Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990217


Dossier : T-1713-96

OTTAWA (ONTARIO), le mercredi 17 février 1999.

DEVANT : LE JUGE REED

ENTRE


FRANK IAN LAING,


demandeur,


et


BOREAL PACIFIC, UNE DIVISION DE

BOREAL PROPERTY AND CASUALTY INSURANCE COMPANY

et THWAITES NORRIS INSURANCE SERVICES LTD.,


défenderesses.


JUGEMENT

     L"audience ayant eu lieu à VANCOUVER (Colombie-Britannique) les 15, 16, 17, 18, 21 et 22 septembre 1998;

     Pour les motifs prononcés en ce jour;

     IL EST PAR LES PRÉSENTES ORDONNÉ :

     Que l"action de la demanderesse soit rejetée. La défenderesse Boreal Pacific (Axa Pacific Insurance Company) obtiendra ses dépens de la demanderesse.

                             B. Reed

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.



Date : 19990217


Dossier : T-1713-96

ENTRE


FRANK IAN LAING,


demandeur,


et


BOREAL PACIFIC, UNE DIVISION DE

BOREAL PROPERTY AND CASUALTY INSURANCE COMPANY

et THWAITES NORRIS INSURANCE SERVICES LTD.,


défenderesses.


MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE REED

[1]      La présente affaire se rapporte à une réclamation qui a été faite en vertu d"une police d"assurance maritime à la suite d"une perte occasionnée par un accident en mer dans lequel le demandeur a perdu une grosse machine (une excavatrice) par-dessus bord. Le demandeur croyait que sa police d"assurance couvrirait toute perte ou tout dommage subis par son navire ou sa cargaison et toute responsabilité légale découlant de pareille perte. La demanderesse Boreal Pacific (maintenant Axa Pacific Insurance Company) a refusé de payer quoi que ce soit pour le

motif que le navire n"était pas en état de navigabilité pour le voyage qui était effectué. La réclamation qui a été faite contre les courriers d"assurance Thwaites Norris Insurance Services Ltd., a été abandonnée.

[2]      Le paragraphe 37(4) de la Loi sur l"assurance maritime, L.C. 1993, ch. 22, prévoit que si un navire prend la mer en état de non-navigabilité, l"assureur, dans certaines circonstances, n"est pas responsable des pertes qui en résultent. Le paragraphe 37(5) prévoit qu"un navire est en état de navigabilité " lorsqu"il est, à tous égards, raisonnablement paré contre les fortunes de mer ordinaires de l"opération maritime assurée " :

         37(4) Il n'y a aucun engagement implicite dans la police à temps quant au fait que le navire est en bon état de navigabilité à toute étape de l'opération maritime; cependant, si, avec l'assentiment de l'assuré, le navire prend la mer en état d'innavigabilité, l'assureur n'est pas responsable des pertes qui en résultent.         
         37(5) Le navire est réputé en bon état de navigabilité lorsqu'il est, à tous égards, raisonnablement paré contre les fortunes de mer ordinaires de l'opération maritime assurée.         

[3]      La navigabilité est un terme relatif qui varie selon la nature du voyage qui doit être effectué; le lieu où il est effectué, à savoir, une rivière, un canal ou l"océan; le type de temps prévu pendant le voyage, l"évolution des conditions météorologiques en été et les tempêtes en hiver. La cargaison qui n"est pas arrimée de la façon appropriée rendra le navire inapte à prendre la mer, si le mauvais arrimage met en danger la sécurité du navire1. Toutefois, lorsque la police couvre tant le navire que la cargaison, le navire ne sera pas en état de navigabilité si, pour le sauver, il faut jeter la cargaison à la mer. Si le navire est surchargé, il n"est pas en état de navigabilité2.

[4]      La position des défenderesses est que le navire n"était pas apte à prendre la mer, notamment pour les raisons suivantes : le navire était surchargé; la cargaison n"avait pas été arrimée de la façon appropriée; l"équipage du navire était en nombre suffisant.

[5]      Je commencerai par donner un aperçu général des faits. Le demandeur a de nombreuses années d"expérience de navigation et de transport maritime. Il ne s"est jamais obtenu de certificat de compétence de capitaine de petite embarcation. Il était, et il est, propriétaire d"un navire automoteur qui s"appelait le " Palaquin ", une petite embarcation. Le demandeur a acheté ce navire en 1991 et il a commencé à l"utiliser pour transporter des marchandises entre False Bay, sur l"île Lasqueti, dans le détroit de Georgia, et French Creek, sur l"île de Vancouver, et des points contigus.

[6]      Le 28 novembre 1995, le demandeur a chargé une excavatrice Hitachi 1991, modèle EX120-2 à bord du Palaquin pour la transporter de False Bay, sur l"île Lasqueti, à French Creek, sur l"île de Vancouver. L"excavatrice a été installée sur des planches de bois que le demandeur avait placées sur le pont. Elle n"était pas arrimée avec des chaînes ou des élingues. Personne n"accompagnait M. Laing. M. Laing avait déjà transporté trois fois sans problème l"excavatrice de cette façon (seule et non arrimée).

[7]      Avant d"entreprendre la traversée, le demandeur a consulté les prévisions météorologiques maritimes et obtenu des renseignements de trois phares voisins sur l"état de la mer et du temps. Ces informations sont toutes deux diffusées par la station météorologique COMOX sur la bande VHF. Le demandeur a observé l"état de la mer, puis a décidé d"effectuer les huit milles nautiques en question. Pendant la traversée, la mer est devenue plus agitée; la barge est devenue plus difficile à diriger et l"excavatrice s"est déplacée, de sorte que le navire s"est mis à donner de la bande sur tribord. Pour redonner son assiette à son navire, le demandeur a quitté la barre et a mis le moteur de l"excavatrice en marche afin d"essayer de la remettre au milieu du navire. Peu de temps après, pendant que le demandeur était encore aux commandes, l"excavatrice est passée par-dessus bord et a coulé. Le demandeur a réussi à s"échapper et à remonter sur la barge, qui était alors partiellement submergée. La barge s"est finalement redressée. La Garde côtière est arrivée et la barge a été remorquée jusqu"au dock, à French Creek.

La perte de l"excavatrice

[8]      Il existe un certain nombre de descriptions montrant exactement ce qui a causé la perte de l"excavatrice. Un rapport a été préparé par l"expert d"assurance, David Hart, qui relate ce que M. Laing a dit immédiatement après l"accident. M. Laing a signé ce rapport. Le rapport dit que le temps était passable; il décrit en outre le mouvement de l"excavatrice non arrimée. M. Laing affirme maintenant que le rapport est inexact et incomplet.

         [TRADUCTION]         
         [...] J"ai quitté French Creek à 5 h 30 pour me rendre sur l"île Lasqueti. J"ai pris la météo sur le canal VHF avant de partir. On prévoyait des vents du sud-est de 10 à 15 kilomètres-heure le matin, et des pointes pouvant atteindre 30 kilomètres-heure l"après-midi. À l"aller, il y avait un clapot d"un pied, ce qui n"avait rien d"inquiétant. Je suis arrivé à False Bay sur l"île Lasqueti à 7 h. La cargaison que je devais prendre n"est arrivée qu"à 8 h. Nous avons chargé l"excavatrice Hitachi EX120 à 8 h. [...] Je suis reparti en direction de French Creek à 8 h. Après avoir dépassé False Bay, le vent a fraîchi. Cela ne m"a pas inquiété. Le vent venait du sud-est, la marée montait à l"Ouest. La traversée d"un point à l"autre est de huit milles nautiques. À peu près à mi-chemin, je buvais un café pendant que le navire poursuivait son chemin, sans avoir la moindre inquiétude, lorsque je me suis soudainement rendu compte qu"une lame de cinq ou six pieds arrivait, suivie de deux autres de six pieds; à ce moment-là, il y avait un clapot de deux pieds. J"ai viré sur bâbord pour faire face à la lame, j"ai mis le moteur au ralenti. La lame a fortement soulevé le navire à bâbord. Le bateau n"a pas pris d"eau, mais la machine s"est déplacée de côté de quelques pouces sur tribord, ce qui a légèrement fait gîter la barge sur tribord. La machine n"était pas arrimée à la barge; c"est son poids qui la maintenait en place. J"ai mis le moteur au point mort; puis je suis allé sur le pont et je suis monté dans la machine. J"ai grimpé dans la cabine de la machine et j"ai lancé son moteur. Je voulais remettre la machine au centre de la barge. J"étudiais les commandes de la machine lorsque deux autres lames ont frappé la barge sur bâbord . La machine a continué à glisser sur tribord et la barge a commencé à embarquer de l"eau par-dessus le franc-bord tribord. La barge a roulé sur tribord. Au moment où je descendais de la machine à bâbord, la machine est passée par-dessus bord sur tribord [...] [Je souligne, pièce 4.]         

[9]      À l"audience, M. Laing a déclaré qu"il n"était pas exact que le navire eut été frappé par deux autres lames à bâbord, lorsqu"il essayait de remettre l"excavatrice au centre (l"expression " à bâbord " ne figure pas dans le rapport initial rédigé à la main). M. Laing a également fait remarquer qu"il n"était pas indiqué, dans le rapport du fait, qu"il avait décidé de faire virer son navire pour prendre le lit du vent ni qu"il avait bien accompli cette manoeuvre.

[10]      La perte de l"excavatrice a amené son propriétaire à poursuivre M. Laing : Pacific Tractor Rentals (V.I.) Ltd. c. La navire " Palaquin " et Frank Ian Laing (T-2616-95). Le litige a été réglé. Lors de l"interrogatoire préalable qui a eu lieu aux fins de ce litige, le 23 mai 1996, M. Laing a témoigné que le rapport de M. Hart était exact, mais incomplet. Il a répété qu"il avait soudainement vu une lame de cinq ou six pieds qui s"en venait, mais il a déclaré que le rapport Hart était incomplet parce qu"il n"y était fait mention que d"une lame, suivie de deux autres, alors qu"il y en avait plusieurs. Ce témoignage se lit en partie comme suit :

         [TRADUCTION]         
         Le rapport ne décrit pas correctement l"état de la mer. En fait, j"ai dit que j"avais vu une lame ou deux lames s"en venir. Elles se suivaient. C"était la première lame qui était très abrupte et sur les deux flancs, un peu comme les vagues provoquées par un vent contre courant [...]         
         R.      La lame s"élevait et s"abaissait tout droit. C"était comme ça, l"une après l"autre.         
         Q.      Très bien. De quel côté ces vagues se dirigeaient-elles?         
         R.      Eh bien, sur ma route, elles arrivaient de bâbord, de cette direction-là.         
         [...]         
         Q.      C"est donc ainsi que cela a commencé. Puis, il y a eu les lames, je crois que vous avez parlé de lames de six pieds.         
         R.      Ouais. [Je souligne]3.         

[11]      Au cours de l"interrogatoire préalable du 23 mai 1996, M. Laing a déclaré qu"il y avait un thermos et une lampe de poche sur une tablette près de lui dans la timonerie et que ces objets n"étaient pas tombés quand le navire avait légèrement donné de la bande parce que l"excavatrice s"était déplacée après que la première lame eut frappé le navire. Il a témoigné qu"après la première lame, [TRADUCTION] " à cause de l"état de la mer et parce qu"il avait fallu réduire la vitesse, [il avait] perdu le contrôle et [qu"il avait] essayé de prendre le lit du vent -- de sorte que le vent arrivait par le travers4 ". [Je souligne]. Il a expliqué qu"il était de toute façon presque toujours de travers parce que lorsqu"il a eu franchi la lame, le vent soufflait si fort qu"il avait fait mis le navire par le travers dans le creux de la lame. Il a déclaré avoir mis le moteur à plein régime, mais qu"avant d"avoir réussi à faire virer le navire [TRADUCTION] " deux ou trois autres lames étaient arrivées, de sorte que la machine s"était déplacée " et que le navire roulait violemment. Il a déclaré que la machine avait bougé une deuxième fois [TRADUCTION] " lorsqu["il avait] essayé de se mettre vent arrière; [il] supposai[t] donc qu"en effet, la lame arrivait par le travers5 ". Il a déclaré que la deuxième fois que l"excavatrice s"est déplacée, elle s"est retrouvée près du bastingage.

[12]      Pendant l"interrogatoire préalable qui a eu lieu aux fins du présent litige, le 6 mars 1997, M. Laing a déclaré que le rapport de M. Hart était plus ou moins exact. M. Laing a déclaré avec emphase: " Avez-vous déjà vu trois lames seulement sur la mer? Moi, non "6. Il a affirmé que les vagues arrivent l"une après l"autre et qu"elles avaient plus de cinq ou six pieds : [TRADUCTION] " Selon la Garde côtière, elles étaient beaucoup plus grosses, elles avaient de six à dix pieds, de sept à dix pieds, de neuf pieds et demi à dix pieds "7.

[13]      À l"audience, M. Laing a déclaré que, le 28 novembre au matin, les conditions météorologiques ne l"avaient pas inquiété tant qu"il n"avait pas soudainement vu une énorme lame qui s"en venait et que les vagues arrivaient de bâbord et qu"elles avaient de dix à 15 pieds de haut. Il a dit que la première lame ressemblait à une muraille et qu"il n"avait jamais auparavant eu à faire face à pareilles conditions. Il a affirmé avoir mis le navire vent debout et que le navire avait escaladé la première lame, puis était littéralement tombé dans le creux qui la suivait. L"excavatrice a suivi avec un peu de retard, et lorsqu"elle s"est retrouvée sur le pont de la barge, elle n"était plus tout à fait au centre. Il a témoigné qu"il ne voulait pas que cela se reproduise; il a donc décidé d"abattre en grand pour prendre le vent de l"arrière, au lieu d"être vent debout. Il a affirmé avoir réussi cette manoeuvre, mais que le navire avait alors commencé à recevoir la lame par le travers; il a donc arrêté le moteur et il a laissé le navire dans le creux de la lame. Il s"est ensuite rendu à l"excavatrice pour la mettre en marche afin de la replacer au centre. Il dit que lorsque le navire était dans le creux de la lame, le vent arrivait sur tribord et non sur bâbord. Il affirme que M. Hart a consigné la déclaration d"une façon inexacte, lorsqu"il a dit que deux autres lames avaient frappé la barge sur bâbord et que la barge avait commencé à embarquer de l"eau sur tribord. Il affirme que c"est à cause de la violence du vent et de l"état de la mer que l"excavatrice a été projetée par-dessus bord et que la perte n"était pas attribuable au fait que le navire roulait et que l"excavatrice s"était déplacée. Il a déclaré que l"excavatrice ne s"était pas déplacée près du bastingage mais avait été projetée par-dessus bord et que c"est ce que démontrent les photographies prises après l"accident.

[14]      Il ressort clairement des remarques qui précèdent qu"il y avait de nombreuses incohérences dans l"histoire de M. Laing. Il est clair qu"à l"audience, M. Laing a exagéré en parlant de l"état de la mer au moment pertinent et qu"il avait changé son histoire afin d"essayer de réfuter l"assertion de la défenderesse, à savoir que c"était parce que le navire était surchargé qu"il avait d"abord eu de la difficulté à le maintenir vent debout, puis à l"empêcher de tomber dans le creux qui suivait la lame. Il a également arrangé son témoignage de façon à éviter que l"on conclue que c"était le déplacement de l"excavatrice qui n"était pas arrimée, d"abord sur une faible distance, puis plus loin de sorte qu"elle s"est retrouvée près du bastingage, ce qui a eu pour effet de déstabiliser le navire et finalement de projeter l"excavatrice à la mer.

[15]      Un critère que l"on utilise souvent en appréciant la preuve est que l"explication qui est d"abord donnée par un témoin est habituellement la plus exacte. J"accorde donc au rapport de M. Hart et à la description qui figure dans la transcription du 23 mai 1996 plus de poids qu"à l"explication qui a été fournie à l"audience.

[16]      Je ne crois pas que M. Laing ait réussi à faire virer le navire pour lui faire prendre la fuite et que ce n"est qu"après que le navire a reçu la lame par le travers. En témoignant à l"audience, M. Laing a dit, à un moment donné, que le navire était hors contrôle après avoir franchi la première lame8. Je crois que c"est ce qui s"est produit. Il était impossible de maintenir le navire vent debout parce qu"il était surchargé. L"excavatrice s"est déplacée même si la mer était relativement agitée parce qu"elle n"était pas arrimée avec des chaînes ou des élingues. À cela est venu s"ajouter le roulis du navire qui était en travers du vent. Dans ces conditions, le déplacement de l"excavatrice mettait M. Laing et le navire en danger. C"était l"extrême gravité de la situation, et de fait le caractère désespéré de la situation, qui a amené M. Laing à quitter la timonerie pour essayer de remettre l"excavatrice au centre.

[17]      Il est malheureux que le témoignage de M. Laing renferme des incohérences parce qu"elles m"amènent à douter de ce qu"il a dit à l"audience. En ce qui concerne la photographie du dommage subi par le bastingage du navire, cela n"est pas incompatible avec le fait que l"excavatrice soit tombée à la mer après s"être rapprochée du bastingage.

Enquêtes des assureurs

[18]      Peu de temps après l"accident, l"assureur défendeur a demandé au capitaine Vale, un expert maritime agréé, d"examiner le Palaquin, d"interroger M. Laing et de déterminer la cause de la perte de l"excavatrice. Le capitaine Vale a préparé un rapport préliminaire daté du 10 décembre 1995, puis un rapport plus complet daté du 22 décembre 1995, et enfin une lettre d"opinion datée du 23 janvier 1996. Il a conclu que la perte était attribuable au fait que le navire n"était pas en état de navigabilité au début du voyage.

[19]      À mon avis, le passage suivant du rapport du 22 décembre 1995 est celui qui est le plus pertinent :

         [TRADUCTION]         
         De l"avis du soussigné, la machine aurait dû être arrimée et on n"aurait pas dû tenter d"effectuer le voyage avec un pied et demi seulement de franc-bord à moins que le temps ne soit calme et qu"on s"attende à ce qu"il le reste; le détroit de Georgia est connu pour ses changements brusques de temps; en 20 minutes, on peut passer du calme presque plat à des vagues de quatre à six pieds et il serait juste de dire que tous les marins qui connaissent le détroit de Georgia savent que ces changements peuvent se produire.         
         Je crois que l"on commet une erreur fatale en laissant un navire prendre le vent par le travers en quittant la barre; il est maintenant évident qu"il aurait été fort utile d"avoir un second homme d"équipage. Apparemment, l"eau court rarement sur le pont de ce navire, mais il est toujours possible que cela se produise et que les sabords de décharge ne puissent pas évacuer l"eau assez rapidement, de sorte que le compartiment moteur est noyé parce que le panneau de pont n"était pas verrouillé, qu"il s"est mis à flotter et que le compartiment a été inondé. [Pièce 25.]         

La dernière phrase se rapporte au fait que lors de l"accident, le moteur s"est noyé parce que le panneau de pont du moteur, qui n"était pas verrouillé, a été emporté.

[20]      La partie importante de la lettre du 23 janvier 1996 se lit comme suit :

         [TRADUCTION]         
         En réponse à la demande verbale que vous avez faite au sujet de l"état de navigabilité du " Palaquin ", j"aimerais faire les observations suivantes :         
         (1)      Le navire lui-même n"a pas été inspecté comme l"exige le règlement qui a été pris en vertu de la Loi sur la marine marchande du Canada .         
         (2)      Le capitaine ne détenait pas de certificat de capacité; il devait au moins détenir un certificat de capitaine de petite embarcation.         
         (3)      L"excavatrice aurait dû être arrimée, peut-être de la façon décrite dans notre rapport d"expertise.         
         (4)      De l"avis du soussigné, un franc-bord d"un pied et demi était insuffisant pour le voyage envisagé compte tenu du temps qu"il faisait et du temps qui était prévu.         
         (5)      Le voyage n"aurait pas dû être effectué avec une seule personne à bord du navire, s"il y avait eu un autre homme à la barre, le navire ne se serait peut-être pas mis en travers des vagues, ce qui a contribué à la perte de l"excavatrice.         
         Compte tenu des cinq (5) circonstances susmentionnées, le soussigné estime que le " PALAQUIN " n"était pas en état de navigabilité pour le voyage qui devait être effectué le 28 novembre 1995 au matin et que le propriétaire-capitaine a été négligent en entreprenant le voyage.         

[21]      L"assureur défendeur a ensuite demandé une seconde opinion au capitaine Hopkinson, un expert maritime agréé. Le capitaine Hopkinson a confirmé l"opinion du capitaine Vale, à savoir que le navire n"était pas apte à prendre la mer et que cela avait occasionné la perte. Le capitaine Hopkinson a par la suite préparé une opinion écrite datée du 9 septembre 1997, laquelle était fondée sur l"examen des rapports du capitaine Vale des 12 et 22 décembre 1995, sur la déclaration de M. Laing que M. Hart avait consignée le 28 novembre 1995, sur l"interrogatoire préalable de M. Laing du 6 mars 1997, sur les prévisions maritimes d"Environnement Canada à 0445 HNP (4 h 45) le 28 novembre 1995 et sur les données météorologiques provenant de l"île Ballenas ce jour-là. Selon l"opinion exprimée dans ce rapport, le navire était surchargé compte tenu de l"état prévu de la mer, que la cargaison aurait dû être arrimée au moyen de cales ou de chaînes et que l"équipage du navire était en nombre insuffisant :

         [TRADUCTION]         
              À votre avis, le navire une fois chargé avait un franc-bord trop faible pour que le voyage puisse être effectué en toute sécurité; par conséquent, le navire était surchargé. Un navire surchargé flotte mal de sorte qu"il reste dans le creux de la lame et qu"il a du mal à monter à la vague et qu"il est difficile à manoeuvrer.         
              À notre avis, le propriétaire-exploitant, qui, si nous comprenons bien, avis pris connaissance des prévisions météorologiques et savait qu"un avis de coup de vent était en vigueur pour la région, a fait preuve d"un mauvais jugement en entreprenant le voyage avec le navire chargé comme il l"était.         
              À notre avis, la cargaison aurait dû être maintenue en place à l"aide de cales et de chaînes. Le fait que le propriétaire-exploitant n"a pas arrimé la cargaison parce qu"il croyait qu"en cas d"urgence, la cargaison ferait couler le navire et l"entraînerait au fond montre clairement qu"il avait de graves doutes au sujet de l"état de navigabilité du navire avant de quitter False Bay.         
              Le déplacement de la cargaison est l"une des causes les plus communes des sinistres maritimes. De toute évidence, le poids de l"excavatrice, lorsqu"il est comparé aux dimensions du " PALAQUIN ", ferait gîter le navire énormément si l"excavatrice venait à se déplacer.         
              À notre avis, le navire n"avait pas un équipage suffisant pour effectuer le voyage en toute sécurité. Nous notons que le propriétaire-exploitant a fait une tentative désespérée pour sauver l"excavatrice et se sortir de la situation en abandonnant la barre et le contrôle du navire, ce qui a probablement eu pour effet d"empirer la situation.         
         CONCLUSION         
              Compte tenu des opinions exprimées ci-dessus, nous estimons en outre que le navire n"était pas en état de navigabilité lorsqu"il a quitté False Bay pour entreprendre le voyage en question.         
              Le fait que le navire n"était pas apte à prendre la mer a causé la perte de la cargaison. [Pièce 30].         

[22]      La défenderesse se fonde sur ces experts dans l"instance. Bien sûr, il lui incombe de prouver que le Palaquin n"était pas en état de navigabilité lorsqu"il a entrepris le voyage, que la perte était attribuable au fait que le navire n"était pas apte à prendre la mer et que le propriétaire savait que le navire ne l"était pas.

Témoins du demandeur et conclusions relatives à leurs témoignages

[23]      le demandeur a cité des témoins pour réfuter l"assertion de la défenderesse selon laquelle le navire n"était pas en état de navigabilité et pour étayer sa prétention que l"accident a principalement été causé par des événements météorologiques imprévus.

[24]      M. McClure, un architecte naval, a témoigné au sujet de la stabilité du Palaquin et en particulier au sujet du franc-bord et de ses caractéristiques quant à gite et au couple de redressement. Son témoignage n"était pas très convaincant. Il était fondé sur des calculs théoriques et sur des conjectures. Il ressort clairement du témoignage plus direct et fondé sur les faits des autres témoins que le navire était fort stable et que le franc-bord, une fois l"excavatrice chargée sur le navire, était minime.

[25]      En ce qui concerne la question du franc-bord lors du voyage en question, M. Laing a témoigné à l"audience qu"il ne l"avait pas vérifié, qu"il ne savait à quelle hauteur la lisse se trouvait au-dessus de l"eau, mais qu"il savait qu"elle était suffisante parce qu"il avait déjà transporté l"excavatrice et qu"il l"avait déjà vérifié à d"autres moments. Il a également dit qu"il savait, compte tenu de la façon dont le navire se comportait, que le navire n"était pas surchargé.

[26]      Le capitaine Hopkinson a évalué ce qu"aurait été le franc-bord; il l"a estimé à quatre pieds. Le capitaine Vale a calculé le franc-bord probable et a conclu qu"il était comparable à ce que M. Laing lui avait dit (d"un pied et demi à deux pieds). M. Laing a témoigné qu"il n"avait pas dit au capitaine Vale quel était le franc-bord. Selon le témoignage du capitaine Vale, qui a déclaré, si je ne me trompe, avoir demandé à M. Laing d"indiquer à quel endroit la ligne de flottaison sur la coque du navire était et que, compte tenu de sa réponse, le capitaine Vale savait que le franc-bord était d"un peu moins de deux pieds

[27]      Le capitaine Smart, un expert maritime et ingénieur naval et le capitaine McKillop, capitaine de navire connaissant fort bien par expérience la région de l"île Lasqueti -- French Creek, a critiqué les rapports des capitaines Vale et Hopkinson, lesquels, dans le contexte général de la preuve présentée en l"espèce, n"ont pas grande importance. J"ai lu leurs rapports et j"ai examiné la preuve et, selon moi, l"aspect crucial se rapporte aux assertions que les capitaines Smart et McKillop ont faites, à savoir qu"il n"y avait rien de mal en soi à décider de transporter l"excavatrice sans l"arrimer, ou même de décider de transporter l"excavatrice avec un franc-bord si minime, à condition que l"on prévoit qu"il fasse beau pendant le voyage.

[28]      Le capitaine Smart a déclaré que l"on avait chargé la cargaison conformément aux pratiques locales reconnues dans la région et que le navire était doté d"un équipage suffisant pour le voyage qui était envisagé, mais il a également dit que s"il faut attacher la cargaison, il ne faut pas partir9. Il a témoigné que [TRADUCTION] " s"il existait quelque doute au sujet de ce à quoi il [M. Laing] devrait faire face [en ce qui concerne] [...] il n"aurait pas dû partir "10.

[29]      Le témoignage du capitaine McKillop était similaire. Le capitaine McKillop a conclu que l"excavatrice avait été perdue parce qu"elle s"était déplacée par suite d"un grain en ligne imprévu qui avait entraîné énormément de roulis, pendant le voyage et qui avait pour effet de faire pencher le navire. L"assertion selon laquelle il y avait eu une ligne de grains n"est pas fondée sur des renseignements obtenus de première main, mais simplement sur les dires d"autres personnes. Le témoin a également affirmé que le navire n"était pas surchargé. Il se fondait dans une large mesure sur l"assertion de M. Laing, lorsqu"il disait qu"il avait réussi à faire virer le navire pour lui faire prendre la fuite, assertion que je ne considère pas comme exacte. Le capitaine McKillop a déclaré qu"on était loin de s"entendre sur les mesures qu"il convient de prendre pour arrimer une cargaison lourde comme une excavatrice. Il a dit qu"on était loin de s"entendre sur ce qui était considéré comme sûr et raisonnable11. Toutefois, indépendamment de tout avis, le temps prévu était une considération cruciale :

         [TRADUCTION]         
              [...] Je crois qu"en plus de cela [la question de savoir s"il fallait arrimer la cargaison], je devrais revenir en arrière et tenir compte du voyage, du temps auquel on pouvait s"attendre compte tenu des prévisions et dans le cas de M. Laing, je n"aurais probablement pas arrimé la cargaison au navire, et je ne serais pas non plus parti si je croyais qu"il y avait un problème.         
              Je crois que s"il faut arrimer la cargaison au navire -- ou plutôt s"il faut arrimer le véhicule, il faut probablement se demander de nouveau si l"on doit partir12.         

[30]      De fait, à mon avis, ce que ces deux témoins ont dit n"est pas très différent de la déclaration que le capitaine Vale a faite dans son rapport du 22 décembre 1995 : [TRADUCTION] " La machine aurait dû être arrimée et le voyage n"aurait pas dû être tenté avec un franc-bord d"un pied et demi seulement à moins que le temps ne soit calme et qu"il ne continue probablement à l"être [...] "13. [Je souligne].

Les conditions météorologiques

[31]      Le demandeur a cité M. Morrison, un météorologiste compétent, qui a témoigné qu"à son avis, il y avait peut-être eu un [TRADUCTION] " grain " au moment de l"accident. Les grains ne durent pas lontemps. Je n"ai pas à décrire en détail son témoignage. Il suffit de noter que son examen des données météorologiques l"a amené à conclure ceci :

         [TRADUCTION]         
         [...] le matin il y a eu au moins un grain, et peut-être plusieurs, dans le détroit de Georgia, le vent a viré au nord dans le secteur de Lasqueti -- French Creek, a fait lever la mer et il y a eu de fortes rafales [...]         

[32]      M. Morrison a témoigné que les grains peuvent être prévus et que celui qui a eu lieu ou ceux qui ont eu lieu dans le secteur pertinent du détroit de Georgia le 28 novembre 1995 au matin n"avaient pas été prévus. Cependant, on prévoyait l"arrivée d"un front chaud avec des vents qui forcissaient le matin et se transformaient en bourrasques en fin d"après-midi dans le secteur nord du détroit. L"avis de coup de vent était en vigueur depuis la veille. La traversée de False Bay, sur l"île Lasqueti, à French Creek, sur l"île de Vancouver, emprunte le secteur nord de la partie sud du détroit, ou le secteur sud de la partie nord du détroit. Les prévisions météorologiques maritimes pertinentes, à 0445, étaient les suivantes :

         [TRADUCTION]         
         Détroit de Georgia         
         Avertissement de coup de vent en vigueur.         
         Vents sud variables de 5 à 15 noeuds, forcissant à 30 noeuds, puis virant au sud-est entre 25 à 30 noeuds en après-midi.         
         Dans le secteur nord, grains du sud-est avec vent de 35 noeuds en fin de l"après-midi. La nuit, vents de 20 à 25 noeuds [...]         

[33]      M. Morrison a convenu que le mois de novembre est reconnu comme venteux dans le détroit de Georgia, que les conditions atmosphériques sont irrégulières et qu"il y a des coups de vents.

[34]      Comme il en a été fait mention, en plus des prévisions météorologiques maritimes d"Environnement Canada, qui sont annoncées à peu près toutes les six heures, divers phares communiquent leurs observations météorologiques maritimes en temps réel toutes les trois heures (soit à 0300, à 0600 et à 0900), observations diffusées continuellement par la station météorologique COMOX sur la bande VHF. Selon les renseignements de 0640, les vents à Ballenas étaient de 20 noeuds et à Sisters de 18 noeuds. La station météorologique de Ballenas est située au sud-est de la route que M. Laing devait parcourir. Sisters est situé plus près de la route, mais au nord.

[35]      En préparant son rapport, M. Morrison a utilisé les observations des phares ainsi que certains renseignements météorologiques non maritimes. Selon ces renseignements, à 0700, les vents allaient en [TRADUCTION] " augmentant de 15 à 20 noeuds dans les détroits avec des rafales à Ballenas " et que [TRADUCTION] " à Sisters [...] la vitesse du vent a[vait] atteint 20 noeuds, mais qu"il n"y a[vait] pas de rafales ". À 0800, les vents étaient d"environ 25 noeuds. Ils venaient du sud-est. Au début de son rapport, M. Morrison a déclaré qu"il croyait que les renseignements météorologiques montraient ceci :

         [TRADUCTION]         
         De 0600 HNP [heures normale du Pacifique], à 0800 HNP, les vents dans la région auraient été en moyenne d"environ 20 noeuds avec peu de rafales ou aucune rafale -- de sorte que la mer était agitée mais régulière. De 0800 à 0900 HNP, les vents auraient atteint environ 25 noeuds et les rafales augmentaient. Par suite de l"augmentation de la vitesse des vents et des rafales, la mer est plus hachée, de sorte que les vagues sont plus fortes et plus irrégulières. Vers 0900 HNP, le jour en question, la possibilité de grains allait en augmentant et, les vents se sont du moins brièvement élevés à plus de 25 noeuds en moyenne.         

[36]      Selon le rapport d"accident de la Garde côtière, dans lequel on faisait état des conditions météorologiques à 0930, soit vingt minutes ou une demi-heure après l"accident, les conditions météorologiques étaient [TRADUCTION] " mauvaises "; les vagues [TRADUCTION] " avaient plus de deux mètres de haut et la vitesse du vent était de 30 noeuds avec des grains accompagnés de pluie ". M. Laing a affirmé à l"audience que les conditions météorologiques étaient moins mauvaises, au moment où la Garde côtière était arrivée, qu"elles ne l"avaient été avant l"accident. Pour les motifs que j"énoncerai ci-dessous, il y a lieu de douter de cette assertion.

[37]      M. et Mme Cejka, un couple dont la maison, sur l"île Lasqueti, donne sur l"étendue d"eau en question, prenaient un café à leur table de cuisine devant une fenêtre qui donnait sur l"eau. Ils étaient à environ cinq milles de l"endroit où l"accident s"est produit. Ils ont observé une lame inhabituelle. M. Cejka a dit qu"il y avait une grosse vague double, ce qui était inhabituel. Il ne pouvait pas dire de quelle hauteur elle était. Mme Cejka l"a décrite comme étant une lame inhabituelle composée de deux ou trois vagues, des vagues assez grosses. Ils ne croyaient pas que cela présentait un danger pour le Palaquin; ils n"y faisaient pas énormément attention; ni l"un ni l"autre n"a vu la vague frapper le Palaquin. Lorsque M. Cejka a remarqué que l"arrière du Palaquin leur faisait face, il a cru que M. Laing avait des problèmes mécaniques. M. et Mme Cejka ont dit que les conditions étaient normales pour le mois de novembre, que le temps était très sombre et gris. Le fait qu"ils n"ont pas parlé de mauvaises conditions météorologiques du genre de celles dont M. Laing a parlé est révélateur.

La connaissance que M. Laing avait du temps qu"il ferait probablement

[38]      Lorsqu"il était à la barre des témoins, M. Laing a déclaré avoir écouté la station météorologique COMOX sur la bande VHF avant de quitter French Bay à 0530 et avant de quitter Lasqueti à 0810. Il savait que, selon les prévisions de 0445, les vents devaient s"élever pendant la journée pour se transformer en grains dans le secteur nord du détroit pendant l"après-midi. Il s"attendait à quitter Lasqueti à 0700 (le voyage entre French Creek et Lasqueti est d"environ une heure et demi). Il a été retardé parce que l"excavatrice n"était pas prête lorsqu"il est arrivé. Lorsqu"il est parti, à 0810, il s"est surtout fondé sur l"état de la mer et sur les conditions météorologiques qu"il pouvait observer visuellement. Il dit qu"il y avait un clapot d"un pied ou deux pieds seulement, ce qui ne l"inquiétait pas. (Comme il en a ci-dessus été fait mention, son témoignage n"est pas entièrement digne de foi et je ne suis donc pas prête à le retenir.) De plus, comme il a ci-dessus été fait mention, selon les renseignements météorologiques donnés à 0640, il y avait des vents de 20 noeuds dans le secteur. On signalait une mer agitée. M. Laing a déclaré qu"après avoir effectué environ un mille, il a écouté les renseignements météorologiques provenant du phare qui étaient donnés par la station météorologique VHF. Il savait que les vents avaient augmenté et que la mer était plus agitée qu"auparavant. Il savait que l"étendue d"eau sur laquelle il voyagerait était exposée aux vents du sud et du sud-est, que l"on s"attendait à ce que les vents venant de cette direction augmentent pendant la journée et à ce que le temps se détériore.

[39]      Pendant l"interrogatoire préalable, le 6 mars 1997, M. Laing a déclaré qu"à son avis, il était dangereux de s"aventurer sur le Palaquin lorsque les vents étaient de plus de 20 noeuds; il a dit qu"il ne sortait pas si le vent dépassait les 20 noeuds. À l"audience, M. Laing a déclaré qu"il voulait dire que selon lui, il était dangereux de s"aventurer par gros temps. Le 6 octobre 1995, il avait refusé de transporter l"excavatrice même si les prévisions étaient moins menaçantes et même si les vents étaient moins forts que le 28 novembre 1995. Lorsque M. Vale lui a demandé pourquoi il n"avait pas amarré l"excavatrice au navire, il a répondu que, si un problème s"était posé, l"excavatrice aurait entraîné le navire au fond avec elle.

[40]      En tentant de justifier les mesures que M. Laing avait prises en faisant sortir le navire en mer, chargé comme il l"était, compte tenu du temps qu"il devait faire, les capitaines Smart et McKillop ont tous les deux accordé beaucoup trop d"importance au fait que selon les prévisions météorologiques de 0445, il devait y avoir un coup de vent pendant l"après-midi, et non le matin, et que cela devait se produire dans le secteur nord du détroit. Il n"est pas raisonnable de supposer que les prévisions météorologiques sont à ce point précises. Il en va de même en ce qui concerne le fait que M. Laing s"est fondé sur ces prévisions.

Conclusions de fait

[41]      Sans entrer dans les détails, mes conclusions, en ce qui concerne les deux premières raisons que le capitaine Vale a données pour conclure que le navire n"était pas apte à prendre la mer sont les suivantes : il n"a pas été démontré que le fait que M. Laing ne détenait pas de certificat de capitaine de petit navire avait causé la perte, et le fait que la barge n"avait pas été inspectée n"est pas pertinent -- compte tenu de ses dimensions, la barge n"avait pas à être inspectée.

[42]      En ce qui concerne les conclusions tirées tant par le capitaine Vale que par le capitaine Hopkinson, à savoir que le fait que le navire n"était pas doté d"un équipage suffisant permettait de conclure qu"il n"était pas apte à prendre la mer, il n"a pas été démontré que l"absence d"un second membre d"équipage à bord avait contribué à l"accident. On ne sait pas trop si le fait qu"il y aurait eu une seconde personne dans la timonerie aurait changé quoi que ce soit. Le fait que M. Laing avait des connaissances suffisantes, à cause de son expérience personnelle avec les excavatrices, pour essayer de remettre l"excavatrice au centre de la barge ne suffit pas à démontrer que le fait que le navire n"était pas doté d"un équipage suffisant avait causé la perte.

[43]      Certains éléments de preuve ont été présentée en vue de démontrer que si l"on avait assujetti l"excavatrice à l"aide de chaînes ou de cales, cela n"aurait rien changé. Je conclus le contraire. Les chaînes auraient été efficaces. C"est la vague initiale qui a entraîné le déplacement de l"excavatrice. Cela a fait gîter le navire et a contribué au roulis et l"a rendu plus difficile à manoeuvrer. Si l"excavatrice avait été maintenue en place, elle ne se serait pas déplacée.

[44]      Comme le montrent les faits susmentionnés, le Palaquin n"était pas raisonnablement apte à effectuer le voyage envisagé. Il était trop chargé compte tenu de l"état de la mer auquel on pouvait raisonnablement s"attendre. L"excavatrice, qui n"était pas immobilisée, n"a pas été arrimée d"une façon sûre compte tenu de l"état de la mer auquel il était raisonnablement possible de s"attendre. Le fait que le navire n"était pas apte à prendre la mer à cause de ces deux facteurs a occasionné la perte.

[45]      Toutefois, l"avocat du demandeur soutient que son client ne savait pas que le navire n"était pas apte à prendre la mer. Il soutient que si M. Laing a été négligent en entreprenant le voyage, cela ne veut pas dire qu"il savait que le navire n"était pas apte à prendre la mer. Il cite les décisions Compania Martima San Basilio S.A. v. The Oceanus Mutual Underwriting Association (Bermuda) Ltd. (The " Eurysthenes "), [1976] 2 L1.L.R. 171 (C.A.), et Manifest Shipping & Co. Ltd. v. Uni-Polaris Insurance Co. Ltd. and La Réunion Européenne (The " Star Sea "), [1997] 1 L1.L.R. 360 (C.A.). Dans la première décision, lord Denning a dit que l"assentiment exigeait non seulement de la part du propriétaire une connaissance des faits qui font que le navire n"est pas apte à prendre la mer, mais aussi la connaissance des faits qui rendent le navire inapte à prendre la mer :

         [TRADUCTION]         
         Pour que le propriétaire perde son droit, il doit à mon avis avoir connaissance non seulement de l"état de non-navigabilité, mais aussi avoir connaissance des faits qui font que le navire n"est pas apte à prendre la mer, c"est-à-dire qu"il n"est pas raisonnablement apte à faire face aux périls ordinaires de la mer. Par connaissance, j"entends non seulement une connaissance positive, mais aussi le genre de connaissance dont on parle lorsque l"on dit qu"une personne fait l"aveugle. La personne qui ferme les yeux sur la vérité malgré ses soupçons et omet de se renseigner -- de sorte qu"elle ne sait pas vraiment de quoi il en ressort -- doit être considérée comme connaissant la vérité. Il est beaucoup plus répréhensible de se fermer les yeux que de se montrer simplement négligent. Faire preuve de négligence n"équivaut pas à connaître la vérité.         

[46]      Lors Roskill a expliqué le critère comme suit (à la page 184) :

         [TRADUCTION]         
         Dans le contexte de la Loi dans son ensemble, je crois qu"il est clair que l"" assentiment " dont il est question dans cette disposition n"équivaut pas à une " mauvaise conduite volontaire ". Ce n"est pas non plus la même chose qu"une négligence ou une faute, personnelle ou autre. La disposition prévoit que l"assureur est disculpé si un navire qui n"est pas apte prend la mer, et ce, avec l"assentiment de l"assuré. Cela doit vouloir dire qu"il sait que le navire n"est pas apte à prendre la mer et non simplement qu"il a connaissance de faits qui peuvent en fin de compte équivaloir à un état de non-navigabilité. En d"autres termes, si le navire part alors qu"il n"est pas apte à prendre la mer, que le propriétaire le sait et donne son assentiment et que l"état du navire cause la perte, aucune indemnité n"est versée en vertu de la police à temps. L"état de non-navigabilité doit avoir causé la perte et le propriétaire doit savoir que le navire est non navigable et donner malgré tout son assentiment. À un moment donné dans ses plaidoiries Me Mustill a parlé de la " réalisation consciente des conséquences des faits qui rendent le navire inapte à prendre la mer ". À mon avis, cette remarque exprime correctement l"intention sous-tendant cette disposition, même si j"ai rejeté l"argument plus général selon lequel l"assentiment doit être assimilé à la mauvaise conduite volontaire.         
              Cependant, comme lord Denning, M.R., je soulignerais que par connaissance, on entend non seulement une connaissance positive, mais aussi le genre de connaissance dont il est question lorsqu"on dit qu"une personne " fait l"aveugle ". Si les faits qui équivalent à un état de non-navigabilité sautent aux yeux de façon que l"assuré aurait dû, s"il s"y était arrêté, se rendre compte de leurs conséquences pour l"état de navigabilité du navire, il a forcément connaissance de cet état de non-navigabilité s"il omet aveuglément ou discrètement de tenir compte de ces faits ou s"il ne pose pas de questions pertinentes à leur sujet dans l"espoir qu"en ne se renseignant pas, il ne saura pas vraiment ce qu"il aurait indubitablement appris s"il s"était renseigné. [Je souligne].         

[47]      Dans l"affaire du " Star Sea ", la Cour, à la page 377, a décrit l"exigence comme étant [TRADUCTION] " le fait d"avoir dans une certaine mesure conscience du fait que le navire n"est pas apte à prendre la mer ou de soupçonner dans une certaine mesure la chose, et de ne pas en tenir compte de sorte que l"on ne sait pas vraiment si c"est le cas ".

[48]      Je me e vois obligée de conclure que M. Laing avait connaissance non seulement des faits qui ont rendu le navire inapte à prendre la mer, mais aussi qu"il a aussi " fait l"aveugle " à ce sujet. Comme il en a ci-dessus été fait mention, il a témoigné qu"à son avis, il était dangereux d"effectuer un voyage lorsqu"il y avait des vents de 20 noeuds. Le matin en question, les renseignements météorologiques montrent que lorsqu"il a entrepris le voyage, il y avait des vents de 20 noeuds. Ces vents venaient du sud-est et l"on prévoyait que les vents de cette direction iraient en augmentant et que le temps se détériorerait. M. Laing savait que les conditions météorologiques dans le détroit étaient imprévisibles, surtout en novembre. Lorsqu"on lui a demandé pourquoi il n"avait pas arrimé l"excavatrice à la barge, il a dit au capitaine Vale (et rien ne me permet de douter de ce témoignage) que si un problème s"était posé, l"excavatrice aurait entraîné la barge au fond avec elle. Je me vois obligée de conclure que M. Laing savait que le navire n"était pas apte à prendre la mer tel que ce concept est décrit dans la jurisprudence que j"ai citée.

[49]      Pour les motifs susmentionnés, c"est avec réticence que je rejette l"action du demandeur.

                             B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

le 17 février 1999

Traduction certifiée conforme

L. Parenteau, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :              T-1713-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Frank Ian Laing c. Boreal Pacific et autre
LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 15 septembre 1998

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE REED EN DATE DU 17 FÉVRIER 1998.

ONT COMPARU :

Aengus Fogarty              pour le demandeur
R.R.C. Twining              pour la défenderesse(Boreal Pacific)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aengus Fogarty              pour le demandeur

Vancouver (C.-B.)

Killam, Whitelaw & Twining      pour la défenderesse (Boreal Pacific)

Vancouver (C.-B.)

Skorah Doyle Khanna          pour la défenderesse(Thwaites Norris)

Vancouver (C.-B.)

__________________

1      H.N. Bennet, The Law of Marine Insurance , (1996), p. 294, 296.

2      Benedict on Admiralty (7e éd.) (New York; Matthew Bender, 1990), par. 67; Halsbury"s Laws of England, (nouvelle édition), vol. 43(2), p. 1126, par. 1653; Biccard v. Shepherd (1861), 14 Moore PCC 471 à la p. 491 (391 en réimpression); Harocopos v. Mountain, [1934] 49 KB 267 à la p. 270; Albert E. Reed & Co. Limited v. Page, Son & East Limited, [1927] KB 231 à la p. 234-244; Arnould"s Law of Marine Insurance and Average (London; Stevens & Sons, 1981) à la p. 573, par. 735 et Foley v. Tabor (1861), 2 F. & F. 663, 671-672 (p. 1235 réimpression).

3      Transcription de l"audience, p. 244-245.

4      Transcription de l"audience, p. 256.

5      Transcription de l"audience, p. 257.

6      Transcri ption de l"audience, p. 254.

7      Transcription de l"audience, p. 243.

8      Transcription de l"audience, p. 254, 259, 260 et 262.

9      Transcription de l"audience, p. 383.

10      Transcription de l"audience, p. 404.

11      Transcription de l"audience, p. 520-521.

12      Ibid.

13      Supra, p. 9.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.