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     Date : 19990323

     Dossier : IMM-1706-98

OTTAWA (ONTARIO), LE MARDI 23 MARS 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE TEITELBAUM

Entre :

     LEONIE BIBOMBA BIAKONA,

     JOEL KACHA CIMANGA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs qui accompagnent la présente ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audition devant un tribunal de composition différente.

                             " Max M. Teitelbaum "

                            

                             Juge

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

     Date : 19990323

     Dossier : IMM-1706-98

Entre :

     LEONIE BIBOMBA BIAKONA,

     JOEL KACHA CIMANGA,

     demandeurs,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision de la section du statut de réfugié au sens de la Convention (SSR) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 11 février 1998, dans laquelle la SSR a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les demandeurs recherchent une ordonnance de certiorari afin d'annuler la décision de la Commission et une ordonnance renvoyant leur cas pour nouvel examen.



LES FAITS

[2]      La demanderesse (ci-après la demanderesse) Leonie Bibomba Biakona, citoyenne du Congo, réclame le statut de réfugié en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à un groupe social particulier, son frère ayant été perçu par le régime Mobutu comme un partisan de Kabila, et du fait de son activité politique au Canada comme membre de l'Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS). Le fils de six ans de la demanderesse, Joel Kacha Cimanga, revendique le statut de réfugié pour les mêmes raisons que sa mère.

[3]      La demanderesse prétend que son époux, son frère et elle-même ont été persécutés au Zaïre parce que son frère, Cimanga Milemba, était soupçonné par l'armée d'être un opposant politique et un espion. La demanderesse a relaté trois incidents qui se sont produits en 1993 (2) et en 1996 (1).

[4]      Le 2 février 1993, la demanderesse, son époux et son frère sont partis à la recherche de son frère Cimanga qui n'était pas rentré à la maison depuis quelques jours. Ils ont été informés que Cimanga avait été arrêté et était soupçonné d'être un espion. Ils ont également été arrêtés, battus et escortés à leur maison par des militaires qui ont fouillé les lieux à la recherche de preuves qu'ils étaient membres de l'opposition. Le ou vers le 10 février 1993, la demanderesse déclare qu'elle a été arrêtée, de même que son époux et son frère, et qu'ils ont été détenus pendant huit jours dans des conditions inhumaines, au cours desquels ils ont été battus et mal nourris. Après leur libération conditionnelle, ils ont dû se présenter une fois par mois à la police.

[5]      Entre 1993 et 1996, la demanderesse et sa famille ont été l'objet d'une surveillance constante. En décembre 1996, la demanderesse prétend que son époux et elle-même ont été arrêtés et détenus, et qu'au cours de cette détention elle a été interrogée et violée. Elle a été libérée grâce à l'aide de quelques amis au début de 1997. Peu après, elle a quitté son pays pour le Canada.

La décision de la section du statut de réfugié

[6]      La SSR a rejeté sa demande au motif que la preuve, compte tenu du changement de situation dans la République démocratique du Congo (le Congo), n'établissait pas qu'il y avait une possibilité raisonnable que les demandeurs soient persécutés s'ils devaient retourner au Congo.

LES MOYENS DES PARTIES

Les moyens de la demanderesse

[7]      La demanderesse soutient que la Commission a commis une erreur en n'examinant pas comme il se doit le changement de situation. Le changement de situation, en l'espèce, " un nouveau chef de gouvernement qui préside un État répressif " doit être important, radical et susceptible de durer. Elle fait valoir qu'un changement de gouvernement qui ne s'accompagne pas de changements dans la législation, dans les méthodes utilisées par l'exécutif ou par l'armée, n'est pas une preuve que la situation a réellement changé et ne peut appuyer une conclusion que la crainte d'être persécutée n'est plus fondée. Dans son examen des changements récents, la Commission aurait dû examiner la preuve documentaire, en faire une analyse et s'y référer pour appuyer sa conclusion. La preuve documentaire déposée par la demanderesse et l'agent chargé de la revendication laisse entendre que la situation politique était en fait demeurée presque la même, surtout pour les partis d'opposition politique.

[8]      Deuxièmement, elle fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que la détention, la torture, le harcèlement et le viol, de même que les persécutions qui lui ont été infligées, ne justifiaient pas l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration (la Loi). Elle fait valoir que le traumatisme psychologique permanent causé par des persécutions antérieures associées à son pays d'origine entraîne l'application du paragraphe 2(3) de la Loi. La preuve déposée par la demanderesse dans son FRP, son témoignage verbal et le rapport psychiatrique établissent que le degré d'atrocité des actes dont elle a été victime et leurs répercussions sur sa santé constituent des raisons impérieuses de ne pas la renvoyer au Congo. Même si les persécutions infligées à la demanderesse ne pouvaient pas être considérées commes des raisons impérieuses, la Commission avait l'obligation d'examiner le degré d'atrocité des actes dont elle a été victime, leurs répercussions sur son état physique et mental et de juger si cette seule expérience constituait une raison impérieuse d'appliquer le paragraphe 2(3) de la Loi, ce qu'elle n'a pas fait.

Les moyens de la demanderesse concernant l'évaluation de la preuve

[9]      La demanderesse prétend qu'il est déraisonnable que la Commission n'ait pas tenu compte du rapport médical et psychologique dans son évaluation du fondement de sa crainte de retourner au Congo.

[10]      Elle soutient également que la Commission a commis une erreur en concluant que sa réputation politique au Zaïre ne permettait pas de supposer qu'elle pourrait faire l'objet de persécution si elle était renvoyée au Congo. La Commission a jugé que " la notoriété " d'une personne n'est pas un élément déterminant ni pertinent pour décider si cette personne a une crainte fondée d'être persécutée. Ce qui est pertinent, c'est la perception qu'ont les autorités des personnes qui se trouvent dans la situation de la demanderesse. À la lumière de son témoignage et de la preuve documentaire, la Commission aurait dû conclure que les membres de sa famille et elle-même risquaient d'être persécutés parce qu'ils sont perçus comme des opposants politiques. De même, la Commission a commis une erreur en statuant que la crainte de la demanderesse n'était pas fondée malgré son appartenance à l'UDPS au Canada. Les activités politiques d'une personne au Canada peuvent constituer le fondement d'une revendication du statut de réfugié. La preuve dont était saisie la Commission confirmait la participation active de la demanderesse et son adhésion à l'idéologie du parti.

[11]      Finalement, on fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que le traitement dont la demanderesse a été victime ne constitue pas de la persécution. Le rapport psychiatrique, le témoignage et le FRP établissent que la demanderesse a été battue, qu'elle a été harcelée, insultée, violée et menacée, et il est difficile de prétendre que tout cela n'équivaut pas à de la persécution. La Commission soit a mal apprécié la preuve, soit ne l'a pas examinée, et, en agissant ainsi, elle a commis une erreur de droit.

Les moyens du défendeur

[12]      Le défendeur fait valoir que le seul critère au regard duquel le changement de situation peut être évalué s'appuie sur la question de savoir si la demanderesse a une crainte fondée d'être persécutée aux termes de l'article 2 de la Loi sur l'immigration. Le changement de situation est pertinent s'il peut aider à décider si, à la date de l'audience, il y a une possibilité raisonnable et objectivement prévisible que la demanderesse soit persécutée si elle est renvoyée dans son pays d'origine. En outre, on fait valoir que, compte tenu du fait que la demanderesse a été malmenée par les tenants du régime Mobutu, parce qu'on la soupçonnait d'être une sympathisante du parti d'opposition, et des rebelles de Kabila, il était tout à fait raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse n'avait plus de crainte fondée d'être persécutée puisque Kabila a pris le pouvoir.

[13]      Pour ce qui concerne l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, on fait valoir que la Commission a appliqué les principes appropriés et qu'elle n'a pas commis d'erreur en statuant que le traitement dont la demanderesse a été victime ne constituait pas une raison impérieuse au sens du paragraphe 2(3) de la Loi. Le traitement répréhensible et infâme qu'elle a subi n'était pas assez exceptionnel pour conclure qu'il ne serait pas approprié de la renvoyer au Congo.

Les moyens du défendeur concernant l'évaluation de la preuve

[14]      Le défendeur soutient que la Commission avait le pouvoir et la discrétion nécessaires pour évaluer la preuve. La Commission a clairement déclaré qu'elle avait tenu compte de l'ensemble de la preuve dans sa décision. Le fait qu'elle n'ait pas cité ou discuté un élément de preuve ne constitue pas une erreur susceptible de contrôle et ne signifie pas que la preuve n'a pas été examinée.

[15]      Le défendeur soutient qu'il ressort clairement des motifs que la SSR a examiné le rapport psychiatrique que lui a remis la demanderesse. Toutefois, ce rapport n'apporte pas de fondement objectif à la crainte de la demanderesse, et il était raisonnablement loisible à la Commission d'en venir à cette conclusion.

[16]      Le défendeur soutient qu'il était raisonnable et loisible à la Commission de conclure que la preuve qu'elle serait la cible des forces de Kabila au Congo en raison de son engagement politique au Canada n'était pas suffisante. Il n'y a pas de preuve que le gouvernement de Kaliba s'intéresse à la demanderesse et à son fils ou qu'elle attirerait leur attention étant donné qu'elle n'a pas participé à des activités d'opposition pendant qu'elle se trouvait au Zaïre. La preuve ne démontre pas que les membres des partis d'opposition sont persécutés sous le nouveau régime.

[17]      Enfin, on fait valoir qu'il était raisonnable pour la Commission de conclure que la demanderesse n'a pas subi de persécution entre 1993 et 1996, en se basant sur son témoignage indiquant qu'elle a fait l'objet d'une surveillance pendant trois ans après avoir été libérée et sur le fait que sa famille et elle-même n'ont pas jugé nécessaire de quitter le pays.

LES QUESTIONS EN LITIGE

[18]      Les observations écrites de la demanderesse soulèvent les questions suivantes :

     a)      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant que, compte tenu du changement de situation au nouveau Congo, la crainte de la demanderesse n'était plus fondée et qu'elle était déraisonnable ?         
     b)      La Commission a-t-elle mal appliqué le critère visé au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration et commis une erreur en ne se demandant pas si la persécution dont la demanderesse a été victime justifiait l'application de ce paragraphe ?         
     c)      La Commission a-t-elle commis une erreur en ne tenant pas compte du rapport médical dans son évaluation du fondement objectif de la crainte de la demanderesse ?         
     d)      La Commission a-t-elle commis une erreur de droit en concluant que la crainte qu'a la demanderesse d'être persécutée n'était pas fondée en raison de son adhésion à un parti politique au Canada ?         
     e)      La Commission a-t-elle commis une erreur en concluant qu'il était peu vraisemblable que la demanderesse, compte tenu de sa réputation politique au Zaïre, serait ciblée par les autorités de l'AFDL ?         
     f)      La Commission a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la preuve en concluant, notamment, que le traitement dont elle a fait l'objet entre 1993 et 1996 n'équivalait pas à de la persécution ?         

ANALYSE

Le changement de situation

[19]      Le changement de situation fait référence à un changement important qui se produit dans la situation politique ou sociale du pays d'origine du demandeur : voir Mileva c. Canada (M.E.I.) [1991], 3 C.F. 398. Les changements sont importants s'ils sont radicaux et de longue durée.

[20]      La demanderesse prétend que la Commission a commis une erreur en concluant que le changement de régime politique qui s'est produit quelques mois avant l'audience a enlevé à sa crainte son caractère raisonnable, sans effectuer une analyse des changements récents et de leurs répercussions sur cette crainte.

[21]      La demanderesse s'appuie sur les décisions Cuadra c. Canada (1993) (A-179-92, 20 juillet 1993) et Ahmed c. M.E.I., (1993), A-89-92, 14 juillet 1993) à l'appui de la proposition voulant qu'en raison du changement récent de situation, il incombait à la Commission de fournir des motifs clairs à partir desquels elle a conclu que la crainte de la demanderesse d'être persécutée en raison de ses expériences antérieures n'était plus fondée.

[22]      Dans l'arrêt Cuadra, précité, la Cour d'appel fédérale a examiné, notamment, la question du changement de situation et a déclaré ce qui suit :

         Qui plus est, après avoir affirmé que les Sandinistas continuaient à jouer un rôle dans l'armée et la vie politique du Nicaragua, le tribunal a conclu qu'un changement dans les circonstances affaiblissait la revendication par ce motif que [TRADUCTION] " il ressort des preuves documentaires que des mesures concrètes ont été prises et des progrès réalisés dans ce sens [la diminution de l'influence des Sandinistas] ". Là encore, une analyse plus détaillée des preuves contradictoires au sujet d'un changement dans les circonstances était nécessaire pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif pour faire de la crainte authentique de l'appelant une craint déraisonnable et, partant, non fondée.                 

[23]      De même, dans l'arrêt Ahmed, la Cour d'appel fédérale déclare ceci :

         De même, le simple fait qu'il y a eu un changement de gouvernement ne suffit manifestement pas pour satisfaire à la condition d'un changement dans les circonstances à la suite duquel la crainte authentique devient déraisonnable et, partant, dénuée de fondement.                 
         Rien dans les motifs prononcés par le tribunal n'indique, ne serait-ce qu'indirectement, que les conclusions tirées des témoignages l'ont été conformément aux principes de droit applicables. En effet, nous doutons que ces conclusions soient défendables : la nature et les agents de la persécution que craint l'appelant ne signifient pas que cette persécution serait confinée à certaines régions du pays, et les simples déclarations du gouvernement mis en place il y a quatre mois, selon lesquelles il était en faveur de la loi et de l'ordre ne peuvent être considérées comme une indication sans équivoque du changement réel et effectif qui est nécessaire pour éliminer le fondement objectif de la crainte de l'appelant, si l'on tient compte de l'origine de cette crainte et des antécédents de ce gouvernement pour ce qui est de la violation des droits de la personne. Mais, quoi qu'il en soit, à supposer même que les conclusions du tribunal soient correctes, nous n'acceptons pas qu'elles puissent être invoquées sans autre explication pour établir que les principes juridiques en jeu ont été appliqués. La revendication du demandeur n'a pas été convenablement instruite, et la décision du tribunal ne saurait être confirmée.                 
         Nous accueillerons donc l'appel, infirmerons la décision du tribunal et renverrons l'affaire devant un tribunal de composition différente.                 

[24]      La nécessité de procéder à une analyse détaillée de la preuve dans des cas où des changements récents sont survenus dans la situation d'un pays a de plus été réitérée dans un jugement très récent, Kifoueti c. Canada (IMM-937-98, 11 février 1999) dans lequel Mme le juge Tremblay-Lamer déclare ce qui suit :

         Pour le juge Gibson le fait qu'il y ait un changement dans la situation politique ne constitue pas la preuve que les problèmes du revendicateur sont terminés.                 
         Dans une situation semblable il doit y avoir une analyse détaillée de la preuve pour déterminer si un changement est suffisamment important pour faire disparaître la crainte du demandeur.                 
         Le juge Gibson s'exprimait ainsi :                 
             Dans le présent litige, la preuve n'était pas contradictoire en ce qui a trait aux changements dans la situation de l'Ukraine. Cependant, il ressort clairement de la preuve que les changements radicaux survenus en Ukraine au cours des mois qui ont précédé immédiatement l'audience du requérant devant la SSR se sont produits très rapidement et que la situation ne s'était pas stabilisée. C'est ce qui ressort des titres même cités par la SSR, qui renvoient au vote du parlement ukrainien en faveur d'une armée transitoire, du remplacement du KGB par une nouvelle force de sécurité et de l'élaboration par le parlement de nouveaux principes à l'égard de la nouvelle force en question. Aucune de ces rubriques ne permet de conclure que les changements sont " importants " ou " durables " ou, pour reprendre les expressions citées dans l'arrêt Cuadra , " réels et effectifs ". La SSR n'a fait aucune analyse de l'importance et du caractère réel et durable des changements. Pour reprendre les propos du juge Marceau dans l'arrêt Cuadra , j'en arrive à la conclusion qu'une analyse plus détaillée de la preuve concernant un changement de la situation en Ukraine était nécessaire en l'espèce pour satisfaire à la condition que le changement soit suffisamment réel et effectif ou suffisamment important, réel et durable pour faire de la crainte authentique du requérant en l'espèce une crainte déraisonnable et, partant, non fondée.                         

[25]      Malgré l'argument du défendeur selon lequel il était loisible à la Commission de conclure que les changements ont été tels que la crainte de la demanderesse d'être persécutée n'était plus raisonnable et était dénuée de fondement étant donné qu'on ne peut s'attendre à ce que le nouveau régime Kabila persécute ceux qui étaient soupçonnés d'être ses partisans sous l'ancien régime de Mobutu, je conclus que la Commission n'a pas correctement abordé la question de savoir si les changements récents de situation étaient tels que la demanderesse n'avait plus de raison de craindre d'être persécutée si elle devait retourner au Congo.

[26]      La Commission a statué que le changement de situation dans son pays était tel que sa crainte de persécution était déraisonnable et dénuée de fondement :

         En raison des changements de circonstances politiques dans le pays de nationalité de la revendicatrice, le tribunal a considéré l'arrêt Yusuf. Ainsi, le tribunal juge que dans la présente revendication, les changements sont tels qu'ils one [sic] fait de la crainte de la revendicatrice, une crainte déraisonnable, et partant, non fondée en ce qui concerne le régime de Mobutu.                 

[27]      Comme il ressort de ces motifs, la Commission n'a pas analysé la preuve pour déterminer si le nouveau régime arrivé au pouvoir quelques mois seulement avant l'audience a rendu déraisonnable la crainte de la demanderesse. L'avocat de la demanderesse a fait valoir que la preuve documentaire, qui était composée d'articles de journaux et de périodiques et de communiqués de presse, ne tirait aucune conclusion définitive au sujet du nouveau régime et que la preuve déposée par la demanderesse et l'agent chargé de la revendication laissait entendre que la situation politique était demeurée très semblable, en particulier pour les partis d'opposition politique.

[28]      Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur susceptible de contrôle en n'évaluant pas de façon appropriée le changement de situation au regard de la preuve documentaire qui était au dossier.

Le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration

[29]      Le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration est rédigé dans les termes suivants :

(3) A person does not cease to be a Convention refugee by virtue of paragraphe (2)(e) if the person establishes that there are compelling reasons arising out of any previous persecution for refusing to avail himself of the protection of the country that the person left, or outside of which the person remained, by reason of fear of persecution.

(3) Une personne ne perd pas le statut de réfugié pour le motif visé à l'alinéa (2)e) si elle établit qu'il existe des raisons impérieuses tenant à des persécutions antérieures de refuser de se réclamer de la protection du pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée de crainte d'être persécutée.

[30]      L'alinéa (2)e) dont fait état le paragraphe 2(3) stipule qu' " une personne perd le statut de réfugié au sens de la Convention dans les cas où [...] e ) les raisons qui lui faisaient craindre d'être persécutée dans le pays qu'elle a quitté ou hors duquel elle est demeurée ont cessé d'exister ".

[31]      La portée de l'exemption et des conditions visées au paragraphe 2(3) ont été examinées par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt de principe Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Obstoj, [1992] 2 C.F. 739 (C.A.). Le juge Hugessen déclare à la page 748 :

         Quelle que soit l'interprétation du paragraphe 2(3), elle doit s'étendre à quiconque a été reconnu comme réfugié à un moment donné, même bien après la date de la Convention. Il n'est donc guère surprenant que ce paragraphe doive être interprété comme exigeant des autorités canadiennes qu'elles accordent la reconnaissance du statut de réfugié pour des raisons d'ordre humanitaire à cette catégorie spéciale et limitée de personnes, c'est-à-dire ceux qui ont souffert d'une persécution tellement épouvantable que leur seule expérience constitue une raison impérieuse pour ne pas les renvoyer, lors même qu'ils n'auraient plus aucune raison de craindre une nouvelle persécution.                 
         Les circonstances exceptionnelles envisagées par le paragraphe 2(3) doivent certes s'appliquer uniquement à une petite minorité de demandeurs actuels. Je ne vois aucune raison de principe, et l'avocat n'en a pu proposer aucune, pour laquelle le succès ou l'échec des demandes de ces personnes devrait dépendre seulement du fait purement fortuit de savoir s'ils ont obtenu la reconnaissance du statut de réfugié avant ou après le changement de la situation dans leur pays d'origine. En fait, une interprétation qui produirait un tel résultat, me semblerait à la fois répugnante et absurde. Elle rendrait également, ainsi qu'il a été noté, l'alinéa 69.1(5)b) tout à fait incompréhensible.                 

[32]      Il est de droit constant que seules des circonstances exceptionnelles permettront d'appliquer l'exemption visée au paragraphe 2(3) de la Loi.

[33]      Dans ses motifs, la Commission a décidé que l'expérience de la demanderesse ne constituait pas une raison impérieuse au sens du paragraphe 2(3) de la Loi. Elle déclare ceci :

         Toutefois, bien que nous constatons [sic] que la revendicatrice aurait subit [sic] des traitements répréhensibles et ignobles (interrogation et un viol) de la part de ses capteurs au Zaïre avant l'arrivée de l'AFDL au pouvoir, nous constatons qu'elle ne fait pas partie de cette catégorie spéciale et limitée de personnes visées par le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration. Le tribunal a consulté à cet effet l'arrêt Obstoj.                 

[34]      La demanderesse soutient que la conclusion de la Commission selon laquelle son expérience ne justifiait pas l'application du paragraphe 2(3) est erronée compte tenu des incidents qu'elle a relatés indiquant qu'elle avait été détenue, torturée, harcelée et violée, de même qu'en raison des persécutions subies par son mari et son frère.

[35]      La question de savoir si l'expérience d'une personne constitue une " raison impérieuse " aux termes du paragraphe 2(3) est une question de fait à laquelle il revient à la Commission de répondre. Toutefois, le juge McKeown, dans la décision Arguello-Garcia c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993) 21 Imm. L.R. (2d) 285 (C.F. 1re inst.), indique à la page 288 que la décision de savoir si l'expérience d'une personne est " atroce " et " épouvantable " devrait se fonder uniquement sur des facteurs objectifs.

[36]      La décision du juge McKeown dans l'affaire Arguello-Garcia a été citée parce qu'elle énonce un critère à trois volets qui permet de décider si le paragraphe 2(3) s'applique et qui exige que 1) le demandeur ait été victime d'actes de persécution atroces ou épouvantables ; 2) qu'il ait une crainte subjective de persécution telle qu'il refuse de retourner dans son pays d'origine et de se réclamer de la protection des autorités de ce pays ; et 3) que cette persécution laisse des séquelles psychologiques permanentes chez le demandeur.

[37]      Toutefois, dans un arrêt plus récent de la Cour fédérale, Jiminez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (IMM-1718-98, 25 janvier 1999), le juge Rouleau analyse le triple critère dont faisait état le juge McKeown dans la décision Arguello-Garcia, et cite de plus la décision du juge Noël dans Shahid c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1995), 28 Imm. L.R. (2d) 130 (C.F. 1re inst.). Le juge Rouleau signale que, dans la décision Arguello-Garcia, le juge McKeown semble refuser la troisième partie du critère quand il déclare, à la page 138 qu' " à la lumière des décisions Obstoj et Hassan [...] la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s'appliquant qu'aux personnes qui craignent toujours d'être persécutées ". Le juge Rouleau déclare ensuite que le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration n'exige pas une souffrance permanente et que " la preuve du syndrome de stress post-traumatique a simplement renforcé sa conclusion lorsqu'il a apparemment résumé la preuve ".

[38]      En outre, la demanderesse soutient que la Commission, en fondant sa décision sur le paragraphe 2(3), avait l'obligation d'examiner le degré d'atrocité des actes dont elle a été victime, leurs répercussions sur son état physique et mental et de juger si cette seule expérience constituait une raison impérieuse d'appliquer le paragraphe 2(3) de la Loi, ce qu'elle n'a pas fait.

[39]      La demanderesse s'appuie sur la décision Hassan, précitée [il semble y avoir erreur dans la référence à la jurisprudence : cette déclaration se trouve dans la décision Shahid], à l'appui de la proposition selon laquelle, lors de son évaluation de la revendication d'une personne au regard du paragraphe 2(3), la Commission a l'obligation d'examiner le degré d'atrocité des actes dont elle a été victime, leurs répercussions sur son état physique ou mental et de juger si cette seule expérience constitue une raison impérieuse pour justifier d'appliquer l'exemption prévue au paragraphe 2(3) de la Loi.

[40]      Dans la décision Shahid, précitée, le juge Noël s'est demandé si la Commission avait commis une erreur en concluant que l'arrestation, la détention, les abus physiques et les menaces qu'avait subis le demandeur ne constituaient pas des " raisons impérieuses " pour justifier d'appliquer l'exemption prévue au paragraphe 2(3) de la Loi. À la page 138, le juge Noël déclare ceci :

         Il est clair, à la lumière des décisions Obstoj et Hassan, supra, que la Commission a commis une erreur en interprétant le paragraphe 2(3) comme ne s'appliquant qu'aux personnes qui craignent toujours d'être persécutées. Une fois qu'elle a entrepris d'examiner la demande du requérant au regard du paragraphe 2(3), la Commission est tenue de prendre en considération le degré d'atrocité des actes dont il a été la victime ainsi que les répercussions de ces actes sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine. Ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce. Bien que je doute sérieusement que le demandeur puisse, en l'espèce, satisfaire à la norme élevée établie par la jurisprudence, c'est là une question à trancher par la Commission compte tenu des facteurs applicables. En conséquence, la décision entreprise sera annulée, et l'affaire renvoyée à un tribunal de composition différente pour nouvelle instruction.                 

[41]      Comme nous l'avons indiqué ci-dessus, les motifs de la Commission indiquent simplement que la demanderesse a été violée et interrogée et que cela ne constitue pas des " raisons impérieuses " au sens du paragraphe 2(3).

[42]      Il ressort des motifs que la Commission n'a examiné que l'interrogation et le viol. La preuve concernant la persécution déposée par la demanderesse a aussi trait à des abus physiques et à du harcèlement qui ont eu des séquelles psychologiques à l'égard desquelles des éléments de preuve ont aussi été déposés à l'audience.

[43]      Comme l'a déclaré le juge Noël dans la décision Shahid, précitée, qui a été citée avec approbation dans la décision Jiminez, précitée, la Commission avait l'obligation d'examiner le " degré d'atrocité des actes commis contre le revendicateur, leurs répercussions sur son état physique et mental, puis de juger si ces facteurs constituent en soi une raison impérieuse de ne pas le renvoyer dans son pays d'origine ". En n'examinant pas le rapport médical, parce que la Commission avait conclu que les actes commis contre la demanderesse ne permettaient pas d'invoquer le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration , je suis convaincu que la Commission a commis une erreur. Le rapport médical indique quelles ont été les répercussions (physiques et mentales) sur la demanderesse, ce qui aurait ensuite permis à la Commission de décider si les actes dont elle a été victime sont tels qu'ils permettaient à la Commission de décider si le paragraphe 2(3) de la Loi devait être appliqué.

CONCLUSION

[44]      Dans sa décision, la Commission a utilisé les mots " répréhensibles et ignobles " pour décrire les traitements dont la demanderesse a fait l'objet aux mains de ses " capteurs "[sic] au Zaïre.

[45]      Ces deux mots signifient pour moi qu'il s'agit d'actes infâmes ou révoltants. Par conséquent, il semble que la Commission ait été convaincue que les traitements infligés à la demanderesse au cours de sa détention au Zaïre en décembre 1996 étaient à la fois infâmes et révoltants. La Commission est convaincue que tous les traitements qu'a subis la demanderesse étaient répréhensibles, mais qu'ils ne satisfont pas aux conditions spéciales du paragraphe 2(3) de la Loi, sans indiquer pourquoi elle en est venue à cette conclusion.

[46]      La Commission fait référence à la décision Obstoj (précitée), mais elle ne dit pas pourquoi les actes répréhensibles et ignobles dont la demanderesse a été victime ne peuvent être considérés comme des " raisons impérieuses " au sens du paragraphe 2(3).

[47]      Certainement, si les actes commis sont ignobles et répréhensibles, la Commission devrait indiquer, dans les circonstances de l'affaire, pourquoi les actes commis ne peuvent être considérés comme des raisons impérieuses. Elle ne l'a pas fait.

[48]      La demande de contrôle judiciaire est accueille et l'affaire est renvoyée pour nouvelle audience devant un tribunal de composition différente.

QUESTIONS PROPOSÉES AUX FINS DE LA CERTIFICATION

[49]      Une question a été posée au sujet des activités " politiques " de la demanderesse pendant qu'elle se trouvait au Canada et avant qu'une décision soit prise concernant son statut au Canada.

[50]      Je suis convaincu qu'un demandeur du statut de réfugié ne peut utiliser comme motif de sa crainte d'être renvoyé dans son pays de citoyenneté, le fait que, pendant qu'il se trouvait au Canada, il a participé à des activités politiques et qu'il ne devrait donc pas être renvoyé dans son pays d'origine.

[51]      Si tel était le cas, toutes les personnes revendiquant le statut de réfugié pourraient essayer et vraisemblablement essaieraient de prendre part à des activités politiques et joindraient ce fait à leurs activités antérieures pour prétendre qu'elles sont des réfugiés au sens de la Convention, alors qu'en l'absence de cette activité politique la personne ne serait pas reconnue comme un réfugié au sens de la Convention.

[52]      La Charte canadienne des droits et libertés autorise, dans certaines limites, la liberté d'expression. La personne qui revendique le statut de réfugié peut exercer ce droit, mais elle ne peut le faire pour contourner la loi.

[53]      L'avocat de la demanderesse a proposé les questions suivantes aux fins de la certification qui ont trait aux activités politiques de la demanderesse pendant qu'elle se trouvait au Canada et qui se rapportent au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration :

         Pour ce qui a trait à la question du statut de réfugié " sur place ".                 
         Question : Les activités menées par une personne au Canada après qu'elle a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention peuvent-elles être examinées par le tribunal pour déterminer si cette personne a une crainte fondée d'être persécutée ? Ces activités peuvent-elles justifier en elles-mêmes une décision positive ?                 
         Questions concernant l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration.                 
         Lorsque le tribunal doit se prononcer sur l'application du paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, doit-il tenir compte d'un rapport psychiatrique déposé par le demandeur ? Le tribunal commet-il commis une erreur de droit s'il n'examine pas ce rapport psychiatrique dans le cadre de ses délibérations portant sur le paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration ?                 
         Pour décider si la demanderesse est visée par les exceptions prévues au paragraphe 2(3) de la Loi sur l'immigration, le tribunal commet-il une erreur de droit s'il ne motive pas clairement sa conclusion portant que la demanderesse n'est pas visée par ce paragraphe autrement qu'en citant la jurisprudence ?                 

[54]      Si j'avais rejeté la présente contrôle judiciaire, j'aurais certifié les questions précitées. Étant donné que j'ai accueilli la demande de contrôle judiciaire, il n'est pas nécessaire de certifier ces questions.

                             " Max M. Teitelbaum "

                            

                             Juge

Ottawa (Ontario)

le 23 mars 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau, LL. L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                      IMM-1706-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :              Leonie Bibomba Biakona et al. c. M.C.I.

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 11 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :      le juge Teitelbaum

DATE :                          le 26 mars 1999

ONT COMPARU :

Lorne Waldman                          Pour les demandeurs

Diane Dagenais                          Pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Jackman, Waldman & Associates                  Pour les demandeurs

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                          Pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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