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Date : 20000609


Dossier : T-498-99


OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 9 JUIN 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON


ENTRE :


SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES



demanderesse


et


ADITYA NARAYAN VARMA


défendeur



JUGEMENT

LE JUGE DAWSON


     La demande est accueillie, de sorte que :

i)      Aditya Narayan Varma ne peut engager aucune autre instance devant la Cour fédérale du Canada, sauf avec l'autorisation de celle-ci;
ii)      hormis l'instance numérotée A-161-00, aucune instance déjà engagée par Aditya Narayan Varma devant la Cour fédérale du Canada ne sera poursuivie, sauf avec l'autorisation de celle-ci; et
iii)      L'instance numérotée A-161-00 peut être poursuivie devant la Section d'appel de la Cour fédérale, sous réserve de toute ordonnance de la Cour y mettant fin.

     Le défendeur doit payer sans délai à la demanderesse les dépens liés à la présente demande, qui ont été fixés à 5 000 $.



« Eleanor R. Dawson »

                                         JUGE



Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000609


Dossier : T-498-99


ENTRE :


SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES


demanderesse


et


ADITYA NARAYAN VARMA


défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DAWSON


[1]      La Société canadienne des postes cherche à obtenir, conformément à l'article 40 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée par L.C. 1990, ch. 8, art. 11 (la Loi), une ordonnance de la Cour fédérale du Canada portant qu'il a engagé devant elle une instance vexatoire.

[2]      Pour étayer sa demande, la Société canadienne des postes a déposé l'affidavit de George Avraam, un avocat appartenant au cabinet qui la représente dans la présente affaire. Monsieur Avraam a été contre-interrogé au sujet de cet affidavit par M. Varma, qui agit pour son propre compte.

[3]      L'affidavit de M. Avraam fournit une chronologie des instances engagées par M. Varma devant des tribunaux en Ontario, la Cour fédérale du Canada, et divers tribunaux fédéraux.

[4]      En réponse, M. Varma a déposé l'affidavit de Ralph Murray Gavert, qui contient quelques 20 volumes de pièces.

L'INSTANCE RELATIVE À L'ARTICLE 40

[5]      J'ai été saisie de la présente affaire le 8 février 2000. Après avoir présenté une partie de ses observations orales, M. Varma a dit :

[TRADUCTION]
     Vous voyez, Milady, je me trouve dans une situation dichotomique. J'ai le choix entre me présenter devant vous et cette Cour fédérale du Canada, une institution corrompue et perverse, risquant de détériorer ma situation et d'y perdre ma vie, ce qui vous ferait grand plaisir, à vous tous, ou encore vous demander, non pas en vertu de lois judiciaires ou de quelque autre considération, mais uniquement sur une base humanitaire, de bien vouloir, pour une fraction de seconde, prétendre que je suis de race blanche et de religion juive, et me laisser rentrer à la maison pour m'y reposer jusqu'à ce que, de l'avis de mon médecin, je sois en mesure de revenir pour mener un combat contre vous.

[6]      Par la suite, comme je l'ai dit dans l'ordonnance et les motifs d'ordonnance que j'ai rendus le 15 mars 2000 :

     [1]      ... j'ai accordé au défendeur l'autorisation de déposer une requête demandant à la Cour l'autorisation d'ajourner l'audition de la demande à une autre date déterminée, de façon à lui permettre de compléter son argumentation orale devant la Cour sur le fond de la demande. Le défendeur a bien signifié cette requête.
     [2]      La demanderesse n'a produit aucun document de la nature d'une réponse. Par l'intermédiaire de son avocat, elle a présenté une lettre datée du 1er mars 2000, disant que [traduction] « nous pouvons être forcés à accepter l'ajournement » de la demande, mais la demanderesse voulait s'assurer qu'il n'y aurait aucun retard dans la fixation de la première date d'audience disponible.
     [3]      En conséquence, j'ai demandé qu'une téléconférence soit fixée pour discuter du choix d'une date. En réponse, par lettre datée du 3 mars 2000, le défendeur a dit qu'à son avis il n'était pas nécessaire de tenir une téléconférence et qu'il attendait l'avis de la Cour quant aux modalités de l'ajournement. Sur ce, j'ai donné des directives orales exigeant que les parties énumèrent les jours des mois de mars ou d'avril auxquels elles ne seraient pas disponibles pour la poursuite de l'audience. L'avocat de la demanderesse a dit qu'il était disponible à tous les jours de mars ou d'avril, à l'exception du 6 avril 2000. Le défendeur n'a fourni aucune date à laquelle il ne serait pas disponible, mais, par lettre du 13 mars 2000, il a indiqué qu'il devait rencontrer un cardiologue ce jour-là et qu'il serait sage, avant de fixer des dates, d'attendre l'examen que ferait son médecin des observations du cardiologue.

[7]      Dans ce contexte, j'ai conclu :

[4]      Tout bien considéré, je crois que l'équité exige qu'une date soit fixée maintenant. En conséquence, il est ordonné que l'audition de la demande se poursuive le mardi 11 avril 2000, à compter de 9 h 30, à Toronto. Dans l'éventualité où le défendeur serait avisé que, pour des raisons d'ordre médical, il est incapable de procéder ce jour-là, il peut, par les voies habituelles, demander un ajournement à la Cour.
[5]      Quant à la durée de l'audience, le défendeur a réitéré sa demande antérieure que sept jours soient réservés à l'audition de la demande. Cette demande a déjà été examinée et, sur directive précise du juge en chef, il a été ordonné que la durée de l'audition ne dépasse pas un jour. L'ordonnance ayant été délivrée par le juge en chef, la durée de l'audience ne dépassera pas un jour, le mardi 11 avril 2000.

[8]      Monsieur Varma ne s'est pas présenté à la Cour le 11 avril 2000.

[9]      Après avoir confirmé que M. Varma avait été informé de la date et du lieu de l'audition, et après avoir demandé au huissier-audiencier de chercher ce dernier, j'ai décidé de mettre fin à l'audition, comme le permet la Règle 38 des Règles de la Cour fédérale (1998).

[10]      Dans Foy c. Foy (no 2) (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.) [Demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada rejetée], à la page 355, la Cour d'appel de l'Ontario a conclu que dans le cadre d'une instance visant à obtenir une ordonnance portant que le défendeur a engagé une instance vexatoire, [TRADUCTION] « une cour peut tenir compte de ses propres dossiers et des instances dont ils font état » .

[11]      Vu l'omission de M. Varma de se présenter à l'audition afin de terminer ses observations orales, et vu son intention apparente, dont il a fait état dans son dossier, de se fonder sur des documents déjà déposés devant la Cour, j'ai tenu compte de ces documents publics, qui ont été déposés dans le cadre d'instances devant la Cour fédérale et auxquels je renvoie expressément dans les présents motifs, pour clarifier ou compléter le dossier.

LES FAITS

[12]      Monsieur Avraam déclare dans l'affidavit qu'il a déposé pour étayer la demande que M. Varma était un employé syndiqué de la Société canadienne des postes et que celui-ci avait été congédié trois fois au cours de la période pendant laquelle il avait travaillé pour cette dernière. Le premier congédiement, survenu en 1980, a donné lieu à un règlement fondé sur une rétrogradation de M. Varma.

[13]      Le deuxième congédiement a donné lieu à un règlement dans lequel il a été conclu qu'un cabinet de comptables agréés se pencherait sur plusieurs des allégations que M. Varma avait fait valoir contre la Société canadienne des postes.

[14]      Le troisième et dernier congédiement, survenu le 28 décembre 1988, a mené à un règlement de grief devant un arbitre.

[15]      Depuis 1991, le défendeur a engagé un certain nombre d'instances devant la Cour fédérale contre le ministre du Travail, le Conseil canadien des relations du travail, la Commission canadienne des droits de la personne, la Société canadienne des postes et le Commissaire à la protection de la vie privée. Certaines de ces instances ont été engagées devant la Cour d'appel. En ce qui concerne les instances engagées devant la Section de première instance, le défendeur a formé deux appels devant la Cour d'appel contre des décision de la Section de première instance. Monsieur Varma a également déposé une demande d'autorisation, qui a été rejetée, en vue de former un appel contre une décision de la Cour fédérale, de même qu'une demande de réexamen devant la Cour suprême du Canada.

[16]      À la date de l'audition de la présente demande, la Cour d'appel n'a toujours pas entendu un appel que M. Varma a formé devant elle. Toutes les autres demandes qu'il a présentées devant notre Cour ont été rejetées : instances, requêtes introductives d'instance, demandes de prorogation du délai applicable au dépôt de requêtes introductives d'instance et requêtes en réexamen.

[17]      En résumé, toutes les instances que M. Varma a engagées devant l'une et l'autre section de la Cour fédérale ont été rejetées.

LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[18]      Voici ce que prévoit l'article 40 de la Loi :

40. (1) Where the Court is satisfied, on application, that a person has persistently instituted vexatious proceedings or has conducted a proceeding in a vexatious manner, the Court may order that no further proceedings be instituted by the person in the Court or that a proceeding previously instituted by the person in the Court not be continued, except by leave of the Court.

(2) An application under subsection (1) may be made only with the consent of the Attorney General of Canada, who shall be entitled to be heard on the application and on any application made under subsection (3).

(3) A person against whom an order under subsection (1) has been made may apply to the Court for rescission of the order or for leave to institute or continue a proceeding.



(4) Where an application is made under subsection (3) for leave to institute or continue a proceeding, the Court may grant leave if it is satisfied that the proceeding is not an abuse of process and that there are reasonable grounds for the proceeding.


(5) A decision of the Court under subsection (4) is final and is not subject to appeal.

40. (1) La Cour peut, si elle est convaincue par suite d'une requête qu'une personne a de façon persistante introduit des instances vexatoires devant elle ou y a agi de façon vexatoire au cours d'une instance, lui interdire d'engager d'autres instances devant elle ou de continuer devant elle une instance déjà engagée, sauf avec son autorisation.


(2) La présentation de la requête nécessite le consentement du procureur général du Canada, lequel a le droit d'être entendu à cette occasion de même que lors de toute contestation portant sur l'objet de la requête.

(3) Toute personne visée par une ordonnance rendue aux termes du paragraphe (1) peut, par requête à la Cour, demander soit la levée de l'interdiction qui la frappe, soit l'autorisation d'engager ou de continuer une instance devant la Cour.

(4) Sur présentation de la requête prévue au paragraphe (3), la Cour peut, si elle est convaincue que l'instance que l'on cherche à engager ou à continuer ne constitue pas un abus de procédure et est fondée sur des motifs valables, autoriser son introduction ou sa continuation.

(5) La décision rendue par la Cour aux termes du paragraphe (4) est définitive et sans appel.

[19]      Une demande fondée sur le paragraphe 40(1) de la Loi ne peut être traitée qu'avec le consentement du procureur général du Canada.
[20]      La jurisprudence ne décrit pas en détail l'objectif que vise le paragraphe 40(1) de la Loi. Cependant, dans Mishra c. Ottawa (City), [1997] O.J. No. 4352, le juge Sedgwick de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) a examiné l'objectif de la disposition équivalente de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, de l'Ontario, et dit, au paragraphe 52 de ses motifs :
[TRADUCTION] Notre cour ne rendra pas à la légère une ordonnance limitant d'une quelconque façon le libre accès de toute personne aux tribunaux en vue de faire valoir ses droits civils et d'obtenir des réparations. L'accès doit être exercé de façon responsable et d'une manière qui tienne compte des lois et règles de procédure applicables et respecte l'intégrité de l'administration de la justice, notamment la protection, dont bénéficie toute personne, de ne pas au hasard faire l'objet d'instances vexatoires.
[21]      Une ordonnance fondée sur le paragraphe 40(1) constitue une réparation extraordinaire. Cependant, une telle réparation est nécessaire dans certains cas pour maintenir le respect du processus judiciaire et protéger d'autres personnes contre des litiges frivoles et inutiles.
LES FACTEURS À CONSIDÉRER
[22]      En ce qui concerne les facteurs à considérer à l'égard d'une demande fondée sur le paragraphe 40(1) de la Loi, le juge McGillis de notre Cour a dit, dans Vojic c. Canada (Ministre du Revenu national), [1992] A.C.F. no 902, T-663-92 et T-1300-92 (2 octobre 1992) (1re inst.) :
Étant donné que le libellé de cet article est semblable à celui du paragraphe 150(1) de la Loi de 1984 sur les tribunaux judiciaires, L.O. 1984, chap. 11, il est possible de se référer à la jurisprudence ontarienne pour déterminer les règles de droit applicables en matière d'instances vexatoires.
     Il ressort de cette jurisprudence qu'il n'y a pas de catégories limitatives de procédures vexatoires, et que l'historique de l'instance doit être soigneusement examiné pour déterminer si les agissements d'une partie sont de nature vexatoire. Il a été jugé qu'il y avait instance vexatoire dans le cas où il n'y avait pas de cause raisonnable d'action, où le point litigieux avait été tranché en justice, où un appel déjà rejeté était poursuivi [Voir Foy c. Foy (1979), 102 D.L.R. (3d) 342 (C.A. Ont.); Re Mascan Corp. and French (1988), 49 D.L.R. (4th) 434 (C.A. Ont.); Lang Michener et al and Fabian et al (1987), 37 D.L.R. (4th) 685 (H.C.J. Ont.)]. Dans Lang Michener et al and Fabian et al, supra, la Cour a fait observer que [TRADUCTION] « ... les instances vexatoires présentent cette caractéristique générale que les motifs et questions soulevés tendent à être repris dans d'autres actions subséquentes, où ils sont répétés et apprêtés de rajouts... » . [Non souligné dans l'original.]
[23]      Le comportement d'un défendeur, que ce soit en cour ou ailleurs, a déjà été considéré pertinent. Dans Canada c. Warriner, (1993) 70 F.T.R. 8 (1re inst.), le juge McGillis a fait remarquer que des allégations frivoles et non fondées de conduite inconvenante avaient été formulées contre les avocats qui avaient représenté le défendeur et contre ceux de la partie adverse. Dans la décision Vojic, précitée, le juge McGillis a tenu compte du fait que le défendeur n'avait pas comparu devant la Cour à plusieurs occasions et qu'il avait fait preuve de mépris à l'égard de celle-ci. Dans Yorke c. Canada, (1995), 102 F.T.R. 189 (1re inst.), le juge Rouleau a tenu compte d'un certain nombre de facteurs, notamment le fait que les actes de procédures que le défendeur avait présentés à la Cour fédérale étaient remplis d'allégations extrémistes et non fondées.
[24]      Dans la décision Canada (Procureur général) c. Mishra, [1998] A.C.F. no 562, T-617-98 (1er mai 1998) (1re inst.), le juge Nadon a grandement mis l'accent sur le fait qu'une ordonnance similaire avait déjà été rendue en Ontario selon laquelle le défendeur y avait engagé une instance vexatoire.
L'ANALYSE
[25]      Passons à l'examen des éléments de preuve dont je dispose et qui sont pertinents à l'égard des facteurs suivants :
     i)      l'historique des instances engagées devant notre Cour;
     ii)      le comportement de M. Varma en cour et ailleurs; et
     iii)      d'autres ordonnances.
i) L'historique des instances engagées devant notre Cour
Les instances relatives au Conseil canadien des relations du travail
[26]      Monsieur Varma a déposé deux plaintes officielles au Conseil canadien des relations du travail contre des membres de son syndicat, dans lesquelles il alléguait que ces derniers avaient violé l'obligation de le représenter équitablement qui leur incombait. Malgré le dépôt de ces plaintes et d'une demande de réexamen, le Conseil a rejeté les allégations de M. Varma en janvier 1991.
[27]      Monsieur Varma s'est alors adressé à la Cour d'appel fédérale (A-130-91) afin d'obtenir une ordonnance annulant la décision du Conseil. Cette demande a été rejetée par la Cour d'appel fédérale en septembre 1992, sans toutefois nier à M. Varma le droit de chercher à obtenir une prorogation du délai applicable au dépôt d'une ou de plusieurs demandes de contrôle judiciaire. Un délai de 35 jours a été accordé à M. Varma afin de permettre à ce dernier de demander une telle prorogation de délai.
[28]      Quelques années plus tard, soit le 17 février 1997, M. Varma a présenté au Conseil canadien des relations du travail une demande en réexamen des décisions que ce dernier avait rendues en janvier 1991. Le Conseil a rejeté la demande de M. Varma. En réponse, M. Varma a déposé un avis de requête introductive d'instance devant la Section d'appel de la Cour fédérale du Canada (A-552-97) en vue d'obtenir le contrôle et l'annulation de la décision dans laquelle le Conseil avait rejeté la demande de réexamen. Cette demande de contrôle judiciaire a été rejetée le 11 février 2000, et il a été ordonné à M. Varma de payer des dépens à la défenderesse, la Société canadienne des postes.
Les instances relatives à la Commission canadienne des droits de la personne
[29]      Comme l'arbitre refusait de le rétablir dans ses fonctions à la Société canadienne des postes, M. Varma a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne le 22 mars 1993. Il soutenait notamment dans sa plainte que l'arbitre était un raciste qui était à la tête d'un forum néo-nazi et qui l'avait privé des aspects fondamentaux de la justice naturelle; il s'agissait, selon lui, [TRADUCTION] « d'une manifestation classique de racisme systémique » . La Commission canadienne des droits de la personne a avisé M. Varma, dans une lettre datée du 14 avril 1993, qu'elle n'acceptait pas sa plainte.
[30]      Monsieur Varma a alors tenté de déposer un avis de requête devant la Cour fédérale afin d'obtenir que celle-ci examine la décision de la Commission canadienne des droits de la personne. Cette requête a toutefois été présentée après l'expiration du délai prescrit (93-T-139). La requête a été rejetée sur consentement le 7 juin 1993, sans qu'il soit porté atteinte au droit de M. Varma de chercher à obtenir plus tard une réparation appropriée.
[31]      Monsieur Varma a déposé une autre plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne le 9 juillet 1993.
[32]      Monsieur Varma alléguait encore une fois notamment que l'arbitre était raciste. La Commission canadienne des droits de la personne n'a pas traité la plainte, et elle a informé M. Varma, dans une lettre datée du 10 décembre 1993, qu'elle avait fermé son dossier.
[33]      Par suite de cette décision, M. Varma a déposé, le 6 janvier 1994, un avis de requête introductive d'instance devant la Section de première instance de la Cour fédérale dans lequel il demandait l'annulation de la Commission canadienne des droits de la personne (T-16-94).
[34]      La Cour a rejeté la demande de M. Varma.
[35]      Monsieur Varma a alors formé un appel contre cette décision devant la Cour d'appel fédérale (A-465-95).
[36]      En plus de former un appel contre la décision, M. Varma a déposé une plainte devant le Conseil canadien de la magistrature à l'égard du comportement du juge de la Section de première instance qui avait rejeté sa demande.
[37]      Voici certaines des allégations de la plainte :
[TRADUCTION] Il est clair qu'il ne s'agissait pas d'un Forum Juste - les dés étaient pipés; conformément au mélodrame de la corruption ... il était clair que ... [le juge] devait orchestrer une perception de Justice -- Les défenderesses bénéficiaient enfin d'un juge qui leur serait favorable, en leur absence [Souligné dans l'original].
[38]      Rien n'établit que la plainte a été jugée fondée d'une quelconque façon, et M. Varma n'a pas laisser entendre que c'était le cas.
[39]      Après avoir déposé l'avis d'appel contre la décision de la Section de première instance, M. Varma a présenté diverses requêtes devant la Cour d'appel fédérale. Il a déposé une requête en vue de modifier le dossier d'appel en y ajoutant des documents. Cette requête a été rejetée. En outre, une ordonnance interlocutoire a été rendue afin d'empêcher M. Varma de contre-interroger l'auteur d'un affidavit au sujet de celui-ci. Monsieur le juge Pratte de la Cour d'appel a rejeté une requête que M. Varma avait présentée en vue d'obtenir le réexamen de ces ordonnances.
[40]      La Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel de M. Varma. Elle a également rejeté la demande de prorogation du délai relatif au réexamen de sa décision que M. Varma avait présentée.
[41]      Monsieur Varma a ensuite déposé une demande d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada, qui a ultérieurement été rejetée. La demande de réexamen de M. Varma de la décision de rejeter cette dernière demande a également été rejetée.
Les instances relatives à la Loi sur la protection des renseignements personnels
[42]      Monsieur Varma a tenté à un certain nombre de reprises d'obtenir des documents de la Société canadienne des postes. En 1995, il a déposé un avis de requête introductive d'instance devant la Section de première instance de la Cour fédérale (T-2603-95) en vue d'obtenir que la Société canadienne des postes lui communique des photocopies de documents. Une demande de prorogation du délai applicable au dépôt de la demande a été rejetée et cette dernière a été annulée.
[43]      Monsieur Varma a ensuite engagé une instance en Section de première instance de la Cour fédérale (T-2133-96). Le protonotaire-chef adjoint, M. Giles, a fait remarquer dans une ordonnance que M. Varma avait présenté trois demandes distinctes en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans lesquelles, semble-t-il, il cherchait à obtenir une ordonnance en communication de photocopies de documents. Monsieur Giles a radié l'avis de requête introductive d'instance modifié, soulignant qu'il se pouvait fort bien que les instances répétées donnent lieu à l'adjudication de dépens et de dépens sur la base de frais entre procureur et client.
[44]      Monsieur Varma a ensuite déposé une autre plainte au Commissaire à la protection de la vie privée au sujet de la conduite de la Société canadienne des postes dans laquelle il alléguait que c'est à tort que cette dernière avait refusé de lui communiquer certains documents. Le Commissaire à la protection de la vie privée a conclu que la décision de la Société canadienne des postes était justifiée et que les droits que la Loi sur la protection des renseignements personnels accordait à M. Varma n'avait pas été violés.
[45]      Monsieur Varma a alors présenté à la Cour fédérale l'avis d'une demande visant à obtenir une ordonnance en annulation de la décision du Commissaire à la protection de la vie privée (T-1587-98).
[46]      Madame le juge McGillis, qui avait été saisie de cette affaire, dit, dans ses motifs de jugement :
[3]      À l'audience, le demandeur a fait des allégations décousues, incohérentes et sans fondement au sujet du Projet 800, du Protocole des sages de Sion, de pots-de-vin, de vols et de "juges corrompus". Ses allégations étaient truffées de propos calomnieux et diffamatoires visant des personnalités politiques en activité ainsi qu'à la retraite, des membres de deux familles juives canadiennes fort connues, des juges de la Cour fédérale du Canada et de la Cour d'appel de l'Ontario, notamment ceux qui sont de religion juive. Il a décrit des procédures à la Cour d'appel de l'Ontario comme le "procès des trois singes", auquel présidaient trois juges dont deux sont des "sages de Sion". Il a décrit un autre juge de la Cour d'appel de l'Ontario comme un exemple de la "banalisation du mal". Il a aussi déclaré qu'il avait fait une demande de "bet din en vertu des lois talmudiques", renonçant à tous ses droits de comparaître devant le "tribunal juif". Il semble qu'il n'a toujours pas reçu de réponse du rabbin. Les allégations du demandeur sont émaillées de commentaires désobligeants au sujet de personnalités juives. Ces allégations se fondent sur l'idée qu'il y a une sorte de conspiration abominable propagée par les "sages de Sion".
[4]      Il est inutile que je m'arrête plus longuement au détail des déclarations du demandeur dans ses prétentions écrites et sa plaidoirie orale. À mon avis, sa demande n'a absolument aucun fondement et elle est un abus caractérisé des procédures de la Cour.
[5]      La demande est rejetée. Le demandeur devra payer sans délai les dépens, fixés à 5 000 $.
[47]      Monsieur Varma a déposé un avis d'appel à l'égard de cette décision (A-735-99), dans lequel il invoque en tant que motif d'appel le racisme institutionnel de la Cour fédérale du Canada. Selon son deuxième motif d'appel, le juge McGillis a choisi de traiter sa demande en se fondant seulement sur le Protocole des sages de Sion, et non sur les parties pertinentes des lois et droits constitutionnels en vigueur au Canada. Cet appel n'a pas encore été entendu.

ii) Le comportement de M. Varma en cour et ailleurs
[48]      Comme je l'ai déjà mentionné, M. Varma a allégué que des juges de notre Cour étaient malhonnêtes.
[49]      Monsieur Varma a dit, dans le dossier qu'il a déposé pour s'opposer à la présente instance, que la Cour [TRADUCTION] « reflète toujours un racisme institutionnel et systémique, tel qu'il ressort présentement du comportement de » certains juges qu'il nomme. Il a dit, comme il ressort de la transcription du contre-interrogatoire de M. Avraam, que [TRADUCTION] « le tribunal le plus corrompu au Canada est probablement la Cour fédérale du Canada » . Dans une demande de directive qu'il a déposée devant la Cour d'appel fédérale dans le dossier A-161-00, M. Varma demande qu'un juge [TRADUCTION] « agisse une fois de plus comme le mandataire, le péon et/ou le crétin de l'intimée (la demanderesse), la Société canadienne des postes, et communique sur-le-champ à l'appelant des copies des lettres susmentionnées » .
[50]      En ce qui concerne cette demande de directive, M. Varma a remis le document non seulement à la partie adverse, mais, comme il l'a fait pour plusieurs autres documents qu'il a déposés en cour, à une liste de trois pages d'individus qui n'ont, semble-t-il, rien à voir avec le présent litige.
[51]      Comparaissant bien entendu pour le compte de la Société canadienne des postes, M. Varma a soutenu que comme il était un avocat, il n'était pas gentil et il continuait de faire des mensonges.
iii) Ordonnances rendues par des tribunaux autres que la Cour fédérale du Canada
[52]      Le 19 février 1998, le juge Festeryga de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) a rendu un jugement portant que M. Varma avait engagé une instance vexatoire. En vertu de ce jugement, M. Varma ne peut engagé aucune instance devant l'un ou l'autre tribunal de ce ressort, sauf avec l'autorisation d'un juge de la Cour de justice de l'Ontario (Division générale). En outre, toutes les instances que M. Varma a déjà engagées devant la Cour de justice de l'Ontario (Division générale) et la Cour d'appel de l'Ontario ne peuvent être poursuivies, sauf avec l'autorisation d'un juge. Monsieur le juge Festeryga a en outre adjugé des dépens contre M. Varma fixés à 2 000 $.
[53]      Monsieur le juge Festeryga a dit, en parvenant à cette conclusion :
[TRADUCTION]
[7]      Ayant examiné toute l'historique de la présente affaire, je suis convaincu que le défendeur a obstinément et sans motif raisonnable engagé des instances vexatoires. Il a porté en appel les diverses décisions qui ont été rendues contre lui, alléguant invariablement, en tant que motif d'appel, que la décision avait été rendue par un « tribunal tenant de l'Inquisition » . À mon humble avis, il s'agit-là d'un position totalement intenable.
[54]      Monsieur Varma a bien tenté de former un appel contre l'ordonnance de Monsieur le juge Festeryga, mais il n'y est pas parvenu car il a déposé l'appel après l'expiration du délai applicable; en outre, ses demandes d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada ont été rejetées.
[55]      Par ailleurs, le juge Bastarache de la Cour suprême du Canada a rendu une ordonnance datée du 16 avril 1999 dans laquelle il accueillait une demande du registraire de la Cour suprême, fondée sur la Règle 51.1 des Règles de la Cour suprême du Canada, visant à obtenir qu'il soit sursis à l'instance opposant la demanderesse et le défendeur. Il est maintenant interdit à M. Varma d'engager d'autres instances relativement à la présente affaire. Voir Varma c. Société canadienne des postes, [1999] S.C.C.A. No. 141.
CONCLUSION
[56]      J'ai soigneusement examiné le comportement de M. Varma et les documents qui m'ont été soumis.
[57]      Il ressort de la preuve dont dispose la Cour que M. Varma a tenté, dans les instances qu'il a engagées devant notre Cour, de soulever des questions qui avaient déjà été tranchées. Il a également présenté des appels et demandes de réexamen frivoles.
[58]      Il a fait des allégations non fondées selon lesquelles des juges de notre Cour, de même que l'avocat qui a agi pour le compte de la Société canadienne des postes contre lui, se sont conduits de façon inconvenante. En outre, il a distribué des documents judiciaires à des individus qui n'ont rien à voir avec la présente affaire, et ce pour des motifs étrangers au litige.
[59]      Un juge de l'Ontario a statué que M. Varma avait engagé des instances vexatoires dans cette province. De plus, M. Varma fait l'objet d'une ordonnance fondée sur la Règle 51.1 des Règles de la Cour suprême du Canada.
[60]      La preuve établit sans l'ombre d'un doute que M. Varma a obstinément engagé des instances vexatoires ou encore qu'il a mené une instance de façon vexatoire.
[61]      Je conclus donc qu'il s'agit d'une affaire dans laquelle il convient d'accorder à la demanderesse la réparation qu'elle cherche à obtenir. La présente ordonnance comporte néanmoins une exception. En effet, elle ne s'applique pas à l'instance qui a été engagée devant la Cour d'appel fédérale dans le dossier A-161-00. Il s'agit de l'appel que M. Varma a interjeté contre l'ordonnance dans laquelle j'ai fixé la date d'audition de la fin de la présente demande. J'exprime cette réserve au motif qu'il n'est pas convenable, selon moi, de faire en sorte que la présente décision mette à l'abri de tout contrôle la décision que j'ai déjà rendue dans la présente affaire.
[62]      Le défendeur doit payer sans délai à la demanderesse les dépens liés à la présente demande, qui ont été fixés à 5 000 $.

« Eleanor R. Dawson »
                                         JUGE

OTTAWA (ONTARIO)
Le 9 juin 2000.


Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :              T-498-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :          SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                     c.

                     ADITYA NARAYAN VARMA


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :          LES 8 FÉVRIER ET 11 AVRIL 2000

MOTIFS DE JUGEMENT EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :              9 JUIN 2000



ONT COMPARU :


M. IAN ROLAND                          POUR LA DEMANDERESSE

M. ADITYA NARAYAN VARMA                  POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


GOWLING, STRATHY & HENDERSON              POUR LA DEMANDERESSE

TORONTO (ONTARIO)

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