTERPRISES LTD.,

                                                           DRAGON FISHING LTD.,

                                                         FIDDLER BUILDING LTD.,

                                                        DAVID NORMAN FIDDLER,

                                                       JAMES DONALD FIDDLER et

                                                                 MARK STEPHEN

                                                                                                                                                   demandeurs

                                                                              - et -

                                                       ALLIED SHIPBUILDERS LTD.

                                                                                                                                               défenderesse

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

[1]         Selon la règle 225, il peut être ordonné de divulguer, dans l' affidavit de documents, tout document pertinent qui est en la possession, sous l'autorité ou la garde de l'une des parties.    La présente requête ordonne la divulgation d'une déclaration d'avaries particulières, résultant de dommages causés par le feu au navire de pêche « Knight Dragon » , le 27 septembre 1997, ainsi qu'aux travaux du propriétaire qui avaient apparemment lieu en même temps qu'étaient réparés les dommages assurés causés par le feu.


[2]         Le Déclaration d'avaries particulières doit être divulguée, car elle est pertinente. Toutefois, la présente ordonnance ne dit pas s'il peut exister quelque motif faisant que, le moment venu, elle ne puisse être produite pour examen. Toute ordonnance, qui pourrait résulter de la règle 230, sera débattue par ailleurs, si cela s'avère nécessaire.

ANALYSE

[3]         Le défenderesse souhaite obtenir la divulgation de la Déclaration d'avaries particulières préparée pour des assureurs maritimes afin de distinguer les travaux du propriétaire des travaux occasionnés par les dommages causés par le feu. Il semble aussi que la défenderesse veuille également obtenir cette déclaration pour déterminer si le temps de réparation a dû être prolongé en raison des travaux du propriétaire, ce qui pourrait signifier une réduction de la réclamation pour perte de jouissance.

[4]         Avarie est un terme utilisé par les assureurs maritimes. Dans le contexte, le concept de l'avarie commune renvoie à une perte survenue au cours d'un voyage et permet de protéger l'entreprise d'un risque réel et de rembourser proportionnellement toutes les autres parties au voyage en mer ou, comme on les appelle souvent, les parties à l'aventure maritime. Dans le contexte de l'avarie particulière, comme c'est le cas ici, avarie renvoie à une perte partielle, en l'occurrence des dommages causés par le feu au navire de pêche « Knight Dragon » .


[5]         Dans le cas d'une réclamation pour avaries particulières, ici des dommages à un navire, l'assureur maritime nomme un expert pour compiler et répartir toutes les dépenses y afférentes, cette personne est connue sous le nom d'expert répartiteur. Ainsi, la compilation permet, normalement, de faire le décompte approximatif de ce qui est causé par un risque assuré et de ce qui relève du propriétaire, habituellement des travaux commandés par ce dernier et qui sont réalisés en même temps que les réparations assurées : il s'agit habituellement d'une pratique efficace plutôt que d'immobiliser le navire dans un chantier naval pour y effectuer les réparations dues aux dommages pour ensuite le remettre dans le chantier et y effectuer les travaux du propriétaire à un autre moment.

[6]         Toute déclaration d'avaries particulières donne aussi la répartition entre le temps consacré aux travaux assurés et celui consacré aux travaux du propriétaire. Elle peut, à l'occasion, indiquer que le bateau aurait pu quitter le chantier plus tôt n'eut été les travaux du propriétaire, et c'est là l'une des deux préoccupations de la défenderesse, l'autre étant, comme je l'ai indiqué, la répartition entre les travaux du propriétaire et les travaux dûs aux dommages causés par le feu. Les demandeurs disent que ces derniers doivent être portés au compte du chantier de la défenderesse.


[7]         Toute étude de la pertinence de documents commence invariablement par l'examen de la décision rendue dans Compagnie Financière du Pacifique c. Peruvian Guano Co. (1882) 11 Q.B.D. 55 (C.A.). En l'espèce, le juge Brett commençait en disant que, lorsque une partie dépose un affidavit de documents, [Traduction] « ... elle est tenue de soumettre tous les documents en sa possession ou sous son contrôle pertinents à l'affaire en question dans la cause jugée. » (page 62). Il poursuivait en demandant ce qu'étaient véritablement les documents pertinents à l'affaire en question dans la cause jugée. Il refuse une interprétation étroite, et rejette le fait qu'il suffise de déposer des documents favorables ou défavorables à la question en cause pour répondre à l'exigence :

     [Traduction]

. . . la pratique montre, dans le cas des contentieux en matière d'assurance, que la Cour n'a jamais pensé qu'une personne faisant une attestation sous serment pourrait répondre au devoir qui lui est imposé simplement en soumettant les documents favorables ou défavorables à la question en cause. (loc cit)

[8]         Venons-en maintenant à l'essentiel de la décision Peruvian Guano :

[Traduction] « La doctrine me semble aller plus loin que cela et aller aussi loin que le principe que je suis sur le point d'énoncer. "À mon avis, un document a trait aux points litigieux de l'action non seulement lorsqu'il constitue une preuve à l'égard de ces points litigieux, mais également lorsqu'on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements pouvant - et non devant - soit directement, soit indirectement permettre à la partie qui exige l'affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire. J'ai dit « soit directement, soit indirectement » parce que, à mon avis, un document peut à proprement parler, contenir des renseignements pouvant permettre à la partie qui exige l'affidavit soit de plaider sa propre cause, soit de nuire à celle de son adversaire s'il s'agit d'un document susceptible de la lancer dans une enquête et d'entraîner l'une ou l'autre de ces deux conséquences : . . " » (pages 62 et 63)


Ce concept, de faire avancer sa propre cause ou de nuire à celle de son adversaire, est semblable à celui de notre règle 222(2) qui définit un document comme pertinent si la partie entend l'invoquer ou « si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d'appuyer la cause d'une autre partie » . Avant de quitter la cause Peruvian Guano, je citerai la dernière phrase des motifs du lord juge Brett où il dit que la décision ne porte pas sur les conséquences du dépôt des documents, que ce soit au moment de leur divulgation ou au moment de leur dépôt en preuve au procès :

[TRADUCTION] Je le répète, notre présent jugement ne porte pas sur les conséquences du dépôt des documents, que celui-ci ait lieu suite à une demande de divulgation ou tout simplement au moment du dépôt de la preuve au procès. (page 66)

C'est le cas en l'espèce, car il peut exister des motifs pour lesquels la Déclaration d'avaries particulières n'ait pas besoin d'être produite pour examen, soit parce qu'elle n'est pas acceptée soit parce qu'elle ne présente aucun intérêt pour le procès.

[9]         À première vue, la Déclaration d'avaries particulières relève à la fois de l'affaire Peruvian Guano et de la règle 222(2), tout en faisant l'objet d'une ordonnance de divulgation aux termes de la règle 225.


[10]       Pour diverses raisons que j'examinerai rapidement, les demandeurs disent que la Déclaration d'avaries particulières n'est pas pertinente et impossible à produire au procès. Or, cela fait fi de l'idée selon laquelle la divulgation de documents est une question de pertinence, et non de discrétion. Bien que le rapport d'un expert répartiteur n'ait pas en soi force légale, pareil document est rarement remis en cause par les tribunaux : en fait, les tribunaux considèrent généralement les déclarations d'avaries comme une preuve prima facie des détails, des calculs, et de la répartition des avaries. Ceci parce que la profession d'expert répartiteur est une profession ancienne et honorable, avec des règles de pratique bien établies qui sont d'un grand secours au moment de déterminer comment les réclamations doivent être réglées.

[11]       En outre, le rapport d'un expert répartiteur est neutre car, contrairement à l'avocat, un expert répartiteur n'est pas, ou ne devrait pas être, un défendeur d'intérêts.    Pour y parvenir, un expert répartiteur doit tendre, et invariablement tend, tout comme un arbitre, à être impartial. Cela est certainement le cas depuis au moins 130 ans, et même avant, quand fut fondée en Angleterre en 1873 l'Association of Average Adjusters . En fait, le concept d'un expert répartiteur impartial et indispensable remonte beaucoup plus loin; le besoin d'un esprit pratique et juste, apportant des solutions de bon sens aux pertes commerciales maritimes remonte à au moins 3 000 ans : voir ce que dit Buglass dans Marine Insurance and General Average, édition de 1991, Cornell Maritime Press, aux pages 130-131.

[12]       La défenderesse a, comme je l'ai dit, établi un motif d'action prima facie relativement à la divulgation de la Déclaration d'avaries particulières qu'elle considère comme un document pertinent. En fait, le document, dans sa forme habituelle, devrait vraisemblablement aider les deux parties et la Cour à déterminer l'étendue des réparations des dommages causés par le feu par rapport à celle des réparations demandées par le propriétaire ainsi que la perte de jouissance du « Knight Dragon » par suite du feu.


[13]       L'opposition des demandeurs, telle que je la comprends, contient divers éléments que je vais maintenant aborder.

[14]       Tout d'abord, bien que l'expert répartiteur, M. Gesner, ait énoncé dans son affidavit s'opposant à la divulgation qu'une déclaration d'avaries particulières constituait un règlement des réclamations auprès des assureurs fondé sur les conditions d'une police, sans référence à ce qui pourrait être recouvrable dans une action en subrogation, et que ce règlement était sujet à l'approbation finale des assureurs, l'affidavit ne nie pas l'existence possible d'une répartition dans le règlement des réparations entre les travaux réalisés pour le compte des assureurs et ceux réalisés pour le compte du propriétaire. En ignorant cet aspect dans son affidavit, M. Gesner porte préjudice à la position des demandeurs en matière de pertinence et de divulgation. Que la Déclaration d'avaries particulières se réfère, comme le dit M. Gesner, aux conditions d'une police et à ce qui est recouvrable des assureurs, points qui ne sont pas pertinents en l'espèce, n'écarte pas la pertinence vraisemblable du document pour délimiter les travaux du propriétaire et le temps qu'ont pu prendre ces travaux, par rapport aux travaux de réparation des dommages causés par le feu et au temps requis pour réparer ces dommages. La production d'un document ne se mesure pas en termes de pertinence élevée ou de pertinence marginale : même un document de pertinence marginale doit être produit. En fait, Master Funduck, dans Clif-Den Holdings Ltd. c. Automated Concrete Ltd. (1986) 73 A.R. 236, cause jugée en Alberta à laquelle se référaient les demandeurs, fait remarquer que [Traduction] « il est rare que des documents fournis en preuve et qui contiennent de la matière ne soient pas pertinents » .


[15]       Deuxièmement, M. Gesner fait valoir que la défenderesse sera ainsi entièrement informée de la nature des réparations, du temps réel ayant été nécessaire pour les réaliser et du temps que cela devait normalement prendre pour les réaliser. Par ailleurs, la défenderesse recevra sinon toutes du moins la plupart des factures des travaux de réparation. Cela ne constitue pas pour autant une excuse pour refuser la production des documents. Je me référerai ici à l'affaire Canada Southern Petroleum Ltd. c. Amoco Canada Petroleum Co. [1995] 5 W.W.R. 720 (Alberta Queen's Bench) p. 723, qui soutient que même si l'autre partie dispose déjà d'un document donné, en provenance d'une autre source, il doit aussi être produit. Il n'est pas dans l'esprit ou l'intention des règles d'ignorer l'énoncé fondamental selon lequel la divulgation des documents est une question de pertinence et non de discrétion.    Je me référerai ici aussi à l'affaire Havana House Cigar and Tobacco Merchants Ltd. c. Naeini (1998) 80 C.P.R. (3d) 132 (C.F.) pp. 141-142 et à l'affaire Cooper Industries Inc. c. Caplan Industries Inc. (1998) 80 C.P.R. (3d) 237 (C.F.) p. 240, pour l'application du principe extrait de l'affaire Canada Southern Petroleum.


[16]       Troisièmement, bien que la Déclaration d'avaries particulières, puisse contenir des avis sur ce que couvre la police d'assurance, point qui n'est absolument pas pertinent à notre cause, cela n'empêche aucunement la production du document comme document pertinent si celui-ci est marginalement pertinent. J'ai ici à l'esprit, comme je l'ai déjà dit, la répartition des travaux entre les travaux du propriétaire et les réparations dues aux dommages causés par le feu ainsi que le temps requis pour procéder à ces réparations, tous ces éléments constituant des renseignements pertinents. C'est le genre de renseignements que l'on s'attend à trouver dans une Déclaration d'avaries particulières et, en fait, M. Gesner ne nie pas qu'ils soient contenus dans son rapport d'expertise.


[17]       Les demanderesses se réfèrent à plusieurs cas qui suggèrent que, par extrapolation, la Déclaration d'avaries particulières étant préparée en vue d'un règlement entre un propriétaire et une compagnie d'assurance, soit un objet différent de celui du présent cas, n'est pas pertinente et ne peut être produite car elle aboutit à des conclusions qui peuvent ne pas être nécessairement fondées sur les mêmes conditions et conclusions que celles qu'utilisera le juge de première instance. Cela nous ramène au concept selon lequel, bien que le rapport d'expertise n'ait en soi aucune force légale, il est rarement remis en cause devant un tribunal. Je crois que c'est parce qu'il s'agit là d'une répartition neutre des pertes évaluées par un expert de la profession. La répartition peut certainement, en grande partie, correspondre à la protection assurée par la police. Mais, le règlement fixe aussi la répartition entre les travaux de l'assureur et les travaux du propriétaire qui ne sont pas attribuables à la perte de jouissance. Par ailleurs, aucun des trois cas auxquels se réfèrent les demandeurs, Clif-Den Holdings Ltd. (supra), Sorenson c. Standard General Construction Ltd., la décision du 29 octobre 1998 non publiée dans Alberta Queen's Bench 9403-10541 et Verlysdonk c. Premier Petrenas Construction Co. Ltd. (1987) 39 D.L.R. (4th) 715 (Ont H.C.), ne renvoie à un règlement d'avaries. Ils sont propres à leur cas d'espèce en ce qu'ils traitent d'autres questions et visent d'autres documents, notamment une évaluation dans le cadre d'une police d'assurance résidentielle, des questions d'enquête relativement aux conditions d'une police d'assurance et la production d'une police d'assurance résidentielle. Aucun n'est approprié particulièrement du fait que les polices d'assurance et les déclarations d'avaries sont des documents extrêmement différents. Les premières n'ont absolument rien à voir avec notre cas, alors que les secondes, si l'on se réfère à la décision Peruvian Guana, et au contexte de notre affaire « peuvent... soit directement, soit indirectement permettre à la partie qui exige l'affidavit ou bien de plaider sa propre cause ou bien de nuire à celle de son adversaire » .

CONCLUSION

[18]       En l'espèce, la Déclaration d'avaries particulières serait, selon toute vraisemblance, pertinente et, en fait, l'affidavit de M.Gesner contourne la question au point de porter préjudice à la position des demandeurs. Le document à première vue est pertinent. Il n'existe pas de raison impérieuse pour que la Déclaration ne soit pas divulguée. Elle le sera donc dans un affidavit de documents supplémentaire.

   « John A. Hargrave »

Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

15 janvier 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                           T-842-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 FIDDLER ENTERPRISES LTD. ET AL. c.

ALLIED SHIPBUILDERS LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                    14 janvier 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE :                                                     15 janvier 2002

COMPARUTIONS:

M. Jason Kostyniuk                                                                 POUR LES DEMANDEURS

M. John Bromley

M. Simon Barker                                                                      POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Bromley Chapelski                                                                  POUR LES DEMANDEURS

Vancouver (Colombie-Britannique)

Oland & Co.                                                                            POUR LA DÉFENDERESSE

Vancouver (Colombie-Britannique)

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