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                                               Date : 19980810

                                         Dossier : IMM-1612-98

ENTRE

                   MASHA ALLAH ZAND-VAKILI,

                                                    demandeur,

                              et

      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

                                                    défendeur.

                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]        Appel est interjeté de la décision en date du 10 mars 1998 par laquelle un agent d'immigration a refusé de permettre au demandeur, pour des raisons d'ordre humanitaire, de présenter une demande de droit d'établissement alors qu'il se trouvait au Canada.

[2]        Le demandeur soutient que la décision devrait être annulée parce que 1) l'agent d'immigration n'aurait pas dû tenir compte du fait qu'il avait été exclu par la section du statut de réfugié, de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SSR), de la protection des réfugiés au sens de la Convention conformément à l'Article 1Fa) de la Convention des Nations unies relative au statut des réfugiés (la Convention) incorporée dans le droit intérieur par le paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-5; 2) si l'agent était en droit de tenir compte de ce fait, il a apprécié les éléments de preuve de façon abusive, méconnaissant la preuve dont il était saisi ou qui aurait dû lui être produite; 3) la décision de l'agent d'immigration conduit directement au renvoi du demandeur vers l'Iran, et un tel renvoi constituerait une violation de l'article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte), argument étayé par l'article 3 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, que le Canada a ratifiée le 24 juin 1987. L'article 3 porte notamment :

Aucun État partie n'expulsera, ne refoulera, ni n'extradera une personne vers un autre État où il y a des motifs sérieux de croire qu'elle risque d'être soumise à la torture.

[3]        Le demandeur est citoyen iranien. Il a été juge militaire sous le régime du Shah. Le 8 février 1979, trois jours avant la révolution iranienne, il a appris que l'armée du Shah allait capituler. Il est allé se cacher et il a quitté l'Iran environ dix ou douze jours plus tard. Entre 1979 et 1986, il a vécu dans plusieurs pays comprenant la Turquie, l'Italie, l'Espagne et l'Argentine.

[4]        Le 25 mai 1986, le demandeur est arrivé au Canada, et il a revendiqué le statut de réfugié. Le demandeur a deux filles, l'une vit en Allemagne et l'autre en Colombie-Britannique. Il vit actuellement chez sa fille en Colombie-Britannique, et il déclare que sa fille subvient à ses besoins financiers.

[5]        Le 20 août 1990, un tribunal chargé de statuer sur le minimum de fondement a conclu que la revendication du statut de réfugié présentée par le demandeur avait un minimum de fondement. Toutefois, à l'époque, il a été conclu qu'il n'était pas, sur le plan pénal, admissible au Canada en application de l'alinéa 19(1)c) de la Loi sur l'immigration, du fait de sa condamnation en 1986 pour voie de fait commise à l'aide d'une arme, et qu'il n'était pas admissible pour des raisons d'ordre médical en vertu de l'alinéa 19(1)a) de la Loi sur l'immigration. Il a donc été renvoyé devant la SSR en vue d'une instruction approfondie.

[6]        Le 27 novembre 1992, la SSR a conclu que le demandeur risquerait d'être persécuté dans l'éventualité de son renvoi en Iran. Elle a également conclu qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention parce qu'il était exclu de la protection en application de l'Article 1Fa) de la Convention. La SSR a conclu que le demandeur avait participé au prononcé des peines capitales contre des opposants politiques, ne se préoccupait pas de savoir si des témoins avaient été torturés avant les aveux, s'était longuement et fièrement associé avec un régime oppressif et abusif et avait sciemment participé à des actes de persécution à Qum en prononçant des peines capitales contre des mollahs et des ecclésiastiques et d'autres fondamentalistes musulmans. Le demandeur a sollicité l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision de la SSR. La demande d'autorisation a été rejetée par la Cour d'appel fédérale le 5 mars 1993. Le défendeur a par la suite procédé à un examen [TRADUCTION] « de dernier recours » fondé sur des raisons d'ordre humanitaire pour déterminer si le demandeur pouvait présenter, pour ces raisons, une demande de droit d'établissement alors qu'il se trouvait au Canada. Il s'agit essentiellement d'une évaluation semblable à celle qui a lieu sous le régime du paragraphe 114(2) de la Loi sur l'immigration.

[7]        Pour ce qui est de l'argument selon lequel l'agent d'immigration n'aurait pas dû de tenir compte de la conclusion tirée par la SSR en application de l'Article 1Fa) lorsqu'il a décidé de l'examen « de dernier recours » fondé sur des raisons d'ordre humanitaire, j'estime que cette conclusion se rapportait à la décision prise. La question qui se pose est de savoir si le ministre devrait faciliter l'admission de l'intéressé au Canada en le dispensant des conditions générales de la loi. La conduite de l'individu se rapporte à cette détermination. Selon l'avocat du défendeur, si l'agent d'immigration était tenu de soupeser seulement les facteurs favorables au demandeur, c'est-à-dire le risque qu'il courrait dans l'éventualité de son retour en Iran, cela constituerait une entrave à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'agent contrairement au principe énoncé dans l'affaire Yhap c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1990), 9 Imm. L.R. (2d) 243 (C.F.1re inst.). Le processus décisionnel implique l'examen de tous las facteurs pertinents, et la conduite passée du demandeur, c'est-à-dire la conduite qui a donné à sa situation actuelle, n'est qu'un facteur pertinent de ce genre.

[8]        Quant à l'argument selon lequel l'appréciation par l'agent d'immigration des éléments de preuve était abusive, l'avocat du défendeur soutient que tel n'était pas le cas, et qu'une partie de la preuve sur laquelle le demandeur cherche à s,appuyer (c.-à-d. la transcription des procédures tenues devant la SSR) n'a pas été présentée à l'agent d'immigration. Je conviens que, contrairement à l'argument invoqué par l'avocat du demandeur, l'agent d'immigration n'était nullement tenu de rechercher ces renseignements additionnels. L'agent d'immigration était en droit de limiter son évaluation aux documents dont il disposait. Ceux-ci se composaient, non pas de la transcription de la SSR, mais de la décision de la SSR et du rejet par la Cour d'appel fédérale de la demande d'autorisation. Je souscris à l'argument du défendeur selon lequel la transcription de l'audition tenue en 1992 devant la SSR doit être écartée aux fins de la présente demande. Ce document n'a pas été présenté à l'agent d'immigration. Il ne faisait pas partie du dossier dont l'agent disposait lorsqu'il a pris sa décision.

[9]        L'argument de l'avocat du demandeur selon lequel l'appréciation par l'agent d'immigration des éléments de preuve était abusive repose en partie sur une mauvaise caractérisation de l'effet de la décision faisant l'objet du contrôle. Il considère cette décision comme effectuant le renvoi du demandeur du Canada. On peut comprendre cette caractérisation puisqu'il ressort de la documentation que la conséquence d'une décision défavorable est le renvoi. De même, le demandeur a été avisé à l'avance par les autorités d'immigration que si la décision était défavorable, il serait renvoyé en Iran et, au moins à une fois, les agents d'immigration comparaissant devant la Cour ont prétendu que les agents chargés du renvoi ne pouvait faire autrement que de renvoyer une personne qui se trouvait illégalement au Canada, et que la mesure de renvoi elle-même n'était pas susceptible de contrôle devant la Cour. Je ne comprends pas que telle soit maintenant la règle.

[10]       La différence entre une décision relative à l'examen « de dernier recours » fondé sur des raisons d'ordre humanitaire et la mesure de renvoi elle-même se rapporte au troisième argument du demandeur, ainsi qu'à son second argument. Ainsi qu'il a été noté, le troisième argument est qu'il est contraire à l'article 12 de la Charte de renvoyer le demandeur vers l'Iran, parce qu'il risquait d'être détenu, de subir de mauvais traitements et d'être probablement tué. L'avocat du défendeur soutient que c'est la décision de renvoi, datée du 7 avril 1998, prise par l'agent chargé du renvoi Randy Jordan, qui devrait faire l'objet de cette attaque constitutionnelle, puisque l'agent a décidé du moment de l'expulsion du demandeur et de l'endroit vers lequel il serait expulsé. La décision Farhadi c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (20 mars 1998, IMM-3846-96) a été citée pour préconiser l'idée que c'est la mesure de renvoi qui fait vraiment l'objet de la contestation constitutionnelle. L'avocat du défendeur soutient en outre que l'Avis de question constitutionnelle devrait être radié parce que les décisions à laquelle il se rapporte, c'est-à-dire la décision défavorable en date du 10 mars 1998 prise par l'agent d'immigration en matière de considérations humanitaires et la mesure d'exclusion du 14 juillet 1997, ne sont pas les décisions pertinentes auxquelles la question constitutionnelle se rapporte.

[11]       Il ressort de ce qui a été dit ci-dessus que je souscris à l'argument du défendeur selon lequel la mauvaise décision a été attaquée, et que c'est la mesure de renvoi elle-même qui devrait être contestée. Puisque je ne dispose pas du dossier de cette décision, je ne saurais exercer un pouvoir discrétionnaire pour convertir la présente demande en celle qui aurait dû être présentée pour aborder la question fondée sur la Charte. Pour ce qui est de l'argument connexe de l'avocat, je ne pense pas qu'il convienne de radier l'Avis de question constitutionnelle. Ce dernier a donné avis d'un délai, d'un lieu et d'une date de l'audition; tout cela est maintenant du passé. Radier l'Avis ne servirait aucune fin utile.

[12]       Il est clair qu'en l'espèce, on a à plusieurs reprises dit au demandeur que le renvoi vers l'Iran serait effectué s'il ne prenait pas de dispositions en vue de son départ pour un autre pays. Il a apparemment refusé de tenter de prendre ces dispositions. L'avocat note que le demandeur a vécu ailleurs depuis la chute du Shah, et qu'il existait des possibilités pour lui dont il a, avec intransigeance, refusé de se prévaloir.

[13]       Dans ce contexte, je reviens maintenant à la décision défavorable en matière de considérations humanitaires prise par l'agent d'immigration. La nature discrétionnaire de telles décisions est bien connue, puisque le fardeau incombe à un demandeur cherchant à faire annuler une telle décision; voir Shah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994), 170 N.R. 238 (C.A.F.). Je ne peux conclure que la décision de refuser de permettre le traitement d'une demande de droit d'établissement présentée par le demandeur alors qu'il se trouve au Canada, étant donné la conclusion fondée sur l'article 1Fa) qui avait été tirée, repose sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir des documents versés au dossier, ni qu'elle reposait sur une erreur de droit. La conclusion qu'il existe des motifs sérieux de croire qu'une personne a commis des crimes contre l'humanité se rapporte à la question de savoir si un tel pouvoir discrétionnaire devrait être exercé. De même, puisqu'on ne lui a pas présenté de motifs pour douter de la justesse de la décision de la SSR, l'agent d'immigration était en droit de s'appuyer sur cette décision et le refus ultérieur par la Cour d'appel fédérale de permettre que cette décision fasse l'objet d'un contrôle.

[14]       Par ces motifs, la présente demande doit être rejetée.

[15]       Ainsi qu'il a été convenu, je ne rendrai pas d'ordonnance définitive jusqu'à ce que l'avocat du demandeur ait eu la possibilité de décider si des observations devraient être faites relativement à la certification possible d'une question. Si de telles observations sont faites, elles doivent être signifiées et déposées dans les sept jours de la date des présents motifs. L'avocat du défendeur aura sept jours après le dépôt et la signification de ces observations, s'il en est, pour y répondre, et l'avocat du demandeur aura alors cinq jours pour sa réplique.

                                  (signé) B. Reed

                                       Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 août 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet


                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                              

           Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :IMM-1612-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :Masha Allah Zand-Vakili

                                  et

                                  Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

DATE DE L'AUDIENCE :Le mercredi 29 juillet 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :Vancouver (Colombie-Britannique)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :       le juge Reed

EN DATE DU10 août 1998

ONT COMPARU :

Darryl Larson                        pour le demandeur

Esta Resnick                     pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

Darryl Larson

Larson Suleman Sohn Boulton

6e étage, 609, rue Hastings ouest

Vancouver (C.-B.)

V6B 4A2                          pour le demandeur

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

                                pour le défendeur

  

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