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Date : 20010327

Dossier : T-1948-99

Référence neutre : 2001 CFPI 251

Halifax (Nouvelle-Écosse), le 27 mars 2001

EN PRÉSENCE DE :             MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

TRUDY KALKE

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA,

LE MINISTRE DU TRANSPORT, MOHAMMED AKHTAR et

WILLIAM J. NASH

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]         Il s'agit d'une requête qu'ont présentée les défendeurs pour que la Cour ordonne, en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi), L.R.C. (1985), ch. F-7, que la demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.


[2]         Les défendeurs (un ou plusieurs d'entre eux) ont détenu le navire de la demanderesse, le EL PRIMERO, conformément à une ordonnance de détention datée du 14 mai 1999. Ils ont détenu le navire au motif qu'il était « dangereux » à quelque fin que ce soit au sens du paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, L.R.C. (1985), ch. S-9, modifié par S.R., ch. 6 (3e suppl.), art. 87(F). Il y avait également une ordonnance antérieure de détention datée du 26 mai 1996 qui n'avait pas été levée. Apparemment, le seul point encore en litige en ce qui a trait à l'ordonnance de détention antérieure est l'état de la coque du navire et les réparations, s'il en est, qui sont nécessaires pour que la coque soit solide.

[3]         La demande de contrôle judiciaire, selon les défendeurs, vise à contrôler l'ordonnance de détention et l'annexe MA502-41 datés du 14 mai 1999.

[4]         Des affidavits ont été déposés et il y a eu un contre-interrogatoire au sujet de ceux-ci.

[5]         Un avis d'examen de l'état de l'instance a été délivré le 11 juillet 2000 et, après avoir examiné les observations des parties, la Cour a fixé certains délais pour que puisse être terminé le contre-interrogatoire. En outre, la Cour a nommé un juge responsable de la gestion de l'instance le 12 décembre 2000.


La question litigieuse

[6]         La Cour devrait-elle ordonner, aux termes du paragraphe 18.4(2), que la demande de

contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action?

[7]         Les défendeurs soutiennent que la demande de contrôle judiciaire soulève des questions qui ne peuvent pas être évaluées ou établies avec satisfaction au moyen d'une preuve par affidavit et que la Cour devrait avoir la possibilité d'observer le comportement et la crédibilité des témoins en ce qui touche :

1)                   le témoignage de l'expert;

2)                   le fondement factuel du processus décisionnel;

3)                   l'interaction entre l'auteur de la requête et les défendeurs; et

4)                   un aperçu de la manière dont on est parvenu à la décision.

[8]         En outre, les défendeurs prétendent que, comme la demanderesse sollicite une réparation aux termes des articles 8 et 9 de la Charte canadienne des droits et libertés, une ordonnance en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi devrait être accordée.


[9]         La demanderesse affirme que l'instance porte uniquement sur une question procédurale très simple et très précise. La seule question litigieuse est de savoir si les défendeurs ont régulièrement détenu le EL PRIMERO au motif qu'il est dangereux.

Les dispositions législatives applicables

[10]       Les paragraphes 18.4(1) et (2) de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, sont rédigés comme suit :


18.4 (1) Sous réserve du paragraphe (2), la Section de première instance statue à bref délai et selon une procédure sommaire sur les demandes et les renvois qui lui sont présentés dans le cadre des articles 18.1 à 18.3.

18.4 (1) Subject to subsection (2), an application or reference to the Trial Division under any of sections 18.1 to 18.3 shall be heard and determined without delay and in a summary way.

(2) La Section de première instance peut, si elle l'estime indiqué, ordonner qu'une demande de contrôle judiciaire soit instruite comme s'il s'agissait d'une action.

(2) The Trial Division may, if it considers it appropriate, direct that an application for judicial review be treated and proceeded with as an action.


[11]       Le paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada, précité, prévoit ce qui suit :



310. (1) Un inspecteur de navires à vapeur peut, dans l'exercice de ses fonctions, monter à bord de tout navire, à des heures convenables, inspecter le navire, ses machines ou son équipement et examiner le certificat ou brevet du capitaine, d'un officier de pont ou d'un officier mécanicien; si le navire lui paraît dangereux, ou dans le cas d'un navire à passagers, inapte au transport de passagers, ou si les machines ou l'équipement lui paraissent défectueux au point d'exposer sérieusement au danger les personnes à bord, il doit détenir ce navire.

310. (1) A steamship inspector, in the performance of his duties, may go on board any ship at all reasonable times and inspect the ship, or any of the machinery or equipment thereof, or any certificate of a master, mate or engineer, and if he considers the ship unsafe, or, if a passenger ship, unfit to carry passengers, or the machinery or equipment defective in any way so as to expose persons on board to serious danger, he shall detain that ship.


La jurisprudence pertinente

[12]       Dans l'arrêt MacInnis c. Canada (Procureur général), [1994] 2 C.F. 464 (C.A.F.), le juge Décary, au nom de la Cour, a affirmé ce qui suit aux pages 469 à 473 :

Toute tentative d'interprétation du paragraphe 18.4(2) doit commencer par la prise en considération de l'affirmation que le juge Muldoon a faite relativement au point de vue qui doit être adopté lorsqu'on veut mettre ce paragraphe en application:

L'article 18.4 de la Loi sur la Cour fédérale dispose clairement qu'en règle générale, une demande de contrôle judiciaire ou un renvoi présenté à la Section de première instance est instruit comme s'il s'agissait d'une requête. En vertu de cet article, ces matières doivent être entendues et jugées « à bref délai et selon une procédure sommaire » . Exceptionnellement, le paragraphe 18.4(2) prévoit qu'une demande de contrôle judiciaire peut être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Cependant, c'est dorénavant par voie de requête qu'il est préférable de procéder et il ne faut pas déroger à ce principe en l'absence de motifs très clairs.

Il est intéressant de se rappeler, à l'instar du juge Reed:

. . . [qu'] en matière de contrôle judiciaire le rôle du tribunal consiste à examiner la décision contestée, mais non à se substituer à l'instance qui l'a rendue.

Il faut aussi noter les commentaires du juge Strayer:


Pour ces motifs, je ne souscris pas à l'argument des intimés, à savoir qu'il y a des questions de fait techniques difficiles à trancher, lesquelles nécessiteront des plaidoiries et un procès ainsi que le contre-interrogatoire d'experts et d'autres personnes. En l'espèce, il n'incombe pas à la Cour de devenir une académie des sciences se prononçant sur des prévisions scientifiques contradictoires, ou d'agir en quelque sorte à titre de Haute assemblée pesant les préoccupations manifestées par le public et déterminant quelles préoccupations devraient être respectées. Indépendamment de la question de savoir si la société serait bien servie si la Cour assumait l'un ou l'autre de ces rôles, ce dont je doute sérieusement, il ne s'agit pas de rôles qui ont été confiés à la Cour dans l'exercice du contrôle judiciaire prévu par l'article 18 de la Loi sur la Cour fédérale [L.R.C. (1985), ch. F-7].

Par conséquent, je ne vais pas ordonner que cette affaire soit entendue à titre d'action. Je crois qu'il est possible de répondre à de nombreuses préoccupations des intimés si les parties mettent l'accent sur les questions véritables.

En général, c'est seulement lorsque les faits, de quelque nature qu'ils soient, ne peuvent pas être évalués ou établis avec satisfaction au moyen d'un affidavit que l'on devrait envisager d'utiliser le paragraphe 18.4(2) de la Loi. Il ne faudrait pas perdre de vue l'intention clairement exprimée par le Parlement, qu'il soit statué le plus tôt possible sur les demandes de contrôle judiciaire, avec toute la célérité possible, et le moins possible d'obstacles et de retards du type de ceux qu'il est fréquent de rencontrer dans les procès. On a des « motifs très clairs » d'avoir recours à ce paragraphe, pour utiliser les mots du juge Muldoon, lorsqu'il faut obtenir une preuve de vive voix soit pour évaluer l'attitude et la crédibilité des témoins ou pour permettre à la Cour de saisir l'ensemble de la preuve lorsqu'elle considère que l'affaire requiert tout l'appareillage d'un procès tenu en bonne et due forme. L'arrêt rendu par la présente Cour dans l'affaire Bayer AG et Miles Canada Inc. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et Apotex Inc., où le juge Mahoney, J.C.A. s'est montré jusqu'à un certain point en désaccord avec la décision rendue par le juge Rouleau dans la même affaire (note 9 : [Bayer AG et autre c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et autre] (1993), 66 F.T.R. 137 (C.F. 1re inst.)), est un exemple récent de l'hésitation de la Cour à instruire une affaire par voie d'action plutôt qu'au moyen d'une demande.

Le juge Strayer, dans l'arrêt Vancouver Island Peace Society, et le juge Reed dans l'arrêt Derrickson, ont mentionné qu'il est important de se rappeler la vraie nature des questions auxquelles la Cour doit répondre dans une procédure de contrôle judiciaire, et de considérer la pertinence d'utiliser la preuve déposée par affidavit pour répondre à ces questions. Par conséquent, un juge commettrait une erreur en acceptant qu'une partie puisse seulement présenter la preuve qu'elle veut au moyen d'un procès si cette preuve n'était pas liée aux questions très précises auxquelles la Cour doit répondre. La complexité, comme telle, des questions de faits ne saurait être prise en considération si les affidavits contradictoires des experts qui s'appuient sur ces faits se rapportent aux questions soumises au tribunal plutôt qu'aux questions soumises à la Cour. Par conséquent, supposer qu'on pourra mettre au jour une preuve cachée n'est pas une raison suffisante pour ordonner la tenue d'un procès. Un juge peut être justifié de statuer autrement s'il a de bonnes raisons de croire qu'une telle preuve ne pourrait être mise au jour qu'au moyen d'un procès. Mais le vrai critère que le juge doit appliquer est de se demander si la preuve présentée au moyen d'affidavits sera suffisante, et non de se demander si la preuve qui pourrait être présentée au cours d'un procès pourrait être supérieure.

Nous ne croyons pas que la qualité de la preuve requise varie selon qu'il s'agisse d'une question liée à la Charte ou à d'autres questions. Il est exact que les faits constitutionnels sont inhabituels, en ce qu'ils se rapportent souvent à des tendances sociales. Mais avant qu'un juge conclue que des questions liées à la Charte nécessitent un procès, il faut des raisons de croire que la preuve déposée au moyen d'affidavits sera insuffisante. La présentation d'une requête n'équivaut pas à procéder dans un « vide factuel » , puisque la preuve par affidavit est possible. L'affirmation que les questions liées à la Charte ne peuvent être correctement tranchées qu'au moyen d'un procès bat en brèche les arrêts innombrables rendus par la présente Cour, la Cour suprême du Canada et d'autres cours à la suite d'une demande ou d'un autre moyen sommaire, ou lors de l'appel de ces décisions. Il n'y a absolument aucun motif d'accorder un traitement spécial aux litiges où la Charte est invoquée.

La complexité, comme telle, des questions de droit n'est pas un motif suffisant. Cette complexité reste la même, que ces questions soient débattues lors de l'instruction d'une demande ou d'une action.


Le temps, comme tel, n'est pas non plus un motif suffisant pour transformer une demande en action. Le volume de la preuve qui sera déposée par affidavit et le temps dont les avocats ont besoin pour présenter leur affaire n'ont pas de relation avec la façon dont l'instance est tenue. Nous sommes conscients que les demandes ont pris de plus en plus du temps de la Section de première instance, et que ce qui n'était pour un juge que le jour des requêtes est devenu plus souvent qu'autrement la semaine des requêtes. Le système a clairement besoin d'être adapté aux nouvelles exigences de l'ère post-Charte; mais la solution ne saurait être, parce que l'on battrait alors en brèche la volonté du Parlement, de diminuer le fardeau du juge des requêtes en transformant les demandes en actions.

Les motifs subjectifs qu'une partie pourrait avoir de désirer que la preuve soit présentée de vive voix ne sont pas non plus pertinents. Le désir d'une partie d'avoir son heure de gloire au prétoire n'est pas un motif pour accorder un procès.

L'analyse et la décision

[13]       Les défendeurs ont soutenu que la crédibilité des témoins était une question importante et que la demande de contrôle judiciaire devait donc être instruite comme s'il s'agissait d'une action. Cet argument s'appuie uniquement sur la déclaration qu'a faite William J. Nash dans son affidavit, selon laquelle [TRADUCTION] « [...] K. Joseph Spears m'a informé et j'ai la ferme conviction que la véritable question litigieuse en l'espèce portera sur la crédibilité des témoins [...] » . Toutefois, cela ne dit pas à la Cour la crédibilité de quels témoins est en cause ni quelles parties de leur témoignage donnent matière à réserve. Je ne suis pas convaincu, compte tenu des documents dont je suis saisi, qu'une question de crédibilité a été soulevée et que la demande doit dont être transformée en action. Le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire sera saisi des documents dont s'est servi le décideur et de tout autre élément de preuve pertinent, et sera en mesure de statuer sur la demande de contrôle judiciaire.


[14]       Je ne crois pas que les faits ou que les questions juridiques soient complexes dans la présente affaire. La seule question en litige est de savoir si les défendeurs ont détenu le EL PRIMERO au motif qu'il était « dangereux » à quelque fin que ce soit au sens du paragraphe 310(1) de la Loi sur la marine marchande du Canada. En tout état de cause, la complexité des questions juridiques n'est pas en soi une considération pertinente parce que, si elles sont complexes dans le cadre d'une demande, elles le seraient également dans le cadre d'une action.

[15]      Les défendeurs ont déclaré que 18 affidavits ont été déposés dans le cadre de la présente demande. Cela étant, il convient de noter que la demanderesse a signé quatre de ces affidavits et que William John Nash a signé cinq de ceux-ci.

[16]       Les défendeurs ont également prétendu qu'une ordonnance devrait être délivrée en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi parce que la demanderesse a soulevé des questions relatives à la Charte. La Cour d'appel fédérale dans l'arrêt MacInnis, précité, a affirmé que des questions liées à la Charte ne nécessitaient pas un procès quand des affidavits pouvaient établir un fondement factuel. Je n'ai aucune raison de croire qu'une preuve par affidavit ne peut établir le fondement factuel des arguments relatifs aux articles 8 et 9 de la Charte. Pour ces motifs, il n'est pas nécessaire de transformer la demande en action.


[17]       En conséquence, je suis convaincu que les faits nécessaires pour statuer sur la question litigieuse en l'espèce peuvent être établis et évalués au moyen d'une preuve par affidavit. La preuve par affidavit n'est pas insuffisante. Il n'est pas nécessaire de présenter une preuve de vive voix en l'espèce et l'affaire ne devrait donc pas être retardée inutilement par la conversion de la demande de contrôle judiciaire en action.     

ORDONNANCE

[18]       LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT :

1.                   La requête en application du paragraphe 18.4(2) de la Loi, visant l'obtention d'une ordonnance selon laquelle la demande de contrôle judiciaire sera instruite comme s'il s'agissait d'une action est rejetée.

2.                   Les parties auront 10 jours suivant la date de la présente décision pour présenter des observations quant aux dépens. Les réponses seront déposées dans les 5 jours suivant le dépôt initial.

« John A. O'Keefe »

J.C.F.C.

Halifax (Nouvelle-Écosse)

Le 27 mars 2001

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20010327

Dossier : T-1948-99

Référence neutre : 2001 CFPI 251

ENTRE :

TRUDY KALKE

demanderesse

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, LE MINISTRE DES TRANSPORTS, MOHAMMED AKHTAR et WILLIAM J. NASH

défendeurs

                                                                                 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                 


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                           T-1948-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         TRUDY KALKE

- et-

SA MAJESTÉ LA REINE ET AUTRES

LIEU DE L'AUDIENCE :                              VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE LUNDI 26 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE PAR :                         LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 27 MARS 2001

ONT COMPARU:

M. Roger Watts                                                POUR LA DEMANDERESSE

M. Joseph Spears                                              POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

McEwen Schmitt & Co.                                    POUR LA DEMANDERESSE

C.P. 11174, Royal Centre

1615 - 1055, rue Georgia Ouest

Vancouver (C.-B.) V6E 3R5

Spears & Company                                           POUR LES DÉFENDEURS

6438, rue Bay

West Vancouver (C.-B.) V7W 2H1                 

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